LIVRE DEUXIÈME

CHAPITRE XVI

ON PARLE DU TORT QUE PEUVENT FAIRE AUX ÂMES QUELQUES DIRECTEURS SPIRITUELS, PARCE QU'ILS NE LES CONDUISENT PAS COMME IL FAUT AU MILIEU DE CES VISIONS DONT NOUS AVONS PARLÉ. ON MONTRE EN OUTRE COMMENT CES VISIONS, BIEN QU'ELLES VIENNENT DE DIEU, PEUVENT JETER DANS L'ILLUSION.

Dans cette question des visions, nous ne pouvons pas observer la brièveté que nous désirerions, tant la matière est abondante. Aussi, bien que nous ayons dit en substance ce qui est nécessaire pour faire comprendre à l'homme adonné à la spiritualité comment il doit se conduire au milieu de ces visions, et au directeur qui le guide comment il doit le traiter alors, il ne sera pas inutile d'exposer un peu plus cette doctrine. De la sorte nous ferons connaître plus clairement les dommages qui découlent soit pour les âmes spirituelles, soit pour les directeurs, quand ils ajoutent trop de crédulité à ces visions, alors même qu'elles viennent de Dieu.

Le motif qui me porte en ce moment à m'étendre un peu sur ce point, c'est le peu de prudence que j'ai cru remarquer dans quelques maîtres de la vie spirituelle. Ils mettent leur confiance dans ces communications surnaturelles; ils les croient bonnes et venant de Dieu, et en arrivent les uns et les autres à tomber dans de grandes erreurs et à se montrer très incapables. Ils justifient la sentence du Seigneur qui dit: Caecus autem si caeco ducatum praestet, ambo in foveam cadunt: « Si un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous les deux dans la fosse (Mat. XV,14). » Il ne dit pas qu'ils tomberont mais qu'ils tombent: car il n'est pas nécessaire qu'il y ait chute d'erreur pour qu'ils tombent; le seul fait d'avoir la prétention de se conduire l'un l'autre est déjà une erreur, et ainsi on peut dire qu'au moins en cela seul ils tombent.

Tout d'abord, il y en a quelques-uns qui se conduisent de telle sorte et de telle manière avec les âmes sujettes à ces visions qu'ils les jettent dans l'illusion ou le trouble, ou ne les conduisent point par la voie de l'humilité, ou les aident d'une certaine manière à faire grand cas de ces visions, ce qui est cause qu'elles ne marchent pas dans un esprit de foi pur et parfait. Ils ne les élèvent pas dans la foi, ils ne les fortifient pas dans la foi; ils se livrent à une foule d'entretiens sur ces visions. Par là ils leur donnent à comprendre qu'ils en font quelque estime, ou même beaucoup de cas; par suite les âmes fond de même: elles restent attachées à ces communications; elles ne se tiennent pas sur le fondement de la foi, ni dans ce vide, ce dénûment, ce détachement de tout qui est indispensable pour prendre le vol sur les hauteurs d'une foi obscure. Ces inconvénients proviennent de l'attitude et du langage que l'âme découvre dans son directeur sur ce point. Je ne sais comment elle a, en outre, une facilité extrême à estimer ces visions qui sont au-dessus de son pouvoir et à détourner ses regards de l'abîme de la foi. La cause de cette facilité doit venir de ce qu'elle en est toute occupée. Comme il s'agit de communications qui viennent par les sens et que la nature y est portée, comme de plus elle y trouve de la saveur et est disposée à ces connaissances de choses particulières et sensibles, il lui suffit de voir son confesseur ou toute autre personne leur donner quelque estime ou valeur pour que non seulement elle fasse de même, mais encore pour les désirer avec plus d'ardeur; et sans s'en apercevoir elle se nourrit de ces visions avec plus d'avidité, elle s'y porte davantage et s'en saisit comme d'une proie.

De là découlent au moins une foule d'imperfections. L'âme n'est plus aussi humble; elle songe que cela est quelque chose, qu'elle est l'objet de quelque faveur, que Dieu fait cas d'elle; elle est contente et un peu satisfaite d'elle-même, et cela est contraire à l'humilité. Bientôt, le démon arrive; il augmente secrètement cette disposition sans qu'elle s'en aperçoive; il commence à lui suggérer des pensées de curiosité sur les autres; ont-ils de ces faveurs, ou non? Sont-ce les même, on non? Et cette disposition est contraire à la sainte simplicité et à la solitude intérieure.

Outre ces dommages et celui de ne pas grandir dans la foi si on ne s'écarte pas de ces réflexions, comme aussi outre les inconvénients moins palpables et moins sensibles que ceux dont nous venons de parler, il y en a d'autres dans cette méthode qui sont plus subtils et plus odieux aux regards du Seigneur, parce que l'âme n'est pas détachée de tout. Mais laissons ce sujet pour le moment, nous le reprendrons lorsque nous parlerons du vice de la gourmandise spirituelle et des six autres vices capitaux. Nous donnerons alors, Dieu aidant, beaucoup d'explications sur ces taches subtiles et difficiles à saisir qui souillent l'esprit, parce qu'on ne sait pas diriger l'âme dans le dénûment.

Pour le moment je me contente de montrer quelle est la conduite de certains confesseurs qui ne savent pas bien diriger les âmes. A coup sûr, je voudrais savoir m'expliquer. Je comprends, qu'il est difficile de dire comment l'esprit du disciple se forme d'une manière secrète et intime sur le modèle de son maître spirituel. Je redoute aussi d'aborder cette matière si vaste, parce qu'il semble qu'on ne peut expliquer un point concernant le disciple sans expliquer celui qui concerne le maître. D'ailleurs, comme il s'agit de choses spirituelles, les mêmes phénomènes se manifestent chez l'un et chez l'autre.

Je vais donc réaliser ma promesse. Il me semble, et il en est vraiment de la sorte, que si le père spirituel est porté aux visions, s'il en ressent beaucoup d'impression, s'il y trouve du goût et de l'attrait, il ne pourra manquer d'imprimer à son insu dans l'esprit du disciple ce même goût, ce même attrait, à moins que le disciple ne soit plus avancé que son maître. Mais, le serait-il en effet, il pourra en recevoir de très grands dommages, s'il reste sous sa conduite.

L'inclination que le père spirituel a pour ces visions, et le goût qu'il leur porte, font qu'il les estime d'une certaine manière; s'il n'y veille avec le plus grand soin, il ne pourra manquer d'en donner des marques et de manifester ses propres sentiments au disciple; or si ce dernier a la même inclination d'esprit, il ne pourra, à mon avis, manquer d'avoir comme lui la plus grande estime pour ces visions.

Mais ne nous lançons pas dans un sujet si ardu. Parlons maintenant du confesseur, porté ou non à ces visions, qui n'a pas la prudence nécessaire pour en détourner son disciple et le porter à s'en détacher, mais qui au contraire s'en entretient avec lui, en fait l'objet principal de ses conversations avec lui, comme nous l'avons dit, et lui donne les marques auxquelles on reconnaît les bonnes et les mauvaises visions. Sans doute cette science est bonne; mais il n'y a pas lieu de jeter l'âme dans cette occupation, ce souci, ce danger, à moins de quelque pressante nécessité, comme nous l'avons dit plus haut. Quand, au contraire, on fait peu de cas de ces visions, quand on les repousse, on évite tous ces inconvénients, et on accomplit ce qu'il faut.

Il y a plus. Lorsque ces directeurs voient que ces âmes ont de telles communications avec Dieu, ils leur demandent de supplier Dieu de leur révéler tel ou tel secret les concernant eux-mêmes ou d'autres; et ces âmes ont la folie de leur obéir, à la pensée qu'il est licite de savoir les choses par cette voie. Ces directeurs eux-mêmes pensent que, puisque Dieu veut révéler ou dire quelque chose par un moyen surnaturel, comme cela lui plaît et pour le but qu'il se propose, il est aussi permis de le désirer et même de le lui demander. Si parfois Dieu exauce leur demande, ils en prennent l'assurance pour d'autres circonstances; ils s'imaginent que Dieu est content de cela et le veut; mais en réalité, Dieu ne l'a pas pour agréable et ne le veut pas. Quant à eux, ils agissent souvent et croient selon qu'il leur a été révélé ou répondu. Comme ils sont très affectionnés à cette manière de traiter avec Dieu, ils s'y attachent beaucoup et leur volonté y trouve naturellement son repos. Dès lors leur goût est un goût naturel, et naturellement selon leur manière de comprendre il est satisfait. Mais dans ce que les âmes disent, il y a très souvent des erreurs, et alors les confesseurs voient que les faits ne sont pas conformes à ce qu'ils avaient compris. Ils s'en étonnent et aussitôt ils se demandent si ces révélations venaient de Dieu ou non, puisque l'événement ne correspond pas à leur manière de voir.

Ils pensaient d'abord deux choses: la première c'est que la révélation venait de Dieu, tant ils y trouvaient plaisir; mais ce contentement peut très bien venir de leur nature qui était portée à ces communications, comme nous l'avons dit. La seconde, c'est que la révélation, venant de Dieu, devait se réaliser comme ils l'avaient imaginé ou pensé. Et c'est là une grande illusion. Car les révélations ou les paroles de Dieu ne se vérifient pas toujours comme les hommes se l'imaginent ou selon le sens des mots. Voilà pourquoi on ne doit pas s'y fier ni les croire aveuglément, alors même qu'il s'agirait de révélations, de réponses ou de paroles de Dieu. Car seraient-elles certaines et vraies en soi, elles ne le sont pas toujours dans leurs causes ni dans la manière dont nous les comprenons, comme nous le verrons dans le prochain chapitre. Nous dirons également comment Dieu, tout en répondant parfois surnaturellement aux demandes qui lui sont adressées, n'aime pas ce procédé, et comment il montre alors son irritation.

CHAPITRE XVII

OÙ L'ON MONTRE ET ON PROUVE COMMENT LES VISIONS ET RÉVÉLATIONS, QUI VIENNENT DE DIEU ET SONT VRAIES EN SOI, PEUVENT NOUS JETER DANS L'ILLUSION. ON LE PROUVE PAR L'AUTORITÉ DE LA SAINTE ÉCRITURE.

Pour deux raisons, avons-nous dit, les visions et les paroles de Dieu, tout en étant véritables et toujours certaines en soi, ne le sont pas toujours par rapport à nous: la première, à cause de notre manière défectueuse de les comprendre; et la seconde, à cause de leurs motifs ou fondements qui sont variables (Les précédentes éditions portaient ici le texte suivant: « que son comminatorias y como condicionales. Si esto no se enmendare o si aquello se hiciere, aunque la locucion en lo que suena sea absoluta; las cuales dos cosas probaremos con algunas autoridades divinas: et la seconde vient de la dépendance qu'elles ont de ce qui les cause, dépendance qui les rend comminatoires et conditionnelles. Aussi faut-il sous-entendre: si on ne s'amende pas de tel vice, ou si telle chose se fait, bien que la parole prise en elle-même soit absolue. Ce sont ces deux motifs que nous allons prouver par l'autorité de la sainte Écriture. »). Quant à la première raison, il est clair que ces révélations ne sont pas toujours et n'arrivent pas toujours selon notre manière de les comprendre. La cause, c'est que Dieu, étant un abîme d'immensité et de profondeur, donne ordinairement à ses prophéties, paroles ou révélations d'autres conceptions que les nôtres et un sens bien différent de celui que nous comprenons en général; ces révélations sont en elles-mêmes d'autant plus vraies et plus certaines qu'elles nous le paraissent moins. C'est là ce que nous voyons à chaque pas dans la sainte Écriture. Nous y lisons, en effet, que beaucoup de prophéties et de paroles adressées par Dieu à un grand nombre de personnages de l'antiquité ne se réalisaient pas comme ils l'espéraient, parce qu'ils les comprenaient à leur manière et trop littéralement. C'est ce que nous constaterons avec évidence par l'autorité de la sainte Écriture.

