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Les grandes étapes de la vie du Père Lamy

1-1-L’enfance

Jean-Édouard Lamy naquit au Pailly, petite bourgade du département de la Haute-Marne, le 23 juin 1853, dans un milieu rural relativement aisé. Son père, Jean-Frédéric, était venu loger au Pailly dans la maison des Janinel, après son mariage avec Marie Janinel de Logeroy, célébré le 28 janvier 1852. Plus tard, cette maison appartint à la famille Lamy.

Jean-Frédéric Lamy, cultivait son bien; il était en outre ouvrier maçon. Le milieu social de la famille du Père Lamy était, malgré sa modestie, d'origine probablement noble. Jean-Édouard, en effet, décrira plus tard ce qui se passa lors de l'incendie qui détruisit la maison familiale en 1869: "On a pu sauver une porte d'armoire et une table, une table ancienne avec des pieds tournés à balustres. Elle a été détériorée depuis. On a sauvé aussi les tasses, qui venaient de l'Impératrice Joséphine, de l'oncle Miot de Mélito (comte et pair de France), un oncle de mon grand-père, un arrière-grand-oncle pour moi."

1-1-1-Souvenirs d’enfance

Le Père Lamy raconte que la Haute-Marne devait à ses anciens moines d'avoir conservé beaucoup de foi. Toutes les habitudes étaient pieuses et cordiales. Partout on chantait de vieux cantiques, et lui-même chantait du matin au soir. Le Père Lamy se souvient: "On entendait la voix des jeunes gens qui chantaient et celle des vieux qui leur répondaient. On se répondait de la colline à la vallée. Maintenant, on ne chante plus." Une certaine nostalgie emplit le cœur du bon prêtre quand il raconte: "Oui, partout, on chantait, les vieux grands-pères aussi. Mon grand-père emportait aux champs son livre d'office, les heures canoniales, le grand office. On en avait une traduction française. Mon grand-père l'emportait dans les vignes, et il n'était pas le seul."

La famille Lamy était très pieuse, et dans les environs on se souvenait encore que la grand’mère avait, pendant la Révolution, caché des prêtres réfractaires dans petite maison voisine…

La toute petite enfance du Père Lamy était déjà très mariale. Sa piété lui valut le surnom de "l'enfant au chapelet". Un jour, il avait environ trois ans, il berçait une statue de la Vierge Marie. Mais son oncle François passant par là la lui retira: il était trop respectueux de la Sainte Vierge pour laisser son image comme "joujou" à un enfant. En 1864 Marie lui apparut alors qu'il était aux champs, gardant les deux vaches familiales.

Le Père Lamy regrette souvent le passé, ce qui ne l'empêche pas cependant d'émettre certaines critiques. Ainsi, parlant de sa vieille église et des transformations que son curé y apporta, il n'hésite pas à dire: " Elle avait son cachet notre vieille église, avant que notre curé s'avisât de la transformer." Il raconte aussi: "Toutes les familles avaient leurs ruches et donnaient au curé une partie de leur cire, comme on lui apportait une partie du vin, quand on le faisait, comme un morceau de cochon quand on le tuait. Aujourd'hui, il n'y a plus de ruches et plus de cire, et on en est réduit, sur les autels, à ces gaines de fer-blanc, à ces mécaniques qui se détraquent comme vous l'avez vu hier à la fin de la messe."

Le Père Lamy ne semble pas apprécier beaucoup le modernisme...

Nous venons de voir que Jean-Édouard Lamy vivait dans une famille très pieuse, et lui-même était très pieux. Toutefois il se comportait comme un enfant normal, voire un peu galopin. Avec son cousin il allait pêcher les écrevisses, malgré l'interdiction des gendarmes... "Et puis, dit-il, avec mon parrain, j'allais aux écrevisses. Nous tâchions de trouver une vieille paire de sabots, et on les fourrait au coin de la rivière, et les gendarmes disaient: "Voilà un malfaiteur!" Et on filait dans le bois.

Nous redescendions plus haut; je levais les pierres, et lui piquait les écrevisses: il faisait mieux que moi. Après cela, il fallait les garer. On creusait un trou; on mettait les écrevisses dans un chiffon, sous une pierre. Les gardes vous fouillaient:

— Pas d'écrevisses?

— Non, Monsieur!

On en rapportait quelquefois deux douzaines. On descendait tranquillement, pieds nus, dans le bois. Mon parrain avait trois ans de plus que moi..."

Les gamins pêchaient aussi des goujons, malgré la défense des mamans: "On les pêche avec du son, une grosse corde et un bouchon de verdure. Vous regardez à travers l'eau; quand vous en voyez sept, huit, neuf, dix, posés dans la bouteille, vous relevez la bouteille. À force d'y regarder, bien souvent je tombais à l'eau, la tête la première. Je me séchais et je tordais mes vêtements: cela faisait une petite lessive. La Resaigne (un affluent de la Saône) coule au milieu de ces peupliers, dont vous voyez la ligne, qui se dirige vers Violot. Mais, autrefois, ce remblai (de la ligne de Dijon à Chalindrey) n'existait pas: il a coupé notre pâture. Avant cela, lorsque j'étais enfant, c'est dans ces prés que je gardais les vaches... J'en prenais tous les jours, quelquefois une livre. Je mettais les poissons dans mon mouchoir de poche et je les donnais à mon père. Ça fâchait ma mère, et, bien des fois, j'ai reçu une fameuse fessée, facile à donner: on ne portait pas de pantalons."

Des souvenirs de Mgr Darboy

Le Père Lamy connut Mgr Darboy qui fut massacré par la Commune de Paris, en 1871.  Ses souvenirs sont précieux, car rares:

"J'étais enfant de choeur, et j'ai servi la messe au Vénérable Martin Huin, le neveu de notre curé. Et combien de fois à Mgr Darboy! Je l'aimais beaucoup. Il me donnait chaque fois 40 sous: c'est beaucoup pour un gamin. Il était des environs; il a été élevé au Pailly, dans la maison où habite Pierre Tisserand. Dans son enfance, il gardait la vache de la mère Rosette, et (celles de) ma mère deux vaches. Il allait à la rivière avec ma mère. Il était très adroit de ses doigts. Une fois, il demande un de ses sabots neufs à ma mère; il y a fait un mât. Il l'a mis sur l'eau, et le sabot a filé, et ma mère pleurait. Plus bas, il y avait des lavandières, mais ma mère n'osait pas approcher des bonnes femmes, car elle n'avait plus qu'un sabot: Georget avait gréé l'autre. Et elles l'ont rattrapé.

Il venait au château, chez M. D. B. Il était enragé bonapartiste, comme le vieux père D. B. Mon père était maçon, et je l'accompagnais au château quand il faisait des réparations; je connaissais tous les coins des greniers. Toute mon enfance, durant des années, j'ai toujours vu la tête en pierre du cheval à l'entrée de la cour. La mère nourrice de Mgr Darboy, Rosette Vauthelin, nous racontait comment elle avait vu abattre la statue du maréchal de Sault-Tavanes au Pailly. Elle est morte à cent cinq ans: j'avais une douzaine d'années. Il y a soixante, soixante-trois ans. Elle avait vu piller le château (à la Révolution). Les gens du Pailly et de Chalindrey avaient tout volé. Quand ceux d'Heuilley-Coton sont arrivés, il n'y avait plus rien: alors, ils ont tout cassé...

