Narek est le nom ancien
d'un village kurde et musulman, qui se nomme aujourd'hui
Yemislik. C'est le village arménien où vécut saint
Grégoire de Narek, moine et prêtre arménien du Xe
siècle. Saint Grégoire de Narek a écrit une œuvre
théologique, littéraire et spirituelle extraordinaire
qui a traversé les siècles et les frontières. Le 12
avril 2015, le pape François qui assistait à un office
dans le rite arménien catholique, profita de cette
occasion, pour le déclarer 36e Docteur de
l’Église.
Cette
proclamation effectuée par le pape François, eut lieu le
dimanche 12 avril 2015 dans la basilique Saint-Pierre de
Rome, devant les fidèles de rite arménien réunis pour la
commémoration du centenaire du génocide des Arméniens,
en 1915. Jean-Pierre Mahé, membre de l’Institut et
traducteur de l’œuvre de saint Grégoire de Narek,
rappelle la communion qui exista entre l’Église
catholique et la civilisation chrétienne orientale
décimée au cours des siècles. Il écrit:
"Des 36 docteurs de l’Église, Grégoire de Narek est le
deuxième Oriental après saint Éphrem de Nisibe. Il ne
parlait ni le grec ni le latin et vivait hors des
limites de l’Empire byzantin. Il était très important,
dans l’état actuel de cette prise de conscience hélas
tardive pour les chrétiens d’Orient, que durant cette
année 2015, un autre Oriental devienne docteur de
l’Église."
Parlons maintenant de saint Grégoire de Narek. Né vers
940 ou 950, en Arménie près du lac de Van, le jeune
Grégoire, qui avait deux frères aînés, perdit
rapidement sa mère. Notons ici que le lac de Van, ou mer
de Bznunik en arménien classique, est le plus grand lac
de Turquie; il est situé à l’est du pays, sur le
haut-plateau arménien.
Mais
revenons à notre Grégoire. Son père commença l'éducation
de Grégoire, mais, bientôt, ce veuf décida d'entrer au
couvent et devint plus tard l'évêque Khosrov Andzévatsi
(le Grand) qui composa d'importants ouvrages
théologiques. Grégoire de Narek fut ensuite pris en
charge par son oncle, Anania Narékatsi, qui dirigeait le
monastère de Narek. Très vite, Grégoire se passionna
pour les études; il lisait notamment les Pères de
l'Église arménienne ainsi que les traductions des Pères
grecs. Il devint prêtre et peut-être higoumène de son
monastère et son influence devint grande. Il chercha à
réformer son monastère, ce qui lui valut bien des
ennuis. On l'accusa même d'hérésie.
Voici une petite légende qui vous amusera. À Saint
Grégoire de Narek, accusé d'hérésie, les évêques
envoyèrent une délégation chargée de lui tendre un piège
afin de pouvoir, ensuite, le conduire devant un tribunal
pour l'interroger sur sa foi. Mais Grégoire ayant
compris leurs intentions, invita ces délégués à un
repas. Un plat contenant des oiseaux cuits fut présenté.
Or c'était un vendredi, jour de jeûne. Naturellement,
les délégués furent scandalisés et convaincus que ce
qu’on disait de Grégoire était vrai. Alors, notre
Grégoire se tournant vers les pigeons cuits s'écria:
-Levez-vous, retournez à votre volière, car aujourd’hui
c’est jour d’abstinence. »
Et les oiseaux, retrouvèrent la vie et leurs plumes,
puis s’envolèrent. Devant ce miracle, les délégués
tombèrent aux pieds du saint pour lui demander pardon.
Et ils s’en furent raconter le prodige à ceux qui les
avaient délégués…
Dès
lors la renommée de Grégoire grandit de plus en plus, et
on lui demanda de nombreux écrits. Actuellement encore,
ses 'Élégies sacrées' où s'exprime son expérience
mystique, constituent le principal livre de prière de
l'Église arménienne. L’œuvre complète de saint Grégoire
de Narek a été éditée à Venise en 1840 par les Pères
Mékhitaristes, ordre monastique
catholique arménien fondé par
Mékhitar de Sébaste en
1700.
Voici le titre de quelques
œuvres de saint Grégoire de Narek. Il y a tout d'abord,
les Élégies Sacrées, composées en 1002. Puis, il
faut citer les hymnes destinées aux fêtes liturgiques,
un commentaire sur le Cantique des cantiques et
l'Histoire de la Croix d’Aparanq qui raconte le
transfert de la relique de la Vraie Croix de
Constantinople en Arménie en 983. Il y a également des
Panégyriques consacrés aux saints apôtres et aux
70 disciples, et le Panégyrique de Saint Jacques de
Nisibe, et enfin,
Le Livre des lamentations.
Parlons maintenant de la doctrine de saint Grégoire de
Narek. Grégoire passa toute sa vie dans le monastère de
Narek qui suivait la règle de saint Basile. Très savant,
et mystique, Grégoire, qui enseignait beaucoup, fut
impliqué dans les disputes doctrinales de son époque. Il
défendait les racines bibliques de l’Église, "l'épouse"
purifiée par les sacrements. Grégoire de Narek a inspiré
le monachisme arménien, et il joua aussi un rôle
essentiel dans la poésie, la littérature et la musique
arméniennes.