Au livre de la Genèse, Dieu dit à Abraham, après l'avoir amené au pays de Chanaan: « Je te donnerai cette terre (Gen. XV, 7). » Comme cette promesse lui était souvent renouvelée, et qu'Abraham, étant déjà vieux, n'en voyait pas la réalisation, il répliqua un jour à Dieu, qui lui parlait encore dans le même sens: « Mais comment et par quel signe pourrai-je savoir que je dois posséder cette terre? (Ibid. XV, 8) » Unde scire possum quod possessurus sum eam? Alors Dieu lui révéla que ce ne serait pas lui personnellement qui la posséderait mais plutôt ses enfants au bout de quatre cents ans. A cette parole Abraham comprit enfin la promesse qui était très vraie en soi; car Dieu, en donnant cette terre à ses enfants par amour pour lui, la lui donnait pour ainsi dire à lui-même. Mais le patriarche se trompait tout d'abord dans l'interprétation de la promesse; s'il avait agi alors d'après le sens qu'il donnait à la prophétie, il aurait pu se tromper grandement, puisque la promesse ne devait pas se réaliser de son temps; et ceux qui l'auraient vu mourir alors, après lui avoir entendu dire que Dieu la lui avait promise, auraient été troublés dans leur foi et se seraient imaginé que la prophétie était fausse.

Un fait semblable arriva à son petit-fils Jacob, à l'époque où Joseph l'appela en Égypte à cause de la famine qui désolait le pays de Chanaan. Lorsqu'il était en route, Dieu lui apparut et lui dit: Noli timere, descende in Aegiptum. Ego descendam tecum illuc... Et ego inde adducam te revertentem: « Jacob ne crains pas, descends en Égypte; j'y descendrai avec toi, et quand tu sortiras, c'est moi-même qui t'en tirera et serai ton guide (Gen. XLVI, 3-4). » Or l'événement ne se réalisa pas comme ces paroles semblent naturellement l'annoncer. Nous savons, en effet, que le saint vieillard Jacob mourut en Égypte et n'en sortit point vivant. La promesse devait s'accomplir dans ses enfants, que Dieu retira de l'Égypte beaucoup d'années plus tard et à qui il servit de guide dans le chemin. On voit donc clairement que quiconque ayant eu connaissance de la promesse de Dieu à Jocob aurait pu regarder comme certain que Jacob, étant entré personnellement et vivant en Égypte par l'ordre de Dieu et sous sa protection, devait aussi personnellement en sortir vivant. C'était en effet de la même manière et dans la même forme que Dieu lui avait annoncé la sortie d'Égypte et le secours qu'il lui assurait. On se serait donc trompé et on aurait été étonné quand, le voyant mourir en Égypte, on aurait vu que la promesse ne se réalisait pas comme on l'espérait. Aussi, bien que les paroles de Dieu soient très véritables en elles-mêmes, elles peuvent nous occasionner beaucoup d'illusions.

Nous lisons également dans les Juges que toutes les tribus d'Israël se réuniront pour combattre la tribu de Benjamin et la punir d'un certain crime dont elle s'était rendue coupable. Dieu leur ayant donné un chef pour faire cette guerre, les Israélites considérèrent la victoire comme absolument certaine. Mais ils furent battus et perdirent vingt mille des leurs; aussi ils furent tout étonnés et passèrent tout le jour à pleurer devant le Seigneur; ils ne comprenaient pas pourquoi ils avaient été battus après avoir été assurés de la victoire. Ils demandèrent à Dieu s'ils devaient combattre de nouveau; et il leur fut répondu qu'ils devaient de nouveau livrer la bataille contre Benjamin. Comme ils étaient assurés cette fois de la victoire, ils combattirent avec le plus grand courage, mais ils furent encore vaincus et perdirent dix-huit mille hommes. Dans la confusion extrême où ils se trouvaient, ils ne savaient plus que faire; ils voyaient que Dieu leur commandait de combattre, et ils étaient toujours défaits, surtout quand ils dépassaient de beaucoup leurs adversaires en nombre et en force, car les soldats de la tribu de Benjamin n'étaient que vingt-cinq mille sept cents, tandis qu'eux-mêmes étaient quatre cent mille. Ils se trompaient donc dans la manière d'interpréter la parole de Dieu, qui pourtant n'était pas trompeuse. Dieu, en effet, ne leur avait pas dit qu'ils seraient vainqueurs, mais qu'ils devaient combattre: et par ces défaites il voulait les punir d'une certaine négligence et de leur présomption en les humiliant. Quand à la fin, Dieu leur répondu qu'ils vaincraient, ils remportèrent en effet la victoire à force de courage et d'efforts. (Jud. XX, 11) ».

C'est de cette manière et de beaucoup d'autres que les âmes se trompent au sujet des révélations et des paroles de Dieu; elles les prennent trop à la lettre et n'en considèrent que l'écorce. Or, comme on l'a déjà donné à comprendre, le but principal de Dieu dans ces communications est de donner, de communiquer le fruit spirituel qui est renfermé dans ces paroles; et c'est là ce qu'il est très difficile de comprendre; car ce fruit est beaucoup plus abondant que celui de la lettre; il est bien plus extraordinaire et en dépasse toutes les limites. Voilà pourquoi celui qui veut s'attacher à la lettre de la révélation, à la forme ou à l'image sensible de la vision, ne peut manquer de tomber dans une grande illusion, et de se trouver ensuite tout honteux et couvert de confusion; il s'est laissé guider par les sens, au lieu de se détacher du sensible pour se disposer à recevoir les lumières de l'Esprit de Dieu. Saint Paul l'a dit: Littera enim occidit, spiritus autem vivificat: « La lettre tue, mais l'esprit vivifie (I Cor. III, 6). » Aussi faut-il dans des cas de ce genre, renoncer à la lettre qui frappe les sens, et demeurer dans l'obscurité de la foi, c'est là l'esprit vivificateur que les sens ne peuvent percevoir.

Un grand nombre des enfants d'Israël n'entendaient qu'à la lettre les paroles et les prophéties de leurs prophètes. Voyant ensuite qu'elles ne se réalisaient pas comme ils l'avaient espéré, ils en faisaient peu de cas et n'y ajoutaient pas foi. Il y eut même parmi eux un diction populaire, qui était pour ainsi dire passé en proverbe et par lequel on se moquait des prophéties. Isaïe s'en plaint lorsqu'il dit: Quem docebit scientiam? Et quem intelligere faciet auditum? Ablactatos a lacte, avulsos ab uberibus. Quia manda, remanda, manda, remanda, expecta, reexpecta, expecta, reexpecta, modicum ibi, modiucum ibi. In loquela enim labii, et lingua altera loquetur ad populum istum: « A qui Dieu donnera-t-il la science? A qui fera-t-il entendre sa prophétie et sa parole? Ce sera à ceux qui ne se nourrissent plus de lait, et qui ne connaissent plus le sein maternel. Car tous disent: promets et promets encore, espère et espère encore, espère et promets encore, espère et espère encore, espère et espère encore, un peu ici, et un peu là. Dieu parlera de ses lèvres et dans une autre langue à ce peuple (Is. XXVIII, 9-11). » Par ces paroles Isaïe fait comprendre clairement que les enfants d'Israël se riaient de ses prophéties et lui disaient sa dérision par ce proverbe: Espère et espère encore, montrant par là que les prophéties ne s'accomplissaient jamais. Ils étaient, en effet, attachés au sens littéral, qui n'est que comme le lait pour les enfants, et à leur sens propre, qui est comme le sein dont ils se sont éloignés et qui est en opposition avec la grandeur de la science de l'esprit. Voilà ce que le prophète dit: « A qui Dieu enseignera-t-il la sagesse de ses prophéties? A qui fera-t-il comprendre sa doctrine, si ce n'est à ceux qui sont déjà sevrés du lait de la lettre et éloignés du sein de leurs propres sens? » car les autres ne comprennent pas les prophéties; ils ne s'attachent qu'au lait de l'écorce et de la lettre et au sein de leurs propres sens. Ils disent en effet: Promets et promets encore; espère et espère encore... Car Dieu doit leur parler dans un sens qui n'est pas le leur et dans un langage différent du leur. Il ne faut donc point considérer alors notre sens personnel et notre langage; ne savons-nous pas que la parole de Dieu a une signification spirituelle bien différente de notre manière de comprendre et présente des difficultés? Cela est tellement vrai que Jérémie lui-même, tout prophète de Dieu qu'il était, en voyant combien la signification des paroles de Dieu était différente de celle que les hommes leur attribuaient, semble lui aussi, s'y être mépris. Il prend la défense du peuple et il dit: Heu, heu, heu, Domine Deus, ergone decepisti populum istum et Jérusalem, dicens: Pax erit vobis; et ecce pervenit gladius usque ad animam? « Hélas! Hélas! Hélas! Seigneur Dieu, est-ce que vous n'avez pas trompé ce peuple et la ville de Jérusalem, en leur disant: « Vous aurez la paix! Et le glaive transperce jusqu'à leur âme ? (Jer. IV, 10) » Or, la paix que Dieu leur promettait était celle qui devait s'établir entre lui et l'homme par le moyen du Messie qu'il allait leur envoyer, tandis qu'eux songeaient à une paix temporelle. Aussi quand ils avaient des guerres et des souffrances, il leur arrivait le contraire de ce qu'ils avaient espéré. Et ils disaient, comme le rapporte encore Jérémie: Expectavimus pacem, et non erat bonum: « Nous avons attendu la paix, et ils ne nous est rien venu de bon (Ibid, VIII, 15). » Il leur était donc impossible de ne pas tomber dans l'illusion, en se guidant uniquement d'après le sens littéral et grammatical de la prophétie. Et en effet, quel est celui qui ne serait pas confondu et dans l'illusion s'il interprétait à la lettre cette prophétie que David fait du Christ dans tout le psaume LXXI, et surtout quand il dit: Dominabitur a mari usque ad mare, et a flumine usque ad terminos orbis terrarum: « Il dominera d'une mer à l'autre, et du fleuve (Le Jourdain) jusqu'aux confins de l'univers (Ps. LXXI, 8) »; et quand il dit plus loin: Liberabit pauperem a potente, et pauperem cui non erat adjutor: « Il délivrera le pauvre des mains du puissant; il délivrera le pauvre qui était sans soutien ?  (Ps. LXXI, 12) » Et cependant on l'a vu ensuite naître dans l'abaissement, vivre dans la pauvreté, expirer misérablement. Et non seulement il ne s'est pas emparé temporairement du domaine de la terre durant sa vie, mais il s'est soumis à des  gens vils, jusqu'à ce qu'enfin il soit mort sous le gouvernement de Ponce Pilate. Non seulement il n'a pas délivré ses disciples de la main des puissants de la terre, mais il les a laissés mettre à mort et persécuter pour son nom.

