Ignace Maloyan
Évêque, Bienheureux
1869-1915

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JUIN

Choukrallah Maloyan, naquit à Mardine le 19 avril 1869. Mardine est une ville  turque, située à l'est de la Turquie et à 20 kilomètres de la frontière syrienne. Elle est située sur une colline de 1200 mètres d'altitude.  

Le R. P. Joseph Tchérian, discernant en Choukrallah des signes de vocation, le fit envoyer, quand il eut quatorze ans, au couvent de Bzommar, village de la montagne libanaise, au Liban. Là, il fit ses études supérieures et, en 1896, le jour de la fête du Sacré-Cœur, il fut ordonné prêtre Bzommariste, c'est-à-dire du couvent de Bzommar, sous le nom d'Ignace, en souvenir du Saint martyr Ignace d'Antioche. En 1897, le R.P. Ignace fut envoyé en mission à Alexandrie, puis au Caire où il acquit la renommée d'un prêtre exemplaire. Pendant ses heures libres, il étudiait le français, l'anglais et l'hébreu, afin de mieux comprendre les Saintes Écritures.  

En 1904, sa Béatitude le Patriarche Boghos Bedros XII Sabbaghian, remarqua les qualités exceptionnelles d'Ignace et en fit son secrétaire particulier. Puis, le 22 octobre 1911, lors du Synode des évêques arméniens réunis à Rome, il fut élu archevêque de Mardine et sacré par Sa Béatitude Boghos Bedros XIII Terzian. Archevêque de Mardine, Ignace s'intéressa beaucoup  aux problèmes de ses ouailles, sur les plans matériel, social et spirituel. Il diffusa dans toutes les paroisses la dévotion au Sacré-Cœur et à la Mère de Dieu. Très estimé par les autorités turques, il fut même décoré par un des proches du Sultan, le "firman" El-Chahani. Cependant, les fidèles Arméniens de Mgr Maloyan, en contact avec des notables musulmans,  captaient des signes inquiétants et proposèrent à leur archevêque de s'enfuir; mais le bon Pasteur déclara "qu'un pasteur ne pouvait quitter ses brebis pour avoir la vie sauve."  

Nous sommes en avril 1915. La première guerre mondiale sévissait depuis plus de huit mois. C'est alors que les Arméniens résidant en Turquie, alliée de l'Allemagne, commencèrent à connaître de terribles épreuves. Le 24 avril 1915 débutait l'opération d'extermination des Arméniens par les Turcs. Le 30 avril 1915, des soldats turcs encerclèrent l'Église Arménienne et l'Archevêché de Mardine, prétextant que des armes y étaient cachées.  Comme les soldats n'en trouvèrent pas, ils détruisirent les archives et les dossiers de l'Archevêché. Le 1er mai 1915, Mgr Maloyan réunit ses prêtres pour les tenir au courant des menaces qui visaient les Arméniens. Il les exhorta à prier et à rester fermes dans la foi. Il leur lut son testament et les confia à la sollicitude de Mgr Ignace Tappouni, archevêque des syriens catholiques. 

Le 3 juin 1915, des officiers turcs traînèrent Mgr Maloyan devant le tribunal avec 27 membres de la communauté. Mamdouh Bey, chef de la gendarmerie, proposa alors à l'évêque de se convertir à l'Islam pour avoir la vie sauve. Le prélat lui répondit qu'il ne renierait jamais ni Jésus, ni l'Église et que c'était un bonheur pour lui de subir pour le Christ tous les sévices, même la mort. Alors, un des soldats le gifla brutalement. Mamdouh Bey, lui asséna des coups violents à la tête avec la crosse de son revolver. À chaque coup, Ignace disait: "Seigneur, prends pitié, Seigneur fortifie-moi." Croyant sa mort imminente, il cria d'une voix forte: "Qui d'entre vous, mes chers Pères, m'entend, qu'il me donne l'absolution." C’est le Père Kasparian qui réalisera ce vœu. Après cela, les soldats le torturèrent, lui arrachèrent les ongles des orteils et le forcèrent à marcher jusqu'à Chikhane, un village kurde, non loin de Biblos dans les montagnes du Liban.  

Monseigneur Maloyan souffrira jusqu’au 10 juin 1915, jour, où lui et 417 prêtres et notables seront emmenés en convoi, en dehors de la ville où ils seront torturés. Mahmoud Bey, le chef des gendarmes, lut la sentence suivante: "L’État vous a accordé ses bienfaits, mais vous avez trahi le pays. Vous serez donc condamnés à mort, à moins que vous ne vous convertissiez à l'islam. Auquel cas, vous serez libérés et reconduits à Mardine." Au nom de tous, Mgr Maloyan répondit: "Nous n’avons jamais été infidèles à l’État. Mais ne nous demandez pas d’être infidèles à notre religion; cela, jamais." 

Mgr Maloyan se mit alors à genoux, et tous l’imitèrent. Ils prièrent pour que leur soient accordés la force et le courage de mourir en martyrs. Les prêtres se donnèrent mutuellement l’absolution. Mgr Maloyan consacra du pain et le distribua. Les soldats turcs qui assistaient à la scène diront avoir senti des odeurs délicieuses. Le convoi fut ensuite conduit à la Citadelle de Zarzawan, et Mahmoud saisit son revolver et fit feu sur Mgr Maloyan qui tomba par terre en disant: "Seigneur, prends pitié de moi, entre tes mains je remets mon esprit." Mgr Ignace Maloyan avait 46 ans. 

