Isabelle d'Aragon, que l'on connaîtra plus tard sous le
nom d'Élisabeth de Portugal, naquit en 1271. Son père
deviendra roi du Portugal sous le nom de Pierre III
d'Aragon et de Sicile, dit "Le Grand" en 1276. Sa mère
était constance II de Sicile. Élisabeth était aussi la
petite nièce de sainte Élisabeth de Hongrie. Son père la
maria, à peine âgée de 12 ans, le
24 juin 1282,
à
Denis Ier
sixième
roi de
Portugal,
fils d’Alphonse
III
(1210-1279)
et de
Béatrice de Castille
(1242-1303).
De cette union naquirent deux enfants:
Constance,
qui épousa
Ferdinand IV,
roi de
Castille,
et
Alphonse
qui sera roi de Portugal (de
1325
à
1357)
après la mort de son père.
Denis
du Portugal était un homme licencieux et égoïste, mais
très habile. Élisabeth s’associa pleinement aux actions
de son mari qui défendait la cause des petits contre les
abus des nobles, fonda des hôpitaux et des universités.
En effet, Denis sut mettre en valeur ses états:
plantation de pins pour construire une flotte puissante,
développement rationnel du commerce et de l'industrie.
Prenant ses distances envers la Castille, il créa à
Lisbonne, l'Estudo geral, début de la future
université. Il nationalisa les ordres militaires de
Calatrava et de Santiago confortant ainsi
l'unité de son royaume. En 1312, il transforma et rénova
les Templiers en Ordre du Christ. Par ailleurs,
Élisabeth se montra l'artisane de la paix entre les rois
du Portugal, de Castille et d'Aragon.
Tout en étant conseillère et modératrice de son mari,
Élisabeth témoignait d’une vie spirituelle profonde.
Malheureusement, la vie privée du roi, très infidèle, ne
lui apportait guère de consolations; mais Élisabeth se
taisait et priait, tandis que son entourage, même son
propre fils, la poussait à la révolte; mais elle résista
et empêcha le père et le fils de se combattre. Elle paya
sa démarche par un dur exil à la forteresse d’Alemquer,
mais elle poursuivit discrètement son rôle de
réconciliatrice; finalement la paix se rétablit entre
père et fils.
Ici, nous devons faire une parenthèse: en effet, il est
impossible de raconter la vie d'Élisabeth de Portugal
sans s'arrêter sur le caractère de son époux. Denis,
souverain intelligent et éclairé, bon administrateur
autant que brave soldat, bon, pondéré et juste, était un
mari très infidèle. Il chérissait son épouse qu’il
trompait pourtant régulièrement:
— C'est
plus fort que moi, avouait-il à Élisabeth,
pourtant, je vous aime.
La
noble offensée rétorquait:
— Certes,
vous m'offensez et j'en pleure. Pourtant, c'est le divin
amour que vous bafouez. Devant lui, nous sommes unis à
jamais.
Alors, pour se faire pardonner, le roi Denis acceptait
que sa femme distribuât d'importantes aumônes, car,
disait-elle à ceux qui estimaient qu'elle en faisait
trop:
— Je
ne puis entendre les gémissements de tant de pauvres
mères et la voix des petits-enfants. Je ne puis voir les
larmes des vieillards et les misères de tant de pauvres
gens sans m'employer à soulager les malheurs du pays.
Les biens que Dieu m'a confiés, je n'en suis que
l'intendante, pour secourir toutes détresses.
La
reine prit même soin des enfants illégitimes de son
époux. On le lui reprocha, mais elle estimait que "ces
bâtards du roi étaient des petits innocents". Elle
leur procurait donc de bonnes nourrices et une éducation
chrétienne. Cependant, ce n'était pas suffisant pour son
mari irritable, et jaloux. C'est alors que, fâché contre
lui-même, le roi Denis s'en prit durement à Élisabeth,
sa chère épouse, et la séquestra au château d'Alemquer.
Les courtisans plaignaient l'exilée qui leur répondait:
— La divine providence veillera parfaitement sur mes
intérêts. Je les lui abandonne. Finalement, Dieu saura
faire éclater mon innocence et enlever de l'esprit du
roi, mon seigneur, les mauvaises impressions que j'ai pu
lui causer. De
fait, le pauvre Denis s'excusa bientôt à genoux et la
combla de cadeaux… Mais les méfaits du roi Denis ne
s'arrêtaient pas là et, pour mieux montrer la sainteté
de son épouse, nous nous permettons de vous raconter
plusieurs événements très significatifs.
Un
jour d’hiver le roi Denis, très en colère, pensant que
le tablier de son épouse était plein de pièces d'argent
destinées aux pauvres, l’arrêta brusquement et lui
ordonna:
— Ouvrez
votre tablier, Madame, et découvrez votre fardeau.