Ces prophéties doivent donc s'entendre de Jésus-Christ dans leur sens spirituel, et ce sens est très véritable. Jésus-Christ, en effet, est le Seigneur non seulement de la terre, mais encore du ciel, puisqu'il est Dieu. Quant aux pauvres qui devaient le suivre, non seulement il devait les racheter et les délivrer de la main et du pouvoir du démon, qui est ce puissant contre lequel ils n'avaient personne pour les aider, mais il devait les faire héritiers du royaume des cieux. Ainsi donc, Dieu vise dans ses prophéties sur le Christ et ses disciples la partie principale, c'est-à-dire le royaume éternel, et l'éternelle liberté des hommes; les Juifs, au contraire, considérant les prophéties à leur manière dans un sens moins important et dont Dieu fait peu de cas, imaginaient le Christ avec une domination temporelle et une liberté temporelle, toutes choses qui, aux yeux de Dieu, ne méritent le nom ni de royaume ni de liberté; ils s'aveuglaient par la grossière apparence de la lettre; ils n'en comprenaient ni l'esprit ni la vérité, et ils en vinrent à mettre à mort leur Dieu et leur Seigneur, comme le dit saint Paul: Qui enim habitabant Jerusalem et principes ejus, hunc ignorantes, et voces prophetarum, quae per omne sabebatum leguntur, judicantes impleverunt: « Les habitants de Jérusalem et les principaux de la ville, ne sachant qui il était, et ignorant le sens des prophéties qui se lisent chaque sabbat, les ont accomplies en le condamnant (Act. XIII, 27). »

Cette difficulté de comprendre les paroles de Dieu comme il faut, allait si loin que ses disciples eux-mêmes, qui l'accompagnaient, étaient dans l'illusion. Nous en avons un exemple dans ces deux disciples qui, après sa mort, se rendaient au village d'Emmaüs tristes et découragés et disaient: Nos autem sperabamus quia ipse esset redempturus Israel: « Nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël (Luc XXIV, 21). » Eux aussi imaginaient une rédemption et une domination temporelle. Or Notre-Seigneur Jésus-Christ leur apparut; il leur reprocha leur folie et leur dureté de coeur à croire aux événements prédits par les prophètes. Et même à l'époque de son départ pour le ciel, quelques-uns de ses disciples étaient encore dans cette ignorance et, l'interrogeant, lui dirent: Domine, si in tempore hoc restitues regnum Israël: « Seigneur, est-ce maintenant que vous allez rétablir le royaume d'Israël? (Act. I, 6) »

Le Saint-Esprit révèle donc beaucoup de choses auxquelles il attache un sens différent de celui que les hommes comprennent. C'est ce qui arriva lorsqu'il fit dire par Caïphe au sujet du Christ: « Il convient qu'un homme meurt pour que toute la nation ne périsse pas (Jean XVIII, 14). » Or, ces paroles Caïphe ne les disait pas de lui-même. Il leur donnait un sens, et l'Esprit-Saint en avait un tout différent.

Il est donc évident que, même quand les paroles et les révélations viennent de Dieu, nous ne pouvons pas mettre en elles une sécurité absolue, parce que nous pouvons nous tromper souvent et très facilement dans la manière de les comprendre. Toutes, en effet, sont un abîme insondable de profondeur spirituelle. Vouloir les limiter à ce que nous en comprenons et à ce que nos sens peuvent en concevoir, ce n'est pas autre chose que vouloir prendre avec la main l'air et les atomes qui s'y trouvent; or l'air s'échappe de la main, et nous n'étreignons que le vide.

Aussi le maître spirituel doit-il s'appliquer à ce que l'esprit de son disciple ne s'arrête pas à vouloir faire cas de toutes ces connaissances surnaturelles. Ce ne sont là pour l'esprit que des atomes, et son disciple n'aurait que des atomes et ne recevrait rien de spirituel. Il doit le détourner de toutes ces visions et de toutes ces paroles surnaturelles; il le portera à demeurer libre, à s'établir dans l'obscurité de la foi; c'est alors qu'il recevra l'abondance de l'esprit surnaturel, et par conséquent la sagesse et l'intelligence vraie des paroles de Dieu. Il est impossible, en effet, à l'homme s'il n'est pas spirituel, d'apprécier les choses de Dieu, ni même de les entendre d'une façon raisonnable; et alors il n'est pas spirituel, s'il les juge d'après son propre sens. Aussi, quoiqu'elles lui viennent par les sens, il ne les comprends pas. Saint Paul a dit: Animalis autem homo non percipit ea quae sunt spiritus Dei; stultitia enim est illi, et non potest intelligere quia spiritualiter examinatur. Spritualis autem judicat omnia: « L'homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l'esprit de Dieu; elles lui paraissent une folie, et il ne peut les comprendre parce que c'est spirituellement qu'on peut en juger. Mais l'homme spirituel juge de tout. (I Cor. II, 14-15) » Par homme animal, on entend ici celui qui use seulement du témoignage des sens; l'homme spirituel est celui qui ne s'attache pas à ses sens et ne les prend pas pour guides. C'est donc une témérité d'oser traiter avec Dieu par cette voie des communications surnaturelles et d'en laisser aux sens la liberté.

Afin de mieux faire comprendre cette doctrine, nous allons donner quelques exemples. Voici un saint qui est très affligé parce qu'il est persécuté par ses ennemis, et Dieu lui dit: Je te délivrerai de tous tes ennemis. Cette prophétie peut être très vraie en soi, et malgré cela le saint peut-être voit ses ennemis l'emporter et il meurt entre leur mains. Et ainsi celui qui aurait entendu cette prophétie dans un sens temporel eût été dans l'erreur, car Dieu peut avoir en vue la vraie et la principale délivrance, la victoire, c'est-à-dire le salut. L'âme alors possède la délivrance et la victoire contre tous ses ennemis, d'une manière bien plus réelle et plus élevée que si elle en avait été délivrée ici-bas. Une telle prophétie était donc beaucoup plus réelle et plus féconde en bienfaits que l'homme n'aurait pu l'imaginer, s'il l'avait rapportée à la vie présente. Dieu, en effet, vise toujours dans ses paroles au sens le plus important et le plus avantageux; l'homme, au contraire, peut les entendre à sa manière et dans un sens moins important, et il tombe dans l'erreur.

C'est ce que nous voyons dans cette prophétie que David fit au sujet du Christ: Reges eos in virga ferrea, et tanquam vas figuli confringes eos: « Tu gouverneras les nations avec une verge de fer, et tu les briseras comme un vase d'argile (Ps. II, 9). » Dieu parle ainsi dans le sens de sa souveraineté principale et parfaite, c'est-à-dire de sa royauté éternelle qui, en effet, s'est réalisée, et non de sa royauté moins importante, ou temporelle qui ne s'est pas accomplie durant la vie temporelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Prenons un autre exemple. Voici une âme qui est embrasée du désir de souffrir le martyre. Peut-être que Dieu lui dira: Oui, tu seras martyre, et il la remplit intérieurement d'une grande consolation et de la confiance qu'elle sera martyre; or il peut se faire qu'elle ne meure pas martyre, et cependant la prophétie sera très véritable. Mais comment ne s'accomplit-elle pas ainsi que l'âme l'attendait? Elle s'accomplira dans le sens principal et essentiel qu'elle renfermait. Dieu lui donnera assez d'amour pour qu'elle mérite la gloire essentielle du martyre; il la fera martyre d'amour, il la fera passer par une suite d'épreuves dont la durée sera plus pénible que la mort, et de la sorte lui conférera véritablement la grâce qu'elle désirait formellement et qu'il lui avait promise. Le désir formel de l'âme, en effet, n'était point d'endurer ce genre de mort, mais de glorifier Dieu par le martyre et de lui témoigner son amour comme on le fait dans le martyre. Car ce genre de mort en soi n'a aucune valeur, s'il n'est pas accompagné de l'amour de Dieu; et Dieu a d'autres moyens de donner d'une façon beaucoup plu parfaite l'amour, la générosité et le mérite qui sont renfermés dans le martyre. Aussi, bien qu'elle ne meure pas martyre, elle peut être très satisfaite, car Dieu lui a donné ce qu'elle désirait. De tels désirs, en effet, et autres semblables, quand ils proviennent d'un amour ardent, ne se réalisent peut-être pas de la façon que l'on a pensée et imaginée; mais ils s'accomplissent d'une autre manière qui est bien plus excellente et plus glorieuse pour Dieu qu'on n'aurait su le demander. Voilà pourquoi David a dit: Desiderium pauperum exaudivit Dominus: « Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres (Ps. IX, 17). » La Sagesse divine a dit au livre des Proverbes: Desiderium suum justis dabitur: « Il donnera aux justes l'accomplissement de leurs désirs (Pro. X, 24). » Nous voyons qu'un grand nombre de Saints ont désiré accomplir beaucoup de choses pour Dieu, et cependant leurs désirs ne se sont pas réalisés dans cette vie. Or il est de foi que Dieu, étant juste et véridique, les a exaucés parfaitement dans l'autre. Et s'il en est vraiment ainsi, il sera vrai également que Dieu leur a promis d'exaucer leurs voeux dès cette vie, bien que ce ne soit pas de la manière qu'ils se l'imaginaient.

C'est de cette manière et de beaucoup d'autres que les paroles et les visions de Dieu peuvent être véritables et certaines, bien que nous nous trompions à leur sujet, car nous ne savons pas comprendre le sens profond et principal que Dieu se propose et qu'il a en vue. Ce qu'il y a donc de mieux et de plus sûr, c'est de porter les âmes à fuir prudemment de telles communications surnaturelles, et de les habituer, comme nous l'avons dit, à rechercher la pureté dans le dénûment spirituel et l'obscurité de la foi; c'est là le chemin qui mène à l'union avec Dieu.

CHAPITRE XVIII

OÙ L'ON PROUVE PAR L'AUTORITÉ DE LA SAINTE ÉCRITURE QUE LES RÉVÉLATIONS ET LES PAROLES DIVINES, BIEN QUE TOUJOURS VRAIES EN ELLES-MÊMES, NE SONT PAS TOUJOURS CERTAINES DANS LEURS PROPRES CAUSES.

Il nous faut exposer maintenant la seconde cause pour laquelle les visions et les paroles qui nous viennent de Dieu, bien que toujours vraies en elles-mêmes, ne sont pas toujours certaines par rapport à nous. La raison en vient des causes et des motifs sur lesquels elles se fondent. Souvent, en effet, Dieu dit des choses qui sont fondées sur les créatures ou les effets qu'elles produisent et qui sont variables ou même peuvent faire défaut; il en résulte que les paroles qui reposent sur ce fondement peuvent aussi être variables et ne point se réaliser; quand, en effet, une chose dépend d'une autre, si l'une vient à manquer, l'autre manque aussi. Supposez que Dieu dise: D'ici à un an j'enverrai tel fléau à ce royaume. La cause qui sert de fondement à cette menace vient d'une certaine offense qui a été commise contre Dieu dans ce royaume. Or si l'offense vient à cesser ou à se modifier, le châtiment peut lui aussi être suspendu ou se modifier. Cependant la menace était véritable; elle était fondée sur une faute actuelle; et, si la faute avait duré, la menace eût été exécutée. Ce sont là des menaces ou des révélations que l'on appelle comminatoires ou conditionnelles.

C'est ce qui est arrivé à la ville de Ninive. Dieu commanda au prophète Jonas d'aller de sa part lui annoncer cette menace: Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur: « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite (Jonas, III,4). » Cependant cette prophétie ne s'est pas accomplie, parce que la cause pour laquelle elle avait été faite vint à cesser. Les Ninivites, au lieu de persévérer dans leurs péchés, en firent pénitence; sans cela, la menace eût été exécutée.

Au troisième livre des Rois, nous lisons que, le roi Achab ayant commis un grand crime, Dieu lui fit annoncer qu'un grand châtiment allait tomber sur sa personne, sur sa maison et sur son royaume. Or Achab, en signe de repentir, déchire aussitôt ses vêtements, prie en silence, se livre au jeûne, dort sur la dure, se montre triste et humilié. Dieu alors lui fait dire aussitôt par le même prophète: Quia igitur humiliatus est mei causa, non inducam malum in diebus ejus sed in diebus filii sui: « Puisque Achab s'est humilié par amour pour moi, je n'enverrai pas de châtiments durant sa vie, mais sous le règne de son fils (I Rois, XXI, 29). » Par là, nous voyons comment, Achab ayant changé de conduite et modifié ses dispositions, Dieu de son côté modifia la sentence qu'il avait portée.

