Nous
ne connaissons que très peu de choses d'Aphraate le
Syrien, parfois dénommé "le Sage persan". C'est grâce
aux œuvres écrites qu'il a laissées, dont les
Démonstrations, que nous le connaissons. Le pape
Benoît XVI, dans l'une de ses catéchèses, parla des
églises syriaques du IVe siècle, églises du
Moyen-Orient et de langue sémitique. Il précisa que ces
églises, où l'ascétisme et la vie communautaire
régnaient, avaient exercé un rôle important dans le
développement de la pensée théologique et spirituelle.
C'est ainsi qu'il fut conduit à parler de saint Aphraate.

Il
est possible qu'il y ait eu, vers la même époque, deux
sages persans nommés Aphraate. Les documents utilisés
par les historiens ne concordant pas, nous vous
parlerons du saint ascète dont la vie nous semble la
plus authentique. Aphraate, dit le Syrien, ou le Sage,
serait né de parents païens et il serait peut-être mort
vers 345, lors de la persécution des chrétiens sous
SHAPUR II, roi des Sassanides, ou de PERSE. Converti au
Christianisme, Aphraate serait devenu ascète puis
peut-être évêque. Il vécut probablement dans la région
de NINIVE-MOSSOUL aujourd'hui l'Irak. Aphraate est, avec
Éphrem de Nisibe, le plus ancien auteur de la
littérature chrétienne syriaque. Il est l'auteur de
vingt-trois lettres, intitulées Démonstrations ou
Exposés, documents destinés à l'instruction des
chrétiens. Leur rédaction s'échelonnerait de 336 ou 337,
à 354.
Nous
venons de voir qu'Aphraate est surtout connu grâce à 22
exposés que nous avons de lui et qui sont connus sous le
nom de "Démonstrations", ou d'"exposés".
Dans ces documents, Aphraate traite de divers thèmes de
la vie chrétienne, comme la foi, l'amour, le jeûne,
l'humilité, la prière, la vie ascétique elle-même, et
également le rapport entre judaïsme et christianisme,
entre Ancien et Nouveau Testament. Ce dernier thème
était adressé aux "Fils de l'Alliance", les
chrétiens qui, le jour de leur baptême s'engageaient,
par une promesse, à suivre le Christ dans l'ascèse et le
célibat. Ces chrétiens vivaient en groupes informels au
milieu de la communauté ecclésiale, et ils assuraient,
entre autres, les fonctions de portiers, de catéchistes,
d'enseignants, de lecteurs et de chantres. La langue des
écrits d'Aphraate est la langue syriaque, une langue
sémitique comme l'araméen parlé par Jésus lui-même. Un
23ème exposé raconte l’histoire des
générations jusqu’au Messie.
La
communauté ecclésiale dans laquelle vivait Aphraate
cherchait à rester fidèle à la tradition
judéo-chrétienne. Elle conservait un lien étroit avec le
monde juif et avec ses Livres sacrés. Ainsi, Aphraate
peut être considéré comme "disciple de l'Écriture
Sainte", de l'Ancien et du Nouveau Testament qu'il
considère comme son unique source d'inspiration. Aphraate
développe plusieurs arguments dans ses Démonstrations.
Fidèle à la tradition syriaque, il présente souvent le
salut accompli par le Christ comme une guérison et,
donc, le Christ lui-même comme un médecin. En revanche,
il considère le péché comme une blessure que seule la
pénitence peut guérir: ainsi, je cite: "celui qui a
été blessé par Satan ne doit pas avoir honte de
reconnaître sa faute et de s'éloigner d'elle, en
demandant le remède de la pénitence."
(Démonstrations 7, 3)
Un
autre aspect de l'œuvre d'Aphraate est son enseignement
sur la prière, et en particulier sur le Christ; il
écrivit: "Notre Sauveur nous a enseigné à prier, en
disant: 'Prie dans le secret Celui qui est caché, mais
qui voit tout'.” Et encore: “Entre dans ta
chambre et prie ton Père dans le secret, et le Père qui
voit dans le secret te récompensera” (Mt 6, 6)...
"Ce que notre Sauveur veut montrer est que Dieu connaît
les désirs et les pensées du cœur." (Démonstrations
4, 10)
Pour
être plus précis, disons que, selon la catéchèse de
Benoît XVI, pour Aphraate, la vie chrétienne est centrée
sur l'imitation du Christ, sur le fait de prendre son
joug et de le suivre sur la voie de l'Évangile. Une des
vertus qui s'adapte le mieux au disciple du Christ est
l'humilité. Celle-ci n'est pas un aspect secondaire dans
la vie spirituelle du chrétien, c'est Dieu qui l'exalte
pour sa propre gloire. Aphraate estimait que l'humilité
n'était pas une valeur négative; il écrivit: "Si la
racine de l'homme est plantée dans la terre, ses fruits
croissent devant le Seigneur de la grandeur."