1-1-2-La vie mortifiée du jeune garçon

Le Père Lamy n'a jamais parlé de la vie extraordinairement mortifiée qu'il a menée dès son enfance, et sans quelques révélations tardives de sa sœur, Madame Vauthelin,  nous n'en aurions jamais rien su. Elle raconte: « Mon frère et moi, disait-elle, nous avons couché dans la même chambre depuis notre plus jeune âge, et nos parents nous ont logés séparément quand j'ai eu douze ans et lui quinze. Depuis le moment où j'ai commencé à observer les choses autour de moi jusqu'à douze ans, jamais je ne l'ai vu une fois dans son lit. Il était toutes les nuits en prière, agenouillé sur un escabeau, se tenant sans appui devant la statue de Marie Immaculée. Elle était posée sur le manteau de la cheminée et éclairée par une petite lampe qu'il avait obtenue de notre mère. Je ne me suis pas réveillée une fois sans le voir dans cette attitude. Jamais, durant des années, je n'ai vu son lit défait. Peut-être s'est-il couché une fois ou l'autre: je ne le jurerais pas, mais je ne l'ai point vu couché une seule fois.

Notre mère s'apercevait de temps en temps de la chose et lui disait: 'Mais, mon enfant, la Sainte Vierge n'en demande pas tant que ça!' Et pourtant, on travaillait dur, lui comme moi, dans la journée. Deux fois la semaine, nous allions ensemble vendre les produits au marché de Langres, chargés autant qu'on le pouvait; lui, travaillait aux champs du matin au soir, et il cassait aussi les cailloux sur la route."

Jean-Édouard Lamy appartenait à un milieu de vignerons, mais jamais il ne but de vin, par esprit de pénitence; il n'en but que vers l'âge de quinze ans, pour obéir à son médecin.

1-1-3-Premières manifestations mystiques

L'Agneau

C'était en mai 1863. Jean-Édouard âgé de dix ans, gardait les vaches de ses parents. Soudain, sur un coteau voisin, le Cognelot, il vit un bel agneau illuminant toute la montagne. "Il était debout, et il avait la tête tournée vers le Pailly. On voyait parfaitement ses yeux. C'était un très bel agneau..."

L'agneau regardait Jean-Édouard et sa compagne, Navette qui dit que c'était mauvais signe. Jean-Édouard lui répondait que non. L'agneau a regardé les enfants pendant un certain temps, puis il a disparu subitement. Le ciel s'était obscurci et il a commencé à faire des éclairs. Jean-Édouard dit: "Je vais rentrer mes vaches."

La Vierge Marie

En 1864, Jean-Édouard a 11 ans. La Vierge Marie lui apparaît alors qu'il gardait les deux vaches de la famlle, tout en chantant les litanies. Soudain, raconte-t-il, "elle s'est montrée à moi dans les branches des peupliers, presque au sommet, à une grande hauteur, la tête penchée, me regardant. Il y avait là de très gros peupliers, bien alignés. Elle est restée là tout le temps des litanies. Elle a reculé un moment; mais j'ai continué mon chemin au-delà. Elle était entre les peupliers, dans l'allée; plus j'avançais, plus Elle semblait aller à reculons. Elle s'est retournée. J'ai fini mes litanies. La Sainte Vierge s'est alors élevée un peu au-dessus des branches et Elle a disparu aussitôt... J'avais d'abord cru à un mirage, comme il y en a quelquefois auprès de l'eau ou dans les montagnes. J'étais défiant. J'ai continué les litanies pendant l'apparition, comme si de rien n'était..."

Son curé, à qui il raconta la chose, ne le prit pas au sérieux... "C'était en fin de mai, et la Sainte Vierge était tournée du côté du Pailly."

1-2-La jeunesse

1-2-1-L'adolescent

Devenu jeune homme, celui qui sera plus tard le Père Lamy dut aider son père dans ses divers travaux. Quelques-uns de ses souvenirs, très précis, nous permettent de comprendre ce qu'était la vie rurale à cette époque, en Haute Marne: "Nous avions quelquefois vingt-deux, vingt-trois pièces de vin et nous le vendions 20 francs le tonneau. J'accompagnais volontiers mon père à Grossesauve et je lui demandais pourquoi il faisait si bon y respirer. Il me répondait: 'Parce que des saints y ont vécu.'

Nous faisions comme eau-de-vie dans les cent trente cent quarante litres, que nous vendions 3 francs. Nous avions au total une centaine de pruniers. Un homme venait avec l'alambic distiller chez nous. Je l'aidais. La grosse histoire était d'avoir de l'eau pour rafraîchir le serpentin. J'en prenais au puits de la maison. Nous distillions d'abord l'eau-de-vie de marc, puis l'eau-de-vie de prune.

— Et jamais vous n'en avez goûté, mon Père? demande son interlocuteur.

— Non. Je brûlais quelquefois douze, quatorze, quinze heures de suite, sans arrêt. L'eau-de-vie un peu moins forte servait pour les fruits, pommes, poires, prunes, fraises, cerises, mûres, coings. Quand ils avaient rendu leur eau, on rajoutait de l'eau-de-vie plus forte pour maintenir le liquide à 21° ou à peu près.

Mes parents fabriquaient un excellent fromage, qu'ils lavaient trois ou quatre fois de suite dans l'eau-de-vie pour le jaunir. Quand j'allais au marché, à Langres, ma soeur et moi, nous en portions trente ou quarante livres chacun dans la hotte.

Pour faire notre huile, nous récoltions de la navette et du chènevis. Nous en avions une cinquantaine de litres. Je battais le chènevis dans le tonneau. On battait le chènevis nécessaire, et on vendait le reste, trois sous la livre... Je préparais le chanvre. Je vidais le fossé; j'y mettais de la paille, du chanvre, des traverses de bois, les pierres. Quand c'était bien dans le fond, on lâchait l'eau. Et au bout de quinze jours, on le prenait et on le travaillait. Nous faisions deux récoltes de chanvre.

Je récoltais les orties, et elles servaient à deux fins, car ma mère filait le fil et teignait en brun avec la racine d'ortie, et en bleuté avec je ne sais plus quelle autre racine...

Dans ma jeunesse, je faisais fumer beaucoup de viandes... On fumait avec des branches de sapin des jambons, des côtelettes, des épaules. On fumait du porc, du bœuf, du marcassin. Du marcassin, j’en rapportais souvent après en avoir tué à Violot, quand j'allais au matin avec mon cousin Simon, qui était mon préféré... Les pommes de terre étaient souvent gâtées par les sangliers; aussi ne se gênait-on pas pour les tuer. On avait des claquettes pour chasser ces animaux. A Violot, j'allais souvent: mon père y avait du bois."

1-2-2- Le Service militaire

Le comte de Biver écrit: "Édouard Lamy, versé dans le 91ème Régiment d'Infanterie, arrive au corps le 7 janvier 1875; il est nommé caporal le 10 novembre 1876 et sergent le 4 mars 1878. Il sera démobilisé le 7 octobre de la même année."  Le service militaire durait trois ans et demi à cette époque. Jean-Édouard s'occupa d'abord de la bibliothèque du "Cercle militaire" puis avec l'aumônier, l'abbé Henri Nicole, il fonda, avec une soixantaine de soldats chrétiens de son régiment, la "Légion de Saint-Maurice" pour aider les jeunes soldats à se maintenir dans les pratiques de la vie chrétienne et de la morale. C'est au cours de manœuvres avec son régiment qu'il perdit son œil droit.

1-2-3-Une vocation contrariée

Le Père Lamy raconte: "J'avais senti ma vocation le jour de ma première communion. Mes parents avaient mis l'argent de côté pour le séminaire, et ma mère m'avait fait un trousseau, quand tout fut détruit par un incendie qui ruina ma famille..." Tout brûla, même le rucher et la volaille: rien ne put être sauvé. C'était le 10 août 1869. Dès lors, il n'était plus question de séminaire pour Jean-Édouard.

Pourtant, grâce au travail du père, maçon, et aux efforts de toute la famille, la maison fut reconstruite, et habitable dès l'été de 1870.