Nous pouvons donc affirmer ce que nous avons déjà dit: Dieu fait une révélation, ou parle d'une façon très affirmative. Il annonce quelque bien ou quelque mal qui arrivera à cette âme ou à d'autres; mais cette prophétie peut se modifier plus ou moins, ou même elle ne se réalisera point, s'il y a changement ou modification de sentiments dans l'âme ou la cause qui en est l'objet et que Dieu a en vue. La prophétie ne s'accomplira donc pas comme on l'attendait; bien souvent même on en ignorera le motif, qui restera le secret de Dieu.

Il arrive encore souvent que Dieu dit, enseigne et promet, non pour qu'on le comprenne alors ou qu'on le possède, mais pour qu'on le comprenne plus tard, lorsqu'il conviendra d'en avoir l'intelligence ou qu'on en recevra l'effet. Telle a été la conduite de Notre-Seigneur avec ses disciples. Il leur faisait entendre beaucoup de paraboles et de sentences mystérieuses dont ils n'eurent point l'intelligence si ce n'est à l'époque où ils devaient les prêcher, quand ils reçurent le Saint-Esprit, dont Notre-Seigneur Jésus-Christ leur avait dit qu'il leur ferait comprendre tout ce que lui-même leur avait enseigné dans le cours de sa vie. Saint Jean, parlant de l'entrée de Notre-Seigneur à Jérusalem, dit: Haec non cognoverunt discipuli ejus primum, sed quando glorificatus est Jesus, tunc recordati sunt quia haec erant scripta de eo: « Les disciples ne comprirent pas ce qui se passait alors; mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se rappelèrent la prophétie qui l'avait annoncé (Jean, XII, 16). » Il y a donc bien des choses divines et très particulières qui peuvent se passer dans une âme, et que ni elle ni son directeur ne comprendront, si ce n'est à une certaine époque.

Nous lisons encore au premier livre des Rois que Dieu, irrité contre Héli, prêtre d'Israël, parce qu'il ne punissait pas ses fils de leurs péchés, lui envoya dire par Samuel ces paroles entre autres: Loquens locutus sum ut domus tua et domus patris tui ministraret in conspectu meo usque in sempiternum. Nunc autem dicit Dominus: Absit hoc a me, sed quicumque glorificaverit me, glorificabo eum: « En vérité, je l'ai dit, ta maison et la maison de ton père devaient à jamais remplir devant ma face l'office sacerdotal; mais loin de moi ce projet. Je ne le maintiendrai pas (I Rois II, 30). » Cet office du sacerdoce consistait à rendre gloire et honneur à Dieu; c'est dans ce but que Dieu avait promis au père d'héli que le sacerdoce resterait à jamais dans sa famille, mais c'était à la condition qu'on y fût fidèle. Or Héli manque de zèle pour la gloire de Dieu. Dieu lui-même lui fait savoir qu'il s'en plaint; qu'il honore plus ses fils que Dieu lui-même en dissimulant leurs péchés pour ne pas les humilier. Et ainsi ne se réalisa donc point la promesse de Dieu, qui devait durer toujours, mais à la condition que les descendants de la maison d'Héli fussent toujours fidèles à servir Dieu avec zèle.

Ainsi donc il ne faut pas croire que les paroles et les révélations qui viennent de Dieu, et sont vraies en soi doivent infailliblement s'accomplir selon la rigueur des termes qui les expriment, surtout quand, d'après la providence de Dieu, elles sont liées aux causes humaines qui, comme nous l'avons dit, peuvent varier, changer ou disparaître. Mais quand est-ce que ces paroles dépendent des causes humaines? Dieu s'en réserve le secret; il ne le révèle pas toujours. Il communique parfois sa parole ou sa révélation, mais il ne dira rien des circonstances où elles devront se réaliser. Telle est la conduite qu'il suivit à l'égard des Ninivites. Il leur annonce d'une manière absolue qu'au bout de quarante jours leur ville sera détruite (Jon. III, 4). D'autres fois il manifeste les circonstances de la prophétie; c'est ce qu'il fit quand il dit à Roboam: « Si tu gardes mes commandements comme mon serviteur David, je serai aussi avec toi comme avec lui: j'élèverai ta maison comme j'ai élevé la sienne (I Rois, XI, 38). » Mais qu'il manifeste ou non les conditions de ces prophéties, on ne doit pas s'imaginer avoir l'intelligence de ces prophéties; il n'est pas possible non plus de comprendre les vérités cachées dans la parole de Dieu ni les sens multiples qu'elle peut avoir. Lui est au-dessus de tous les cieux, et il parle des profondeurs de l'éternité; et nous, nous ne sommes pas des aveugles vivant sur cette terre; nous ne comprenons que les choses de la chair et du temps. Voilà ce que le Sage a compris; il a dit: Deus enim in caelo, et tu super terram, idcirco sint pauci sermones tui: « Dieu est au ciel, et toi, tu es sur la terre; voilà pourquoi tu dois veiller à parler peu (Eccl. V, 1). »

On me dira peut-être: Mais si nous ne devons pas comprendre ces révélations, ni nous en occuper, pourquoi Dieu nous les communique-t-il? Nous l'avons dit déjà, chaque révélation est comprise au temps fixé par celui qui l'a faite; elle sera comprise de celui à qui il voudra en donner l'intelligence, et alors on en verra la convenance, car Dieu ne fait rien sans motif, et en dehors de la vérité. Il faut donc bien se persuader que l'on n'arrivera jamais à comprendre et à saisir les divers sens renfermés dans les paroles et les révélations divines; se baser sur leurs apparences, c'est s'exposer à beaucoup d'erreurs et de déceptions. Voilà ce que savaient très bien les prophètes qui annonçaient la parole de Dieu. L'accomplissement de leur mission leur attirait les plus grandes épreuves de la part du peuple. Car, ainsi que nous l'avons dit, beaucoup de Juifs ne voyaient pas les prophéties se réaliser selon le sens des paroles qu'ils entendaient, et ils en tiraient un motif pour tourner en dérision les prophètes et se moquer d'eux. Jérémie en vint même jusqu'à dire: « Ils se moquent de moi tout le long du jour; tous me tournent en dérision et me méprisent, parce qu'il y a déjà longtemps que je crie contre leur malice et que j'annonce leur destruction; la parole de Dieu est devenue pour moi un sujet constant d'opprobres et de railleries. Ainsi ai-je dit: Je ne veux plus me souvenir des paroles de Dieu, je ne veux plus parler en son nom (Jer. XX, 7-9) ». Ces paroles nous montrent que si le prophète parle avec résignation et nous peint la faiblesse de l'homme qui ne comprend pas les voies et les secrets de Dieu, il donne bien à comprendre également quelle différence il y a entre l'accomplissement des paroles divines et le sens qu'on leur donne communément. C'est pour ce motif que les saints prophètes passaient pour des séducteurs; ils avaient tant à souffrir à l'occasion de leurs prophéties, que le même Jérémie a dit dans un autre endroit: Formido et laqueus facta est nobis vaticinatio et contritio: « La prophétie est devenue pour nous une frayeur, un piège et une affliction (Lament. III, 47). »

C'est pour ce motif que Jonas fuyait quand Dieu l'envoyait prêcher la destruction de Ninive. Il savait que l'homme comprend diversement les paroles de Dieu et leurs causes. Aussi, afin de n'être pas tourné en dérision si la prophétie ne s'accomplissait pas, il fuyait pour ne point prophétiser. Il attendit donc en dehors de la ville les quarante jours qu'il avait prédits, pour voir si la prophétie s'accomplissait. Voyant qu'elle ne s'accomplissait pas, il tomba dans une si profonde tristesse qu'il dit à Dieu: Obsecro, Domine, numquid non hoc est verbum meum, cum adhuc essem in terra mea? Propter hoc praeoccupavi ut fugerem in Tharsis: « Je vous le demande, Seigneur, n'est-ce pas là ce que je disais lorsque j'étais dans mon pays? Voilà ce que j'avais prévu, et c'est pour cela que je fuyais vers Tarse (Jonas, IV, 2). » Et le saint, en proie à son chagrin, demanda à Dieu de le retirer du monde.

Pourquoi donc nous étonner si, parmi les prophéties ou les révélations que Dieu fait aux âmes, il y en a qui ne se réalisent pas dans le sens où on les comprend? Dieu affirme par exemple à une âme ou lui révèle qu'elle ou une autre recevra telle récompense ou sera châtiée; cette prophétie est fondée sur certains actes par lesquels cette âme ou une autre procurent la gloire de Dieu ou l'offensent; mais si ces âmes persévèrent dans cet état, la prophétie, nous le répétons, se réalisera; il n'est pas certain, toutefois qu'elle s'accomplisse à la lettre, parce qu'il n'est pas certain que ces âmes garderont les mêmes dispositions. Aussi ne faut-il jamais s'assurer ni affirmer que l'on comprend bien la prophétie. La foi seule est notre guide.

CHAPITRE XIX

ON MONTRE QUE DIEU, TOUT EN RÉPONDANT A CE QU'ON LUI DEMANDE PARFOIS, N'AIME PAS QU'ON TRAITE DE CETTE MANIÈRE AVEC LUI; ON PROUVE QUE S'IL RÉPOND PAR CONDESCENDANCE, IL SE MONTRE SOUVENT IRRITÉ.

Certaines personnes adonnées à la spiritualité approuvent, nous l'avons dit, la curiosité qui porte des âmes à avoir quelques connaissances par la voie surnaturelle; elles s'imaginent que si Dieu répond parfois à leurs suppliques, c'est que ce moyen est bon et que Dieu l'a pour agréable. Sans doute Dieu leur répond; mais ce moyen n'est pas bon et Dieu ne l'a pas pour agréable; au contraire, il le désapprouve; bien plus, il en est fâché et irrité très souvent. En voici la raison. Il n'est permis à aucune créature de sortir des bornes naturelles que Dieu lui a fixées pour se diriger. Or il a donné à l'homme des lois naturelles et raisonnables; l'homme n'a donc pas le droit de vouloir en sortir; il ne doit pas non plus chercher à vérifier ou connaître certaines choses par une voie surnaturelle. Ce serait sortir des lois naturelles, et par conséquent ce n'est pas licite. Dieu ne peut pas l'approuver; il en est plutôt offensé, comme il l'est de tout ce qui est illicite. Le roi Achab le savait bien. Isaïe lui dit cependant de la part de Dieu qu'il devait demander quelque miracle; mais il refusa; il dit au contraire; Non petam et non tentabo Dominum: « Je n'en demanderai pas et je ne tenterai pas le Seigneur (Is. VII, 12). » C'est tenter Dieu, en effet, que de vouloir traiter avec lui par des voies extraordinaires, comme sont les voies surnaturelles.

Vous me direz: Mais s'il en est de la sorte, si Dieu ne l'a pas pour agréable, pourquoi répond-il dans certaines circonstances? A cela je dis tout d'abord que c'est quelquefois le démon qui répond. Mais quand c'est Dieu, il agit ainsi par condescendance pour la faiblesse de l'âme qui veut marcher par cette voie. Il veut l'empêcher de se décourager, de retourner en arrière, de s'imaginer qu'il est mécontent d'elle et de tomber dans une trop grande tentation. Il a encore d'autres fins connues de lui seul, et basées sur la faiblesse de cette âme; il juge donc convenable de lui répondre et de se montrer condescendant.