Au
lieu de l'argent qu'il escomptait récupérer, le roi
découvrit des fleurs magnifiques, spécialement des roses
épanouies, totalement hors-saison. Honteux et confus, il
s'excusa mais demeura songeur: "Je croyais bien
trouver de l'argent destiné aux gueux. J'ai trouvé une
brassée de belles fleurs, largement épanouies en plein
hiver. Mon épouse serait-elle une sainte?" À cause
de ce miracle des fleurs, Élisabeth de Portugal
sera représentée avec un tablier ouvert empli de roses.
À
partir de 1315, après avoir vécu quelques événements
surprenants montrant clairement que la main de Dieu
était là, en faveur de son épouse, et ayant,
indirectement provoqué la mort de l'un de ses pages, le
roi Denis, se convertit. Honteux d'avoir pu causer la
mort d'un homme par jalousie, le roi Denis s'appliqua à
réparer ses erreurs passées.
Nous devons ajouter que la reine Élisabeth avait le don
de réconcilier les gens; ainsi, en 1317, le
prince-héritier Alphonse, marié à l'infante de Castille,
craignant d'être supplanté par les bâtards de son père,
fomenta une conspiration contre Denis et s'avança avec
une armée. Élisabeth s'interposa en disant:
— Fils bien-aimé, renoncez à cet affrontement. Je ferai
tout pour préserver vos droits. De plus, quant au fond,
votre père n'est-il pas juste et bon?
La
réconciliation s'accomplit bientôt entre le père et le
fils, et le pape Jean XXII félicita la souveraine.
Élisabeth obtiendra aussi la réconciliation de Ferdinand
IV, roi de Castille avec Alphonse de Cerda, son cousin
germain, qui se disputaient la couronne. Elle
réconciliera aussi Jacques II, roi d'Aragon, son propre
frère, avec le roi de Castille, son gendre. Toujours
apaisante et tutélaire, la reine de Portugal arrangeait
les affaires et réconciliait les antagonistes. Son
talent de pacificatrice était tellement connu et reconnu
que peuple affirmait, disant:
— Tant
que vivra Dame Élisabeth, nous vivrons en paix.
En
1324, le roi Denis tombe gravement malade et son épouse
s'applique à bien le préparer à la mort:
— Somme
toute, Majesté, lui disait-elle, les rois ne sont
que les bergers de leur peuple. Ensemble, détestons nos
péchés. Ils nous seront remis par la divine Bonté qui
nous ouvrira les portes du ciel.
L'année suivante, en 1325, à Santarem, sur la rive
droite du Tage, le roi Denis mourut saintement.
La
reine Élisabeth assista aux funérailles solennelles de
son époux et accompagna son corps jusqu'au monastère
cistercien d'Odivelas, sépulture royale, puis elle fit
un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle où elle
offrit au sanctuaire la couronne d'or qu'elle avait
portée le jour de son mariage. Elle aurait voulu se
retirer dans le couvent des clarisses de Coimbra, dont
elle était la seconde fondatrice pour finir sa vie, mais
elle recula: elle devait continuer à secourir les
pauvres et travailler à établir ou rétablir la paix.
Élisabeth prit cependant l'habit du tiers-ordre de
Saint-François, et habita une maison proche du
monastère. Elle pouvait aller chez les moniales, et,
dans sa maison il y avait toujours cinq religieuses du
monastère avec lesquelles elle priait, récitait l'office
et vivait en communauté.
Nous sommes en 1336. Apprenant que son fils Alphonse et
son petit-fils, le roi de Castille, entraient en guerre,
elle se rendit à Estremoz chez son fils et rétablit la
paix. Mais elle tomba bientôt malade. Tandis que
Béatrice, sa belle-fille lui tenait affectueusement la
main, Élisabeth lui dit:
— Approchez
donc un siège, mamie.
La
princesse Béatrice répond:
— Mais
il n'y a personne pour l'occuper.
La
Reine réplique:
— Sûrement
que si; en effet, j'aperçois une belle dame radieuse,
vêtue d'une robe éclatante de blancheur. Elle vient me
chercher. Je la reconnais: c'est Marie, mère de toute
grâce.
Nous étions le 4 juillet 1336. Ce furent ces dernières paroles d'Élisabeth de
Portugal qui mourut immédiatement après. On l'ensevelit
chez les Clarisses de Coimbra. Elle fut canonisée le 25
mai 1626, par le pape Urbain VIII. Sa fête qui
avait été transférée du 4 juillet au 8 juillet, par
Innocent XII (1695) fut de nouveau fixée au 4 juillet
par le pape Paul VI.
Paulette Leblanc |