Quand qu'il fut rentré du service militaire, Jean-Édouard dut travailler pendant encore un an. Il avait 26 ans, et il voulait toujours être prêtre: mais comment faire? Les Oblats de Saint François de Sales lui promirent la prêtrise, à condition qu'il souscrivît un engagement de quinze ans chez eux. Il accepta et quitta sa famille le 1er septembre 1879. Après trois mois de probation, on le plaça à la tête de l'Œuvre de la Jeunesse[1], à Troyes. Il y resta 17 ans. Jean-Édouard se donna tout entier au service de ses jeunes; mais pourra-t-il être prêtre un jour? Il était au bord du découragement, quand saint Joseph lui apparut: il doit être prêtre.

Dès lors Jean-Édouard suivit des cours; il étudiait comme il pouvait. Il sera ordonné prêtre le 12 décembre 1886, devant le tombeau de saint Vincent de Paul, à Paris, chez les Lazaristes.

1-3-La pédagogie du Père Lamy

1-3-1-L'Œuvre de la Jeunesse

Nous avons vu plus haut que quelques mois seulement après son entrée chez les Oblats de saint François de Sale, le Père Lamy fut nommé directeur de l'Œuvre de la Jeunesse. Ses prédécesseurs n'avaient pas su conduire l'Œuvre de la Jeunesse, et tout était à refaire. Le Père Lamy explique la pédagogie que petit à petit il réussit à mettre en place. "Pour les patronages, il faut débuter par une sélection très sévère des éléments. La prière, et la prière des enfants, doit être à la base de tout. Au début, après avoir renvoyé une centaine de jeunes gens, j'en ai agréé six. L'Œuvre n'en a guère compté plus durant un ou deux ans. Le nombre des jeunes gens a, dès lors, fortement augmenté, mais j'ai continué à les sérier en plusieurs catégories."

Mais où trouver l'argent nécessaire pour faire vivre une telle œuvre? Car le Père Lamy ne touchait aucune subvention. Il raconte:

"Je n'avais pas de ressources, et l'œuvre avait 70.000 fr. de dettes. On avait construit sans avoir l'argent suffisant. J'avais accepté la succession. Nous faisions des pièces de théâtre et des sermons de charité. Je n'ai plus laissé que 40.000 francs de dettes. Le théâtre, c'était la ressource, et j'allais faire une quête: c'était une quinzaine de cents francs. Ils n'étaient pas larges les Troyens! Il y avait 900 francs d'impôts, l'éclairage, le chauffage, et les carreaux, qui n'étaient pas en fer!...

C'est le théâtre qui faisait vivre. On jouait une pièce tous les mois. Le Gondolier de la Mort, l'Auberge du Chat qui fume, c'est de mon répertoire: il y en a toute une série comme ça. Ce n'est pas une petite chose de monter des spectacles! La dépense en costumes est très grande... . Je demandais des défroques partout, et on m'en donnait beaucoup. Que de vieux costumes de toutes sortes! Nous avons reçu beaucoup de vieux costumes de 1848, à parements rouges: c'était superbe!... C'était la joie de mes gamins d'être habillés..." Et parallèlement à l'Œuvre, le Père logeait des pensionnaires: "J'avais sept à huit pensionnaires, que je logeais dans un dortoir de la maison, et trois ou quatre Frères de la Doctrine Chrétienne. Les anciens propriétaires de l'établissement y logeaient également. Tout cela demandait du doigté."

À cette époque, les manifestations anticléricales étaient fréquentes. Des manifestations violentes eurent lieu à Troyes. À la demande expresse de sa sœur, le Père Lamy raconte: "Ces manifestants, s'étaient réunis aux Trois-Moutons. Ils étaient trois mille. Voilà qu'on vient me dire d'aller porter les derniers sacrements au curé de Sainte-Savine qui était mourant. Le plus difficile a été au pont du chemin de fer. Les gens disaient: 'Voilà un curé!' Un de mes gamins me voit et crie: 'Ce n'est pas un curé, c'est le P. Lamy, c'est M. le Directeur!' " Le Père Lamy put passer et se rendre chez le mourant, mais au passage il reçut de nombreux coups de couteau, "mais, dit-il, seulement sur sa douillette..."

1-3-2-La pédagogie des patronages

L'éducation

Le Père Lamy devait constamment surveiller ses jeunes venant de milieux difficiles. "Pour les bonnes mœurs, il faut avoir l'oeil, et surtout l'oreille." En particulier, il se plaignait des "sociétés civiles, avec qui il était en relation, et qui n'étaient pas difficiles pour le recrutement, surtout s'il s'agissait de détourner quelqu'un du patronage." Il raconte encore: "J'avais renvoyé la plupart des enfants pour garder les bons. C'était nécessaire. J'ai été extrêmement sévère dans les débuts."

Avec beaucoup de bon sens, le Père Lamy estimait qu'il "est très difficile d'avoir l'idée constante de Dieu quand on n'y a pas été habitué enfant." Aussi à l'Œuvre de la Jeunesse, institua-t-il un nouveau salut: "On se saluait par les mots: 'Vive Jésus dans nos cœurs!' On répondait: 'À jamais!' "

La pédagogie du Père Lamy était virile, et à ses jeunes il ne craignait pas de montrer la Croix. Quand il combattait les passions de ses jeunes gens, certains se mettaient en fureur; mais rien n'aurait pu empêcher le Père Lamy de dire la vérité. Et au bout de quelques jours, le calme revenait dans l'âme de ses enfants. Parfois, cependant, il n'hésitait pas à mettre à la porte les brebis trop galeuses.

C'est que les jeunes du Père Lamy n'étaient pas des plus recommandables. "Je prenais, dit-il, de pauvres jeunes gens délaissés. Dieu sait de quels milieux abominables ils venaient parfois! Cela ne me disait rien, mais je le faisais quand même. Il fallait souvent fermer les yeux et les oreilles. Que de fois, je suis allé au Palais de Justice voir M. Verdier! C'était un brave homme. Il disait: 'Voilà encore un avocat qui arrive.' Son fils, un excellent garçon, me disait: 'Mon père n'aime pas vous voir. Il dit que vous vous intéressez à toute la canaille de la ville.'... Que de fois j'ai franchi, au Palais de Justice, cette grille que vous savez! Tous les jeunes gens me connaissaient et disaient: 'Tenez! Voilà le curé des voyous.' "

Le Père Lamy voulait également voir ce qui se passait dans les fabriques, et il faisait une tournée toutes les semaines... Quand ses jeunes étaient dans les bureaux il était relativement tranquille. Mais dans la masse des ouvriers, il l'était beaucoup moins. Aussi faisait-il le catéchisme dans quatre usines.

Le Père Lamy avoue: "À l'Œuvre, je pouvais m'occuper des jeunes gens et des vocations... J'ai obtenu en tout trente-deux prêtres.. .Et, une fois entrés dans le clergé, combien de fois il m'a fallu encore m'occuper de mes jeunes gens! Je les suivais et leur rendais service autant que je pouvais."

À La Courneuve, le Père poursuivit ses méthodes, et il n'hésitait pas à organiser des excursions pour la formation de ses enfants: "Avec les gamins, on sortait trois fois l'an. On allait à Saint-Michel des Batignolles, à Saint-Cloud et à Montmartre. "

Le Père Lamy savait que pour la formation des jeunes, les patronages sont indispensables. Il en avait créé à Troyes et à Saint-Ouen; il fit la même chose à La Courneuve, là où il fut nommé curé: "Mon patronage d'hommes, à La Courneuve, a commencé avec trois hommes. On était quarante-neuf à la guerre. J'ai été à peu près quinze ans pour arriver à ce résultat. Le premier dimanche du mois, ils venaient aussi aux vêpres. Ils communiaient une fois l'an: quand je ne pouvais pas obtenir Pâques, c'était à la Toussaint... "

D'une manière générale, le Père Lamy était convaincu de l'importance de l'éducation chrétienne dans la famille et dans les catéchismes. Il insistait pour que soit assurée "la protection de la foi et de la vertu des adolescents". D'où l'importance des patronages dans les paroisses. Il écrit, constatant les embûches dressées par le monde et le démon: "Et l'on s'étonne de voir tant de défaillances, tant de lâchetés parmi les chrétiens de notre époque. Ces âmes ont-elles vraiment cherché la vie surnaturelle?"