Il agit également de cette sorte à l'égard de beaucoup d'âmes faibles et jeunes encore. Il leur donne des attraits et des douceurs très sensibles à son service, comme nous l'avons dit. Cette condescendance ne prouve pas qu'il aime et approuve qu'on traite avec lui de cette manière et par cette voie. Nous l'avons dit déjà, Dieu donne à chaque âme selon les dispositions où elle se trouve. Il est comme la source où chacun puise selon la capacité du vaisseau qu'il porte, et parfois il laisse puiser en lui par des canaux extraordinaires. Il ne s'ensuit pas pour cela qu'il soit licite de se servir de ces moyens; c'est à Dieu seul qu'il appartient de donner l'eau de la source, puisqu'il est le maître, quand il veut, à qui il veut et pour le but qu'il se propose, sans que la créature y ait aucun droit. Nous disons donc de nouveau: Si Dieu daigne parfois condescendre aux désirs et aux prières de certaines âmes, c'est parce qu'elles sont bonnes et simples. Il ne veut pas manquer de les secourir pour ne pas les attrister. Mais cela ne veut pas dire qu'il approuve leur procédé.

Voici une comparaison qui fera mieux comprendre cette vérité. Un père de famille a sur sa table des aliments nombreux et variés, tous meilleurs les uns que les autres. Un de ses enfants lui demande de prendre de tel mets; ce n'est pas le meilleur, mais c'est le premier qui se présente à son regard, et il lui plaît de prendre de celui-là plutôt que d'un autre. Le père comprend que s'il lui donnait à manger du meilleur mets, il ne le prendrait pas, parce qu'il ne veut que celui qu'il demande et aucun autre: il le laisse faire avec regret, pour que cet enfant ne reste pas sans manger et plongé dans la tristesse.

Telle est la conduite que tint le Seigneur avec les enfants d'Israël qui lui demandèrent un roi. Il le leur donna à contre-coeur, parce que ce n'était pas un avantage pour eux. Il dit donc à Samuel: Audi vocem populi... non enim te objecerunt, sed me, ne regnem super eos: « Écoutez la voix de ce peuple; donne-leur le roi qu'ils te demandent. Ce n'est pas toi qu'ils ont rejeté, mais moi, afin que je ne règne pas sur eux (I Rois, VIII, 7). »

C'est ainsi que Dieu se montre condescendant à l'égard de certaines âmes. Il leur accorde ce qui n'est pas le meilleur pour elles, parce qu'elles ne veulent pas ou ne savent pas marcher par une autre voie. Quand parfois elles obtiennent des tendresses ou des suavités spirituelles ou sensibles, comme nous l'avons dit, Dieu les leur accorde parce qu'elles ne sont pas préparées à cette nourriture forte et solide qui se trouve dans les souffrances et la croix de son Fils qu'il voudrait les voir désirer au-dessus de tout.

Cependant, je regarde comme plus préjudiciable à l'âme la recherche de certaines connaissances par voie surnaturelle, que celle de certaines douceurs spirituelles sensibles. Je ne vois pas en effet comment l'âme qui les recherche peut être exempte de faute, au moins vénielle, malgré toutes ses bonnes intentions et toute sa perfection. J'en dis autant du directeur qui lui commandait ou la laisserait libre d'agir ainsi. Il n'y a pas, en effet, la moindre nécessité d'agir ainsi. Nous avons la raison naturelle, la loi, la doctrine de l'Évangile, qui sont très suffisantes pour nous guider; il n'y a pas de difficultés ni d'obstacles qu'on ne puisse surmonter par ces moyens ou auxquels on ne puisse remédier selon le bon plaisir de Dieu et le bien des âmes. Cela est tellement vrai, il est tellement nécessaire que nous nous servions de la raison et des enseignements de l'Évangile, que si on venait, conformément ou non à nos vues, nous proposer certaines communications par une voie surnaturelle, nous ne devrions les recevoir que si elles étaient bien conformes à la raison et à l'enseignement de l'Évangile. Dans ce cas on les accepterait non parce qu'elles viennent par révélation, mais parce qu'elles sont conformes à la raison, et on laisserait de côté tout sentiment relatif à la révélation. Même dans ce cas, il faut considérer et examiner le cas avec beaucoup plus de soin que s'il n'y avait pas eu de révélation, car le démon propose souvent des choses véritables et futures, qui sont conformes à la raison, dans le but de nous séduire. Il résulte de là qu'au milieu de nos nécessités, de nos travaux et de nos difficultés, nous n'avons pas de fondements meilleurs et plus sûrs que l'oraison, et l'espérance que Dieu nous aidera par les moyens qu'il jugera convenables.

Tel est le conseil qui nous est donné par la sainte Écriture. Nous y lisons que le roi Josaphat, étant tombé dans l'affliction la plus profonde parce qu'il se trouvait entouré d'une foule d'ennemis, se mit en oraison et dit à Dieu: Cum ignoremus quid agere debeamus, hoc solum habemus residui, ut oculos nostros dirigamus ad te: « Quand les moyens font défaut et que la raison ne voit comment elle pourra surmonter les difficultés, nous n'avons plus qu'à lever les yeux vers vous (II Paral. XX, 12) », pour que vous daigniez suppléer à notre impuissance comme il vous sera le plus agréable.

Bien que Dieu réponde aussi parfois à une telle prétention, il s'en montre aussi quelquefois irrité. Ce que nous avons dit suffirait à le prouver, mais il ne sera pas inutile de le montrer encore par quelque autorités de la sainte Écriture.

Il nous est dit au premier livre des Rois que Saül désirait que le prophète Samuel, qui était déjà mort, vînt lui parler, et le prophète en effet lui apparut. Cependant Dieu manifesta son mécontentement; le prophète Samuel lui en fit aussitôt le reproche et lui dit: Quare inquietasti me, ut suscitarer? : « Pourquoi êtres-vous venu troubler mon repos et m'obliger à ressusciter ? (I Rois, XXVIII, 3; 15) »

Nous savons, en outre, que Dieu, tout en répondant aux enfants d'Israël qui réclamaient des viandes, ne manqua pas d'être fort irrité contre eux, puisqu'il leur envoya aussitôt le feu du ciel pour les châtier, comme on le lit au livre des Nombres, et comme le raconte David en ces termes: Adhuc escae eorum erant in ore ipsorum, et ira Dei ascendit super eos: « Les viandes qu'ils avaient demandées étaient encore dans leurs bouches quand la colère de Dieu fondit sur eux (Ps. LXXVII, 30-31). »

Nous lisons aussi au livre des Nombres que Dieu ne manqua pas de se fâcher contre le prophète Balaam parce qu'il était allé trouver les Madianites à l'appel de leur roi Balac. Or Dieu lui avait dit qu'il pouvait y aller, parce qu'il l'avait désiré et demandé. Et cependant, lorsqu'il était déjà en chemin, l'ange du Seigneur lui apparut l'épée à la main et, le menaçant de mort, il lui dit: Perversa est via tua, mihique contraria: « La voie que tu suis est mauvaise, et elle est contraire à ma volonté (Nomb. XXII, 20). » C'est pour ce motif qu'il voulait le frapper de mort.

Ces exemples et beaucoup d'autres nous montrent comment Dieu condescend aux désirs des âmes, bien qu'il en soit irrité. On pourrait multiplier les témoignages et les exemples que Dieu nous donne de cette assertion dans la sainte Écriture. Mais ce serait superflu, puisqu'il s'agit d'une vérité aussi manifeste. J'ajoute seulement qu'il est très dangereux, et beaucoup plus dangereux même que je ne saurais le dire, que de vouloir traiter avec Dieu par de tels moyens. Quant à celui qui s'y attache, il ne peut manquer de se tromper beaucoup et de tomber souvent dans une confusion extrême. Celui qui en aura fait cas me comprendra par sa propre expérience.

D'ailleurs, outre la difficulté qu'il y a à ne pas se tromper dans l'intelligence des paroles et des visions qui viennent de Dieu, il y en a ordinairement beaucoup parmi elles qui viennent du démon. D'une façon générale, le démon imite les procédés et les rapports de Dieu avec l'âme; il singe si bien ces communications, pour s'insinuer près d'elle, comme le loup ravisseur revêtu de la peau de brebis qui entre dans le troupeau, qu'on a peine à le reconnaître. Il dit, en effet, beaucoup de choses qui sont vraies et conformes à la raison, ou qui se réalisent. Il est donc très facile de s'y tromper; on se persuade que, puisque ces révélations se sont vérifiées, ce qui est annoncé se vérifiera encore et par conséquent ne peut venir que de Dieu. On ignore, en effet, qu'il est très facile au démon, vu la lumière naturelle si grande dont il est doué, de connaître dans leurs causes, soit en totalité, soit en partie, les événements passés ou futurs; aussi réussit-il très souvent à prédire l'avenir. Dès lors que le démon a une intelligence très vive, il peut très facilement prédire que tel effet découlera de telle cause, bien qu'il se trompe parfois, parce que toutes les causes dépendent de la volonté de Dieu. Prenons un exemple. Le démon prévoit, par la disposition de la terre, de l'air et du soleil, et de leur mouvement, qu'à telle époque la peste éclatera, que dans telle région elle exercera plus de ravages, et dans telle autre moins. Voilà donc la peste connue dans sa cause. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que le démon le révèle à une âme et lui dise que d'ici à un an, ou à six mois, la peste va éclater? Et la prophétie se vérifiera; et ce sera une prophétie du démon.

Il peut de même connaître les tremblements de terre. Il voit que la terre amasse de l'air dans ses cavités, et il dit: A telle époque il y aura un tremblement de terre. Or ce n'est là qu'une connaissance naturelle. Il suffit, pour l'avoir, de posséder son âme à l'abri des passions, comme le dit Boëce: Si vis claro lumine cernere verum, gaudia pelle, timorem spemque fugato, ne dolor adsit: « Si tu veux à l'aide de la clarté naturelle connaître le vrai, chasse loin de toi la joie et la crainte, l'espérance et la douleur (Ed. Migne, T. LXXV, p. 122). »

On peut aussi connaître les événements surnaturels dans leurs causes par la providence divine, qui est infiniment juste et pourvoit d'une façon absolument certaine à ce qu'exigent les causes bonnes ou mauvaises posées par les enfants des hommes.

On peut savoir clairement par la voie ordinaire que telle ou telle personne, telle ou telle ville, ou un sujet quelconque, arrivera à telle ou telle nécessité, tel ou tel état de malice; que Dieu, d'après le cours ordinaire de sa justice et de sa providence, doit intervenir d'une manière qui convienne et soit conforme à la cause, châtier ou récompenser comme le réclame la cause. Et alors on peut dire: A telle époque Dieu vous accordera telle faveur ou agira de telle sorte à votre égard, ou tel événement vous arrivera.

C'est là ce que sainte Judith fit entendre à Holopherne. Pour lui persuader que les enfants d'Israël devaient nécessairement être détruits, elle lui raconta tout d'abord les nombreux péchés qu'ils avaient commis et leur mauvaise conduite. Elle lui dit ensuite Ego quoniam haec faciunt, certum est quod in perditionem dabuntur, ce qui signifie: « Puisqu'ils se rendent coupables de telles fautes, il est certain qu'ils seront détruits (Jud. XI, 12). » Ceci nous montre que le châtiment est connu dans sa cause. C'est comme si l'on disait: Il est certain que des péchés de cette sorte doivent provoquer tels châtiments de Dieu qui est infiniment juste. La Sagesse divine s'exprime de même: « Chacun est puni par où il a péché (Sag. XI, 17). » Or le démon peut avoir cette connaissance, non seulement par son intelligence naturelle, mais encore par son expérience; car il a vu Dieu produire ces effets; il peut donc les annoncer à l'avance et parfois même les annoncer avec certitude.

Le saint homme Tobie connut dans sa cause le châtiment qui menaçait la ville de Ninive. Voilà pourquoi il prévint son fils qu'à l'heure où lui et sa mère mourraient il devait sortir de cette ville, parce qu'elle serait détruite. Video enim quia iniquitas ejus finem dabit ei. Comme s'il avait dit: Je vois clairement que sa malice doit être la cause de son châtiment, et ce châtiment sera sa fin et sa destruction complète (Tob. XIV, 13).

