Tout le monde a
entendu parler des 16 Carmélites de Compiègne guillotinées à Paris
le 17 juillet 1794, sur la place de la Nation. Mais avez-vous déjà
entendu parler de la doyenne de ces carmélites, Sœur Charlotte de la
Résurrection, guillotinée avec ses sœurs et béatifiée comme elles,
le 27 mai 1906 par le pape Pie X ?
Anne-Marie-Madeleine-Françoise
Thouret, notre bienheureuse Charlotte, naquit à Mouy, dans le
diocèse de Beauvais, le 16 septembre 1715. Ses parents étaient des
notables aisés. L'enfance d'Anne-Marie fut très joyeuse, mais
grandement perturbée par le décès de son père, en 1724, puis par le
remariage de sa mère. De plus, elle supportait mal l'autorité de son
beau-père.
Anne-Marie
devint une très belle jeune fille qui aimait beaucoup la danse. Elle
profitait de toutes les occasions pour aller danser se dérobant
ainsi aux exigences de sa famille. Toujours joyeuse et jolie, elle
était très recherchée en raison de sa gaité. Pourtant, un événement
qu'elle qualifia de "si tragique", mais dont personne ne sut
jamais rien, lui fit prendre la décision de ne plus jamais mettre
les pieds dans une salle de bal. Sa vie changea profondément, et en
1736, âgée de 21 ans, elle entra au Carmel de Compiègne.
Anne-Marie resta
au noviciat pendant cinq années, ce qui est la preuve que sa
formation à la vie du Carmel fut très difficile. Enfin, en 1741, la
prieure accepta de l'admettre aux vœux perpétuels et elle devint
Sœur Charlotte de la Résurrection. Elle devint alors infirmière
au couvent. Et les années passèrent... Pourtant il y avait dans
l'esprit des Carmélites de Compiègne quelque chose de surprenant: en
effet, un siècle avant la Révolution française, une carmélite de ce
monastère, sœur Élisabeth-Baptiste, avait vu, en songe, les
religieuses de son couvent dans la gloire du ciel, revêtues de leur
manteau blanc et tenant une palme à la main. Cela signifiait-il
qu'un jour, les religieuses seraient condamnées au martyr? On ne le
savait pas mais cela restait présent dans l'esprit des Carmélites de
Compiègne.
Nous voici en 1789. Lorsque la Révolution Française éclata, Sœur
Charlotte de la Résurrection avait 74 ans. Elle était la doyenne de
son couvent de Compiègne et marchait difficilement. Le décret du 13
février 1790, qui supprima les Ordres religieux en France, obligea
chaque religieuse à déclarer si elle souhaitait quitter son
monastère. Toutes les Carmélites de Compiègne déclarèrent qu'elles
voulaient "vivre et mourir dans leur sainte maison."
Pourtant, en septembre 1792, la situation s'aggravant, la mère
prieure proposa aux religieuses, de faire un acte de consécration
par lequel "la communauté
s'offrirait en holocauste pour apaiser la colère de Dieu, et pour
que cette divine paix que son cher Fils était venu apporter au monde
fût rendue à l'Église et à l'État".
Cette
consécration fut faite dans un grand enthousiasme par toutes les
religieuses. On sait que deux, parmi les plus âgées, hésitèrent
d'abord, puis se joignirent à leurs sœurs. On ne sait pas si Sœur
Charlotte, la plus âgée, fut l'une des deux hésitantes. D'ailleurs
cela importe peu. Dès lors, chaque jour, la communauté renouvelait
sa consécration et son engagement à mourir pour la France. Et le 14
septembre 1792, les carmélites furent expulsées de leur couvent.
Elles furent hébergées dans la ville de Compiègne par quelques
familles, et vécurent réparties en petits groupes dans quatre
maisons, étroitement surveillées par la police locale, tout en
continuant à mener secrètement leur vie de carmélites et d'assister,
discrètement, à la messe.
Nous sommes le
23 juin 1794. La Terreur existait déjà depuis de longs mois, mais
les lois de Prairial, an 2, c'est-à-dire le 10 juin 1794, durcirent
la politique antireligieuse de la France révolutionnaire, et ce fut
la grande Terreur. Ce 23 juin 1794, les carmélites de Compiègne
furent arrêtées et incarcérées dans l'ancien couvent de la
Visitation devenu prison; puis elles furent envoyées à Paris, le 12
juillet 1794, pour être jugées.
