Anno
Sjoerd Brandsma naquit le 23 février 1881 à Bolsfard,
aux Pays-Bas, dans une famille nombreuse, paysanne et
frisonne, modeste et très catholique. Dès l'âge de onze
ans, Anno Sjoerd commença ses études chez les
Franciscains, et ressentit rapidement un appel à la
prêtrise. Il voulut suivre son frère chez les
Franciscains, mais une maladie l’en empêcha. Il
poursuivit ses études secondaires au lycée de Megen, et
il entra en 1888 au noviciat des ‘Grands Carmes’
(distincts des Carmes déchaux) à Boxmeer; là, il prit le
nom de Titus Brandsma, et poursuivit des études
religieuses à Zenderen et au séminaire carme d'Oss.
Titus
avait dix-huit ans quand il fit ses premiers vœux en
1899. Il traduisit et publia en néerlandais les œuvres
de sainte Thérèse d'Avila en 1901, et il commença à
enseigner au séminaire d'Oss. Ordonné prêtre le 17 juin
1905, il poursuivit ses études de philosophie et de
sociologie à l'Université grégorienne de Rome où il
obtint un doctorat de philosophie en 1909.
Dès
son retour de Rome, Titus fut nommé professeur au grand
séminaire de son Ordre, à Oss. Il enseigna la
philosophie, la sociologie et l'Histoire de l'Église et
de la mystique. Convaincu de l'importance de
l'éducation pour les jeunes, il fonda un lycée à
Oldenzaal et agrandit celui de Zenderen. Titus était un
religieux carme, aimant beaucoup la solitude de sa
cellule, pourtant il se montra particulièrement actif
et, ayant obtenu un diplôme de journaliste
professionnel, il devint, en 1919, rédacteur en chef
d'un journal local à Oss, puis d'un journal régional,
De Gelderlander, à Nimègue. Conseiller spirituel des
journalistes catholiques, il se préoccupa du renouveau
de la presse catholique et des conditions de travail des
journalistes. De plus, il s'intéressa beaucoup à la
sauvegarde de la culture très riche de sa région natale,
la Frise et à sa langue, le frison. Il faut ajouter
qu'il travailla au développement de l'espéranto et qu'il
fut membre de L'union internationale des espérantistes
catholiques.
Nous
sommes en 1923. L'Université Catholique de Nimègue vient
d'être créée. Titus Brandsma y est nommé professeur. Il
est chargé d'enseigner l'histoire de la philosophie et
de la mystique, et, notamment, de la mystique des
Pays-Bas. En effet, l'héritage des mystiques constitue
pour Titus une source intarissable de spiritualité. Les
grands mystiques flamands: Hadewich, Ruysbroeck, Geert
Grote et la Dévotion Moderne, puis Thérèse d'Avila et
beaucoup d'autres, deviennent ses compagnons de route.
Titus fit connaître ce qu'il appela la
mystique-de-l'ordinaire, grâce à de nombreuses
publications, tant populaires que scientifiques. À
l’occasion de la béatification de sainte Thérèse de
Lisieux il écrivit:
"Généralement on
attend quelque chose de spécial d'un saint, quelque
chose qui sorte de l'ordinaire, quelque chose qu'on
pourrait appeler le poème de la vie du saint. Ici,
pourtant, on voit la sainteté si prosaïque et ordinaire
que, de l'extérieur, on n'y voit pas la sainteté. Mais,
précisément, c'est cela la vraie sainteté."
Titus ne se contentait pas de donner des cours à ses
étudiants; il abordait avec eux leurs problèmes de vie
et les grandes questions du jour, comme bientôt le
nazisme. Il se lança dans le journalisme, ayant constaté
le manque d’instruction de beaucoup de chrétiens et même
de journalistes catholiques. Sa charité s’étendit encore
aux chrétiens non-catholiques via l’œcuménisme. De plus
il était un confesseur très populaire.
Notons qu'à Nimègue, il fut de 1926 à 1929 le prieur
d'une petite communauté de Carmes étudiants, puis en
1929, il fonda un couvent plus important, Doddendaal.
En 1927, il devint le cofondateur du journal religieux
Ons geestelijk erf (« Notre patrimoine
spirituel »).