Or cet événement, le démon et Tobie pouvaient le prévoir, non seulement par l'iniquité de la ville, mais encore par leur expérience. Ils voyaient en effet que cette ville commettait les crimes pour lesquels Dieu avait déjà détruit le monde par le déluge ainsi que les Sodomites qui périrent dans le feu. Cependant j'ajoute que Tobbie avait connu l'événement par l'Esprit-Saint.

Le démon peut connaître en outre que naturellement Pierre ne peut pas vivre plus de tant d'années, et le prédire à l'avance; ainsi en est-il de beaucoup d'autres événements. Il y a pour cela mille moyens qu'on n'en finirait plus d'exposer. On ne saurait même commencer à en parler, tant ils sont compliqués et subtils; son but est de nous tromper. Nous ne pouvons nous en préserver qu'en fuyant toutes les révélations, visions et paroles surnaturelles. C'est donc à bon endroit que  Dieu se fâche contre celui qui s'y complaît. Il voit que c'est de la témérité que de s'engager dans une voie où il y a tant de dangers, de présomption, de curiosité, d'orgueil, et où se rencontrent la source et le fondement de la vaine gloire, le mépris des choses de Dieu et enfin la cause d'une foule de maux où un grand nombre sont tombés. Ces âmes en viennent à irriter tellement Dieu, qu'il les laisse à dessein tomber dans l'erreur, l'illusion, l'aveuglement d'esprit, et abandonner les règles ordinaires de la vie pour se livrer à leurs fantaisies et à leurs caprices. C'est là ce qu'a dit le prophète Isaïe: Dominus miscuit in medio ejus spiritum vertiginis: « Le Seigneur a répandu au milieu d'eux l'esprit de vertige (Is. XIX, 14) », de trouble et de confusion, ce qui signifie, dans le langage ordinaire, un esprit qui comprend tout au rebours. Or cette parole d'Isaïe convient parfaitement à notre sujet: il s'adresse, en effet, à ceux qui voulaient connaître l'avenir par des visions surnaturelles. Voilà pourquoi il dit que Dieu leur a donné un esprit qui leur fait comprendre les choses au rebours. Ce n'est pas que Dieu l'ait voulu réellement ainsi et leur ait donné positivement cet esprit d'erreur; ce sont eux plutôt qui ont voulu s'immiscer dans des mystères qu'ils ne pouvaient naturellement pas comprendre. Dans son indignation, il les a laissés s'égarer; il ne leur a pas donné sa lumière pour les éclairer dans une voie où il ne voulait pas qu'ils s'engagent. Le prophète en disant que Dieu leur a donné cet esprit d'erreur, veut dire qu'il a agi d'une manière privative. C'est de cette sorte que Dieu est cause de ce mal; il est cause privative, qui consiste à priver de sa lumière et de sa faveur, d'où il suit infailliblement qu'on tombe dans l'erreur.

C'est ainsi que Dieu permet au démon d'aveugler et de tromper un grand nombre d'âmes à cause de leurs péchés et de leur présomption; le démon réussit à capter leur crédulité; on le prend pour un bon esprit. Cela est tellement vrai que, malgré tous les efforts qui sont faits pour les désabuser, on ne saurait les tirer de leur illusion. Dieu permet qu'ils soient imbus de cet esprit qui consiste à comprendre les choses à rebours. C'est là ce qui est arrivé, comme nous le lisons, aux prophètes du roi Achab. Dieu les a laissés se tromper par l'esprit de mensonge, et avait donné pouvoir sur eux au démon quand il lui a dit: Decipies et praevalebis; egredere, et fac ita: « Tu les tromperas et tu prévaudras contre eux, va et agis ainsi (I Rois, XXII, 22). » Or le démon arriva si bien à tromper les prophètes et le roi qu'ils ne voulurent pas écouter le prophète Michée, qui, lui, annonçait la vérité et leur disait des choses tout opposées à celles des autres. Or cela venait de ce que Dieu les avait laissés tomber dans l'aveuglement, à cause de leur attachement à leur volonté propre; ils voulaient que les événements leur arrivent et que Dieu leur réponde conformément à leurs attraits et à leurs désirs. C'était un moyen et une disposition qui devait nécessairement porter Dieu à les laisser formellement dans l'aveuglement et l'illusion. C'est là ce que dit Ezéchiel quand il parle contre celui qui, entraîné par l'esprit d'ambition et de curiosité, veut connaître les événements par des moyens surnaturels: « Lorsque cet homme s'adressera au prophète pour m'interroger par son intermédiaire, moi le Seigneur, je lui répondrai directement, je prendrai mon visage irrité contre lui, et si le prophète se trompe dans sa réponse, c'est moi le Seigneur, qui aurai trompé le prophète (Ez. XIV, 7-9) ». Il faut entendre cette parole dans ce sens que Dieu ne donne pas sa faveur, et que par suite on tombe dans l'illusion. C'est là ce que veut dire cette parole: Moi le Seigneur, je lui répondrai par moi-même dans ma colère. Dieu alors retire de cette âme sa grâce et sa faveur; il suit de là nécessairement qu'elle tombera dans l'erreur; elle n'a pas le secours de Dieu. Voilà pourquoi le démon s'empresse de répondre à son désir et à son attrait; il fait ce qu'elle souhaite; et elle en reçoit des réponses et des communications qui correspondent à sa volonté; elle tombe dans une profonde illusion (Le P. Siverion donne ici quelques lignes que le P. Gérard n'a pas conservées dans son texte: « Il semble que nous nous sommes quelque peu égarés du projet indiqué en tête de ce chapitre, qui était de prouver comment Dieu, même s'il répond, se plaint quelquefois. Mais si l'on regarde bien, tout ce que nous avons dit... »).

Tout ce que nous avons dit tendait à prouver le sujet que nous avions en vue. Tout y montre que Dieu voit avec déplaisir que l'âme recherche les ténèbres, je veux dire les visions, car elle donne prise par là à toutes les illusions où elle tombe.

CHAPITRE XX

ON RÉPOND À UN DOUTE ET ON MONTRE COMMENT SOUS LA LOI NOUVELLE IL N'EST PAS PERMIS, COMME SOUS LA LOI ANCIENNE, D'INTERROGER DIEU PAR VOIE SURNATURELLE. CETTE QUESTION, TRÈS INTÉRESSANTE POUR L'INTELLIGENCE DES MYSTÈRES DE NOTRE SAINTE FOI, EST PROUVÉE PAR UN TEXTE DE SAINT PAUL QUI S'APPLIQUE A NOTRE SUJET.

Les doutes qui surgissent autour de nous, ne nous permettent pas d'avancer aussi rapidement que nous le voudrions. Car si nous les soulevons, nous sommes nécessairement obligés de les dissiper, afin que la vérité de la doctrine demeure dans toute sa simplicité et toute sa force. D'ailleurs, il y a un bien dans ces doutes; car s'ils ralentissent quelque peu notre marche en avant, ils nous servent aussi à donner à notre sujet plus de développement doctrinal et plus de lumière; il en sera ainsi du doute dont il est question.

Dans le chapitre précédent, nous avons vu qu'il est contre la volonté de Dieu de rechercher des connaissances particulières par la voie surnaturelle des vision, paroles, etc. Nous avons vu, d'autre part, dans le même chapitre, et d'après les témoignages de la sainte Écriture que nous y avons rapportés, que des rapports de cette sorte avec Dieu étaient permis sous la Loi ancienne. Non seulement ils étaient permis, mais ils étaient même commandés; et quand les enfants d'Israël ne lui obéissaient pas sur ce point, Dieu le leur reprochait. C'est ce que l'on voit dans Isaïe, où Dieu leur reprocha vivement de ne l'avoir pas consulté quand ils pensaient descendre en Égypte, et leur dit Qui ambulatis ut descendatis in Aegyptum, et os meum non interrogatis: « Vous ne m'avez pas demandé tout d'abord ce qui convenait (Is. XXX, 2). »

Nous lisons de même dans Josué que, les mêmes enfants d'Israël ayant été trompés par les Gabaonites, l'Esprit leur rappelle leur faute en ces termes: Susceperunt igitur de cibariis eorum, et os Domini non interrogaverunt: « Ils ont reçu de leurs vivres, et ils n'ont pas consulté le Seigneur (Jos. IX, 14). »

Nous voyons encore dans la sainte Écriture que Moïse consultait souvent le Seigneur. Le roi David et tous les rois d'Israël faisaient de même quand une guerre ou quelque difficulté surgissait; telle était aussi la coutume des prêtres et des prophètes de la Loi ancienne. Dieu leur répondait; il s'entretenait avec eux; il ne se fâchait pas; cette manière d'agir avec lui était agréable à ses yeux; si on ne l'eût pas suivie, c'eût été une faute, voilà la vérité.

Pourquoi donc maintenant sous la Loi nouvelle, sous la Loi de grâce, ne serait-il plus permis de faire comme alors? A cette question il faut répondre: La cause principale pour laquelle étaient permises sous la Loi ancienne les demandes que l'on adressait à Dieu et pour laquelle il convenait aux prophètes et aux prêtres de désirer des visions et des révélations divines, c'est que la foi n'était pas encore fondée ni la loi évangélique établie. Il fallait que l'on s'adressât à Dieu directement et que Dieu répondît, par des paroles, des visions ou des révélations, par des figures ou des images, ou enfin par beaucoup d'autres manières de nous faire connaître la vérité. Toutes ses réponses, en effet, paroles, oeuvres ou révélations, avaient pour but les mystères de la foi, la concernaient ou s'y rapportaient. Or, les choses de la foi ne viennent pas de l'homme; elles viennent de la bouche de Dieu; il les a exprimées lui-même par sa bouche. Il fallait donc, comme nous l'avons dit, les demander à la bouche même de Dieu. Voilà pourquoi il blâmait les enfants d'Israël qui ne le consultaient pas pour avoir son avis et diriger les faits et les événements vers la foi qu'ils n'avaient pas encore, parce qu'elle n'était pas fondée.

Mais aujourd'hui que la foi est fondée sur le Christ et que la loi évangélique est manifestée dans cette ère de la grâce qu'il nous a donnée, il n'y a plus de motif pour que nous l'interrogions comme avant, ni pour qu'il nous parle ou nous réponde comme alors. Dès lors qu'il nous a donné son Fils, qui est sa Parole, il n'a pas d'autre parole à nous donner. Il nous a tout dit à la fois et d'un seul coup en cette seule Parole; il n'a donc plus à nous parler. Tel est le sens de ce texte par lequel saint Paul veut engager les Hébreux à se séparer de ces anciennes pratiques et manières de traiter avec Dieu qui étaient en usage sous la loi de Moïse et à jeter les yeux sur le Christ seulement: Multifariam multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis; novissime diebus istis locutus est nobis in Filio: « Ce que Dieu, dit-il, a révélé à nos pères en divers temps et de diverses manières par l'intermédiaire des prophètes, il l'a dit maintenant et tout à la fois en ces derniers jours par son Fils (Heb. I, 1-2). » L'Apôtre nous donne à entendre par là que Dieu s'est fait comme muet; il n'a plus rien à dire; car ce qu'il disait par parties aux prophètes, il l'a dit tout entier dans son Fils, en nous donnant ce tout qu'est son Fils. Voilà pourquoi celui qui voudrait maintenant l'interroger, ou désirerait une vision ou une révélation, non seulement ferait une folie, mais ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le Christ, sans chercher autre chose ou quelque nouveauté. Dieu pourrait en effet lui répondre de la sorte: Si je t'ai déjà tout dit dans ma parole, qui est mon Fils, je n'ai maintenant plus rien à te révéler ou à te répondre qui soit plus que lui. Fixe ton regard uniquement sur lui; c'est en lui que j'ai tout déposé, paroles et révélations; en lui tu trouveras même plus que tu ne demandes et que tu ne désires. Tu me demandes des paroles, des révélations ou des visions, en un mot des choses particulières; mais si tu fixes les yeux sur lui, tu trouveras tout cela d'une façon complète, parce qu'il est toute ma parole, toute ma réponse, toute ma vision, toute ma révélation. Or, je te l'ai déjà dit, répondu, manifesté, révélé, quand je te l'ai donné pour frère, pour maître, pour compagnon, pour rançon, pour récompense. Le jour où je suis descendu avec mon Esprit sur lui au Thabor, j'ai dit: Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui, ipsum audite: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances; écoutez-le (Mat. XVII, 5). » Depuis lors, j'ai laissé de côté toutes ces sortes d'enseignements et toutes ces réponses, et je les lui ai remises; écoutez-le, parce que je n'ai plus de foi à vous révéler, ni plus de vérités à vous manifester. Quand précédemment je parlais, c'était pour vous promettre le Christ; quand on m'adressait des questions, c'était des questions qui regardaient la demande et l'espérance du Christ où l'on devait trouver tous les biens, comme le donne à entendre toute la doctrine des Évangélistes et des Apôtres. Mais maintenant si quelqu'un vient m'interroger comme on le faisait alors et me demande quelque vision ou quelque révélation, c'est en quelque sorte me demander encore le Christ ou me demander plus de foi que je n'en ai donné: de la sorte, il offenserait profondément mon Fils bien-aimé, parce que non seulement il montrerait par là qu'il n'a pas foi en lui, mais encore il l'obligerait une autre fois à s'incarner, à recommencer sa vie et à mourir. Vous ne trouverez rien de quoi me demander, ni de quoi satisfaire vos désirs de révélations et de visions. Regardez-y bien. Vous trouverez que j'ai fait et donné par lui beaucoup plus que ce que vous demandez.

