S. Léger, issu
d'une famille très-illustre parmi les français,
naquit vers l'an 616. Ses parents le conduisirent fort jeune à la
cour du roi Clotaire II. Ce prince, fils de Frédégonde, régna
d'abord dans la Neustrie ; mais ayant fait Sigebert prisonnier en
614, et mis à mort la reine Brunehaut, il réunit toute la
monarchie française en sa personne. Quelque temps après Léger fut
envoyé à Didon, son oncle maternel, évêque de Poitiers. Le prélat
mit son neveu sous la conduite d'un savant et vertueux prêtre ; mais
il le fit venir ensuite dans son palais, pour achever lui-même son
éducation. Il vit avec plaisir qu'il faisait encore plus de progrès
dans la science des saints que dans l'étude des lettres.

Le saint avait
appris de Dieu même qu'on ne peut être parfait sans marcher en la
présence de Dieu. Aussi s'était-il accoutumé de bonne heure à s'unir
au Seigneur par la pratique du renoncement et de l'humilité. Son
oncle, frappé de son mérite extraordinaire, crut devoir le dispenser
de l'observation des canons de l'Eglise, en l'élevant au diaconat,
quoiqu'il n'eût encore que vingt ans. Quelque temps après il le fit
archidiacre, elle chargea du gouvernement de son diocèse. Léger
mérita, par sa sagesse, son éloquence et toutes ses vertus, d'être
universellement aimé. L'abbé du monastère de Saint-Maxence ou Saint-Maixent,
au diocèse de Poitiers, étant mort, son oncle l'obligea de le
remplacer ; il gouverna six ans ce monastère, avec autant de zèle
que de prudence, et lui fit ressentir les effets de sa libéralité.
Clovis II, roi de
Neustrie et de Bourgogne, mourut en 656, et laissa trois fils en bas
âge, Clotaire, Childéric et Thierri. Clotaire, troisième du nom, fut
proclamé roi. On déclara régente sainte Bathilde, sa mère, qui se
fit aider dans le gouvernement de l'Etat par saint Eloi de Noyon, S.
Ouen de Rouen et S. Léger. La réputation que ce dernier s'était
acquise l'avait fait appeler à la cour. En 658, on le nomma évêque
d'Autun.
Le siège de cette
ville était vacant depuis deux ans, et pendant ce temps-là le
diocèse avait été cruellement déchiré par des factions opposées ; il
y avait même eu du sang répandu en diverses occasions. La présence
du nouvel évêque pacifia les troubles, et ramena la paix. Il
soulagea les pauvres, instruisit le clergé et le peuple, décora les
églises, et les enrichit de vases et d'ornements précieux. Il répara
le baptistère de sa cathédrale avec magnificence, et y fit
transférer les reliques de S. Symphorien ; les murs de la ville
furent aussi réparés par ses soins. En 670 il assembla un synode à
Autun, où l'on fit divers canons concernant la réformation des
mœurs ; il nous en reste encore quelques uns, qui ont principalement
pour objet l'ordre monastique. Il est ordonné aux religieux
d'observer les règlements de S. Benoît, de travailler en commun et
d'exercer l'hospitalité; il leur est défendu en même temps de
posséder rien en propre, et d'aller dans les villes, à moins que les
affaires du monastère ne les y appellent; et dans ce cas-là même,
ils doivent avoir de leur abbé une lettre pour l'archidiacre.
Lorsqu'il eut
appris, en 669, que Clotaire III était mort, il se rendit
promptement à la cour. Une partie de la noblesse se déclara pour
Childéric, qui régnait en Austrasie avec beaucoup de prudence. Mais
Ebroïn prit le parti de Thierri, qui fut aussi proclamé roi, et il
se fit lui-même maire de son palais. Cependant la conduite de ce
ministre fut si cruelle et si odieuse, que le parti qui lui était
opposé prévalut bientôt. On se soumit à Childéric, qui aurait fait
mourir Ebroïn, si S. Léger et quelques autres évêques n'eussent
obtenu de ce prince qu'il lui laisserait la vie. On le renferma dans
le monastère de Luxeuil, où il fut rasé, et l'on envoya Thierri à
l'abbaye de Saint-Denis.
Le gouvernement
de Childéric II fut heureux et sage, tant que ce prince suivit les
conseils de S. Léger, qui avait tant de part aux affaires, que
quelques historiens l'ont appelé maire du palais. Mais comme il
était jeune, et d'un caractère impétueux, il s'abandonna bientôt aux
plaisirs; il ne rougit pas même d'épouser sa propre nièce. S. Léger
l'en reprit secrètement ; puis voyant que c'était sans fruit, il
condamna publiquement sa conduite. Cette hardiesse déplut au roi, et
les courtisans ne manquèrent pas de l'aigrir encore. Wulfoad, maire
du palais depuis quelque temps, essaya de rendre suspecte la
fidélité de Léger. Le saint évêque fut exilé à Luxeuil, et il y
trouva Ebroïn, qui lui promit une amitié constante.