Dans ce cadre de la formation, il convient d'indiquer ici que les sermons du dimanche du Père Lamy, étaient remarquables, et remarqués...

Le chant à l'église

Le comte Biver rapporte que le Père Lamy, excellent musicien, avait organisé les chants à l'église: "chant des offices en latin et chant en langue vulgaire de cantiques, et particulièrement des vieux cantiques qui célèbrent les vertus chrétiennes et impriment l'amour de Dieu dans les cœurs. 'Il ne faut pas, dans les églises, de musique profane, disait-il. Il faut de la musique divine. Les belles cérémonies avec une musique profane sont comme le bon grain jeté sur la route...' " On est en droit de se demander ce que penserait le Père Lamy des concerts, souvent profanes, qui sont aujourd'hui organisés dans nos églises?

La vie de prière

Le Père Lamy apprenait, à ceux qui lui étaient confiés, à prier beaucoup, selon leurs capacités. Lui-même s'y efforçait, autant qu'il le pouvait malgré sa vie surchargée. Régulièrement il suivait les exercices de Saint Ignace. Il n'hésitait pas à confier: "Je goûtais beaucoup cette méthode des Jésuites. L'oraison, c'est le fond de la vie; c'est l'armature de notre vie. C'est une protection, un secours, un canal de grâces. Tous les exercices de piété sont en second ordre."

1-3-3-Quelques autres aspects de la pédagogie du Père Lamy

Tout d'abord quelques remarques d'intérêt général:

La direction des œuvres de jeunesse, avouait le Père Lamy, est particulièrement épuisante. Il faut, disait-il, "se surveiller sans cesse... paraître toujours d'un abord facile et en même temps très digne, reprendre avec fermeté et douceur, être indulgent pour les petites fautes... éviter pour les fautes graves de reprendre en public, sauf dans le cas de nécessité quand une faute est publique et collective..." Il convient d'éviter les racontars, "et se montrer très froid devant certaines catégories d'enfants qui cherchent... à raconter les défauts de leurs camarades et tentent de vous indisposer contre eux..." Il convient de "parcourir sans cesse les salles, les cours, les couloirs, les escaliers, les cabinets; il faut que les enfants vous voient arriver à l'improviste. Leur faire sentir que rien ne vous échappe: bien tenir compte des conversations qui souvent vous montrent l'orientation des pensées... prendre des notes qui vous aideront à corriger bien des défauts..."

La surveillance et la direction des patronages

En ce qui concerne la direction des patronages, le Père  Lamy se permet quelques avis: "Il est de toute nécessité pour tous les chrétiens qui s'occupent de la direction des patronages d'avoir un langage correct, ce n'est pas assez dire: d'avoir un langage chrétien, un langage qui inspire du respect de Dieu, de la religion, de l'âme du prochain et de soi-même." Car le but poursuivi est d'aider les âmes à mener une vie vraiment chrétienne. "Les âmes vertueuses attendent de votre parole aide et soutien pour persévérer... des paroles d'espérance et de réconfort..." Surtout, "il faut éviter avec grand soin toute critique de la vie des membres du patronage. Ignorez leurs défauts en public, mais faites selon la charité les réprimandes en particulier...

Dans les patronages, la surveillance "doit s'exercer très étroitement sur les conversations, sur les faits qui les alimentent, les journaux, les revues, les livres, les romans..." Les maîtres doivent montrer la confiance qu'ils ont envers ceux qui le méritent, "mais il faut aussi faire comprendre que cette confiance est toujours accompagnée de sa sœur, la prudence... Le péché des mauvaises conversations... est souvent dissimulé, aussi faut-il travailler sans relâche à le détruire... Faire appel à la droiture, à l'honneur, à la franchise... appel à la bénédiction de Dieu et à un commerce honnête avec tous les hommes... Qui peut aimer un homme fourbe qui n'aime qu'à tromper?"

Avis contre quelques vices

Le Père Lamy sait par expérience que pour bien diriger un patronage, le zèle ne suffit pas. Il faut encore combattre "contre la chair et les puissances de l'air. Il faut donc vous armer d'armes surnaturelles et c'est dans la prière que vous trouverez ces armes puissantes qui vous sont nécessaires pour vaincre Satan, la chair et le monde. Il faut donc demander l'esprit de prudence, de conseil, de force, de science, de piété et de crainte de Dieu..." Il faut signaler aux âmes les dangers des mauvaises conversations, de certains livres, des bals, des réunions mondaines et de la nécessité de fuir les lieux de tentation. Il faut inviter les jeunes à prier, car: "la grâce ne fait jamais défaut à qui la demande avec humilité, confiance et persévérance."

Il est un autre vice que les enfants cachent habilement: le vol. "La direction ne peut surveiller que dans l'intérieur, mais l'on se fait difficilement à la pensée qu'un voleur rôde autour de vous. Malgré la répugnance que l'on éprouve, il vaut recourir aux aînés qui sont éprouvés par leur long séjour au patronage, et leur demander, sous le sceau du secret, de surveiller leurs camarades dans la rue et autres lieux publics."

Il est nécessaire  également de veiller aux fréquentations en dehors du patronage. Il faut inviter des jeunes à entrer dans des congrégations, de la Sainte Vierge, ou des anges, selon leur âge, et les habituer à la fréquentation des sacrements. Le Père Lamy n'est pas dupe, qui affirme: "Vous n'aurez que l'élite, mais... vous trouverez dans cette élite des éléments qui vous aideront dans la direction du patronage..."

Conseils aux responsables du patronage

Le Père Lamy aime à redire la nécessité d'assurer le bon exemple par l'égalité d'humeur, de s'oublier pour les autres et de supporter les défauts des autres. Il faut savoir "se faire endurant. Savoir souffrir les petites incommodités de la vie commune..." Et aussi, de consacrer du temps pour Dieu. Et voici le conseil fondamental: "Avant d'aller dans le patronage, passez quelques minutes devant le saint-Sacrement pour faire vos provisions... " provisions d'humilité, de patience, de gaieté et de bonté et d'union à Dieu. D'une manière générale, il faut occuper les enfants et les jeunes, les distraire par des jeux nouveaux, des séances récréatives, des jeux de plein air. Il faut surtout leur apprendre à prier.

Enfin, les frères "s'efforceront d'y implanter[2] les pratiques de la vie chrétienne... Ils signaleront spécialement les dangers des sports et l'abus que l'on en fait, qui éloigne de la sanctification du dimanche."

1-4-La vocation sacerdotale

La tâche de Jean-Édouard, à Troyes, était rude et prenait tout son temps. Pourtant il voulait toujours devenir prêtre, mais il n'en avait plus les moyens: "J'étudiais quand je pouvais, et je n'étais guère libre que la nuit. J'avais eu une instruction à peine primaire. Et j'avais deux cours: un de théologie et un de latin, le mardi et le vendredi... J'allais me retirer, ne me trouvant pas les qualités nécessaires. J'étais désespéré. C'est alors que m'est apparu saint Joseph. Il a fixé ma vocation. C'était à Troyes, dans la chapelle Notre-Dame de l'Espérance, dans les premiers jours de mars. Il m'a parlé assez longuement et a déterminé ma vocation... Il a dit: 'Soyez prêtre. Devenez un bon prêtre.' Ça a été très impératif."