Pour
Grégoire de Narek, la liturgie était un chemin qui
initiait la conversion du cœur et jouait un rôle
important vers l’intériorité dans laquelle on pénètre
par les "discours à Dieu dans les profondeurs du
cœur." Grégoire nous a laissé plusieurs textes
mystiques et spirituels, généralement écrits à la
demande expresse de ses supérieurs. Les thèmes
principaux de cette œuvre sont la solidarité dans le
péché et le combat spirituel, la confiance en la
Miséricorde divine, et l’amour de la vie mystique. La
spiritualité de saint Grégoire de Narek a fortement
influencé les Églises arméniennes. Mais Grégoire de
Narek s’adressait également "à la multitude
innombrable des chrétiens assemblés dans tout l’univers".
Son œuvre embrasse toutes les époques et rejoint les
grands saints spirituels et mystiques de l’Église
universelle.
Grégoire de Narek fut proclamé docteur de l'Église le 12
avril 2015, par le pape François, à Rome, à l'occasion
du centième anniversaire du génocide arménien.
Voici d'autres informations glanées dans des documents
publiés sur Internet. Grégoire mourut à Narek où il fut
inhumé. De ce grand monastère où l’on enseignait
également les sciences, la philosophie et la musique, il
ne reste rien. En effet, le monastère fut pillé en 1895
pendant la période dite des massacres hamidiens ordonnés
par le sultan Abdülhamid II. Lors du génocide en 1915,
les 123 familles arméniennes du village ont été
massacrées. Enfin, ce qui restait du monastère de Narek
a été totalement rasé en 1951 sur ordre des autorités
préfectorales. À sa place une mosquée a été construite.
Saint Grégoire de Narek, est le plus grand poète et le
plus grand mystique et théologien de l’histoire de
l’Arménie. En conséquence, voici, pour terminer,
quelques traductions de ses œuvres.
Tout d'abord une sorte
d'aveu de ses fautes, notamment de son manque
d'humilité. Saint Grégoire de Narek écrit:
"J'ai été orgueilleux,
moi, poudre vivante, et fier, moi, argile parlante, et
hautain, moi, terreau vil. Je me suis exalté, moi,
cendre sordide; j'ai brandi le poing, moi, coupe
fragile. Je me suis accru plus qu'un roi.
Puis comme l'homme qu'on expulse je me suis reclus à
nouveau en moi. J'ai reflété l'incendie de la fureur,
moi, boue intelligente; ma présomption m'enfla comme
étant immortel, moi, de mort encloué comme les bêtes;
j'ai étendu les bras vers la passion de vivre, n'ai pas
tourné ma face mais mon dos; l'esprit ailé je me ruais
vers de noirs mystères; j'ai dégradé mon âme pure en
flattant mon corps."
(Traduit par Vahé Godel).
Mais
Grégoire sait que malgré ses erreurs, Dieu le sauvera,
et il s'adresse au Christ: "Rayon béni, soleil de
justice, Désir ardent, figure de lumière, Insondable et
très-haut, ineffable et puissant, Allégresse du bien,
vision de l’espérance, Dieu loué dans les cieux,
glorieuse royauté, Christ qui nous créas, vie partout
célébrée, Daigne emplir à présent, de ta souveraine
éloquence, Le défaut de ma voix, les multiples erreurs
de ma misère: Présente mes prières en agréable offrande
à la majesté de ton Père…" (Hymne traduit par Annie
et Jean-Pierre Mahé)
La
mystique de saint Grégoire de Narek veut combler l’abîme
qui le sépare de Dieu. Aussi cherche-t-il à exprimer,
pour le croyant, la nécessité de ressentir la proximité
immédiate de Dieu, et son cheminement personnel avec
Dieu fondé sur l’humilité. Vers la fin de sa vie, ce
grand mystique écrira, en langue arménienne classique,
un long poème, Le Livre des Lamentations,
chef-d'œuvre de la poésie arménienne médiévale. Il
écrira, à propos de son œuvre maîtresse de cinq cents
pages, le Livre des Lamentations: "Je l'ai
fondé, construit, meublé, poli, ornementé, conclu,
parachevé en une œuvre bellement homogène; j'ai
rassemblé tous mes écrits, moi, Grégoire, moine cloîtré,
poète dérisoire, savant de peu de poids, avec l'appui de
mon saint frère Jean, moine lui-même du très honorable
et très glorieux Monastère de Narek…"
Grégoire avait deux frères aînés, tous les deux moines à
Narek. Jean, moine copiste, l'aida à parachever son
œuvre. Godel, son autre frère, voulut faire comprendre
que Grégoire aimait particulièrement la Vierge Marie,
qui remplaça sa mère défunte. Godel estimait, en effet,
que orphelin de mère, très jeune, il exprimait sa peine
dans sa Prière à la Sainte Vierge qu'il louait en
ces termes: "Toi la seule bénie par les lèvres
chastes des bouches bienheureuses, une seule goutte du
lait de ta virginité, pleuvant en moi, me donnerait la
vie..."
Paulette Leblanc |