Karl
Leisner naquit à Rees, en Westphalie, en Allemagne, au
nord-ouest du diocèse de Münster, le 28 février 1915.
Son père était trésorier au tribunal; c'était un homme
énergique, profondément attaché à la foi catholique
reçue des ancêtres. Son épouse, la maman de Karl, était
toujours aimable et bienveillante. Karl, éveillé,
espiègle et débordant de vie, fréquenta d'abord l'école
primaire, puis entra, en 1927, dans un lycée d'État.
Très intelligent, il étudiait avec facilité et cherchait
constamment à connaître le pourquoi des choses. Grâce à
son aumônier de lycée, l'abbé Walter Vinnenberg, il
développa ses talents d'organisateur et de meneur de
jeunes, et quand Karl eut 12 ans, le prêtre lui proposa
de créer une association de jeunesse, le groupe
Saint-Werner. Karl accepta, puis, fervent chrétien, il
s'engagea dans le mouvement de jeunesse catholique de
Clèves, dont il devint
responsable
à l'âge de 18 ans en 1933. L'évêque de son diocèse, Mgr
von
Galen, lui confia alors la charge de responsable de la
jeunesse pour l'ensemble du diocèse de Münster, en
Westphalie. Comme Karl mettait régulièrement les jeunes
en garde contre le nazisme, la GESTAPO commença alors à
le surveiller. Je dois ajouter qu'en 1934, alors que les
partisans de Hitler criaient: "Heil Hitler", Karl
Leisner écrivait dans son journal: "Le Christ est ma
passion, Heil."
Il
faut également savoir que Karl Leisner avait connu, dès
le lycée, le Mouvement de Schœnstatt, fondé par le Père
Joseph Kentenich en octobre 1914. La spiritualité
mariale du mouvement de Schœnstatt deviendra celle de
Karl. Le nom: Schœnstatt, qui signifie "beau lieu", a
pour origine le village de Schœnstatt proche de Koblenz.
Ce mouvement catholique regroupait des laïcs et des
consacrés. En 1934, Karl commença ses études de
théologie à Münster. Il fut ordonné diacre le 25 mars
1939. Mais on découvrit vite qu'il avait un début de
tuberculose; il fut donc envoyé au sanatorium de
Saint-Blaise, en Forêt noire. Mais, ayant prononcé à
haute voix une remarque détestable pour les nazis,
concernant l'attentat manqué de Georg Elser contre
Hitler, le 8 novembre 1939, Karl fut, le lendemain 9
novembre 1939, arrêté par la Gestapo. Karl fut d'abord
emprisonné à Fribourg-en-Brisgau puis transféré au camp
de concentration de Sachsenhausen et enfin à Dachau le
13 décembre 1940, sous le numéro 22356, dans le "Block
26". Ce fut alors, pour Karl Leisner, le début d'une
histoire surprenante.
Dans
le Block 26 de Dachau, il y avait environ deux mille
huit cents prêtres allemands, autrichiens, polonais et
d'autres pays d'Europe, ainsi que des pasteurs. Karl fut
le premier clerc lié à Schönstatt interné à Dachau;
plusieurs autres le suivirent, dont le fondateur Joseph
Kentenich qui, en 1941, créa, dans le camp, un groupe de
prêtres de Schönstatt, groupe que rejoignit Karl. En
juin 1943, il y avait trois groupes, dont celui de Karl
qui choisit, pendant l’automne 1944 une devise commune:
Victor in
vinculis c'est-à-dire: "Vainqueur dans les chaînes".
Le 6
septembre 1944, Mgr Gabriel Piguet, évêque de
Clermont-Ferrand, en France, déporté lui aussi, arriva
dans le camp de Dachau, au block 26. Allait-il pouvoir,
dans la clandestinité, ordonner prêtre Karl, de plus en
plus malade?