En mars 1885, Jean-Édouard recevait les ordres mineurs et le diaconat, à Chevilly. Il dit sa première grand'messe à Notre-Dame de la Sainte-Espérance, et au Pailly, sa première grand'messe paroissiale. À Troyes le Père Lamy était le confesseur de tous les enfants de la ville. Par ailleurs, il avait été chargé d'une oeuvre de filles à Saint-Nicolas, et des Filles Repenties de Foissy. En riant, il disait: "On chargeait toujours, et on ne déchargeait jamais." Les veilles de fête, il lui arrivait de confesser jusqu'à deux cent cinquante à deux cent quatre vingt garçons...

1-4-1-À Guéret

Écoutons encore le Père Lamy: "En dix-sept ans, je ne me suis pas couché dix-sept fois avant minuit, et, à 4 heures et demie, j'étais sur pieds. À la fin, quand je sortais, je vomissais de la bile comme de l'huile. Je n'avais pas de grade: les Oblats ne voulaient pas me mettre dans un collège, et ils n'avaient pas de paroisse." Nous sommes en 1892. Le Père Lamy a perdu sa santé; il est envoyé à Guéret pour se rétablir, avec la mission de fonder un orphelinat sur un domaine qui avait été donné aux Oblats. Les bâtiments étaient à refaire entièrement; le domaine à peu près incultivable.

Écoutons le Père Lamy: "Me voilà parti de Troyes et je n'avais plus d'argent. Je n'avais plus que ma messe à 2 francs par jour et je souffrais de l'estomac; je n'avais plus de force. La métairie était éloignée de Guéret de 3 à 4 kilomètres. Il fallait faire tout un circuit dans les montagnes. J'écris donc à Troyes, et je demande où sont les engagements avec le Comte de Sessac[3]." Les engagements ne furent jamais tenus... Les dépenses étant trop considérables, Jean-Édouard dut rentrer à Troyes où sa maladie le reprit. Le médecin lui dit: " Il n'y a rien à faire: vous ne passerez pas un mois avant de mourir." On l'envoya alors comme vicaire à Saint-Ouen. Nous sommes en 1894.

1-4-2-À Saint-Ouen

"J'ai été à Saint-Ouen parce que les Pères ne voulaient pas se charger de moi quand j'étais malade. La place de vicaire à Saint-Ouen n'était pas courue. On en avait assailli un et on lui avait volé ses boucles de souliers et son bréviaire. Moi, j'y ai été très simplement." Bientôt le Père Lamy demanda à entrer dans le diocèse de Paris.

Les débuts furent très pénibles: pas d'argent, pas de chauffage, et beaucoup de saleté... Il raconte: "La chapelle de la rue Jean touchait aux biffins (chiffonniers). Quelquefois, ça sentait le diable et ses cornes, mais on ne pouvait aérer que par la sacristie. Mais je m'y plaisais. Mon curé me disait: 'Vous ferez le catéchisme dans la 'rue des Biffins[4]' et je faisais le catéchisme assis sur l'harmonium. Et (riant): On était ainsi sur une sorte d'estrade et un peu moins à la portée des puces, car il y en avait à foison. J'étais obligé de souffler dans le calice pour fondre la glace. C'était dans la chapelle de secours, qui était couverte en tôle ondulée. L'hiver, on y gelait; l'été, il y faisait la plus grande chaleur."

Mais le Père Lamy aima ses "biffins". "Que de misères physiques et morales, mais aussi que de cœur quelquefois! Quand je ne pouvais pas obtenir une confession, souvent il m'est arrivé de revenir avec un litre sous le bras et une livre de pain, et un bon mot, qui faisait rire. Il faut avoir quarante ans! Maintenant, je serais trop vieux. Quand on les avait fait rire, on obtenait. Il ne fallait pas craindre le langage vert. Ils juraient; je disais: 'Allons, mon bon, tu te confesseras demain. Aujourd'hui, vraiment, tu n'es pas prêt'. Ou bien:'Tu m'apprendras à jurer, si je puis; mais moi, je vais te rapprendre tes prières'. Ils savaient encore parfois un bout de Pater..."

Le séjour du Père Lamy à Saint-Ouen dura deux ans. Il se fit un très grand bien à Saint-Ouen. Le Père réussissait, sans argent, sans aide, à nourrir et vêtir des dizaines de personnes... avec tout ce qu'on lui donnait. Mais souvent il était dupé: il le savait, mais c'était l'habitude, dans ce pauvre milieu de tromper ceux qui les aidaient...

Écoutons le Père Lamy:

"Il m'était impossible de me livrer à des enquêtes sérieuses. Le démon disait (à Gray, en 1909): 'Il s'est fait berner.' La Sainte Vierge a dit: 'Il n'avait qu'un objet: la volonté de Dieu. J'aurais fait de même.' Elle m'a dit cependant: 'Faites un peu plus attention', mais Elle n'a pas eu un mot de blâme. Si j'avais eu quelque esprit, je Lui aurais demandé qu'Elle m'inditquât dans quel cas donner et dans quel autre refuser; mais, sur le moment, je n'y ai pas songé."

1-5-Le curé de La Courneuve

1-5-1-Une paroisse à redresser

Le Père Lamy arriva à La Courneuve, à la Paroisse Saint Lucien, le 14 septembre 1900. Il avait 47 ans. La situation y était dramatique: "Il n'y avait ni chantre, ni enfants de chœur, peu d'assistants aux offices..." Et ceux qui venaient à la messe ne faisaient que parler entre eux, de leurs affaires... Bientôt il consacra sa paroisse au Cœur Immaculé de Marie, Refuge des Pécheurs, et fonda les confréries du Sacré Cœur et du Cœur de Marie…. Toutefois, sur le plan matériel, le Père Lamy n'avait jamais été aussi heureux: "On m'offrait des carottes, des oignons, des choux. Je rentrais en lisant mon bréviaire avec ma botte de carottes sous le bras ou le chou pendant au cou."

Le dévouement du Père Lamy était sans limite. En ce qui concerne son ministère, contrairement à tant d'autres paroisses de la Région parisienne, il sonnait la cloche à la fermeture des usines. "Les ouvriers, les ouvrières l'entendaient. Quelques-uns répondaient à l'appel. Il en venait toujours. Il venait des jeunes gens, que Dieu a ainsi touchés, qui sentaient la lassitude de la journée, la lassitude de leurs fautes, qui se sont confessés, qui se sont réconciliés. Un certain nombre de pauvres âmes se sont ainsi sauvées. Quelquefois, la prière du soir est presque plus utile que la messe, à la valeur du saint sacrifice près."

Le programme du dimanche était particulièrement chargé: "Le dimanche, je me levais à 5 heures et demie; je descendais à 6 heures. Des fois, je me levais à 5 heures ou avant. Un bout de méditation, l'office, les confessions. Après cela, la première messe, à 8 heures, courte instruction, et, tout après la messe, le catéchisme. Je n'avais pas même le temps de faire une action de grâces entre la première et la seconde messe. Catéchisme jusqu'à 10 heures. La prière du matin, que je faisais faire aux enfants et qui servait aux paroissiens. Et ça a réappris la prière à bien des gens, et montrait combien je tenais à ce que la prière soit continuée dans les familles.