Notons ici que les soldats turcs furent très étonnés en voyant la paix et le bonheur qui jaillissaient du visage des martyrs, heureux de mourir pour le Christ. 

Compte tenu des événements si graves qui se passent actuellement au Moyen-Orient, il m'a semblé important de vous donner les précisions suivantes. S'adressant aux chefs musulmans de Mardine, le député Hassan déclara, entre autres choses: "Aujourd’hui, l’Allemagne est avec nous et nos ennemis sont les siens; elle nous donnera sûrement la victoire dans la guerre actuelle et nous n’aurons à répondre de nos actes à personne. Débarrassons-nous des chrétiens pour être maîtres chez nous; telle est l’idée du gouvernement, ma position me permet de vous l’assurer, c’est aussi l’idée de tout l’islam."  

Le comité d’exécution était bien préparé; il avait à sa disposition un corps de miliciens créé surtout en vue de préparer les massacres dans les localités où ses hommes étaient envoyés. Ces miliciens, recrutés parmi les Kurdes, étaient des voleurs, des bandits, des assassins sur lesquels la justice turque, impuissante, avait fermé les yeux et qu’elle honorait maintenant de sa confiance. Les soldats passèrent la nuit du 10 au 11 juin 1915 à préparer les prisonniers pour leur transfert. Les prisonniers furent attachés par groupes de deux, trois ou quatre et un long convoi de 417 hommes, tous chrétiens, conduit par Memdouh escorté d’une centaine de gendarmes, de policiers et de miliciens, descendit la grande rue de Mardine. Les prêtres portaient les chaînes aux bras, quelques-uns avaient le cou assujetti par des anneaux de fer. Le convoi passa d’abord par le quartier musulman où les femmes et les enfants les invectivèrent, les insultèrent et leur jetèrent des pierres ou des immondices. Le convoi était fermé par l’évêque arménien, Monseigneur Maloyan. Quelques témoins ont parlé d'une véritable marche au calvaire.  

À six heures du matin, le convoi parvint dans un village kurde, Aderchek, près de Cheikhan. Memdouh Bey lut aux prisonniers leur condamnation à mort. Il proposa de libérer ceux qui se convertiraient à l’islam. Il termina son discours par cette phrase: "L’empire vous avait accordé hier mille privilèges, il vous accorde aujourd’hui trois balles." Monseigneur Maloyan lui répondit au nom de tous. Il refusa l’apostasie et rappela qu’il avait été un citoyen ottoman loyal. De même qu’il n’avait pas été traître à sa patrie, il ne trahirait pas sa religion. Puis l’évêque et les prêtres circulèrent parmi les prisonniers et les exhortèrent à affronter courageusement leur mort en restant attachés à leur foi. Il prit du pain, le consacra et les prêtres en distribuèrent les morceaux à chaque fidèle. Plus tard, des soldats et des Kurdes racontèrent aux chrétiens qui avaient apostasié, car, malheureusement il y en eu…  que, lors de la consécration et de la communion, un nuage épais avait caché les prisonniers et qu’une fois la prière achevée la nuée se dissipa.  

Trois dominicains français furent les principaux témoins de ces événements. L'un deux précisa que la ville de Mardine avait donné "au Ciel et à la terre le double spectacle d’une constance religieuse à l’antique et d’une fidélité admirable à sa seconde patrie." C'est ainsi que se passa la première phase du génocide arménien.  

Dans la nuit du 13 au 14 juin 1915, un 2ème convoi de chrétiens et de prêtres fut massacré. Le récit de la mort d’Ignace Maloyan et de ses compagnons du premier convoi de Mardin était d’une grande précision. Il permit de concevoir dans quel contexte avaient été perpétrés, à la même époque, dans tout l’Empire ottoman, des centaines de milliers de crimes.  

Ignace Maloyan sera béatifié le 7 novembre 2001 par le Pape Jean-Paul II. Ce jour-là, le saint Père déclara: "Mgr Ignace Maloyan, mort martyr à l'âge de 46 ans, nous rappelle le combat spirituel de tout chrétien, dont la foi est exposée aux attaques du mal. C'est dans l'Eucharistie qu'il puisait, jour après jour, la force nécessaire pour accomplir avec générosité et passion son ministère de prêtre, se consacrant à la prédication, à la pastorale des sacrements et au service des plus pauvres. Tout au long de son existence, il a pleinement vécu la parole de saint Paul: 'Ce n'est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de raison' (2  Tm 1, 14.7). Devant les dangers de la persécution, le bienheureux Ignace n'accepta aucun compromis, déclarant à ceux qui faisaient pression sur lui: 'A Dieu ne plaise que je renie Jésus mon Sauveur. Verser mon sang en faveur de ma foi est le plus vif désir de mon cœur!'. Que son exemple éclaire aujourd'hui tous ceux qui veulent être de vrais témoins de l'Évangile, pour la gloire de Dieu et pour le salut de leurs frères!"

Béatifié le 7 octobre 2001. 

Monseigneur Tappouni à qui Mgr Maloyan avait confié son diocèse, apprit la vérité de ce qui s'était passé grâce au médecin légiste militaire qui était son ami. Ce médecin avait accompagné le cortège et assisté aux exécutions. Ces informations sont d’autant plus précieuses que, les méthodes d’exécution des convois d’hommes ayant partout été les mêmes, elles permettent de se faire une idée exacte du sort des innombrables petits groupes d’hommes assassinés à travers l’Anatolie au voisinage des villes où ils avaient été arrêtés.

Paulette Leblanc

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