En
1932, Titus prononça son discours inaugural de Recteur
de l'université. Il déclara que "Dieu n'est pas une
chimère, mais vit en tout ce qui existe." Son livre
Itinéraire spirituel du Carmel fut traduit en
français. Durant l'été 1935, Titus donna des conférences
en Amérique sur la mystique du Carmel. Il prit la parole
à l'Université de Washington, dans des collèges à
Chicago, Niagara Falls et Middletown, ainsi que dans les
couvents des Carmes, dont ceux de New-York et
d’Allentown. Durant son voyage en Amérique du Nord, il
séjourna au monastère de Niagara Falls. L'immensité de
la nature et la splendeur des chutes le plongaient dans
le mystère de Dieu Créateur.
Titus est connu comme un grand mystique "du terrain".
C'était dans sa relation à Dieu qu'il puisait la force
surhumaine qui le poussait à l'action. Sa responsabilité
à l'Université allait de pair avec de hautes fonctions
dans la direction de deux organisations qui lui tenaient
à cœur: l'enseignement secondaire avec la création de
lycées, et le journalisme catholique. Écrire était pour
lui un besoin, car il croyait que la vie mystique
appartient au peuple. Mais peu à peu la politique
d'Hitler en Allemagne devient très inquiétante. Aussi,
dès 1935, Titus s'opposa-t-il publiquement, dans ses
enseignements et ses publications, aux théories nazies
et aux persécutions contre les Juifs. Face à la montée
du nazisme, il ne cachait pas la vérité, mais, il
conseillait: "Qui veut gagner le monde au Christ doit
avoir le courage d’entrer en conflit avec ce monde."
Dans son livre intitulé: "Itinéraire spirituel du
Carmel", il écrivit : "Le néo-paganisme peut répudier
l’amour, l’histoire nous enseigne que, malgré tout, nous
serons vainqueur de ce néo-paganisme par l’amour. Nous
n’abandonnerons pas l’amour. L’amour nous regagnera le
cœur de ces païens. La nature est plus forte que la
philosophie. Qu’une philosophie rejette et condamne
l’amour et l’appelle faiblesse, le témoignage vivant
d’amour renouvellera toujours sa puissance pour
conquérir et captiver le cœur des hommes."
Devenu le porte-parole de l'Archevêché d'Utrecht, Titus
s'opposa fermement aux théories nazies et à la
persécution des juifs. En 1938-1939 il donna une série
de cours sur les principes néfastes du Nazisme et prit
la défense des juifs.
Le
10 mai 1940, les Pays-Bas étaient envahis puis occupés
par les Nazis qui, malheureusement trouvèrent des
collaborateurs dans le parti nazi local, le Mouvement
National Socialiste (NSB). Titus Brandsma s'insurgea
contre le renvoi des écoliers et des étudiants juifs et
contre le NSB. Le 30 décembre 1941, après un entretien
avec l'archevêque d'Utrecht sur la position de la presse
catholique aux Pays-Bas, il rendit ensuite visite aux
directeurs et aux rédacteurs en chef des journaux
catholiques, plaidant pour que ne soit faite aucune
publicité pour le NSB. Début janvier 1942,
un rapport allemand sur Titus Brandsma mentionna cette
opposition systématique et ordonna son arrestation.
Le
19 janvier 1942, Titus fut arrêté au couvent des Carmes
à Nimègue et emprisonné. Commence alors son chemin de
croix. Il est d'abord détenu à la prison d'Arnhem,
transféré à Scheveningen, puis déporté à Amersfoord et
finalement dirigé vers le camp de concentration de
Dachau le 13 juin 1942 Très affaibli et malade, Titus
voyait sa santé se détériorer rapidement. Dans la
baraque des malades, il reçut la piqûre toxique et
mourut le 26 juillet l942 à 14 heures. Il fut incinéré
dans un des fours crématoires de Dachau.
Titus Brandsma fut béatifié le 3 novembre 1985, comme
martyr, par le pape Jean-Paul II.
Maintenant nous devons nous arrêter un peu sur la
spiritualité de Titus Brandsma. Doté d'une intelligence
exceptionnelle, carme normalement voué au silence et à
une intense vie d'oraison, Titus Brandsma nous étonne
par sa vie active exceptionnelle. Pour mieux le
comprendre, nous avons retenu quelques-unes de ses
phrases qui le peignent particulièrement bien. Ainsi,
il n'hésite pas à dire, au sujet du nazisme:
– Qui veut gagner le monde au Christ doit avoir le
courage d’entrer en conflit avec ce monde.