Dix heures, grand'messe et prône. Après la grand'messe, les baptêmes. Il y en avait toujours plusieurs. Les gens aimaient à venir à ce moment-là, entre la grand'messe et les vêpres." Le Père avait à peine le temps (ou la force) de déjeuner: "À 2 heures, vêpres. Bénédiction du Saint-Sacrement après cela. Enterrements ou continuation des baptêmes et départ pour les patronages. Le patronage des filles était rue Villot, et celui des garçons, 63, rue de la Convention. Sitôt que j'étais libre, j'allais au patronage des garçons. De là, j'avais une porte qui passait sur le terrain que j'avais acheté, et, par là, j'arrivais en deux ou trois minutes, par le jardin, au patronage des jeunes filles. Là, je ne restais jamais longtemps. Je revenais faire une séance d'avis rue de la Convention. Je faisais sonner la cloche. Les enfants étaient sur les bancs: il y en avait cinq par banc et des chaises pour les grands. Et je montais sur l'estrade. Je lisais le règlement, ou je le commentais. Et j'administrais des corrections paternelles aux délinquants de la semaine précédente. Chacun en prenait sa part. Je faisais ensuite l'appel. Distribution de bons points ou de petites récompenses. Souvent, goûter avec du pain et des bâtons de chocolat d'un sou. Cela faisait tout de suite une douzaine de francs. À Marie Immaculée, la directrice le faisait. J'avais souvent des dragées. Quand il y avait des délinquants, je leur passais devant le nez sans leur en donner.

Après la sortie du patronage, j'avais un kilomètre à faire pour revenir, et je faisais la surveillance des rues sans en avoir l'air. Je rentrais à l'église à la nuit; je fermais la porte, et, à ce moment, je faisais mon action de grâces, ma prière du soir. Je fermais l'église complètement et je rentrais chez moi pour souper. Après le souper, souvent avant, ils venaient. Les gamins ça a tôt fait! Dans le jardin, j'avais fait une petite salle, la Salle du Sacré-Cœur. J'avais placé un petit poêle pour l'hiver, bancs, tables, électricité à la fin. On jouait au tric-trac, au nain-jaune. Dans l'été, on mettait les tables dans la petite cour, qui était pavée. A 10 heures, Pater, Ave, Sub tuum. Après cela, dernier départ. J'avais deux réunions par semaine, une le dimanche et une le jeudi. Autrefois, les soirs de dimanche, je retournais encore au 63, rue de la Convention; mais, à la fin, je ne pouvais plus.

Le premier dimanche du mois, il y avait réunion des hommes après vêpres, le deuxième dimanche du mois, réunion des dames du Sacré-Cœur, et, quand je rentrais me coucher, je ne me déshabillais pas: je n'en avais plus la force."

Et puis, il y avait la visite des malades et la distribution des sacrements qui l'occupaient jour et nuit. En effet, le dévouement du père Lamy était sans relâche;  il portait la communion aux malades, visitait les familles, allait chercher les âmes en perdition, baptisait les enfants, semait la bonne parole dans cette banlieue de la "zone" où les pauvres gens s'entassaient. Il aimai ces populations d'humbles gens, de chiffonniers, ses chers "biffins!" comme il disait avec affection. Pour aider les plus démunis, il fonda le Vestiaire de l'Enfant-Jésus.

1-5-2-Le curé de La Courneuve pendant la guerre

Nous venons de voir l'activité du Père Lamy dans sa paroisse, en temps normal. Il était pris par son apostolat pendant toute le journée, et souvent il passait la nuit en prière. Cet emploi du temps déjà lourd allait encore  se surcharger pendant la guerre. Le comte Biver[5] avoue qu'il n'a pu obtenir que peu de choses sur les activités du Père Lamy durant cette période, Il lui fallut donc interroger les paroissiens de La Courneuve.

Le Père Lamy confessait parfois douze heures par jour, surtout des soldats. Il raconte: "Je leur disais, pour aller plus vite, de dire le Confiteor avant d'entrer au confessionnal. Ils étaient pressés. Quelquefois, ils se confessaient le sac au dos et tenant leur fusil dans le confessionnal... À Pâques, dans la guerre, je faisais ce que je pouvais, mais j'étais débordé, j'avais jusqu'à mille confessions pascales. Quelquefois, j'entrais au confessionnal aussitôt ma messe, sans avoir déjeuné, et je restais jusqu'à 2 heures, 3 heures de l'après-midi. Quelquefois, j'avais à confesser deux cents prêtres qui revenaient par fournées. J'étais épuisé de confesser assis; alors, je confessais mes confrères debout, en me promenant avec chacun d'eux dans le jardin. La première année de guerre n'a pas été très dure, mais la deuxième, la troisième et la quatrième..."

C'est qu'à La Courneuve il y avait sept hôpitaux sous des tentes ou en baraquements. Il y eut jusqu'à huit cents prêtres à la fois, à un certain moment de la guerre, car c'était un dépôt d'infirmiers.

Le Père dit aussi: "Pendant la guerre, il y avait un dépôt mortuaire pour les soldats. Je les y enlevais... les prêtres soldats conduisaient les corps jusqu'au cimetière d'Aubervilliers. Il y avait cinq ou six corps par jour. Quelquefois j'avais des enterrements jusqu'à la nuit, jusqu'à 9 heures du soir quelquefois, en été..."

1-5-3-L'explosion de La Courneuve

Les faits

L'explosion d’un dépôt de munitions que le Père Lamy avait annoncée longtemps à l'avance eut lieu le 15 mars 1918. Pendant des semaines il prêcha toujours la même chose: pénitence, pénitence, pénitence... car il prévoyait que des choses terrifiantes allaient se produire. Des prières avaient été récitées depuis le début de la guerre, et jusqu'à l'explosion, avec un Souvenez-vous. Puis elles furent dites ensuite comme remerciement. Le Père Lamy raconte: "C'est au début de la guerre...  C'étaient les saints Anges qui avaient parlé de la catastrophe, non pas la Très Sainte Vierge. Elle m'avait laissé entrevoir l'explosion et je L'avais conjurée de sauver les vies. Je Lui ai dit: 'Sainte Mère de Dieu, sauvez les vies!' Et Elle n'a pas répondu, mais j'ai considéré la chose comme accordée dès ce moment-là... Je ne savais pas le jour de l'explosion. De La Courneuve il n'y a pas eu de tués, mais neuf cents blessés."

Voici comment les choses se passèrent: "Je trouvais les carreaux de mon église très sales, et je voulais les nettoyer, mais j'ai entendu le saint archange Gabriel et mon ange, qui se parlaient entre eux et disaient: 'C'est inutile.' Alors, je ne l'ai pas fait. Très souvent, quand ils veulent me donner de bonnes leçons, ils se parlent ensemble et me laissent entendre leur conversation. Peu d'heures après arrivait la catastrophe, et ces vitres volaient en éclats. Moi, qui restais toujours longtemps dans mon église, ce jour-là, j'ai été bien inspiré. Cette inspiration m'est venue certainement des anges. Je ne suis resté à prier ni une heure, ni une demi-heure, ni même dix minutes: je suis parti à Paris pour acheter des souvenirs à l'usage des premiers communiants. Peu après mon départ, tout sautait, la voûte se rompait et il tombait dans l'intérieur de l'église des tombereaux de tuiles...

Quand l'explosion a eu lieu, j'étais à Aubervilliers, à 100 mètres de l'église, dans le tramway. Je me suis précipité dans les usines. Je suis retourné à La Courneuve sans tram, au milieu des plâtras. J'ai été à l'usine Sohier d'abord. Je n'ai pas, à proprement parler, une maladie de cœur. J'ai eu le cœur blessé à l'explosion. Je sentais une suffocation très grande. En donnant les absolutions, je ne savais plus ce que je faisais. À l'usine Chabert, on avait transporté neuf cents blessés. C'était plein de sang. Les médecins se relayaient, mais je ne pouvais pas me relayer tout seul! On a fait des barrages. Les papas, les mamans me disaient: 'Où sont nos enfants? Nos enfants?' Je ne savais pas où étaient les enfants. Ils étaient à l'école, quand le plafond est tombé; ils s'étaient cachés sous les tables et s'étaient ensuite sauvés au Fort de l'Est.