Arrivées dans la
cour de la Conciergerie après un voyage harassant, les sœurs, les
mains liées dans le dos, durent se débrouiller comme elles le
pouvaient pour descendre rapidement de la charrette. Ne pouvant se
déplacer seule et sans l'aide d'une canne, sœur Charlotte ne pouvait
descendre de la charrette. Aussi fut-elle si violemment projetée à
terre par l'un de ses bourreaux qu'on la crut morte, ce qui provoqua
la colère des témoins pourtant peu favorables à ces prisonnières.
Le jugement,
très sommaire, eut lieu le 17 juillet 1794. Les Carmélites furent
condamnées à mort, et exécutées immédiatement, place de la Nation.
Leurs corps furent jetés dans une fosse commune du cimetière de
Picpus.
Sœur Charlotte
de la Résurrection fut béatifiée en même temps que les autres
carmélites de Compiègne le 27 mai 1906 par le pape Pie X. Elle est
fêtée avec ses autres sœurs martyres, le 17 juillet.
Voici maintenant
quelques détails sur le martyre des carmélites de Compiègne.
Le 17 août 1792,
le gouvernement révolutionnaire ordonna l'évacuation de tous les
couvents. Le 14 septembre 1792, les carmélites de Compiègne furent
chassées de leur couvent qui devint un bien national et fut démoli.
Sœur Charlotte, âgée de 77 ans quitta le monastère et son costume
religieux. Elle trouva refuge dans une demeure du quartier Saint
Antoine de Compiègne où elle vécut, avec trois autres sœurs, dans un
dénuement total. Elles étaient même souvent obligées de mendier leur
pain.
Le 21 juin 1794,
suite à une dénonciation, les quelques demeures où étaient
installées les carmélites furent perquisitionnées. Les policiers
saccageant tout, découvrirent quelques lettres, un portrait du roi
Louis XVI et des images du Sacré-Cœur. Les carmélites furent alors
soupçonnées de complot contre le gouvernement. Leur arrestation et
leur incarcération au monastère de la Visitation Sainte-Marie
transformé en prison, furent réalisées avec une incroyable
brutalité. Dans sa hâte, Sœur Charlotte revêtit le seul costume
qu'elle possédait: son habit religieux. L'affaire des carmélites
étant jugée très grave, elle devait être portée devant le tribunal
révolutionnaire de Paris. Donc, le 12
juillet 1794, avec ses quinze autres sœurs elle fut
transférée à la Conciergerie, à Paris.
Arrivée à Paris
une nouvelle brutalité s'abattit sur notre Sœur Charlotte. En effet,
doyenne de ses sœurs, et, pour l'époque, très âgée: elle avait 79
ans, infirme, et les mains ligotées dans le dos depuis le début du
voyage, elle ne pouvait pas descendre de la charrette. Deux
sans-culottes la projetèrent alors brutalement sur le pavé. Son
visage fut blessé. Pourtant elle se releva
péniblement, sans une plainte. Elle fut ensuite jetée dans un cachot
répugnant et où s'entassaient déjà de nombreuses personnes qui
devaient être exécutées prochainement. Dans sa bonté, et malgré ses
blessures, Sœur Charlotte prodigua des soins et des paroles de
consolation aux prisonniers. Puis elle pria. Bientôt le procès des
carmélites eut lieu. Fouquier-Tinville tenait le rôle d'accusateur
et la condamnation à mort fut prononcée,
car ces femmes "machinaient contre la République". Une heure
plus tard, la sentence fut exécutée, sur la place de la Nation".
Mais, pour aller jusqu'à la place de
la Nation, la charrette dans laquelle se trouvaient les carmélites
devait affronter la foule massée de chaque
côté des rues de Paris. Curieusement, cette foule, si hurlante
d’ordinaire, se tut soudain en voyant les religieuses; et c'est dans
ce silence impressionnant qu’elles entonnèrent le Veni Creator
puis le Magnificat. Enfin, revêtue de l’habit blanc
monastique, Sœur Charlotte descendit de la charrette et se rangea
parmi ses compagnes tout en continuant de chanter. Agenouillée, elle
baisa la statuette de la Vierge que lui tendait la mère supérieure,
et reçut sa bénédiction. Le visage
radieux, pur et paisible de Sœur Charlotte et de ses compagnes força
l’admiration des Parisiens. Lorsque les bourreaux aidèrent Charlotte
à monter les marches de l'échafaud, on l'entendit murmurer d'une
voix douce:
"Mes amis, je vous pardonne de
tout mon cœur."
Le procès et
l’exécution des Seize Carmélites au cours de la Grande Terreur de
l’an II, 1794, représentent un des épisodes célèbres et douloureux
du divorce entre l’Église catholique et la Révolution.
Paulette Leblanc |