Fils d’un officier au service de Charles-Quint qui avait
pris part au sac de Rome en 1527, Camille de Lellis
naquit à Bocchianico, dans les Abruzzes alors Royaume de
Naples, le 25 mai 1550. Sa mère mourut quand il était
encore enfant, et son éducation fut tout à fait
négligée. Encore jeune, il devint soldat au service de
Venise
puis de
Naples,
jusqu'en
1574,
quand son régiment fut dissous. Pendant son temps de
service, il devint un joueur invétéré au point que ses
pertes au jeu le réduisaient parfois au dénuement le
plus total. Quand il fut atteint d’un ulcère incurable
au pied, il alla se faire soigner à l’hôpital romain de
Saint-Jacques des Incurables où, ne pouvant payer, il
fut employé un mois comme infirmier.
Comme il avait transformé sa chambre en salle de jeux,
on le chassa de l’hôpital et, à la fin de 1569, il
s’enrôla dans l’armée vénitienne qui allait combattre le
sultan Sélim II. Puis il voulut servir don Juan
d’Autriche mais la dysenterie l’empêcha de participer à
la bataille de Lépante (1571). Il fut bientôt renvoyé de
l'armée. Il fit alors tous les métiers et il recommença
à vivre du jeu, plus ou moins bien d'ailleurs. Un jour,
il rencontra deux franciscains dans les rues de Zermo,
et il fit le vœu de renoncer aux désordres de sa vie;
mais il oublia très vite ses bonnes dispositions.
Il
embarqua sur les galères napolitaines en route vers
Tunis, mais il fut près de périr dans une tempête qui
dura trois jours et trois nuits, ce qui le remua
fortement. Ayant perdu au jeu son épée, son arquebuse,
son manteau et sa chemise, il fut réduit à la mendicité;
cela dura jusqu’en 1575… Il se fit alors engager comme
manœuvre chez un entrepreneur qui construisait le
couvent des Capucins de Manfredonia. Et c'est là qu'il
se convertit. En effet, Camille vécut des événements
étonnants:
– Un
soir, son entrepreneur l’envoya faire une course au
couvent; le père gardien le prit à part et lui dit qu'il
devrait se donner à Dieu.
– Le
lendemain, alors qu’il revenait à cheval tout en
songeant à la con-versation de la veille, il tomba de sa
monture et, dans une intense lumière inté-rieure, il vit
ses péchés avec le jugement de Dieu. Il s'écria:
— Ah!
Malheureux, misérable que je suis, pourquoi ai-je connu
si tard mon Seigneur et mon Dieu? Comment suis-je resté
sourd à tant d’appels? Que de crimes! Ne vaudrait-il pas
mieux que je ne fusse jamais né? Pardon, Seigneur,
pardon pour ce misérable pécheur que je suis.
Laissez-moi le temps de faire une vraie pénitence. Je ne
veux plus rester dans le monde, j’y renonce à jamais.
Camille demanda son admission au couvent des capucins de
Manfredonia. Il y fut admis et envoyé à Trivento, pour y
faire son noviciat. Sur le chemin qui le conduisait de
Manfredonia à Trivento, un soir, comme il s’apprêtait à
traverser une rivière, une voix cria, comme venant du
haut d’une montagne:
— Ne
va pas plus loin, ne passe pas!
Il
regarda pour voir qui lui parlait, et, n’apercevant
personne, il continua son chemin; mais la même voix se
manifesta trois fois. Camille s'arrêta et revint sur
ses pas. Il passa la nuit sous un arbre. Le lendemain,
il apprit que la rivière qu'il devait traverser était si
profonde qu’il se serait noyé s'il l'avait traversée.
Dès lors sa vie fut parfaite, mais la plaie de sa jambe
s’étant rouverte il dut retourner à l’hôpital romain de
Saint-Jacques des Incurables où il se mit sous la
direction de saint Philippe Néri.
Camille guérit. Mais il s'était vite rendu compte de la
grande détresse des autres malades. Aussi voulut-il
rester comme infirmier, et il devint l'économe de
l'hôpital. Il se montra excellent gestionnaire.
Cependant l'indifférence de ses collègues vis-à-vis des
malades le bouleversa. Il se sentait comme appelé à
réformer tout cela, car, en prenant soin des malades, ce
seraient les plaies du Christ qu'il soignerait. Camille
envisagea alors de réformer les soins et, avec le
chapelain et quatre infirmiers, de créer, en août 1582,
une association d’infirmiers; mais il échoua devant
l’incompréhension des directeurs de l’hôpital.