Je suis resté rue Edgar-Quinet, à l'usine Chabert, à l'usine... presque jusqu'au soir. On avait les lèvres tout imprégnées du goût de ce nuage amer. Ce n'est guère que deux heures après l'explosion que le nuage, sous lequel on était et sous lequel on pouvait respirer, est descendu. Mais, quand il a roulé à terre, on ne pouvait plus. Quelques jours après, la peau de la langue et des lèvres, celle même de la figure s'est décollée. Elle s'enlevait par plaques... Il me restait un œil de bon, l'autre ayant été perdu au régiment. Mon œil gauche a beaucoup baissé du fait des gaz toxiques répandus dans l'atmosphère."

Miracle à l'Église

"Le tabernacle, tout, a été arraché; la Sainte Vierge (la Vierge en plâtre modelée par Edy) a eu un petit éclat à sa robe. Le tabernacle reposait sur deux briques posées de champ... La dalle du tabernacle, elle est partie. Les murs étaient là, mais le tabernacle reposait sur les murets, et le corporal ne touchait pas aux murs: il n'avait pas la largeur suffisante. Le saint ciboire est resté sur le corporal, et le corporal en l'air. Le chanoine de Rochetaillade (archiprêtre de Saint-Denis), après avoir constaté le miracle, a porté le saint ciboire au tabernacle majeur. C'est mon ciboire, mais je l'ai laissé à la paroisse, comme beaucoup de mes ornements...

J'ai bien vu le corporal en place, resté en l'air. Mgr Amette a dit que Dieu avait fait cela pour ne pas contrister son prêtre. Le pavillon n'avait pas un grain de poussière, un pavillon avec une petite frange d'or et les quatre parties comme ça. C'est relaté dans son Bulletin, dans L'Oriflamme (de Saint-Denis) de cette époque. Le tabernacle avait été lancé au milieu de la chapelle de la Sainte-Vierge, les candélabres pareillement. Ça avait soulevé la table de l'autel. La pierre d'autel, tout était parti...

Je ne suis rentré chez moi que le soir. Il n'y avait plus ni portes, ni fenêtres, et de celle qui donne dans la rue, les gonds étaient partis; elle était tombée, mais n'avait pas de mal. C'est moi qui l'ai rescellée. Toutes ces émotions!..."

1-6-La retraite

1-6-1-La vie "mondaine"

Avant d'aborder la retraite du Père Lamy, nous allons parler un peu de sa "vie mondaine". Le jeudi de Pâques 1921, Raïssa et Jacques Maritain le reçurent à Versailles, "anéanti dans son humilité un peu farouche" selon l'expression du comte Paul Biver, un habitué de la maison. Puis, il fréquenta assidûment les cercles d'étude du couple de philosophes et sympathisa avec le Comte Paul Biver (1886-1952) qui allait l'aider à fonder la Congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie, demandée par la Sainte Vierge, et dont il devint, à 77 ans, le premier supérieur général.

1-6-2-Les débuts de la retraite du Père Lamy

En 1923 la santé du Père Lamy avait beaucoup décliné, et sa vue avait beaucoup baissé: il demanda sa retraite, à soixante dix ans, ne se sentant plus la force de soutenir activement les œuvres qu'il avait créées et amenées à un état de prospérité très remarquable. "Dès lors, il passa l'hiver à l'Infirmerie Marie-Thérèse, rue Denfert-Rochereau, et la belle saison au Pailly, en compagnie de sa sœur et de son beau-frère. Avec les capitaux laissés par leurs parents, une petite maison avait été bâtie en face de l'ancienne, où la place était insuffisante pour trois ou quatre personnes."

La réputation du Père Lamy était telle, qu'à Paris il était constamment harcelé. Tout le monde voulait le rencontrer, lui demander conseil ou même des guérisons.  Au Pailly, sa vie était plus calme et il se rendait plusieurs fois par semaine à Notre-Dame des Bois. "Il y disait la messe plusieurs fois l'an. Il venait beaucoup de monde à la messe de juin, surtout de Paris et de La Courneuve... Quand on allait remercier le Père Lamy pour des grâces reçues ou des guérisons, il invitait à envoyer une note ou les certificats médicaux au curé de Violot, dans la paroisse duquel s'élève la petite chapelle de Notre-Dame des Bois."

1-6-3-Les apparitions

Deux fois la Sainte Vierge se manifesta à Notre Dame des Bois: une fois en 1925, avant les travaux de transformation, dans la chapelle. Soudain la Vierge Marie Immaculée se manifesta, derrière sa statue, à un mètre du Père Lamy.

L'autre fois, c'était pendant la guerre, en février, en 1915, croit-il. M. le Curé de Violot et le Père Lamy mettaient la statue de la Vierge Marie sous un globe, pour la protéger de tous ceux qui la prenaient dans leurs mains. Mais le globe était trop court. À la demande du Père Lamy il s'allongea exactement à la dimension de la statue. Ensuite, raconte le Père Lamy, "j'essuyais la statuette et j'étais retourné, parlant au curé, quand je sens une figure, une vraie figure. Je me suis arrêté un petit instant. Elle m'a regardé, l'Enfant aussi. J'ai fait comme ça, pour aller contre le mur, qui n'était pas ouvert, pour passer derrière l'autel. La Sainte Vierge a dit un mot, et l'Enfant rien. Je dépose rapidement la statuette sur l'autel, je m'agenouille devant eux. Un moment, j'ai eu la tentation de dire: 'Donnez-moi l'Enfant!' Elle n'a pas été longtemps."

L'Archange Gabriel vient fréquemment visiter la chapelle de Notre-Dame des bois. Le Père Lamy précise: "Le saint archange Gabriel y vient souvent. Il y est encore venu le 29 juin (1925). J'étais seul; je disais mon bréviaire. J'avais renvoyé l'enfant (de chœur). Il[6] me parle des choses célestes. C'est le messager divin, non celui d'un homme de la cent cinquante-quatrième classe! Je le charge de mes messages pour la Très Sainte Vierge. Je lui dis: 'Dites-Lui donc ceci, cela...' Il ne répond pas, mais il sourit."

1-6-4-La fondation de la Congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie[7]

C’est à Gray, le 9 septembre 1909, que le Père Lamy reçut, de la Vierge Marie, le conseil de fonder une nouvelle Congrégation. Il hésita pendant très longtemps. Les principaux points de la Règle lui furent donnés sur l’esplanade de N.D. des Bois. "Les avis de la Très Sainte Vierge lui furent donnés, non seulement à Gray, mais à La Courneuve et à Notre-Dame des Bois…

Le but de la congrégation était la sanctification personnelle des religieux par les trois vœux ordinaires et par la récitation quotiditenne du grand office dans toute la mesure compatible avec les œuvres de jeunesse qu'ils étaient appelés à diriger, patronages, cercles d'études, alumnats, maisons de familles pour jeunes gens, maisons de retraites pour jeunes gens, et missions pour jeunes gens. En un mot, une vie partagée entre le chœur et des œuvres destinées à la rechristianisation de la jeunesse et particulièrement de la jeunesse ouvrière, non par son instruction, mais par son éducation religieuse."

Les premiers débuts

Dès 1924, quand des vocations religieuses se présentèrent à lui, le Père Lamy se mit à parler avec discrétion du groupement futur. Mais les jeunes gens qu’il avait déjà rassemblés[8] n’étaient pas pour lui… "ceux que j'avais pour ainsi dire désignés, aucun ne répondait à l'appel." En 1926 la Sainte Vierge, parlant de cette congrégation qu’elle avait désirée lui dit qu’il y aurait de grosses difficultés, "et qu’il y aurait quelque analogie avec la Passion de son Fils, parlant des trahisons, des abandons. Pour moi, ajoute le Père Lamy, ça a été l’épreuve la plus rude de ma vie."

