Jean-Joseph Lataste
Dominicain, Fondateur, Bienheureux
1832-1869

5

SEPTEMBRE

Tout d'abord je dois vous dire que la fête concernant la mémoire du Bienheureux Jean-Joseph Lataste, ne se situe pas le jour de sa mort, sa naissance au ciel, le 10 mars, mais le jour de sa naissance sur la terre, le 5 septembre. 

Alcide Vital Lataste, qui deviendra le religieux Jean-Joseph Lataste, naquit à Cadillac-sur-Garonne,  le 5 septembre 1832. Il était le dernier des sept enfants de Vital Lataste et de Jeanne Grassiet. Son père, Vital, était propriétaire de quelques vignes; il exerçait aussi un commerce de tissus, ce qui lui procurait une certaine aisance. Il s'affichait volontiers libre-penseur et ne pratiquait pas, mais il ne s'opposait pas à la piété de sa femme qui avait donc toute liberté pour éduquer chrétiennement leurs enfants. On comprend que, durant toute sa vie, Alcide se soit inquiété du salut de son père. 

Encore tout petit, Alcide tomba gravement malade; on le confia à une nourrice, avec qui il resta trois années. Quand ses parents purent s'occuper de lui, un grand déchirement frappa Alcide: l'entrée en religion, chez les Filles de la Sagesse, de Rosy, sa sœur préférée qui était aussi sa marraine. 

Après être passé à l'école maternelle des Filles de la Sagesse et fait ses études primaires chez les Frères du Saint-Esprit, Alcide fut envoyé par ses parents au petit séminaire de Bordeaux, en septembre 1841, où il fit sa première communion et sa confirmation. C'est là qu'il rencontra Henri Lacordaire pour la première fois. Mais bientôt l'attrait qu'il ressentait pour le sacerdoce fut contrebalancé par un sentiment très fort de son indignité. Il disait qu'il "n'osait se déclarer, tant la mission du prêtre lui apparaissait grande, et qu'il s'en reconnaissait indigne." Aussi, après quelques années, fut-il envoyé au collège de Pons, commune du Sud-Ouest de la France, dans la Charente Maritime, afin que sa vocation fût éprouvée. Alcide, encore jeune adolescent entra alors dans une période de grandes difficultés spirituelles, et, au bout de trois ans, le supérieur écrivit à ses parents qu'il ne croyait pas à la vocation sacerdotale d'Alcide. Seule sa sœur Rosy, sa marraine, le soutint et l'empêcha d'abandonner et de devenir indifférent à toute forme de vie religieuse. 

Cependant Alcide traversa une crise terrible et suivit ses camarades sans morale. Il écrivit plus tard: "J'oubliai peu à peu le Bon Dieu et mon amour pour la Sainte Vierge diminua... Je crus plus facilement que je n'avais pas la vocation, parce que je désirais moins l'avoir." Il ne luttait plus contre le démon de l'impureté. Mais heureusement, Alcide trouvait encore dans le cœur aimant et apostolique de sa sœur religieuse un soutien sans faille, et il revint à la prière. Et quand il eut atteint ses vingt ans, il retrouva la paix. En 1850, il obtint son baccalauréat ès lettres, et demeura pendant un an dans la maison paternelle, puis il entra dans l'administration.  

Alcide travailla d'abord comme stagiaire puis comme fonctionnaire, à la direction des impôts. Il fut contrôleur des impôts de 1851 à 1857, à Privas, à Pau et à Nérac. Il pensait se marier avec Cécile de Saint-Germain, mais son père s’y opposa, trouvant que Cécile, qui n'avait que quinze ans, et Alcide étaient trop jeunes. Curieusement, l'année suivante, Cécile décéda. Bientôt Alcide se lia d'amitié avec un jeune collègue, fervent catholique, Léon Leyer. Grâce à Léon Leyer, Alcide entra dans les Conférences Saint-Vincent de Paul de la paroisse Saint-André de Bordeaux. Actif dans les Conférences de Saint Vincent de Paul fondées par Frédéric Ozanam, Alcide découvrit non seulement une vie fraternelle dédiée aux plus pauvres, mais également  une vie de prière commune et l’Eucharistie.  