Pourtant la charité rayonnante de Camille de Lellis
continuait à lui attirer de jeunes disciples. Les
membres de ce groupe se réunissaient pour prier
ensemble. Pleins d'amour pour les malades, ils furent le
noyau initial des Clercs Réguliers des Infirmes que l'on
appellera familièrement par la suite les "Camilliens".
La mission de ces nouveaux religieux, pères et frères,
est "l'exercice des œuvres spirituelles et
corporelles de miséricorde envers les malades, même
atteints de la peste, tant dans les hôpitaux et prisons
que dans les maisons privées, partout où il faudra."
Pour mieux établir son Institut, Camille comprit qu’il
lui fallait être prêtre: aussi, tout en continuant son
travail d’économe de l’hôpital, allait-il suivre les
cours du Collège Romain.
Ordonné prêtre, Camille célébra sa première messe dans
la chapelle de l’hôpital Saint-Jacques des Incurables le
10 juin 1584. Camille avait trente quatre ans. Il
abandonna sa charge d’économe, quitta l’hôpital et, le 8
septembre 1584, il reçut ses premiers disciples qui
furent employés à l’hôpital du Saint-Esprit. Le 18 mars
1586 les nouveaux religieux furent reconnus par le pape
Sixte V. Comme ils n'avaient pas de chapelle, les
nouveaux religieux obtinrent le couvent de la Madeleine
et les logis adjacents. Le 8 septembre 1591, fête de la
Nativité de la Sainte Vierge, en l’église du couvent de
la Madeleine, les vingt-cinq premières professions
furent émises. Chaque camillien s'offrait à Dieu en
disant: "Je vous promets de servir les pauvres
malades, vos fils et mes frères, tout le temps de ma
vie, avec le plus de charité possible."
L'œuvre de Camille de Lellis, l’Ordre des Clercs
réguliers Ministres des infirmes, plus connu sous le
nom de Camilliens, fut approuvée par le pape
Grégoire XIV le 21 septembre 1591. Camille devint le
premier préfet général de son ordre, charge qu’il
abandonna en 1607. Atteint de graves infirmités, épuisé
par de nombreux voyages, Camille de Lellis mourut à
Rome, au couvent de la Madeleine, le 14 juillet 1614.
Quand le cardinal Ginnasio lui porta le viatique, il
dit: "Je reconnais, Seigneur, que je suis le plus
grand des pécheurs et que je ne mérite pas de recevoir
la faveur que vous daignez me faire; mais sauvez-moi par
votre infinie miséricorde. Je mets toute ma confiance
dans les mérites de votre précieux sang."
Camille de Lellis laissait 15 maisons et 8 hôpitaux à
242 profès, répartis en 5 provinces. Benoît XIV le
béatifia le 2 février 1742 et le canonisa le 29 juin
1746. Un décret de la congrégation des Rites (15
décembre 1762), signé par Clément XIII le 18 juillet
1762, étendit sa fête à toute l’Eglise. Léon XIII le
proclama, avec saint Jean de Dieu, patron des malades et
des hôpitaux le 22 juin 1886). Pie XI le proclama patron
du personnel des hôpitaux le 28 août 1930.
Nous
nous permettrons maintenant quelques petites remarques:
Les
camilliens allèrent jusqu’à s’engager à prendre soin des
pestiférés, ce qui entraîna en 1657, la mort de 96 des
100 religieux de cette ville. Il faut dire que les
religieux de saint Camille méditaient sérieusement la
Passion du Christ. Ils y trouvaient des raisons de se
consacrer complètement aux malades. Ils préparaient les
grands malades à la mort en les amenant à avoir les
mêmes sentiments que Jésus-Christ. Ils leur
recommandaient de régler tout d’abord leurs affaires en
rédigeant leurs testaments afin de se libérer des
préoccupations matérielles. Ils leur apprenaient à
accepter la mort en l’offrant à Dieu en union avec le
Christ qui a su mourir en remettant sa vie entre les
mains de son Père. Pour ces religieux du XVIe siècle, il
s’agissait en mourant de demander à Dieu de vouloir bien
recevoir leur âme dans le sein de sa gloire. Il y a là
une immense espérance joyeuse, une confiance dans
l’amour de Dieu qui nous reçoit pour la vie éternelle.
Paulette Leblanc |