En effet, pour que l'ordination fût valable, il fallait
obtenir l'approbation écrite de Mgr
Clemens August von Galen, évêque du diocèse d'origine de
Karl Leisner, ainsi que celle du cardinal Michael von
Faulhaber, évêque de Munich, diocèse où était situé
Dachau. Pourtant, les détenus réussirent à obtenir ces
approbations dans le camp, ainsi que le saint chrême et
le Pontifical, livre contenant le rite de l'ordination,
grâce à une jeune fille de 20 ans qui avait accès à la
plantation où travaillaient les détenus, et qui risqua
sa vie plusieurs fois pour faire passer les éléments
nécessaires à l'ordination. Et Karl Leisner, presque
mourant, put être ordonné prêtre au cours de la messe de
Gaudete, le 3e
dimanche de l'Avent, le 17 décembre 1944. Il faut
ajouter qu'un déporté russe avait fabriqué l’anneau
épiscopal sur lequel il avait gravé l’image de Notre
Dame de Dachau. Un bénédictin allemand façonna la crosse
en chêne, pour l'évêque. Des protestants se chargèrent
de la mitre et des ornements épiscopaux. Sans
distinction de nationalités ou de confessions, tous les
membres du block 26 œuvrèrent pour la réalisation du
projet. On croit savoir que trois cent prêtres,
représentant vingt pays, un pasteur et des séminaristes
assistèrent à l'ordination de Karl. Dans les bâtiments
voisins, 2300 prêtres suivirent en esprit l'ordination.
Durant la cérémonie, pour couvrir le bruit des chants,
un Juif avait joué, dehors, du violon… Cette ordination
déjà était un grand pas vers la voie de l’œcuménisme.
Karl
Leisner, enfin ordonné, ne célèbrera qu'une seule messe
dans le camp de Dachau, celle de la fête de saint
Étienne, le 26 décembre 1944. Il mourut le 12 août 1945,
quelques semaines après la libération du camp de Dachau,
par les troupes américaines. Karl avait trente ans. Le
16 juin 1945, du fond du cœur de Karl, jaillit une
prière: "Ô toi, pauvre Europe, retourne à ton
Seigneur Jésus-Christ! C'est là que se trouve la source
des plus belles valeurs que tu déploies. Retourne aux
sources fraîches de la vraie force divine!" En
effet, les idéologies qui avaient été la cause de tant
de souffrances au cours du 20ème siècle, sont
apparues dans une Europe qui avait voulu oublier ses
fondements chrétiens... L'ordination de l'Allemand Karl
Leisner, est vraiment pour tous les Européens un signe
d'union, car elle préfigurait déjà une Europe
réconciliée et unie, consciente de son enracinement
évangélique et ecclésial. Karl Leisner fut béatifié le
23 juin 1996 par le pape Jean-Paul II. Sa fête est le 12
août.
Remarque importante: Le 8 octobre 1988, au cours d'une
rencontre à Strasbourg avec des jeunes européens,
Jean-Paul II donna, comme modèles à la jeunesse
européenne, deux exemples: l'Allemand Karl Leisner, et
le jociste Français Marcel Callo, qui avait écrit dans
son journal, le 16 juin 1945, peu de temps avant sa
mort: "Une seule chose t'est nécessaire pauvre
Europe! Retourne à ton Seigneur Jésus-Christ! Là est ta
Source pour tout ce que tu portes de plus beau. Retourne
aux sources vives de la véritable force divine! Oh!
Seigneur, permets-moi de te servir un peu comme
instrument pour cela, je t’en supplie!" Ainsi, là où
le nazisme avait voulu édifier le culte de la "race
supérieure", Jean-Paul II donnait en exemple à la
jeunesse européenne deux figures éminentes de la
résistance allemande au nazisme.
Je
voudrais maintenant vous donner quelques détails
concernant la vie de Karl dans le camp de concentration
de Dachau. Durant l’année 1941 et au début de 1942, des
Messes furent célébrées clandestinement. Karl les servit
plusieurs fois comme diacre, ce qui le comblait de joie.
Le 15 mars 1942, Karl fut victime d’une hémorragie et
envoyé à l’infirmerie, qu’il serait plus juste d’appeler
mouroir. Et là, la charité de Karl se déploya auprès des
malades, ce qui lui vaudra le nom d’ange de Dachau. Il
signait les lettres qu’il pouvait envoyer par
l'expression "Immerfroh", c'est-à-dire:
Toujours joyeux.
Après sa libération par
les troupes américaines, dans le sanatorium où il avait
été envoyé, le 29 juin 1945, Karl reçut la visite de son
père et de sa mère. Le 25 juillet, Karl put célébrer sa
deuxième Messe. Ce jour-là, il termina son journal
spirituel par ces mots: "Bénis aussi, ô Très-Haut,
mes ennemis." Il lui restait huit jours à vivre. Il
dira à sa mère:
"Maman, je dois te confier quelque chose; cependant ne
sois pas triste. Je sais que je vais mourir bientôt,
mais je suis heureux."
Paulette Leblanc |