Antoine-Marie Chevrier naquit à Lyon, le 16 avril 1826.
Le saint curé d'Ars avait alors 40 ans. La famille
Chevrier était de condition modeste mais non misérable.
Antoine-Marie fit des études ordinaires au petit
séminaire de l'Argentière, puis au grand séminaire Saint
Irénée de Lyon. Quand il eut 24 ans, en 1850, il fut
ordonné prêtre et nommé vicaire dans une paroisse
nouvellement créée de la banlieue lyonnaise, Saint-André
de la Guillotière. La Guillotière était alors une
commune indépendante, peuplée essentiellement d’hommes
déracinés, issus du Dauphiné ou d'autres régions de
France, venus à Lyon pour tenter de trouver du travail
dans
une
ville en pleine révolution industrielle. La plupart
étaient des ouvriers sans ressource, travaillant de
l'aube jusqu'à la nuit, et se retrouvant dans des
endroits le plus souvent malfamés. Souvent la révolte
grondait dans ce monde trop pauvre, déboussolé et
dangereux. Pour des raisons d'ordre public la
Guillotière fut intégrée dans la ville de Lyon par un
décret impérial du 24 mars 1852. C'est dans ce quartier
misérable qu'Antoine-Marie Chevrier allait vivre toute
sa vie de prêtre.
Vicaire à la Guillotière, Antoine-Marie découvrit la
grande misère du monde ouvrier, misère encore aggravée
en mai 1856, par de terribles inondations qui ravagèrent
le quartier ouvrier où il était vicaire. Antoine
Chevrier travailla alors avec Camille Rambaud, ancien
associé de M. Potton, riche soyeux de Lyon, qui, hanté
par les problèmes sociaux, venait de fonder une "cité
ouvrière" sur la rive gauche du Rhône, cité destinée
à reloger les victimes de l'inondation. Les sinistrés
furent relogés en urgence, plus ou moins mal; le Père
Antoine-Marie Chevrier, leur vicaire, allait les
visiter. C'est alors qu'à la fin de cette même année
1856, alors qu'à Noël il méditait devant la crèche, il
comprit soudain qu’il devait se convertir à une
existence totalement évangélique et vivre le mystère de
la pauvreté à la suite de Jésus, en servant les plus
démunis, afin de “travailler plus efficacement au
salut des âmes”. Il se senti appelé à suivre Jésus
au plus près dans son amour pour les hommes, par la
pauvreté, l’humilité et le renoncement. Il décida alors
de tout quitter et de vivre le plus pauvrement possible.
Il se consacra d'abord à
catéchiser les enfants qui étaient trop pauvres pour
aller au catéchisme. Il faut dire ici qu'outre les
ouvriers qui travaillaient trop, beaucoup parmi les
jeunes qu'il rencontrait, étaient également souvent
exploités. L'abbé Chevrier en fut profondément choqué,
et il sentit qu’il fallait “des prêtres pauvres pour
rejoindre les pauvres”. Aussi s’offrit-il au
Seigneur pour cette mission: "Seigneur, dit-il,
si vous avez besoin d’un pauvre… d’un fou, me voici…
pour faire votre volonté. Je suis à vous."
Cependant Antoine-Marie avait des doutes: avait-il bien
compris? Aussi éprouva-t-il le besoin d’être conforté;
il alla donc à Ars au début de l’année 1857 pour
rencontrer Jean-Marie Vianney, le saint curé d'Ars.
Ce
dernier l’encouragea fortement et dit à Antoine-Marie: "Dieu
veut votre œuvre, mais vous aurez, avant, beaucoup de
difficultés". Dès lors, le Curé d’Ars qui avait
conservé un très bon souvenir d'Antoine-Marie Chevrier,
n’hésitera pas à lui envoyer des pénitents ou des
personnes cherchant à se donner davantage aux autres.
En
1860, encouragé par son évêque, le Père Chevrier loua
puis acheta une ancienne salle de bal, mal famée et
délabrée, "le Prado", qu'il transforma en petit
pensionnat. Il aménagea la salle de bal ayant 60 mètres
de long sur 20 de large en chapelle et prit en charge,
dans des conditions très précaires, de jeunes
adolescents abandonnés. Malgré les conditions indiquées
pour que ces adolescents soient acceptés: "Ne
rien avoir, ne rien savoir, ne rien valoir",
les
demandes affluèrent. Le Père Chevrier gardait ces jeunes
pendant 6 mois à sa charge, le temps de leur enseigner
les rudiments de la lecture, de l’écriture et de les
préparer à la première communion. Financièrement,
Antoine-Marie se confiait totalement à la Providence.
Bientôt il chercha à s'associer des prêtres qui
accepteraient de vivre pauvrement au milieu des pauvres.
Les difficultés furent nombreuses: en effet, certains
prêtres n'obtinrent pas l'autorisation de le rejoindre,
d'autres ne purent s'adapter à ce genre de vie. Le père
Chevrier demanda alors l'autorisation de former lui-même
des jeunes en vue du sacerdoce.