(Démonstrations 9, 14) De plus, restant humble, même
dans la réalité terrestre dans laquelle il vit, le
chrétien peut entrer en relation avec le Seigneur:
Aphraate ajoute: "L'humble est humble, mais son cœur
s'élève à des hauteurs éminentes. Les yeux de son visage
observent la terre et les yeux de l'esprit, les hauteurs
éminentes." (Démonstr 9, 2)
Benoît XVI peut alors préciser, dans sa catéchèse, que
la vision qu'Aphraate a de l'homme et de sa réalité
corporelle est très positive. Ainsi, le corps de
l'homme, à l'exemple du Christ humble, est appelé à la
beauté, à la joie, à la lumière. Et Benoît XVI de citer:
"Dieu s'approche de l'homme qu'il aime, et il est juste
d'aimer l'humilité et de rester dans la condition
d'humilité. Les humbles sont simples, patients, aimés,
intègres, droits, experts dans le bien, prudents,
sereins, sages, calmes, pacifiques, miséricordieux,
prêts à se convertir, bienveillants, profonds, pondérés,
beaux et désirables." (Démonstrations 9, 14). De
plus, toujours selon Aphraate, la foi rend possible une
charité sincère, qui s'exprime dans l'amour envers Dieu
et envers le prochain.
Un
autre aspect important chez Aphraate est le jeûne, qu'il
entend au sens large. Il parle du jeûne de la nourriture
comme d'une pratique nécessaire pour être charitable, et
du jeûne constitué par la continence en vue de la
sainteté. Aphraate parle aussi du jeûne des paroles
vaines, du jeûne de la colère, du jeûne de la propriété
des biens en vue du ministère, du jeûne du sommeil pour
s'appliquer à la prière. Selon lui, la prière se réalise
lorsque le Christ demeure dans le cœur du chrétien, et
l'invite à un engagement cohérent de charité envers son
prochain. Il écrit en effet: "Apporte le réconfort
aux accablés, visite les malades, sois plein de
sollicitude envers les pauvres: telle est la prière. La
prière est bonne, et ses œuvres sont belles. La prière
est acceptée lorsqu'elle apporte le réconfort au
prochain. La prière est écoutée lorsque dans celle-ci se
trouve également le pardon des offenses. La prière est
forte lorsqu'elle est remplie de la force de Dieu »
(Démonstrations 4, 14-16).
Je dois ajouter que,
pendant les violentes persécutions de 341, Aphraate eut
le souci, vers 344, de définir les rapports entre le
christianisme et le judaïsme, très présents à cette
époque, en Mésopotamie. Pourtant, l'œuvre d'Aphraate n'a
été connue en Occident que grâce à une traduction
arménienne du V siècle. Notons ici, que les textes d'Aphraate
sont très proches de ceux du Concile de Nicée de 325.
Ainsi, le Credo d'Aphraate rappelle les professions de
foi judéo-chrétiennes primitives. Je cite:
"Il faut croire en Dieu le
Seigneur de toutes choses, qui a créé le ciel et la
terre et les mers et tout ce qu'ils contiennent. Il a
fait Adam à son image; il a donné sa Loi à Moïse; il a
envoyé son Esprit sur les prophètes; ensuite il a envoyé
son Christ dans le monde. Il faut croire en la
résurrection des morts. Il faut croire dans le sacrement
du baptême. Telle est la foi de l'Église de Dieu."
Aphraate, dans ses Démonstrations parle également
de l'organisation de l'Église d'Orient de son époque et
des sacrements, notamment du baptême, qui remplace la
circoncision et est conféré la nuit de Pâques; la
confirmation est donnée à la suite du baptême. Aphraate
parle aussi de l'Eucharistie, de la pénitence, de
l'onction des malades et de l'Ordre. Mais le mariage
n'est pas cité.
Aphraate est un des personnages les plus importants du
christianisme syriaque du IV siècle. On pense qu'il
devint évêque, et les évêques syriens d'alors, étaient
traditionnellement choisis parmi ceux qu’on appelait
"les proches" de Jacques, ou les frères du Seigneur.
Saint Aphraate est fêté le 29 janvier ou le 21 novembre.
Paulette
Leblanc |