Bruno serait né à
Cologne,
vers
1030,
en
Allemagne,
d'une famille de haut rang dont le nom est peut-être
Hartenfaust.
Il commença ses études dans sa ville natale, à la
collégiale de Saint-Cunibert. Il aurait quitté Cologne
assez jeune pour continuer
ses études à
Reims,
ville réputée à l'époque pour la qualité de ses
enseignants.
Vers 1055, il revint à Cologne pour recevoir de
l’archevêque Annon, avec la prêtrise, un canonicat à
Saint-Cunibert. En
1057,
l'archevêque
de Reims,
Gervais de Belleme,
lui confia la direction de l'école dont il avait été
l'élève. Il y enseigna la
grammaire, la philosophie et
la
théologie
pendant 20 ans.
En
1067,
Gervais, l'archevêque de
Reims,
mourut; il fut remplacé par un homme sans scrupules,
Manassès de Gournay
qui pillait les biens de l'Église. Voulant cependant
avoir l'estime du clergé, Manassès nomma Bruno
chancelier de la
cathédrale
et directeur de toutes les écoles de Reims. Cependant
l'attitude de Manassès devenant de plus en plus
insupportable, un concile, réuni à
Lyon
en février 1080, prononça sa déposition. Cette sentence
fut confirmée par le pape
Grégoire VII
qui ordonna au clergé de Reims de chasser l'indigne
archevêque et d'en élire un nouveau à sa place.
De nombreuses personnes pensèrent alors à Bruno pour
remplacer Manassès de Gournay sur le siège
archiépiscopal de Reims. Mais Bruno, qui avait déjà
formé le dessein de se consacrer, dans la solitude, à la
prière avec quelques amis, refusa donc le siège
prestigieux qui avait été naguère celui de
saint Rémi.
Bruno mit de l'ordre dans ses affaires et donna tous ses
biens aux pauvres, puis, en
1083,
avec deux amis, il se rendit en
Bourgogne,
où saint
Robert de Molesmes
leur remit un ermitage qu'il jugeait propice à la
recherche de Dieu. Mais Bruno voulait encore plus de
solitude.
Il est intéressant, maintenant, de connaître comment
Bruno fut appelé à une vie d'ermite.
D'après une tradition que répètent les historiens
chartreux, cette résolution aurait été fortifiée en lui,
en 1082, par l'épisode parisien des funérailles du
chanoine Raymond Diocrès qui se serait trois fois levé
de son cercueil pour se déclarer jugé et condamné au
tribunal de Dieu. Que se passa-t-il au juste pour que ce
fait tragique décidât de la vocation de Bruno?
Nous
venons de comprendre que Bruno avait un ami, à
l'université de Paris, le célèbre chanoine Raymond
Diocrès, dont tout le monde admirait la vertu et la
science. Or cet ami vint à mourir, et pendant ses
obsèques solennelles, Bruno entendit soudain ces
paroles: "Réponds-moi, quelles sont mes iniquités?" Le
mort se releva et dit d'une voix effrayante: "Je suis
accusé par un juste jugement de Dieu!" Une panique
indescriptible s'empara de la foule, et la sépulture fut
remise au lendemain; mais le lendemain au même moment de
l'office, le mort se leva de nouveau et s'écria: "Je
suis jugé par un juste jugement de Dieu!" Une nouvelle
terreur occasionna un nouveau retard. Enfin, le
troisième jour, le mort se leva encore et cria d'une
voix encore plus terrible: "Je suis condamné au juste
jugement de Dieu!"
S'agit-il d'une légende ou d'un fait réel, nous ne le
saurons probablement jamais. Ce qui est sûr, c'est que,
en 1083,
Bruno brisa les derniers liens qui le retenaient au
monde; il alla d'abord en Bourgogne, avec ses deux
compagnons. Puis, conseillé par saint Robert de Molesme,
Bruno s'adressa au saint évêque Hugues qui, répondant à
ses aspirations vers une solitude plus profonde, leur
indiqua un désert affreux et grandiose à la fois, connu
sous le nom de Grande-Chartreuse, situé à 1175 mètres
d'altitude. On disait, à l'époque, que ce site
grandiose était à la fois très isolé au fond d'une forêt
épaisse et peuplé de bêtes sauvages. En fait, il s’agit
d’une vallée étroite et resserrée des Préalpes, où de
grands sapins laissent à peine pénétrer la lumière, et
que les neiges isolent presque complètement du monde
extérieur durant l'hiver interminable.
Le
cadre austère de la Grande Chartreuse paraissait
approprié à la forme de vie entièrement centrée sur Dieu
que Bruno désirait. Quelques cellules en bois et une
chapelle furent rapidement construites. Les petits
ermitages étaient reliés entre eux par une galerie qui
permettait aux moines de se rendre en toute saison à
l'église, pour les Matines, les Vêpres, et parfois à la
messe qui, alors, n’était pas quotidienne. Ils prenaient
ensemble le repas du dimanche, suivi du chapitre. Le
travail, la prière, et un profond silence furent pour
Bruno et ses compagnons l'ambiance de leurs premières
années de retraite à la Grande-Chartreuse. Notons au
passage que les compagnons de Bruno étaient alors au
nombre de six. En effet, Saint Bruno savait joindre sa
soif intense de la rencontre de Dieu dans la solitude, à
une capacité exceptionnelle de se faire des amis, et de
faire naître parmi eux un intense courant d'affection.
Petit détail amusant: une tradition de l'Ordre raconte
que saint Hugues aurait vu, dans un songe, les sept
ermites sous l'apparence de sept étoiles.
Bruno croyait finir sa vie en paix dans le silence et la
pénitence. Mais au bout de six ans, le Seigneur en
décida autrement: en 1090, Bruno dut quitter sa retraite
et devenir le conseiller du saint Pape Urbain II, un de
ses anciens élèves qui sollicitait ses conseils sur les
réformes à entreprendre dans l'Église. Bruno refusa
l'archevêché de Reggio que le pape Urbain II aurait
voulu lui confier, et en 1092, il alla fonder, en
Calabre, de nouveaux ermitages. C'est dans l'un d'eux,
la Chartreuse de San Stefano in Bosco qu'il put
retourner à sa vie solitaire.
C'est là aussi que Bruno mourut, le 6 octobre 1101. À
l'approche de sa dernière heure, pendant que ses frères
désolés entouraient son lit, Bruno parla du bonheur de
la vie monastique, fit sa confession générale, demanda
humblement la Sainte Eucharistie, et s'endormit
paisiblement dans le Seigneur. Dès le lendemain de sa
mort, sa réputation de sainteté s'accrut encore, en
raison des miracles attribués à son intercession.
Paulette Leblanc |