Présenté au pape Pie IX, en 1864, le projet prit forme
lentement. Parmi les jeunes dont il s’occupait,
Antoine-Marie choisissait ceux qui lui paraissaient
aptes à devenir prêtres, et en 1866, il ouvrit une
‘école cléricale’ un séminaire destiné aux enfants
du peuple. C’est ainsi que naquit la "Société du
Prado", formée de prêtres voués à l’apostolat
paroissial et missionnaire en milieu ouvrier.
Antoine-Marie Chevrier travailla aussi à former de
jeunes ouvrières: il leur proposait de vivre selon
l'évangile, c'est-à-dire de se consacrer au Christ et
aux pauvres. L'une de ces jeunes filles, Marie Boisson,
devint la première religieuse du Prado. Notons que les
premiers prêtres de l'"Association des Prêtres du
Prado" furent ordonnés à Rome en 1877.
Malheureusement, malade et prématurément usé par sa vie
de travail et de pénitence, le Père Chevrier mourut le 2
octobre 1879 (20 ans après le saint Curé d'Ars). Il
avait 53 ans. Les funérailles du Père Chevrier, le lundi
6 octobre 1879, manifestèrent l’estime portée au
fondateur du Prado par le peuple ouvrier de la
Guillotière; ce peuple ouvrier avait reconnu l’un des
siens dans cet humble prêtre. Un journal lyonnais Le
Progrès, peu enclin à sympathiser avec l’Église, écrivit
pourtant dans son édition du jeudi 9 octobre 1879:
"Il n’est jamais trop tard pour rendre hommage à la
mémoire des hommes de bien, à quelque parti qu’ils
appartiennent… Monsieur l’abbé Chevrier, fondateur de la
Providence du Prado, était un de ces hommes dont le
souvenir mérite de ne pas être effacé par le temps. Il a
eu pitié des petits vagabonds qui couraient les rues
sans être protégés contre les tentations du vice, et il
a consacré toute son activité persévérante à l’éducation
de ces enfants…"
Antoine-Marie Chevrier fut
béatifié le 4 octobre 1986 par le pape Jean-Paul II. Sa
fête est le 2 octobre.
Parlons maintenant de la spiritualité du Père Chevrier.
Tout d'abord il faut rappeler que, fervent
admirateur du Pauvre d’Assise, il appartenait au
Tiers-Ordre franciscain, pour faire vivre ses jeunes, il
se confiait totalement à la Providence.
Par
ailleurs, il contemplait sans cesse l'Évangile afin de
pouvoir l'enseigner à ses jeunes et les inviter à
devenir de
“véritables disciples” du Christ.
Il écrivit pour ses futurs prêtres:
"La connaissance de
Jésus-Christ est la clé de tout. Connaître Dieu et son
Christ, c’est là tout l’homme, tout le prêtre, tout le
saint."
À ses prêtres qu'il voulait conformes à l'Évangile, il
disait aussi: "Savoir parler de Dieu, que c’est
beau!" Il insistait pour qu'ils contemplent
spécialement le Christ “pauvre dans la crèche,
souffrant dans sa Passion, et se laissant manger dans la
sainte Eucharistie”.
L'Évangile était "la boussole" d'Antoine-Marie
Chevrier. Il écrivit de très nombreuses méditations sur
la vie de Jésus, car, pour lui, "connaître
Jésus-Christ c’est tout, le reste n’est rien."
Jésus était son seul maître. "Aimer comme Jésus l’a
fait", sera la devise qu’il affichera dans
l’ancienne salle de bal devenue chapelle. La
Vierge Marie tenait également une grande place dans sa
vie, et chaque jour il méditait et commentait en public
les mystères du Rosaire. Pour lui, le prêtre devait être
un homme animé de charité, pauvre et crucifié. Car c’est
dans l’amour que la pauvreté et la croix donnent un sens
à la vie.
Quelques mois avant sa mort le Père Chevrier traversa
une douloureuse épreuve. Plusieurs des prêtres qu’il
avait formés le quittèrent pour une mission lointaine ou
un monastère. Ce n’était pas encore pour lui l’heure de
la fécondité. Les fruits se manifesteront plus tard…
Aujourd’hui, les prêtres du Prado sont présents dans une
quarantaine de pays du monde; et la famille du Prado est
constituée de diacres, de sœurs, de l'Institut féminin
du Prado et de laïcs consacrés. Le but du Père Chevrier
était de faire connaître Jésus-Christ, en L'enseignant
et en Le priant, et en priant le Rosaire, car,
écrivit-il, "le chapelet, c’est le livre de tout le
monde: c’est le livre du prêtre et du peuple; c’est le
livre de l’aveugle; c’est le livre du vieillard dont
l’œil se ferme aux choses de ce monde; c’est le livre du
savant et de l’ignorant; c’est le livre de celui qui
souffre…" C’est pourquoi, chaque soir, dans la
chapelle du Prado, entouré d’une foule de gens très
humbles, il commentait à voix haute les mystères du
Rosaire pour faire découvrir qui était vraiment
Jésus-Christ.
Paulette Leblanc |