Si vous désirez que je vous réponde par quelques paroles de consolation, considérez comment mon Fils m'a obéi et a été affligé par amour pour moi, et vous entendrez par combien de paroles il vous répondra. Voulez-vous que Dieu vous explique certains événements mystérieux, ou certaines choses cachées: fixez seulement les yeux sur lui, et vous y trouverez les mystères les plus profonds, les trésors de la sagesse et des merveilles divines qui sont renfermées en lui, comme l'Apôtre le dit: In quo sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi: « En lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu (Col. II, 3). » Ces trésors de sagesse seront pour vous beaucoup plus profonds, plus doux et plus utiles que tout ce que vous désirez savoir. Voilà pourquoi l'Apôtre se glorifiait en ces termes: « Je n'ai pas donné à entendre que je savais autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (I Cor. II, 2). » : Non enim judicavi me scire aliquid inter vos nisi Jesum Christum, et hunc crucifixum.

Si vous voulez encore d'autres visions ou révélations divines ou corporelles, regardez toujours dans son Humanité, et vous trouverez dans cette Humanité beaucoup plus que vous ne pensez, parce que l'apôtre saint Paul dit encore: In ipso inhabitat omnis plenitudo Divinitatis corporaliter: « En lui habite corporellement la plénitude de la Divinité (Col. II, 9). »

Il ne convient donc pas d'adresser à Dieu des demandes de cette sorte; il n'est pas nécessaire qu'il parle encore, car en achevant de nous révéler toute la foi dans son Christ, il n'y a plus d'autre objet de la foi à révéler, et il n'y en aura jamais. Celui qui voudrait recevoir encore par la voie surnaturelle certaines communications surnaturelles semblerait accuser Dieu de ne pas nous avoir donné en son Fils tout ce qui nous était nécessaire, comme nous l'avons dit. Supposé même qu'il agisse ainsi tout en ayant la foi, et en croyant ses enseignements, il manifeste un esprit de curiosité et l'imperfection de sa foi. Ce n'est donc point de cette curiosité qu'il faut attendre un enseignement doctrinal ou une communication par voie surnaturelle. A l'heure où le Christ expira sur la Croix, et dit: Consummatum est: « Tout est consommé (Jean, XIX, 30) », non seulement ont pris fin toutes ces communications surnaturelles, mais encore toutes les cérémonies et tous les rites de la Loi ancienne.

Ainsi donc nous devons nous guider en tout d'après la doctrine du Christ Notre-Seigneur, fait Homme pour nous, de son Église, de ses ministres qui nous parlent d'une manière humaine et visible. Par cette voie nous trouverons le remède à nos ignorances et à nos faiblesses spirituelles; par cette voie nous trouverons des secours abondants pour tous nos besoins. Tout ce qui sort de cette voie ou s'en écarte, non seulement est de la curiosité, mais encore une grande présomption. On ne doit rien croire de ce qui vient par voie surnaturelle, si ce n'est, je le répète, l'enseignement de Jésus-Christ fait Homme, et celui de ses ministres qui sont hommes aussi. Cela est tellement vrai que saint Paul a dit: Sed licet... Angelus de caelo evangelizet vobis, praeter quam quod evangelizavimus vobis, anathema sit: « Si quelque ange du ciel venait vous évangéliser autrement que nous, hommes, nous vous avons évangélisé, qu'il soit maudit et excommunié (Gal. I, 8). »

Il est donc vrai que nous devons toujours nous en tenir à ce que le Christ nous a enseigné. Tout le reste n'est rien; et nous ne devons pas le croire s'il n'est pas conforme à son enseignement. Il travaille donc inutilement celui qui veut aujourd'hui traiter avec Dieu comme on le faisait sous l'ancienne Loi. D'ailleurs, même alors il n'était pas permis au premier venu d'adresser des demandes à Dieu; Dieu, de son côté, ne répondait pas à tout le monde, mais seulement aux prêtres et aux prophètes; c'est de leur bouche que le peuple devait connaître sa loi et ses enseignements. Et si quelqu'un voulait savoir de Dieu quelque chose, il le demandait par l'intermédiaire du prêtre ou du prophète, et non directement par lui-même. Si parfois David a demandé directement quelque chose à Dieu, c'est qu'il était prophète; or, même alors, il ne le faisait pas sans revêtir l'habit sacerdotal, comme on le voit dans le livre des Rois, où il dit au prêtre Abimélec: Applica ad me ephod: « Donnez-moi l'éphod (I Rois, XXIII, 9). » Et l'éphod était un des ornements les plus importants du pontife, et ce n'était qu'après s'en être revêtu qu'il consultait Dieu. D'autres fois encore, David consultait Dieu par l'intermédiaire de Nathan et des autres prophètes. C'est donc sur la parole des prophètes et des pontifes que l'on devait croire comme venant de Dieu les révélations qui étaient faites, et non point sur le jugement personnel. Ce que Dieu disait alors n'avait donc ni force ni autorité et ne pouvait inspirer une créance absolue tant qu'il n'était pas sanctionné par les pontifes et les prophètes. Dieu, en effet, aime tant à voir l'homme gouverné et dirigé par un autre homme semblable à lui, et selon la raison naturelle, qu'il veut absolument que ce qu'il nous communique surnaturellement nous ne le donnions à comprendre, ou nous n'y donnions entière créance, ou n'ait de force et de sécurité en nous, qu'après avoir passé par ce canal humain de la bouche de l'homme. Chaque fois qu'il dit ou révèle quelque chose à l'âme il le fait en inclinant cette âme à s'en rapporter à qui il convient. Jusqu'alors, il n'a pas coutume de lui donner une pleine assurance sur la révélation; il veut que l'homme la reçoive d'un autre homme semblable à lui.

C'est précisément ce qui est arrivé au capitaine Gédéon, comme nous le lisons au livre des Juges. Dieu lui avait répété souvent qu'il triompherait des Madianites; et il restait toujours dans le doute et dans la crainte; or il garda cette faiblesse jusqu'au jour  où il apprit de la bouche des hommes ce que Dieu lui avait annoncé directement. Aussi arriva-t-il que Dieu, pour dissiper ses craintes, lui dit: Surge et descende in castra... et cum audieris quid loquantur, tunc confortabuntur manus tuae et securior ad castra descendes: « Lève-toi et va au camp des ennemis... lorsque tu auras entendu leurs paroles, tes bras deviendront plus forts pour accomplir ce que je t'ai dit et tu descendras avec plus de sécurité pour combattre (Jug. VII, 9-11). » L'événement justifia cette prédiction. Ayant entendu un Madianite raconter à un autre comment il avait rêvé que Gédéon les mettrait en déroute, celui-ci sentit son courage se ranimer et, plein de joie, commença le combat. Cet exemple nous montre que Dieu ne voulut pas lui donner directement une complète assurance; il ne la lui donna par voie surnaturelle que lorsqu'elle eut été confirmée par voie naturelle.

Ce qui arriva à ce sujet à Moïse est encore bien plus frappant. Dieu lui avait commandé d'aller délivrer les enfants d'Israël; il avait fortement motivé cet ordre; il l'avait même confirmé par le prodige en changeant sa verge en serpent comme aussi en couvrant et en guérissant subitement sa main de la lèpre. Néanmoins Moïse restait si hésitant, irrésolu et timide, que Dieu se fâcha, et encore il ne parvient pas à cette foi inébranlable qui était nécessaire dans ce cas; il fallut que Dieu relevât son courage en lui donnant son frère Aaron. Il lui dit en effet: Aaron frater tuus Levites scio quod eloquens sit; ecce ipse egreditur in occursum tuum, vidensque laetabitur corde. Loquere ad eum et pone verba mea in ore ejus, et ego ero in ore tuo et in ore illius: « Je sais que ton frère Aaron, le lévite, est un homme éloquent; voici qu'il vient à ta rencontre et ton coeur tressaillira de joie. Parle-lui, fais-lui connaître mes ordres, et moi je serai sur tes lèvres et sur les siennes, afin que vous vous encouragiez mutuellement (Ex. IV, 14). » Et entendant ces paroles, Moïse reprit aussitôt courage et confiance à la pensée d'être soutenu par les conseils de son frère. C'est, en effet, le propre d'une âme vraiment humble de ne pas oser traiter seule à seul avec Dieu, et de ne trouver de sécurité que dans la direction et le conseil de son semblable. Dieu, d'ailleurs, le veut ainsi; car là où les âmes s'unissent pour rechercher la vérité, il se trouve lui aussi pour la leur manifester et les en convaincre par des raisons naturelles. C'est ainsi, comme il l'affirme, qu'il devait agir avec Moïse et Aaron, en dirigeant les lèvres de l'un et de l'autre. Voilà pourquoi il a dit aussi dans l'Évangile: Ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum: « Là où deux ou trois sont réunis pour examiner ce qui concerne davantage l'honneur et la gloire de mon nom, je suis au milieu d'eux (Mat. XVIII, 20) », c'est-à-dire pour les éclairer, et confirmer dans leurs coeurs les vérités divines. Notons bien que Dieu ne dit pas: là où un seul se trouvera, je me trouverai, moi aussi; mais il dit: là où il y en aura au moins deux; il veut nous faire comprendre qu'il ne veut pas que personne adhère de lui-même aux communications qu'il croit recevoir de Dieu, s'y attache ou s'y appuie sans le conseil et la direction de l'Église ou de ses ministres. Celui qui est seul n'a pas Dieu avec lui pour l'éclairer et pour affermir la vérité dans son coeur; il est sans force et sans ardeur pour la vérité.