Après l’éparpillement du premier groupement, un deuxième groupement se constitua: il fondit comme le premier. Enfin, le 14 août 1927 "se présentaient les premiers éléments d'un troisième. Le Père Lamy en était tout à cette joie, quand le lendemain, il reçut le présage de nouvelles épreuves. À la messe du 15 août, j'ai vu, dit-il, les difficultés qui grossissaient, qui grossissaient! Elle[9] m'a montré ces difficultés sous une apparence formidable, comme une montagne… Quand on veut établir une bonne chose, on trouve toujours la croix."

Est-ce la fin des difficultés?

Enfin, en 1927, un troisième groupement fut tenté, sous le nom de Serviteurs de Jésus et de Marie[10]. Les éléments du groupe qui, dans un premier temps avaient été placés provisoirement dans plusieurs séminaires furent enfin réunis dans une même maison, et Mgr Nègre, Archevêque de Tours, "appréciant la Règle de la nouvelle congrégation, accueillait favorablement le Père Lamy et ses sujets." Bientôt il autorisera "l'ouverture d'un établissement pieux dans son diocèse: Notre-Dame de Chambourg, et la réunion des postulants, qui lui avait été présentés, au nombre de dix-sept."

L'Archevêque lui-même écrivit à la Sacrée Congrégation des Religieux, le 26 avril 1930: "Depuis trois ans, le zèle pieux et ardent d'un saint prêtre, l'abbé Lamy, est parvenu à grouper en nombre consolant des bonnes volontés, toutes prêtes à essayer de reprendre la vie religieuse et la vie d'apostolat, etc... visant à leur sanctification personnelle par les trois vœux simples de Religion et la récitation quotidienne du grand office, et ayant pour but la sanctification du prochain par tous les moyens ordinaires d'appeler les âmes à la foi et les y maintenir. Ils s'appliqueront particulièrement, parce que plus nécessaire et plus capable d'assurer le bien, à la formation chrétienne de l'enfance et de la jeunesse par les patronages, cercles d'études, maisons de famille et de retraite pour jeunes gens, et par les alumnats. L'esprit de l'œuvre est un esprit de foi, de zèle, de sacrifice, de simplicité et d'amour. C'est sur ces bases qu'ils veulent fonder l'édifice nouveau, parce que ce sont les seuls fondements solides et résistants."

Le 2 juin 1930, Rome "accordait l'autorisation demandée, et, le 15 juillet, l'archevêque composait et enregistrait à sa chancellerie l'Acte solennel d'Érection de la Congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie, avec le Père Lamy comme supérieur général et Notre-Dame de Chambourg comme maison-mère."

Remarque: La Congrégation des Serviteurs de Jésus et Marie a été fondée, à la demande de la Vierge Marie, sous les hospices de Citeaux.

Sa devise est: "Les Serviteurs de Jésus et de Marie pratiqueront le commandement de l'amour fraternel avec un grand soin, ne se critiquant jamais mutuellement, se rendant service avec charité, et agissant en toute rencontre en personnes qui s'aiment et s'estiment en Dieu et pour l'amour de Dieu."

Nouvelles épreuves

Le Père Lamy était au Pailly. Deux jeunes vinrent le chercher. Le Père s'en alla chercher des salades pour le repas du soir, dans son jardin, quand soudain les jeunes l'interpellèrent: "Mon Père, regardez donc: la Sainte Vierge qui pleure!" Le Père s'approcha de la statue et il "vit des larmes abondantes qui tombaient des yeux de la statue et coulaient sur sa poitrine. Les larmes semblaient creuser le bronze de la statue en coulant jusqu'à sa ceinture. Alors, il vit la sainte Mère de Dieu devant sa statue, revêtue d'un voile noir continuer à pleurer." Le Père comprit que les épreuves allaient recommencer. De nombreuses attaques émanant de tierces personnes frappèrent les Serviteurs de Jésus et de Marie. Au début de l'année 1931 le Père Lamy dut renvoyer de Chambourg les novices et les postulants. Son œuvre était détruite.

Le Père Lamy commente: "La Très Sainte Vierge, parlant de cette congrégation qu'Elle a désirée, a dit, à propos de la fondation, qu'il y aurait quelque analogie avec la Passion de Son Fils, parlant des trahisons, des abandons. Pour moi, ça a été l'épreuve la plus rude de ma vie. Ce qui m'avait le plus affecté autrefois, ç'avait été la perversion et la perte de certains de mes jeunes gens. C'est l'heure de l'épreuve. Ça me laisse impassible, mais ne m'empêche pas de souffrir."

Et le Père Lamy de conclure: "La Sainte Vierge a voulu pour moi, toute ma vie, des épreuves et des tribulations. Des épreuves, nous en avons eues tant et plus avec la Congrégation, de Satan et de ses suppôts. Elle prolonge ma vie. Je devrais être mort depuis bien quatre ans..." Mais l'espérance demeure: "À force de prières, tout commencera à s'éclaircir, tout s'agrandira; l'œuvre sera comprise. Elle prospérera. Vous trouverez des concours, des amitiés fidèles. Ceux de vos amis qui se sont écartés vous reviendront."

La survie de la Congrégation

Grâce à Dieu, trois hommes assureront la survie de la Congrégation pendant dix ans: Jean-Pierre Christian, ordonné prêtre en 1939; le comte Biver qui s'occupa généreusement des besoins matériels et Charles Emmenecker (1906-1968) qui veilla au recrutement.

1-7-La mort du Père Lamy

Le Père Lamy souffrit beaucoup de la destruction de son œuvre. Il reprit ses anciennes activités, mais continua à correspondre avec ses religieux dispersés. Il écrivit notamment: "Elle[11] prolonge ma vie. Je devrais être mort depuis bien quatre ans. Quand Elle m'emmènera, je prierai à ce moment-là pour le groupement. Le grain reposant en terre semble mort. Je désirerais que, bientôt, quand je ne serai plus sur terre, vous vous rappeliez mes encouragements, mes avertissements, que vous soyez bien armés à ma mort. À force de prières, tout commencera à s'éclaircir, tout s'agrandira; l'œuvre sera comprise. Elle prospérera. Vous trouverez des concours, des amitiés fidèles. Ceux de vos amis, qui se sont écartés, vous reviendront."

Cependant toutes les facultés du Père baissaient en lui: sa fin était proche. Le 15 novembre 1931 il notait: "À 6 h. 1/2, messe à l'oratoire. La Vierge Puissante fait descendre dans mon âme un peu de sa douce paix. Je me demande si Elle me prépare à mon voyage pour l'éternité." Il ne se trompait pas: le 1er décembre 1931 au soir, au cours d'une visite chez son ami le comte Biver à Jouy-en-Josas, il mourut subitement d'une crise cardiaque foudroyante. Ses obsèques eurent lieu à La Courneuve, au milieu d'une foule immense.


[1] L'Œuvre de la Jeunesse était une sorte de patronage destiné à maintenir les pratiques de la vie chrétienne chez les adolescents et les jeunes gens, qui, travaillant jeunes étaient confrontés à de mauvaises influences sur leur lieu de travail.

À la fin de sa vie, le Père Lamy avoua au Comte Biver: "C'est là que j'ai mené neuf ans la vie de séminariste."

[2] Dans les patronages.

[3] Probablement le donateur du domaine.

[4] Les biffins, mot utilisé pour désigner les chiffonniers.

[5] biographe et ami du Père Lamy.

[6] L'archange Gabriel.

[7] Le nom de "Serviteurs de Jésus et de Marie" ne fut donné à la future congrégation qu'en 1927. Avant, le Père Lamy parlait des "Frères de Saint Jean".

[8] Sous le nom de Frères de Saint Jean.

[9] La Vierge Marie.

[10] Ce nom fut prononcé pour la première fois pas le fondateur le 16 juin 1927.

[11] La Vierge Marie.

   

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