Cependant
Childéric mourut d'une manière tragique en 673 ; il fut assassiné
par Bodilon, qu'il avait fait fouetter publiquement, et qui s'était
mis à la tête d'une conspiration composée de la noblesse. La reine
sa femme, et son fils Dagobert, encore enfant, éprouvèrent le même
traitement. Dagobert, fils de Sigebert II, fut rappelé d'Irlande où
il avait été banni, et on le proclama roi. Cette révolution rendit
la liberté à S. Léger ; il retourna à Autun, où ses diocésains le
reçurent avec les plus grandes marques d'honneur et de joie. Ebroïn
sortit aussi de Luxeuil. Irrité de voir Leudèse maire du palais, il
lui ôta la vie par trahison, et fit reconnaître pour roi un prétendu
fils de Clotaire III, qu'il nommait Clovis. En même temps il fit
avancer en Bourgogne une armée qui marcha d'abord contre la ville
d'Autun.
Il ne tenait
qu'au saint évêque de prendre la fuite, mais il crut que sa présence
était nécessaire à Autun. D'ailleurs il ne craignait point la mort.
Il distribua tout ce qu'il possédait aux pauvres, et fit ensuite son
testament, par lequel il donnait à son église des marques de sa
libéralité ". Il ordonna un jeûne de trois jours et une
procession générale, dans laquelle on porta la croix et les reliques
des saints autour des murailles de la ville. Léger se prosterna à
chacune des portes, et pria Dieu avec larmes d'épargner le troupeau
dans le cas où il appellerait le pasteur au martyre. Cette cérémonie
achevée, il fit assembler le peuple dans l'église, et demanda pardon
à ceux qu'il pouvait avoir offensés par un excès de sévérité.
L'ennemi s'étant présenté, les assiégés fermèrent leurs portes, et
firent tout le jour une vigoureuse résistance. « Ne combattez pas
plus longtemps, leur dit Léger; si c'est à cause de moi que les
ennemis sont venus, je suis prêt à leur donner satisfaction.
Envoyons quelqu'un de nos frères savoir ce qu'ils demandent. »
L'armée ennemie
était commandée par Vaimer, duc de Champagne ; Vaimer avait avec lui
Didon, précédemment évêque de Châlons-sur-Saône, qui avait été
déposé pour ses crimes. Celui-ci répondit aux envoyés d'Autun, qu'on
allait ruiner la ville si on ne leur livrait Léger. Tous promirent
d'obéir à Clovis, sur l'assurance qu'on leur donna que Thierri était
mort. Pour Léger, il déclara publiquement qu'il souffrirait tout
plutôt que de manquer de fidélité à son prince. Comme les
assiégeants poussaient toujours vivement l'attaque, il prit congé de
son peuple, reçut la communion, sortit de la ville, et alla se
présenter aux ennemis qui, après s'être saisis de sa personne, lui
crevèrent les yeux. Il chanta des psaumes tout le temps que dura son
supplice; il ne voulut point qu'on lui liât les mains, et il ne
poussa pas le moindre soupir. Les habitants de la ville se soumirent
pour ne pas perdre leur liberté. Vaimer conduisit le saint évêque en
Champagne.
Cependant l'armée
victorieuse marcha du côté de Lyon, dans le dessein de s'emparer de
cette ville, et de s'assurer de S. Gênés qui en était évêque. Mais
les habitants firent une si belle défense, que les ennemis furent
obligés de se retirer. S. Gênés mourut en paix le premier novembre
677, et eut pour successeur S. Lambert, qu'on avait chargé du
gouvernement de l'abbaye de Fontenelle, après S. Vandrille.
Ebroïn, qui avait
marché dans la Neustrie, envoya un ordre pour conduire Léger dans un
bois où on le laisserait mourir de faim ; on devait ensuite publier
qu'il était noyé. Mais Vaimer eut pitié de lui, et le fit porter
dans sa propre maison. Il fut si touché de ses discours, qu'il lui
rendit l'argent qu'il avait enlevé de l'église d'Autun. Léger le
renvoya dans cette ville pour être distribué aux pauvres. Ebroïn,
jaloux du pouvoir de Vaimer, chercha les moyens de s'en défaire, et
lui ôta la vie par un supplice cruel et honteux. Didon subit un
semblable traitement ; il fut banni et mis à mort quelque temps
après.
On traîna le
saint par des chemins rudes et difficiles, en sorte qu'il eut les
pieds tout déchirés par les pierres. On lui coupa les lèvres et une
partie de la langue, puis on le mit entre les mains du comte Vaneng
qui fut chargé de le garder. Ce seigneur, qui aimait la religion, le
traita comme un martyr de Jésus-Christ, et le plaça dans le
monastère de Fécamp, au pays de Caux, dont il était fondateur. Le
saint évêque y passa trois ans. Ses plaies se guérirent, et il
recouvra l'usage de la parole, ce qui fut regardé comme un miracle.