Deux années s'écoulèrent à Pau. En octobre 1855,  Alcide reçut une terrible nouvelle: sa sœur religieuse, en qui il avait toute confiance, venait d'être rappelée à Dieu. Elle avait, apprit-il, offert ses souffrances et sa vie pour la vocation de son frère. Ce choc entraîna chez Alcide un retournement complet. Il écrivit plus tard: "Quinze jours après la mort de ma sœur religieuse, j'étais résolu à entrer en religion." C'est alors qu'il apprit que Cécile avait succombé à une fièvre typhoïde. Très affecté par ces deux deuils, il rencontra bientôt, en mars 1857, trois dominicains, dont le Père Lacordaire, arrivés à Pau pour prêcher une retraite chez les Carmes d'Agen. Une conférence sur le triomphe de la vie sur la mort conforta Alcide dans sa décision de se donner à Dieu, mais il hésitait toujours entre la vie religieuse et le célibat dans le monde, au service des pauvres. Enfin, le 4 novembre 1857, Alcide Lataste entrait au noviciat dominicain de Flavigny-sur-Ozerain, en Bourgogne. Il avait 25 ans.  

Dès le 13 novembre 1857, Alcide reçut l'habit de l'Ordre des Dominicains sous le nom de Frère Jean-Joseph; il renouvela aussitôt son acte de donation à Marie. Alcide était rempli de joie par le climat de prière fervente et de charité mutuelle qui régnait au noviciat. Cependant Alcide connut plusieurs problèmes de santé ce qui le condamnait à vivre presque en solitaire. Il fut bientôt envoyé au couvent de Toulouse pour bénéficier de la chaleur du midi, et fut admis à la profession le 10 mai 1859.  

Le 10 mai 1862, Frère Jean-Joseph fit sa profession solennelle; et fut ordonné prêtre le 8 février 1863, à Marseille. Sa première prédication publique, le Vendredi Saint de 1863, dévoila son grand souci pour les âmes. Ainsi, il n'hésita pas à dire à ses auditeurs: "Tous vos crimes, si grands soient-ils, n'arriveront jamais aux proportions de l'amour infini de Dieu et de son infinie Miséricorde! De grâce, mes frères, quoi que vous ayez fait, quoi que vous fassiez, ne désespérez jamais de la miséricorde de Dieu: mais, pour cela, ne vous exposez pas au désespoir par une résistance opiniâtre à sa grâce qui vous sollicite, en ce moment même." 

Ordonné prêtre, Alcide Lataste fut envoyé au couvent de Bordeaux, et en septembre 1864, il reçut ce que l'on peut appeler la grâce de sa vie: il fut envoyé prêcher une retraite aux 400 femmes détenues de la prison de Cadillac, sa ville natale. Malgré tout le mal qui se disait sur ces détenues, Alcide s'adressa à elles en leur disant: "Mes chères sœurs!" Par ailleurs, Alcide-prédicateur fut rapidement étonné en constatant que de nombreuses détenues menaient une vraie vie de prière et souhaitaient se donner à Dieu.  

Appartenant à la Province de France des Dominicains, Alcide, en religion Frère Jean-Joseph, devait rentrer au couvent de Flavigny comme père-maître des frères étudiants. Mais avant d'assumer cette charge, il dut retourner à Cadillac, en septembre 1865, pour prêcher une nouvelle retraite aux prisonnières. Et il retrouva les détenues qui étaient restées fidèles aux orientations qu'il leur avait laissées: offrir à Dieu leur vie quotidienne, très difficile, de prisonnières. Frère Jean-Joseph fut également très impressionné par la nuit d'adoration devant le Très Saint Sacrement, que les 400 détenues passèrent à la chapelle. C'est alors qu'il envisagea pour elles, après leur sortie de prison, de créer une vie religieuse contemplative dominicaine. En effet, au cours de la nuit d'adoration des détenues, "il avait vu cette prison, objet de tristesse et d'effroi pour les hommes, transformée cette nuit en un lieu de délices, en un séjour de gloire et de bonheur."   