Voilà pourquoi « l'Ecclésiaste » renchérit encore sur ce que nous disons, dans ce texte: Vae soli, quia cum ceciderit, non habet sublevantem se. Et si dormierint duo, fovebuntur mutuo: unum, quomodo calefiet? Et si quisquam praevaluerit contra unum, duo resistunt ei: Malheur à celui qui est seul! Car, s'il vient à tomber, il n'a personne pour le relever. Si deux dorment ensemble, ils se réchaufferont mutuellement (Eccl. IV, 10-12), c'est-à-dire par le feu de la charité de Dieu qui est au milieu d'eux. Comment un seul pourrait-il se réchauffer? C'est-à-dire comment pourrait-il n'être pas froid dans les choses de Dieu? Et si quelqu'un peut avoir l'avantage et prévaloir sur un homme seul, c'est-à-dire si le démon prévaut contre ceux qui veulent se diriger par eux-mêmes dans les choses de Dieu, deux réunis lui résisteront, c'est-à-dire le disciple et le maître qui s'unissent pour connaître la vérité et s'y conformer. L'homme, tant qu'il est seul, se sent ordinairement faible et sans force au regard de la vérité, alors même qu'il l'aurait reçue de Dieu. Cela est tellement vrai que saint Paul, qui depuis longtemps prêchait l'Évangile qu'il disait avoir appris, non de l'homme, mais de Dieu, n'eut pas de repos jusqu'au jour où il en conféra avec saint Pierre et les Apôtres. Il disait en effet: Ne forte in vacuum currerem aut cucurrissem: « C'est de peur que je ne vienne à courir ou que je n'eusse déjà couru en vain (Gal. II, 2). » Il ne se regardait pas comme rassuré, tant qu'il n'avait pas reçu d'un homme la sécurité. Voilà donc, ô Paul, une chose digne d'admiration: celui qui vous a révélé l'Évangile que vous prêchiez ne pouvait-il donc pas, par lui-même, vous tranquilliser contre les fautes que vous auriez pu commettre dans la prédication de la vérité? De là, il suit clairement que l'on ne saurait se fier aux communications que Dieu nous révèle, tant que l'on ne suit pas l'ordre dont nous parlons. Supposons une personne qui en a la certitude, comme saint Paul l'avait au sujet de l'Évangile, puisqu'il avait déjà commencé à le prêcher, supposons en outre que la révélation vient de Dieu, on peut néanmoins se tromper à son sujet ou dans ce qui s'y rattache. Dieu, en effet, tout en découvrant une chose, ne manifeste pas toujours l'autre; très souvent même il dit une chose, mais il n'indique pas le moyen de l'exécuter. Ordinairement, en effet, tout ce qui peut s'accomplir par l'industrie de l'homme ou ses conseils, il ne le fait pas lui-même, il n'en parle pas, malgré les rapports intimes et prolongés qu'il a eus avec une âme. Saint Paul le savait très bien: car, ainsi que nous l'avons dit, malgré la certitude où il était que Dieu lui avait révélé l'Évangile, il alla en conférer avec les Apôtres.

Cette vérité est très évidente dans « l'Exode » où nous voyons que Dieu, qui s'entretenait si familièrement avec Moïse, ne lui a jamais donné par lui-même le conseil de Jéthro son beau-père, c'est-à-dire qu'il devait se choisir d'autres juges pour l'aider dans ses fonctions, afin que le peuple ne fût pas obligé de l'attendre du matin jusqu'au soir (Ex. XVIII, 21-22). Ce conseil Dieu l'approuva; mais il ne l'avait pas révélé lui-même à Moïse, car c'était une mesure et un conseil que la raison humaine pouvait découvrir. Ainsi en est-il de toutes les particularités qui dans les visions et communications de Dieu sont à la portée de la prudence et de la sagesse de l'homme. Dieu n'a pas coutume de les révéler; il veut, au contraire, que l'on profite toujours de ce moyen dans toute la mesure du possible. C'est par là qu'il faut les régler toutes, sauf les vérités de foi; celles-ci, en effet, sont supérieures à toute intelligence, à toute raison, bien qu'elles ne leur soient point contraires. Si donc une personne est certaine que Dieu et les Saints s'entretiennent souvent avec elle d'une manière intime, elle ne doit pas s'imaginer qu'ils vont par le fait même lui dire ou manifester les fautes qu'elle commet sur certains points quand elle peut les connaître par une autre voie.

On ne doit donc jamais être dans une assurance complète. Nous lisons aux Actes des Apôtres que saint Pierre, bien que prince de l'Église, et instruit directement par Dieu, se trompait en maintenant une certaine cérémonie chez les Gentils; et cependant Dieu gardait le silence; enfin Paul le reprit comme il le raconte lui-même en ces termes: Sed cum vidissem quod non recte ambularent ad veritam Evangelii, dixi Caephae coram omnibus: Si tu cum Judaeus sis, gentiliter vivis, et non judaice, quomodo Gentes coegis judaizare?: « Quand je vis que les disciples ne marchaient pas avec droiture et d'une manière conforme à la vérité de l'Évangile, je dis à Pierre devant tout le monde: Si vous, qui êtes Juif d'origine, vous vivez à la manière des Gentils, et non à celle des Juifs, comment usez-vous de ruse pour contraindre les Gentils à se conformer au judaïsme? (Gal. II, 14) » Or Dieu n'a pas montré par lui-même cette faute à Pierre; cette simulation était du domaine de la raison, et Pierre pouvait le connaître par la voie de la raison.

Au jour du jugement, Dieu punira beaucoup de fautes et de péchés d'un grand nombre d'âmes avec lesquelles il avait eu des rapports intimes et auxquelles il avait accordé des lumières spéciales et de la vertu; mettant leur confiance dans cette familiarité qu'elles avaient avec Dieu et dans les faveurs qu'elles en recevaient, elles ont négligé leurs devoirs qu'elles connaissaient bien.

Aussi, comme le dit Notre-Seigneur Jésus Christ dans l'Évangile, ces âmes seront alors remplies d'étonnement et diront: Domine, Domine, nonne in nomine tuo prophetavimus, et in nomine tuo daemonia ejecimus, et in nomine tuo vitutes multas fecimus? « Seigneur, Seigneur, est-ce que nous n'avons pas annoncé en votre nom les prophéties que vous nous avez communiquées? Est-ce que nous n'avons pas encore en votre nom chassé et repoussé les démons? Est-ce que nous n'avons pas en votre nom opéré beaucoup de miracles et de prodiges? » Et Notre-Seigneur dit qu'il leur répondra en ces termes: Et tunc confitebor illis quia nunquam novi vos; discedite a me omnes qui operamini iniquitatem: « Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité; je ne vous ai jamais connus (Mat. VII, 22-23). »

De ce nombre était Balaam et d'autres semblables. Dieu leur parlait et leur accordait des faveurs, et néanmoins ils restaient pécheurs. Le Seigneur adressera aussi des réprimandes aux élus ses amis, avec lesquels il avait traité avec familiarité sur la terre; il leur reprochera leurs fautes et leurs négligences dont il ne devait pas nécessairement les prévenir par lui-même, puisque sa loi et la raison naturelle qu'il leur avait données leur suffisaient.

Pour terminer ce sujet, je dis, conformément à ce qui précède, que quelque communication que reçoive une âme et de quelque manière que ce soit, par voie surnaturelle, elle doit l'exposer tout de suite avec clarté, précision, perfection, simplicité et en toute vérité à son directeur spirituel. Il lui semblera peut-être qu'il n'y a pas de motif d'en rendre compte à son directeur, ou de perdre le temps à lui en parler, puisque, comme nous l'avons dit, quand l'âme les repousse et n'en fait pas cas, ou ne les admet pas, elle est en sûreté, surtout quand il s'agit de visions, révélations ou autres communications surnaturelles qui ou bien sont claires ou bien n'offrent pas d'intérêt; néanmoins, il est très nécessaire d'en parler au directeur alors même qu'on ne le croirait pas utile, et cela pour trois motifs.

Le premier, c'est que, comme nous l'avons dit, Dieu communique beaucoup de choses dont l'effet, la force, la lumière, la sécurité ne se font pas sentir complètement à l'âme, tant qu'elle ne s'en est pas, je le répète, entretenue avec celui que Dieu lui-même a voulu et établi comme son juge spirituel. A lui appartient le pouvoir de la lier ou délier, d'approuver ou de désapprouver ce qui se passe en elle, comme nous l'avons montré déjà par l'autorité de l'Écriture. L'expérience de tous les jours en est la preuve. Nous voyons, en effet, des âmes humbles qui sont favorisées de ces communications surnaturelles. Or c'est après en avoir parlé à qui de droit qu'elles demeurent toutes satisfaites, pleines de force, de lumière et de sécurité; quelques-unes, qui, avant d'en avoir parlé à leur directeur, les avaient regardées avec indifférence ou comme une chose étrangère, les considèrent  alors comme un don qui leur est fait de nouveau.

Le second motif, c'est que l'âme a ordinairement besoin de recevoir un enseignement sur les choses qui se passent en elle, afin que dans cette voie où elle se trouve elle pratique le dénûment et la pauvreté spirituelle de la Nuit obscure. Si elle est privée de cet enseignement, et si même elle repousse les communications surnaturelles, elle tombera peu à peu et sans s'en apercevoir dans l'ignorance des voies spirituelles et s'accoutumera à la voie des sens, où se passent en partie ces communications particulières.

Le troisième motif, c'est pour que l'âme demeure dans l'humilité, la dépendance et la mortification. Il convient qu'elle rende compte de toutes ces communications à son directeur, alors même qu'elle n'en ferait aucun cas et les regarderait comme non avenues. Certaines personnes, en effet, éprouvent une vive répugnance à cette ouverture; il leur semble que ce n'est rien, et ne savent ce qu'en pensera leur directeur auquel elles en parleront; c'est là une marque de peu d'humilité. Voilà pourquoi il faut que ces personnes s'assujettissent à les dire. D'autres personnes éprouvent une grande confusion à les exposer, dans la crainte qu'on ne découvre en elles des faveurs qui les fassent passer pour saintes, ou pour d'autres motifs encore; voilà pourquoi elles ne croient pas devoir en parler; d'ailleurs elles n'en font pas cas; or c'est précisément pour ce fait même qu'il convient qu'elles sachent se mortifier et parler, jusqu'à ce que par l'humiliation elles arrivent à être humbles, simples, ouvertes, disposées à parler au directeur, et qu'ensuite elles aillent à lui sans difficulté.

Il nous faut donner ici un avertissement au sujet de ce que nous avons dit. Nous avons montré une grande rigueur pour que les âmes repoussent ces communications surnaturelles, et pour que les confesseurs ne favorisent point qu'elles aient des entretiens sur ces matières; mais par ailleurs les directeurs spirituels se tromperaient s'ils témoignaient à ce sujet du dégoût, de l'éloignement, du mépris; ce serait pour ces âmes l'occasion de se replier sur elles-mêmes; on fermerait la porte à l'ouverture de conscience dont elles ont besoin, et elles n'oseraient plus leur rien manifester et seraient exposées à une foule d'inconvénients. Nous le répétons, ces communications surnaturelles sont un moyen; et puisqu'elles sont un moyen ou une voie par où Dieu les mène, il n'y a pas lieu de le dédaigner; il ne faut ni s'en étonner, ni s'en scandaliser. Il faut plutôt agir avec beaucoup de bonté et de calme, encourager ces âmes, leur faciliter l'ouverture de conscience, et au besoin la leur imposer par un précepte, car elles éprouvent parfois une difficulté très grande à s'y résigner. Le directeur s'appliquera à les conduire dans la voie de la foi; il leur enseignera simplement à détourner les regards de toutes ces manifestations surnaturelles, il leur montrera comment on en détache les tendances et l'esprit pour réaliser des progrès; enfin il leur donnera à entendre que devant Dieu une seule action, un seul acte de volonté fait par charité a plus de prix que toutes les visions, révélations ou communications qui peuvent venir du Ciel, car en ces choses il n'y a ni mérite, ni démérite. Il leur exposera en outre comment beaucoup d'âmes qui ne jouissent d'aucune  de ces manifestations sont incomparablement plus parfaites que d'autres qui en sont largement favorisées.

    

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