– Le néo-paganisme peut répudier l’amour; l’histoire
nous enseigne que, malgré tout, nous serons vainqueur de
ce néo-paganisme par l’amour. Nous n’abandonnerons pas
l’amour. L’amour nous regagnera le cœur de ces païens.
La nature est plus forte que la philosophie. Qu’une
philosophie rejette et condamne l’amour et l’appelle
faiblesse, le témoignage vivant d’amour renouvellera
toujours sa puissance pour conquérir et captiver le cœur
des hommes.
Et
dans la prison de Scheveningen où il passa, il priait
Jésus:
– Toi ô Jésus sois près de moi, je n’ai jamais été si
proche de toi. Reste avec moi. Reste avec moi, mon doux
Jésus. Ta proximité me rend toute chose bonne.
À
l'occasion de sa béatification, le Saint Père Jean-Paul
II dépeint sa personnalité en ces termes: "La force
morale que le Bienheureux Titus Brandsma a démontrée,
dans ses activités aussi nombreuses que variées, et
finalement dans son calvaire et dans sa mort, est
certainement en relation avec sa nature et avec son
caractère de fils de la Frise… Cette force morale était
nourrie et soutenue par sa grande érudition
intellectuelle, par son exceptionnelle formation
théologico-juridique. Mais incontestablement, la
principale source de sa force morale était sa profonde
vie spirituelle personnelle."
Titus répétait sans cesse ces mots de Jésus: "Sans
moi, vous ne pouvez rien faire." Et aussi:
"Celui qui veut gagner le monde pour le Christ, doit
avoir le courage d'entrer en conflit avec le monde."
Finalement, Titus Brandsma aboutit au camp de
concentration de Dachau. Dans cet enfer, il garda sa
sérénité proverbiale, soutenant le moral des détenus,
leur partageant sa maigre ration et les invitant à aimer
leurs ennemis, car, disait-il: "eux aussi sont des
enfants de Dieu, et peut-être quelque chose en est-il
resté en eux." Mais les mauvais traitements le
réduisirent rapidement à la dernière extrémité. C’est
une ancienne catholique, infirmière, qui lui injecta la
piqûre mortelle le 2 juillet 1942, tandis qu’il posait
sur elle un regard de compassion qu’elle ne pourra plus
jamais oublier. Voici le récit de la mort de Titus,
racontée par un membre du carmel:
– Le Bienheureux P. Titus Brandsma, au camp de Dachau,
donna son pauvre Chapelet, fait en cachette avec des
petits bouts de cuivre et de bois, à l’infirmière haïe
et méprisée de tous les prisonniers qui devait lui
injecter l’acide phénique. À Dachau, le médecin du camp
parlait sarcastiquement de "l’injection de grâce".
– Je ne sais pas prier! fut la réponse irritée de la
femme. Titus lui répondit avec douceur:
– Tu n’as pas besoin de dire tout le Je vous salue
Marie; dit seulement: "Priez pour nous pécheurs".
L'infirmière ne réussit plus à oublier le visage du
prêtre âgé auquel elle avait donné la mort. Elle
racontera ensuite: "Lui, il avait de la compassion pour
moi!" Elle l’avait tué, mais il l’avait engendrée à la
grâce.
Voici un poème de Titus Brandsma
Ô
Jésus, lorsque je te contemple,
À nouveau je sens combien je t'aime
Et que ton cœur à toi m'aime aussi
Comme ton ami le plus intime.
Même si cela réclame plus de courage,
Oh! toute souffrance m'est bonne,
Parce que par elle je te ressemble
Et c'est la voie vers ton Royaume.
Je suis heureux dans ma douleur
Qui pour moi n'est plus douleur,
Mais mon lot choisi entre tous,
Qui m'unit à toi, mon Dieu.
Oh! laisse-moi seul et silencieux,
Dans toute froideur qui m'environne,
Et que personne ne m'approche,
Jamais je ne serai las d'être seul.
Parce que, Jésus, tu es avec moi,
Jamais je n'ai été plus proche de toi.
Reste avec moi, reste, doux Jésus,
Ta présence, pour moi, compense tout.
Paulette Leblanc |