Dès lors, Frère Jean-Joseph proposa à celles qui sortaient de prison et qui le désiraient, de vivre leur idéal de consécration à Dieu, dans un même couvent que des religieuses vierges, sous le même habit religieux, celui de saint Dominique, afin que rien ne les distinguât les unes des autres. Toutes devaient s'accueillir avec miséricorde et comme sœurs, sans tenir compte de leur passé, sans jugement, et dans la discrétion. C'est ainsi que s'ouvrit, le 14 août 1866, et avec la collaboration d'une religieuse de la Présentation de Tours, Sœur Henri-Dominique qui vécut de 1822 à 1907, la première communauté des "Dominicaines de Béthanie ", sous le patronage de sainte Marie-Madeleine.  

En 1867, le Père Lataste put occuper une maison adaptée à son œuvre à Frasne-le-Château, village de Bourgogne-Franche-Comté situé à environ trente km de Vesoul et de Besançon: c'est ainsi que sa fondation prit racine avant de s'étendre en Italie, en Suisse, en Allemagne, aux Pays Bas, et aux États-Unis. Notons qu'en mars 1866, Frère Jean-Joseph Lataste fit publier une brochure, LES RÉHABILITÉES, qu’il envoya notamment aux députés et à de nombreux journalistes pour tenter de faire évoluer l’opinion publique à l’égard des femmes sortant de prison. En effet, le Père Lataste avait compris que la récidive de beaucoup d’anciennes prisonnières était due au fait que personne ne leur faisait confiance. Ainsi, la fondation de la maison de Béthanie ne se limitait pas à offrir la vie religieuse à quelques détenues qui le souhaitaient, mais était comme un signe destiné à faire évoluer les mentalités. Rapidement, à partir de 1870, les sœurs de Béthanie commencèrent à visiter les prisons de femmes. 

Le Père Jean-Joseph Lataste se dévouait sans compter au service de ses religieuses tout en poursuivant ses prédications. Mais bientôt, pendant le carême 1868, il fut frappé par une maladie pulmonaire, probablement une tuberculose, et mourut le 10 mars 1869. Il avait 37 ans. Jean-Joseph Lataste a été proclamé Bienheureux le 3 juin 2012 au Parc des expositions Micropolis de Besançon par le cardinal Angelo Amato, Préfet de la Congrégation pour la cause des Saints et délégué du Pape. Sa fête a été fixée au 5 septembre.  

Parlons maintenant de l'œuvre principale du Père Lataste. Nous savons déjà qu'il avait trouvé une aide puissante en la personne de Mère Henri-Dominique Berthier. Cette religieuse de la Présentation de Tours avait obtenu, en mai 1866, de pouvoir faire une retraite sous la direction du Père Lataste. Elle avait ensuite accepté de l'aider à fonder Les Sœurs de Béthanie.  Et le 14 août 1866, elle s'installa dans la maison de Frasnes-le-Château, près de Besançon. Toutefois, des réactions hostiles se manifestèrent, venant, notamment, des communautés du Tiers-Ordre régulier dominicain, sur lesquelles le Père Lataste avait le dessein de greffer Béthanie. Mais ces communautés du Tiers-Ordre, vouées le plus souvent à l'enseignement et à l'éducation des jeunes filles, avaient peur d'être assimilées par l'opinion publique à des "repenties". Cependant, le Père fondateur ne se découragea pas. Au contraire, cette hostilité lui parut être le signe de la bénédiction divine donnée à travers la croix. Finalement, les difficultés s'estompèrent et la fondation poursuivit son cours.  

Le Père Lataste, Dominicain, voulait rester Frère prêcheur. Aussi, pour rester fidèle à la vie communautaire-dominicaine, ne voulut-il pas s'installer à Frasnes. Il poursuivit les prédications que ses supérieurs lui demandaient et touchait les cœurs par sa conviction. Cependant les diverses maladies du Père avaient usé sa santé. Conscient de sa fragilité, il écrivit au Pape Pie IX une lettre dans laquelle il déclarait offrir sa vie pour que saint Joseph soit déclaré Patron de l'Église universelle et que son nom soit inséré au Canon de la Messe, ce que le pape Jean XXIII fera, mais seulement 100 ans plus tard.

Paulette Leblanc

 

 

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