Il instruisait les religieuses du monastère, offrait tous les jours
le saint sacrifice, et priait continuellement.
Ebroïn, qui
s'était fait donner par Thierri la dignité de maire du palais, et
qui était maître absolu de la Neustrie et de la Bourgogne, feignait
de vouloir venger la mort de Childéric, à laquelle il accusait
faussement S. Léger d'avoir concouru avec Guérin, son frère. Il fit
paraître les prétendus coupables devant le roi et les seigneurs du
royaume, et les accabla de reproches. Le saint évêque se contenta de
lui répondre qu'il serait bientôt dépouillé de la dignité qu'il
avait usurpée. On sépara cependant les deux frères. Guérin fut
attaché à un poteau et assommé à coups de pierres. On l'entendait
durant l'exécution répéter ces paroles : « Seigneur Jésus, qui êtes
venu appeler non seulement les justes, mais encore les pécheurs,
recevez l'âme de votre serviteur, auquel vous faites la grâce de
terminer sa vie par une mort semblable à celle des martyrs ».
Quant à S. Léger,
on différa de le condamner jusqu'à ce qu'il eût été déposé dans un
synode. Il profita de cet intervalle pour écrire à Sigrade, sa mère,
qui était religieuse dans l'abbaye de Notre-Dame de Soissons. Il la
félicite sur sa retraite, et la console sur la mort de son fils
Guérin, en disant qu'il ne doivent s'attrister ni l'un ni l'autre de
ce qui fait la joie et le triomphe des anges. Il l'entretient de la
disposition où il est de souffrir avec courage; et pour empêcher
qu'elle ne se laissât aller à quelques sentiments de haine ou de
vengeance contre ceux qui le persécutaient, il s'étend sur la
nécessité où nous sommes de pardonner à nos ennemis. Jé-.
sus-Christ, dit-il, nous ayant donné l'exemple en priant pour ceux
qui l'attachaient à la croix, il doit nous être facile d'aimer nos
ennemis et nos persécuteurs. Cette lettre, que nous avons encore,
est l'effusion d'un cœur brûlant de charité et orné de toutes les
vertus. Le style en est vraiment digne d'un martyr prêt à consommer
son sacrifice. Quoiqu'il n'y ait d'autre art que celui qu'une tendre
charité produit naturellement, elle est pourtant écrite avec esprit,
et elle nous fait regretter la perte des discours que le saint
évêque prêcha pendant les dix années qu'il gouverna son église en
paix.
Enfin Ebroïn fit
conduire Léger dans le palais où s'étaient assemblés quelques
évêques qu'il avait gagnés. Son dessein était de le faire déposer
par une sentence, quoique l'assemblée ne pût être regardée comme un
synode, n'ayant point été convoquée par le métropolitain ou le
primat, ainsi que l'ordonnaient les canons. On voulut inutilement
lui faire avouer qu'il avait été complice de la mort de Childéric;
il ne cessa d'appeler Dieu à témoin de son innocence du crime que
ses ennemis lui imputaient. Les assistants lui déchirèrent sa
tunique du haut en bas, ce qu'ils étaient convenus de regarder comme
une marque de déposition. On le livra ensuite entre les mains de
Chrodobert, comte du palais, qui avait ordre de le mettre à mort.
Craignant qu'on
ne l'honorât comme un martyr, Ebroïn le fit mener dans un bois pour
y être exécuté et enterré secrètement; on devait encore couvrir le
lieu de sa sépulture, de manière qu'il fût impossible de le
découvrir. Chrodoberl fut si touché des discours et de la conduite
du saint pasteur, qu'il ne put se résoudre à le voir mettre à mort ;
il chargea quatre soldats de l'exécution de la sentence. La femme du
comte pleurant amèrement, Léger la consola et la pria de le faire
enterrer, en lui promettant que Dieu la récompenserait de sa
charité. Les quatre soldats le menèrent dans une forêt ; s'étant
arrêtés au lieu qu'ils destinaient à son supplice, trois d'entre eux
se jetèrent à ses pieds et le conjurèrent de leur pardonner, Le
saint pria pour eux ; puis ayant dit qu'il était prêt à mourir, le
quatrième soldat lui coupa la tête. Son martyre arriva en 678, dans
la forêt d'Iveline, dite aujourd'hui de Saint-Léger, au
diocèse d'Arras, sur les confins de celui de Cambrai. Son corps fut
enterré à Sarcin, en Artois, par les soins de la femme du comte
Chrodobert. Les évêques d'Arras, d'Autun et de Poitiers, se
disputant ses reliques, on mit trois billets sur un autel que l'on
couvrit d'un voile, et l'on convint qu'elles seraient pour celui
dont le nom viendrait le premier. Elles échurent à l'évêque de
Poitiers, qui les fit transférer dans le monastère de Saint Maixent.
Il s'est opéré plusieurs miracles par l'intercession de S. Léger, et
l'on a bâti de toutes parts des églises sous son invocation. Il y a
peu de saints dont le culte soit aussi célèbre en France.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères,
Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |