Homélies
sur la Dormition de la Vierge Marie
DEUXIEME
HOMÉLIE SUR LA DORMITION
1. Il n’est entre les hommes
personne qui puisse célébrer dignement la migration sacrée de la Mère de Dieu,
quand même il aurait mille langues et mille bouches. Que dis-je ? Les langues de
tous les hommes dispersés, fussent-elles réunies, ne parviendraient pas à
exprimer les louanges qui lui conviennent. Car elle est au-dessus de toute loi
du genre laudatif. Mais puisque l’offrande est chère à Dieu, qui est faite selon
nos forces, par amour, par zèle et par une volonté droite, et que ceci est cher
à la Mère de Dieu qui est cher et agréable à son Fils, entreprenons encore une
fois ses louanges, pour obéir à vos ordres, pasteurs excellents et très aimés de
Dieu, après avoir appelé à notre aide le Verbe qui s’est incarné par elle, qui
remplit toute bouche s’ouvrant vers lui, et qui seul fut son ornement et son
éloge souverainement glorieux. Nous savons qu’en commençant ses louanges, nous
acquittons notre dette, et qu’après l’avoir acquittée, nous sommes encore ses
débiteurs : ainsi la dette demeure, toujours renouvelée à mesure qu’elle est
acquittée.
Puisse nous être propice celle que
nous célébrons, elle qui surpasse toutes les créatures et qui domine toutes les
œuvres divines, comme Mère de Dieu, du Créateur et du Démiurge, du Maître
universel.
Pardonnez-moi, vous aussi,
assemblée désireuse d’écouter les paroles divines ; accueillez ma bonne volonté,
applaudissez à mon zèle, mais compatissez à la faiblesse de ma parole. Supposez
le prince aux mains de qui Dieu a remis le gouvernail de son peuple, dont la
table est toujours abondante et couverte de mets variés, et le palais embaumé de
parfums précieux : si quelqu’un, hors de la saison, vient lui offrir une
violette couleur de pourpre, ou une rose, fleur odorante des épines, avec son
enveloppe verdoyante, dont elle sort doublement colorée en prenant par degré une
belle teinte rouge, et quelque fruit de l’automne à la vive teinte de miel, ce
prince, sans faire attention au peu de valeur du cadeau, remarquera sa nouveauté
; il admirera ce qu’il a d’insolite, en bon juge et en vrai connaisseur ; et il
récompensera le paysan des dons les plus abondants et les plus beaux. Ainsi
nous, qui dans notre hiver offrons les fleurs de notre éloquence à notre Reine,
nous qui préparons notre voix vieillie à affronter les discours d’apparat, nous
qui, stimulant notre bonne volonté avec notre esprit, comme on frappe une pierre
avec le fer, ou pressant, comme une grappe qui n’est pas mûre, nos facultés
d’élocution, pour vous donner dans ce discours une obscure étincelle et un vin
nouveau, à vous qui êtes des lettrés et des auditeurs exigeants, puissions-nous
être accueillis bien plus favorablement encore !
Qu’offrir à la Mère de la Parole,
sinon notre parole ? Ce qui est semblable plaît au semblable, et ce qui est
amical à l’ami. A présent donc, ouvrons la barrière à notre discours, lâchons un
peu les rênes et poussons-le comme un cheval à la course. Mais, ô Parole de
Dieu, sois toi-même mon auxiliaire et mon secours : fais éloquente ma pensée
sans éloquence ; ouvre à ma parole une carrière unie et dirige sa course vers
ton bon plaisir, auquel tendent toute parole et toute pensée du sage.
I. LA MERE DE DIEU
DEVAIT TRIOMPHER DE LA MORT.
La mort ne
peut retenir la Théotokos,
ciel vivant et trésor de la vie
2. Aujourd’hui la sainte et
l’unique Vierge est amenée au temple hypercosmique et céleste, elle qui a brûlé
d’une telle ardeur pour la virginité, qu’elle fut transformée en elle comme en
un feu très pur. Toute vierge perd sa virginité en enfantant, mais celle-ci,
vierge avant l'enfantement, demeure vierge en enfantant et après la naissance.
Aujourd’hui l’arche sacrée et
vivante du Dieu vivant, celle qui a porté dans son sein son Auteur, se repose
dans le temple du Seigneur non fait de main d’homme, et David, son ancêtre et
l’ancêtre de Dieu, exulte ; et les anges mènent leurs chœurs avec lui, les
archanges applaudissent, les Vertus rendent gloire, les Principautés avec lui
tressaillent, les Dominations jubilent, les Puissances se réjouissent, les
Trônes sont en fête, les Chérubins chantent des louanges, les Séraphins
proclament : « Gloire ! ». Car ce n’est point pour eux une faible gloire que de
glorifier la Mère de la Gloire.
Aujourd’hui la colombe toute
sacrée, l’âme pure et innocente, consacrée par l’Esprit divin, envolée de
l’arche, je veux dire de son corps, réceptacle de Dieu et source de vie, a
trouvé « où reposer ses pieds » : elle est partie pour le monde intelligible, et
s’est établie sur la terre sans tache de l’héritage d’en haut.
Aujourd’hui, l’Eden du nouvel Adam
accueille le paradis spirituel, où la condamnation est effacée, où l’arbre de
vie est planté, où fut recouverte notre nudité. Car nous ne sommes plus nus et
sans vêtements, privés de l’éclat de la divine image, et dépouillés de la grâce
abondante de l’Esprit. Nous ne déplorons plus l’antique nudité, en disant : «
J’ai quitté ma tunique, comment la remettrai-je ? Car dans ce paradis le serpent
n’eut pas d’entrée, lui dont nous avons convoité la divinisation mensongère, ce
qui nous a valu de ressembler au bétail sans raison. Le Fils unique de Dieu en
personne, qui est Dieu et consubstantiel au Père, de cette Vierge et de cette
terre pure s’est lui-même façonné une nature humaine ». Et je suis devenu dieu,
moi qui suis homme ; mortel, je suis immortalisé ; j’ai dépouillé les tuniques
de peau : j’ai rejeté le manteau de la corruption, je me suis couvert du
vêtement de la divinité.
Aujourd’hui la Vierge sans tache,
qui n’a pas entretenu d’affections terrestres, mais s’est nourrie des pensées du
ciel, n’est pas retournée à la terre ; comme elle est en réalité un ciel vivant,
elle est placée dans les tentes célestes. Qui donc en effet manquerait à la
vérité en l’appelant un ciel ? A moins de dire peut-être, avec justesse et
intelligence, qu’elle dépasse les cieux mêmes par d’incomparables privilèges.
Car celui qui a construit les cieux et qui les contient, l’artisan de toute la
création cosmique et hypercosmique, visible et invisible, qui n’est dans aucun
lieu, parce qu’il est lui-même le lieu de tous les êtres ? puisque le lieu, par
définition, contient ce qui est en lui ? s’est fait lui-même en elle petit
enfant, sans semence humaine : il a fait d’elle la spacieuse demeure de sa
divinité qui remplit tout, unique et sans limites ; tout entier ramassé en elle
sans s’amoindrir, et demeurant tout entier en dehors, étant à soi-même son lieu
infini.
Aujourd’hui le trésor de la vie,
l’abîme de la grâce ? je ne sais comment m’exprimer de mes lèvres audacieuses et
intrépides ? entre dans l’ombre d’une mort porteuse de vie ; sans crainte elle
s’en approche, elle qui a engendré son destructeur, si toutefois il est permis
d’appeler mort son départ plein de sainteté et de vie. Car celle qui pour tous
fut la source de la vraie vie, comment tomberait-elle au pouvoir de la mort ?
Mais elle obéit à la loi établie par son propre enfant, et comme fille du vieil
Adam, elle acquitte la dette paternelle, puisque son Fils même, qui est la vie
en personne, ne l’a pas reniée ». Mais comme Mère du Dieu vivant, il est juste
qu’elle soit emportée auprès de lui. Car si Dieu a dit : « De peur que l’homme
», le premier créé, « n’étende la main, ne cueille de l’arbre de vie, n’en goûte
et ne vive pour la durée des temps … », comment celle qui a reçu la vie
elle-même, sans principe et sans terme, affranchie des limites du commencement
et de la fin, ne vivrait-elle pas pour la durée illimitée ?
Eve et Marie
devant la mort.
3. Jadis, le Seigneur Dieu frappa
les auteurs de la race mortelle, qui s’étaient gorgés du vin de la
désobéissance, avaient assoupi le regard de leur cœur par l’ivresse de la
transgression, appesanti les yeux de leur esprit par l’intempérance du péché, et
s’étaient endormis d’un sommeil de mort ; il les exila et les chassa du Paradis
d’Eden. Mais ici, celle qui a repoussé tout mouvement de passion, qui a produit
le germe de l’obéissance à Dieu et au Père, l’initiatrice de la vie pour la race
entière, le Paradis ne la recevra-t-il pas ? Oui, n’en doutons pas. Eve, qui
prêta l’oreille au message du serpent, qui écouta la suggestion de l’ennemi,
dont les sens goûtèrent le charme du plaisir mensonger et trompeur, emporte une
sentence de tristesse et d’affliction ; elle subit les douleurs de
l’enfantement, elle est condamnée à la mort avec Adam et reléguée aux
profondeurs de l’Hadès. Mais celle-ci, la toute heureuse en vérité, qui
s’inclina docile à la parole de Dieu, fut remplie de la force de l’Esprit et
reçut dans son sein, à l’assurance de l’archange, celui qui était la
bienveillance paternelle, elle qui, sans volupté et sans union humaine, conçut
la Personne du Verbe de Dieu qui remplit tout, elle qui enfanta sans les
douleurs naturelles, elle qui fut unie à Dieu dans tout son être, comment la
mort pourrait-elle l’engloutir ? l’Hadès se fermer sur elle ? Comment la
corruption oserait-elle s’en prendre au corps qui a contenu la vie ? Toutes
choses qui répugnent et sont absolument étrangères à l’âme et au corps qui ont
porté Dieu.
La mort
recule avec crainte.
A son seul aspect, la mort est
saisie d’effroi : instruite par sa défaite quand elle s’attaqua à son Fils, la
leçon de l’expérience l’a rendue prudente. Non, celle-ci n’a pas connu les
sombres descentes de l’Hadès, mais la voie vers le ciel, droite, unie et facile,
lui a été préparée. Si le Christ, qui est vie et vérité, a dit : « Où je suis,
là aussi sera mon serviteur », comment sa Mère, bien davantage,
n’habiterait-elle pas avec lui ? L’enfantement avait prévenu les douleurs, sans
douleurs aussi fut son départ de cette vie. « La mort des pécheurs est funeste
», mais pour celle en qui « l’aiguillon de la mort, le péché », a été tué, que
dirons-nous, sinon que sa mort fut l’entrée dans une vie immortelle et meilleure
? Précieuse, en vérité, la mort des saints du Seigneur Dieu des armées : plus
que précieuse la migration de la Mère de Dieu.
Cité vivante de Dieu et Jérusalem
céleste.
Maintenant, que les cieux se
réjouissent, que les anges applaudissent ! Maintenant, « que la terre exulte »,
que les hommes bondissent de joie ! Maintenant, que l’air retentisse des chants
de l’allégresse, que la nuit obscure rejette la ténèbre sinistre et son manteau
de deuil, mais que, brillante, elle imite l’éclat du jour avec des éclairs de
feu. La vivante cité du Seigneur Dieu des armées est élevée dans les hauteurs,
et les rois apportent un présent inestimable, du temple du Seigneur, l’illustre
Sion, dans la Jérusalem d’en haut, celle qui est libre, celle qui est leur mère
: ceux que le Christ a établis chefs de toute la terre ? les Apôtres ? escortent
la Mère de Dieu, la toujours Vierge.
II. LA TRADITION DE
L’EGLISE DE JERUSALEM
CONCERNANT LA DORMITION.
Dans la
sainte Sion, centre de toutes les églises.
4. Et ici, il ne me paraît pas
déplacé de décrire par la parole, autant que cela est possible, d’évoquer et de
faire revivre en un tableau les merveilles qui se sont accomplies à propos de
cette sainte Mère de Dieu : c’est une tradition dont on peut dire
raisonnablement, et d’une manière très générale, qu’elle nous est transmise de
père en fils depuis une époque ancienne.
Je me la représente, plus sainte
que les saints, sacrée entre toutes, vénérable entre toutes, cette douce demeure
de la manne, ou plutôt et plus véritablement, sa source, étendue sur un lit de
repos, dans la divine et renommée cité de David, dans cette Sion illustre et
couronnée de gloire, où fut menée à son terme la loi selon la lettre, et
proclamé le nom de l’esprit ; où le Christ législateur mit fin à la Pâque
typique, et où le Dieu de l’ancienne et de la nouvelle Alliance a transmis la
Pâque véritable ; où l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde a initié ses
disciples au repas mystique, et pour eux s’est immolé comme le veau gras et a
foulé la grappe de la vraie vigne. Là le Christ ressuscité des morts se fait
voir aux Apôtres, et amène Thomas, et par lui l’univers, à croire qu’il est Dieu
et Seigneur, ayant en lui deux natures, même après sa résurrection, avec deux
opérations qui leur correspondent, et des décisions libres qui demeurent pour
l’éternité. C’est là la métropole des églises, c’est là le séjour des disciples.
Là l’Esprit très saint est survenu, avec grand bruit, multitude de langues et
apparence de feu, et fut répandu sur les Apôtres. Là le héraut de la parole de
Dieu, qui avait reçu chez lui la Mère de Dieu, subvenait à ses besoins. Cette
demeure, qui est la mère des églises de la terre entière, devint la résidence de
la Mère de Dieu après le retour de son Fils d’entre les morts. C’est donc là que
la bienheureuse Vierge reposait sur son lit trois fois béni.
5. Mais parvenu à ce point de mon
discours, s’il faut dévoiler mes sentiments intimes, je suis consumé d’une vive
ardeur et d’un feu brûlant, saisi d’un frisson avec des larmes de joie, comme si
j’embrassais en réalité ce lit bienheureux et aimable, débordant de merveilles,
qui reçut la demeure d'où est sortie la vie, et qui à son contact a participé à
sa sainteté. Cette demeure sacrée elle-même, sacro-sainte, digne de Dieu, il me
semblait la tenir de mes mains, l’entourer de mes bras. Les yeux, les lèvres, le
front, le cou, les joues, appliqués à ces membres, j'ai eu le sentiment de
toucher le corps comme s'il était présent, et cependant avec toute mon attention
je n'ai pu voir de mes yeux ce que je désirais. Comment apercevoir ce qui a été
emporté dans les hauteurs vers les parvis célestes Mais en voilà assez sur ce
point.
Marie, reine
des apôtres, des prophètes et des anges,
qui l’entourent.
6. Quels honneurs lui furent alors
rendus par l’auteur de la loi qui prescrit
d’honorer ses parents !
Ceux qui étaient dispersés sur
toute l’étendue de la terre pour leur mission de pêcheurs d’hommes, ceux qui,
par les harmonies multiples et les langues variées de l’Esprit, avec le filet de
leur parole, ramenaient les hommes des abîmes de l’erreur jusqu’à la table
spirituelle et céleste du repas mystique, au festin sacré des noces spirituelles
de l’époux céleste, que le Père célèbre avec une splendeur toute royale en
l’honneur de son Fils, son égal en puissance et en nature, ? voici que par un
ordre divin, la nuée les amenait, à la manière d’un filet, vers Jérusalem, elle
les pressait et les rassemblait, comme des aigles, des extrémités de la terre.
« Là où est le corps, a dit le Christ qui est la vérité, les aigles se
rassembleront. » Sans doute cette parole s’applique à la seconde parousie de
celui qui l’a prononcée, parousie grandiose et manifeste, et à sa descente du
ciel ; cependant il ne sera pas hors de propos de l’employer ici comme un
agrément du discours. Ils étaient donc là, les témoins oculaires et les
serviteurs de la Parole, pour servir aussi sa Mère, selon leur devoir, et pour
puiser auprès d’elle la bénédiction, comme un magnifique et précieux héritage.
Pour qui, en effet, est-ce une opinion douteuse, qu’elle soit la source de la
bénédiction et la fontaine jaillissante de tous les biens ? Avec eux étaient
leurs compagnons et leurs successeurs, pour avoir part à leur service comme à la
bénédiction qu'ils en recevaient où le travail est commun, les fruits du
travail le sont dans la même proportion. Et pareillement la communauté, élue de
Dieu, de tous ceux qui séjournaient à Jérusalem.
Il convenait aussi que les
principaux des anciens justes et des prophètes se joignissent à leur escorte,
pour prendre part à cette garde sacrée, eux qui avaient annoncé d’avance que le
Dieu Verbe devait naître de cette femme, à cause de nous, et devait prendre
chair par amour pour les hommes.
Mais l’assemblée même des anges
n’était pas exclue. Tout être en effet qui obéissait au désir du Roi et méritait
par là l’honneur de l’assister, devait escorter aussi sa Mère selon la chair,
celle qui est vraiment bienheureuse et bénie, celle qui l’emporte sur toutes les
générations et sur la création entière. Ils étaient tous auprès d’elle ; la
lumière de l’Esprit resplendissait, et ses rayons étincelants les éclairait,
tandis qu’avec respect et crainte, immobiles dans une attitude d’amour, ils
fixaient sur elle le pur regard de leur esprit. Aucun être ne faisait exception.
Aucun, même parmi les plus élevés de ceux qui ne sont comparables à nul autre,
ne refusa de s’abaisser et de s’acquitter de tous ces services.
Tous
célèbrent les merveilles de l’amour divin
et de l’Incarnation.
7. Alors ce furent des paroles
divinement inspirées et de divins entretiens. Alors sans doute des hymnes dignes
de Dieu se firent entendre, pour accompagner ce départ. Il fallait célébrer une
fois de plus, à cette occasion, la bonté plus qu’infinie, la grandeur au-dessus
de toute grandeur, la puissance qui dépasse sans mesure toute puissance, et la
sagesse de Dieu à notre égard, qui défie toute hauteur et toute grandeur, la
richesse infinie de la bienveillance incompréhensible, l'abîme insondable de
l'amour. Il fallait dire comment, sans abandonner sa propre majesté, le Verbe
est descendu jusqu’au dépouillement d’où sortirait son élévation, avec
l’assentiment bienveillant du Père et de l’Esprit ; comment le Suressentiel a
pris substance du sein d’une femme, selon un mode suressentiel ; comment il est
Dieu et s’est fait homme, et demeure en même temps l’un et l’autre ; comment
sans quitter la substance de la divinité, à la ressemblance de notre « condition
», il a « participé à la chair et au sang » ; comment Celui qui remplit tout et
porte l’univers par la parole de sa propre bouche, est venu habiter une étroite
demeure ; comment enfin le corps de cette femme admirable, matière fragile et
semblable à la paille, reçut le « feu dévorant » de la divinité en restant,
comme l’or pur, inconsumé. C’est par la volonté de Dieu que ces mystères se sont
accomplis. Quand Dieu veut, toutes choses deviennent possibles ; rien n’est
réalisable si sa volonté s’y oppose.
Là-dessus, tous rivalisèrent de
paroles, non pour l’emporter les uns sur les autres ? ce qui serait d’un esprit
avide de vaine gloire, et loin de ce qui plaît à Dieu ?, mais afin que leur
ardeur et leur force ne faiblissent en rien pour célébrer Dieu et honorer la
Mère de Dieu.
Invocations
suprêmes des saints et de toute l’Eglise.
8. Alors Adam et Eve, alors les
ancêtres de notre race, de leurs lèvres
joyeuses, bien haut s’écrièrent : Heureuse es-tu, ô fille, qui as aboli pour
nous la peine de la transgression ! Tu as hérité de nous un corps périssable, et
tu as porté dans ton sein, pour nous, un vêtement d'incorruptibilité. Vivre,
voilà ce que tu as pris de notre chair, mais vivre heureux, voilà ce qu’en
retour tu nous as donné ; tu as supprimé les douleurs, tu as brisé les liens de
la mort. Tu as restauré notre ancienne demeure ; nous avions fermé le Paradis,
toi, tu as ouvert à nouveau l’accès de l’arbre de vie. Par notre faute, les
biens s’étaient changés en peines : grâce à toi, de ces peines sont sortis, pour
nous, de plus grands biens. Comment goûterais-tu la mort, ô toi qui es sans
souillure ? Pour toi elle sera un pont qui conduit à la vie, une échelle vers le
ciel ; la mort sera un passage à l’immortalité. Oui, réellement, tu es heureuse,
toi la tout heureuse ! Qui en effet, à moins d’être le Verbe, se fût offert à
supporter ce que nous apprenons qu’il a accompli ? Et tout le chœur des saints
joignait ses applaudissements : Tu as réalisé nos prédictions, tu nous as
apporté la joie attendue, puisque, grâce à toi, nous voilà affranchis des
chaînes de la mort. Viens à nous, ô trésor divin et porteur de vie. Viens vers
nous, qui te désirons, toi qui as comblé notre désir !
Mais des paroles non moins
pressantes la retenaient, celles de la multitude des saints qui l’entouraient,
encore vivants dans leurs corps : Demeure avec nous, disaient-ils, toi notre
consolation, notre seul réconfort sur la terre. Ne nous laisse pas orphelins, ô
Mère, nous qui pour ton Fils compatissant affrontons le danger. Puissions-nous
te garder comme repos dans nos peines, comme rafraîchissement de nos sueurs ! Si
tu veux rester, tu en as le pouvoir, et si ton désir est de t’éloigner, rien ne
t’arrête. Si tu t’en vas, toi la demeure de Dieu, laisse-nous partir avec toi,
nous qui sommes appelés ton peuple à cause de ton Fils. En toi nous possédons la
seule consolation qui nous soit laissée sur terre. Heureux de vivre avec toi si
tu vis, de te suivre dans la mort si tu meurs ! Mais que disons-nous « si tu
meurs » ? Pour toi, même la mort est une vie, et une vie meilleure, préférable,
sans comparaison possible, à la vie présente. Mais pour nous la vie est-elle
encore une vie, si nous sommes privés de ta compagnie ?
9. Telles étaient, j’imagine, les
paroles que les Apôtres, avec tout l’ensemble de l’Eglise, adressaient à la
bienheureuse Vierge. Mais quand ils virent la Mère de Dieu se hâter vers son
départ d’ici-bas, et s’y porter de tout son désir, ils se mirent à chanter des
hymnes accordés à ce départ, soulevés qu’ils étaient par la grâce divine, et
prêtant leur bouche à l’Esprit ; et, ravis hors de la chair, aspirant à s’en
aller avec la Mère de Dieu qui s’en allait, ils devançaient leur propre départ,
autant qu’ils le pouvaient, par l’intensité de leur désir. Lorsqu’ils eurent
tous satisfait à leur ferveur comme à leur devoir, et tressé de leurs hymnes
sacrés une couronne de fleurs riches et variées, ils obtinrent leur part de
bénédiction, comme un trésor venu de Dieu. Ils prononcèrent alors les paroles du
départ et de l’heure suprême : elles disaient, je le suppose, que la vie
présente est fragile et passagère, et mettaient en lumière les mystères cachés
des biens à venir.
Les Fils
vient à la rencontre de sa mère. La mort.
10. A ce moment certains faits
durent survenir, en accord avec ces
circonstances et réclamés par elles, me semble-t-il : je veux dire la venue du
Roi vers sa propre mère, pour accueillir, de ses mains divines et pures, sa
sainte âme toute claire et immaculée. Et elle, sans doute, dit alors : Dans tes
mains, mon Fils, je remets mon esprit. Reçois mon âme, qui t’est chère, et que
tu as préservée de toute faute. A toi, et non à la terre, je remets mon corps ;
garde sain et sauf ce corps en qui tu daignas habiter, et dont, en naissant, tu
préservas la virginité. Emporte-moi près de toi, afin que là où tu es, toi le
fruit de mes entrailles, je sois aussi, pour partager ta demeure ! Je m’empresse
de retourner à toi, qui descendis vers moi en supprimant toute distance. Quant à
mes enfants très aimés, que tu as bien voulu appeler tes frères, console-les
toi-même de mon départ. Ajoute à celle qu’ils ont déjà une nouvelle bénédiction
par l’imposition de mes mains. ? Et, levant les mains, on peut croire qu’elle
bénit les assistants réunis. Après ces mots, elle entendit à son tour une voix :
Viens ma mère bénie, « dans mon repos ». « Lève-toi, viens, ma bien-aimée »,
belle entre les femmes : « car voilà l’hiver passé, et le temps de la taille des
branches est venu. » « Belle est ma bien-aimée, et il n’y a pas de défaut en
toi. » « L’odeur de tes parfums surpasse tous les aromates ! »
Ces paroles entendues, la Sainte
remet son esprit entre les mains de son Fils.
Le corps de
la Vierge, source de bénédictions.
11. Et qu’advient-il alors ? Je
suppose les éléments ébranlés et bouleversés, des voix, des rumeurs, des fracas,
et, ainsi qu’il convient, les hymnes des anges qui précèdent, accompagnent et
suivent. Les uns rendaient leurs devoirs et faisaient escorte à l’âme
irréprochable de toute sainte, et l’accompagnaient dans sa montée au ciel,
jusqu’au trône royal où ils amenèrent la Reine, tandis que d’autres se
rangeaient en cercle autour du corps divin et sacré, et de leurs chants
angéliques célébraient la Mère de Dieu. Quant à ceux qui se tenaient tout auprès
de ce corps saint et sacré, avec crainte et ardent amour, avec des larmes
d’allégresse, ils entouraient ce divin et tout heureux tabernacle, ils
l’embrassaient, baisaient tous ses membres, ils touchaient ce corps, comblés à
son contact de sainteté et de bénédiction. Alors les maladies étaient en fuite,
les bandes de démons en déroute, de partout refoulées aux demeures souterraines.
L’ai, l’éther, le ciel étaient sanctifiés par la montée de l’esprit, la terre
par la déposition du corps. L’eau elle-même ne fut pas exclue de bette
bénédiction, car le corps est lavé d’une eau pure, qui ne le purifie pas, mais
est bien plutôt sanctifiée. Alors l’ouïe était rendue aux sourds dans son
intégrité, les pieds des boiteux s’affermissaient, les aveugles retrouvaient la
vue ; pour les pécheurs qui s’approchaient avec foi, le décret de condamnation
était déchiré. Que supposer ensuite ? Dans des linges purs le corps pur est
enveloppé, et la Reine est replacée sur un lit. Des flambeaux, des parfums, des
chants funèbres l’entourent ; dans la langue des anges, un hymne se fait
entendre, tel qu’ils peuvent le moduler, tandis que les Apôtres et les Pères
tout remplis de Dieu chantent des cantiques divins composés par l’Esprit.
« Transfert
de l’arche. »
12. C’est alors que l’arche du
Seigneur, ayant quitté la montagne de Sion, portée sur les épaules glorieuses
des Apôtres, est transférée dans le temple céleste par l’intermédiaire du
tombeau. Et d’abord elle est conduite à travers la ville, comme une épouse d’une
parfaite beauté, ornée de l’éclat immatériel de l’Esprit, et ainsi elle est
amenée dans l’enclos très saint de Gethsémani ; des anges la précèdent,
l’accompagnent, la couvrent de leurs ailes, avec l’Eglise en sa plénitude.
Et comme le roi Salomon, pour faire
reposer l’arche dans le temple du Seigneur, qu’il avait lui-même édifié,
convoqua « tous les anciens d’Israël à Sion pour faire monter l’arche de
l’alliance du Seigneur, de la cité de David, qui est Sion » ? « et les prêtres
portèrent l’arche et la tente du témoignage, et les prêtres et les lévites la
firent monter ; et le roi et tout le peuple sacrifièrent devant l’arche bœufs et
moutons en quantité innombrable ; et les prêtres apportèrent l’arche de
l’alliance du Seigneur à sa place, au Dabir du Temple, dans le Saint des saints,
sous les ailes des chérubins » ? ainsi maintenant, pour faire reposer l’arche
spirituelle, non de l’alliance du Seigneur, mais de la Personne même du Verbe de
Dieu, le nouveau Salomon lui-même, prince de la paix et Maître Ouvrier de
l’univers, a convoqué aujourd’hui les ordres hypercosmiques des esprits célestes
et les chefs de la nouvelle alliance : les Apôtres, avec tout le peuple des
saints qui se trouvaient à Jérusalem. Par les anges, il introduit l’âme au Saint
des saints, dans les archétypes véritables et célestes, sur les ailes mêmes des
animaux à quadruple figure, et l’établit près de son propre trône, à l’intérieur
du voile, où le Christ lui-même, en précurseur, a pénétré corporellement. Quant
au corps, il est porté en procession tandis que le Roi des rois le recouvre de
l’éclat de son invisible divinité, et que l’assemblée entière des saints marche
devant lui, pousse de saintes acclamations et offre « un sacrifice de louange »,
jusqu’au moment où il est introduit dans le tombeau comme dans une chambre
nuptiale, et, à travers lui, dans les délices de l’Eden et dans les tabernacles
célestes.
Légende du
profanateur.
13. Des Juifs pouvaient se trouver
là aussi, de ceux qui n’avaient pas perdu tout jugement droit. Il n’est pas
déplacé de mêler à notre récit, comme un condiment au repas, l’histoire qui
court sur les lèvres d’un grand nombre. On raconte qu’au moment où les porteurs
du corps bienheureux de la Mère de Dieu commençaient à descendre la pente de la
montagne, un Hébreu esclave du péché et lié par un pacte avec l’erreur, imitant
le valet de Caïphe qui avait souffleté le visage souverain et divin du Christ
notre Dieu, et devenu l’instrument du diable, dans un emportement téméraire et
insensé, se jeta d’un élan démoniaque sur cette demeure toute divine dont les
anges s’approchaient avec crainte ; des deux mains saisissant le lit funèbre,
dans l’égarement de sa folie, il voulu le faire tomber à terre : une attaque
encore de la haine envieuse de l’auteur du mal ! Mais le fruit de ses efforts le
prévint, et il récolta un raisin amer digne de son entreprise. On raconte qu’il
fut privé de l’usage de ses mains, et l’on pu voir celui qui de ses propres
mains avait commis l’indigne attentat, apparaître soudain mutilé, jusqu’au
moment où, cédant à la foi et au repentir, il vint à résipiscence. Aussitôt en
effet les porteurs du lit funèbre s’étaient arrêtés, et le malheureux aux mains
mutilées, les ayant approchées de ce tabernacle, principe de vie et source de
miracles, se retrouva sain et sauf. C’est ainsi que le malheur lui-même est
capable d’enfanter de saines et de salutaires décisions. Mais revenons à notre
récit.
Assomption
corporelle.
14. Ensuite le corps est porté au
lieu très saint de Gethsémani. Ce sont
encore baisers et embrassements, encore louanges et hymnes sacrés, invocations
et larmes ; la sueur de l’angoisse et de la douleur s’épanche. Et ainsi le corps
très saint est placé dans le glorieux et magnifique monument. De là, après trois
jours, il est emporté dans les hauteurs vers les demeures célestes.
III. CONVENANCE DE
L’ASSOMPTION.
GRACES QUI DECOULENT DE CE MYSTERE.
Pourquoi
l’Assomption ?
Il fallait en effet que cette
demeure digne de Dieu, la source non creusée de main d’homme, d’où jaillit l’eau
qui remet les péchés, la terre non labourée, productrice du pain céleste, la
vigne qui sans être arrosée donna le vin d’immortalité, l’olivier toujours
verdoyant de la miséricorde du Père, aux fruits magnifiques, ne subît pas
l’emprisonnement des abîmes de la terre. Mais de même que le corps saint et pur,
que le Verbe divin, par elle, avait uni à sa Personne, le troisième jour est
ressuscité du tombeau, elle aussi devait être arrachée à la tombe, et la mère
associée à son Fils. Et comme il était descendu vers elle, ainsi elle-même,
objet de son amour, devait être transportée jusque dans « le tabernacle plus
grand et plus parfait », « jusqu’au ciel lui-même ».
Il fallait que celle qui avait
donné asile au Verbe divin dans son sein, vînt habiter dans les tabernacles de
son Fils. Et comme le Seigneur avait dit qu’il devait être dans la demeure de
son propre Père, il fallait que sa mère demeurât au palais de son Fils, « dans
la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu. » Car si là
est « la demeure de tous ceux qui sont dans la joie », où donc habiterait la
cause de la joie ?
Il fallait que celle qui dans
l’enfantement avait gardé intacte sa virginité, conservât son corps sans
corruption, même après sa mort.
Il fallait que celle qui avait
porté petit enfant son Créateur dans son sein, vécût dans les tabernacles
divins.
Il fallait que l’épouse que le Père
s’était choisie vînt habiter au ciel la demeure nuptiale.
Il fallait que celle qui avait
contemplé son Fils en Croix et reçu alors au cœur le glaive de douleur qui
l’avait épargnée dans son enfantement, le contemplât assis auprès de son Père.
Il fallait que la Mère de Dieu
entrât en possession des biens de son Fils, et fût honorée comme Mère et
servante de Dieu par toute la création. L’héritage passe toujours des parents
aux enfants ; ici cependant, pour emprunter l’expression d’un sage, les sources
du fleuve sacré remontent vers leur origine. Car le Fils a soumis à sa mère la
création tout entière.
Réalisme de
l’Incarnation et de la maternité divine.
15. Eh bien donc, à notre tour,
aujourd’hui, célébrons la fête du départ de la Mère de Dieu, non point avec des
flûtes ni des chants de corybantes, ni par les thiases orgiaques de celle qu’on
appelle la Mère des dieux faussement nommés : les insensés, dans leurs
imaginations fabuleuses, lui attribuent beaucoup d’enfants, alors que la vérité
montre qu’elle n’en eut aucun. Ce ne sont que des démons, des fantômes vains
comme des ombres, qui feignent sottement ce qu’ils ne sont pas, aidés en cela
par la folie qui égare les hommes. Un être sans corps peut-il engendrer ?
Comment s’unirait-il à un autre ? Et comment appeler un dieu ce qui n’existe pas
auparavant, et apparaît par la naissance ? Que la race des dieux, en effet, soit
incorporelle, c’est l’évidence pour tout homme, même pour ceux dont les yeux
spirituels sont aveugles. Car Homère décrit ainsi, en un passage de ses œuvres
la complexion des dieux qui sont dignes de lui : Ils ne mangent pas le pain, ni
ne boivent le vin couleur de feu ; aussi sont-ils exsangues, et appelés
immortels.
Ils ne se nourrissent pas de pain,
dit-il, ils ne boivent pas le vin qui donne la chaleur. Voilà pourquoi ils n’ont
pas de sang et on leur donne le nom d’immortels. Il dit très justement : on les
appelle. On les dit immortels ; mais ils ne sont pas ce que l’on dit, car ils
ont péri de male mort.
Quant à nous, comme celui que nous
adorons est Dieu, un Dieu qui n’est pas venu du non-être à l’existence, mais qui
est éternel engendré de l’éternel, qui dépasse toute cause, parole, idée soit de
temps soit de nature, c’est la Mère de Dieu que nous honorons et vénérons. Nous
ne voulons pas dire qu’il tienne d’elle la naissance intemporelle de sa divinité
? la génération du Verbe de Dieu est hors du temps et éternelle comme le Père. ?
Mais nous confessons une seconde naissance, par incarnation volontaire, et de
celle-ci nous connaissons la cause et nous la proclamons : il se fait chair,
celui qui est éternellement incorporel, « à cause de nous et à cause de notre
salut », pour sauver le semblable par le semblable. Et s’incarnant, il naît de
cette Vierge sacrée sans union humaine, restant lui-même Dieu tout entier, et
tout entier devenu homme ; pleinement Dieu avec sa chair, et pleinement homme
avec son infinie divinité. C’est en reconnaissant ainsi cette Vierge comme Mère
de Dieu que nous célébrons sa dormition : nous ne l’appelons pas une déesse ?
loin de nous ces fables de l’imposture grecque ! ? puisque nous annonçons aussi
sa mort. Mais nous la reconnaissons pour la Mère de Dieu incarné.
16. Célébrons-la aujourd’hui, par
des chants sacrés, nous qui avons été enrichis au point d’être le peuple du
Christ et de porter ce nom ! Honorons-la par des stations nocturnes !
Réjouissons-la par la pureté de l’âme et du corps, elle qui réellement est plus
pure que tous les êtres sans exception après Dieu : car le semblable se plaît au
semblable. Rendons-lui hommage par notre miséricorde et notre compassion à
l’égard des indigents. Si rien ne fait honneur à Dieu comme la miséricorde, qui
contestera que sa Mère soit honorée par les mêmes sentiments, elle qui a mis à
notre disposition cet abîme ineffable, l’amour de Dieu pour nous ?
Médiatrice de
tous les biens.
Par elle nos hostilités séculaires
avec le Créateur ont pris fin. Par elle notre réconciliation avec Lui fut
proclamée, la paix et la grâce nous furent données, les hommes unissent leurs
chœurs à ceux des anges, et nous voilà faits enfants de Dieu, nous qui étions
auparavant un objet de mépris ! Par elle nous avons vendangé le raisin qui donne
la vie ; d’elle nous avons cueilli le germe de l’incorruptibilité. De tous les
biens elle est devenue pour nous la médiatrice. En elle Dieu s’est fait homme,
et l’homme est devenu Dieu.
Prosopopée du
tombeau. Grâces et guérisons.
17. Et toi, le plus saint des
tombeaux sacrés, du moins après le tombeau
vivifiant du Seigneur, qui fut le berceau de la Résurrection ? je m’adresserai à
toi comme à un être vivant ?, où est l’or dans alliage que les mains des Apôtres
déposèrent en toi comme un trésor ? Où est la richesse inépuisable ? Où est
l’objet précieux reçu de Dieu ? Où est la table vivante, le livre nouveau dans
lequel, ineffablement, la Parole divine s’est inscrite sans le secours de la
main ? Où est l’abîme de la grâce, l’océan des guérisons ? Où est la source
génératrice de vie ? Où est le corps de la Mère de Dieu, objet de tant de vœux
et de tant d’amour ?
Pourquoi cherchez-vous dans un
tombeau celle qui fut élevée aux demeures célestes ? Pourquoi me demander compte
de sa perte ? Je n’ai pas le pouvoir de m’opposer aux ordres divins. Laissant
son linceul, le corps saint et sacré, qui m’a communiqué sa sainteté, m’a
embaumé de son parfum et a fait de moi un temple divin, ce corps a été enlevé et
s’en est allé, escorté des anges, des archanges et de toutes les puissances
célestes. Maintenant les anges m’entourent. Maintenant en moi la divine grâce
réside ? Me voici devenu pour les malades le remède qui chasse tous les maux. Je
suis une source éternelle de guérison ; je suis la terreur qui met en fuite les
démons ; je suis la ville de refuge pour ceux qui recourent à moi. Approchez
avec foi, ô peuples, venez puiser le flot abondant des grâces. Armez-vous d’une
foi sans hésitation, et approchez. « Vous qui avez soif, venez vers les eaux »,
selon l’invitation d’Isaïe, « et vous tous qui n’avez pas d’argent, venez et
achetez gratuitement ». A tous j’adresse l’appel clamé par l’Evangile : Celui
qui a soif de la guérison des maladies, de la délivrance des passions de l’âme,
de l’absolution de ses péchés, de l’éloignement des épreuves de toutes sortes,
du repos du Royaume des Cieux, avec foi qu’il avance vers moi, et qu’il puise
les flots tout puissants et tout efficaces de la grâce ! De même en effet que la
vertu de l’eau, comme celle de la terre, de l’air, de l’éclatant soleil, tout en
étant simple et une, s’adapte à la nature différente des objets qui la
partagent, et devient dans la vigne le vin, l’huile dans l’olivier : ainsi la
grâce, simple et une en elle-même, diversement et analogiquement, fait du bien à
ceux qui la reçoivent, suivant les besoins de chacun. Ce n’est point en vertu de
ma nature que je possède la grâce. Tout sépulcre est plein d’odeur fétide, cause
de tristesse, ennemi de la joie. Mais j’ai reçu un parfum d’un grand prix, et
j’ai eu part à son arôme, parfum si odorant et si puissant qu’un léger contact
en procure une participation impérissable. Oui, vraiment, « les dons de Dieu
sont sans repentance. » J’ai reçu chez moi une source de joie, et pour toujours
j’ai été enrichi de son jaillissement.
Extrait de
l’Histoire euthymiaque.
18. Vous voyez, chers pères et
frères, tout ce que nous révèle ce tombeau plein de gloire. Et comme preuve
qu’il en est bien ainsi, voici ce qui est écrit en propres termes dans
l’Histoire euthymiaque, au troisième discours, chapitre 40 : On dit plus haut
comment sainte Pulchérie éleva dans Constantinople de nombreuses églises au
Christ. L’une d’elles est celle qui fut édifiée aux Blachernes au début du règne
de Marcien, de divine mémoire. Ces souverains donc, ayant bâti en cet endroit un
sanctuaire dédié à la glorieuse et toute sainte Théotokos, Marie toujours
Vierge, et l’ayant orné de tout le décor possible, étaient à la recherche de son
corps très saint, qui avait reçu Dieu. Ils firent appeler l’archevêque de
Jérusalem, Juvénal, et les évêques de Palestine, qui se trouvaient alors dans la
capitale à cause du concile qui s’était tenu à Chalcédoine, et ils leur dirent :
« Nous apprenons qu’il y a, à Jérusalem, la première église de la toute sainte
Théotokos et toujours Vierge Marie, magnifique entre toutes, à l’endroit appelé
Gethsémani, où le corps de cette Vierge, qui fut le séjour de la vie, fut déposé
dans un cercueil. Or nous voulons faire venir ici cette relique pour la
sauvegarde de cette capitale ».
Prenant la parole, Juvénal répondit
: « Dans la sainte Ecriture inspirée de Dieu on ne raconte pas ce qui se passa à
la mort de la sainte Théotokos Marie, mais nous tenons d’une tradition ancienne
et très véridique qu’au moment de sa glorieuse dormition, tous les saints
Apôtres, qui parcouraient la terre pour le salut des nations, furent assemblés
en un instant par la voie des airs à Jérusalem. Quand ils furent près d’elle,
des anges leur apparurent dans une vision, et un divin concert des puissances
supérieures se fit entendre. Et ainsi, dans une gloire divine et céleste, la
Vierge remit aux mains de Dieu sa sainte âme d’une manière ineffable. Quant à
son corps, réceptacle de la divinité, il fut transporté et enseveli, au milieu
des chants des anges et des Apôtres, et déposé dans un cercueil à Gethsémani, où
pendant trois jours persévéra sans relâche le chant des chœurs angéliques. Après
le troisième jour, ces chants ayant cessé, les Apôtres présents ouvrirent le
cercueil à la demande de Thomas qui seul avait été loin d’eux, et qui, venu le
troisième jour, voulu vénérer le corps qui avait porté Dieu. Mais son corps
digne de toute louange, ils ne purent aucunement le trouver ; ils ne trouvèrent
que ses vêtements funèbres déposés là, d’où s’échappait un parfum ineffable qui
les pénétrait, et ils refermèrent le cercueil. Saisis d’étonnement devant le
prodige mystérieux, voici seulement ce qu’ils pouvaient conclure : celui qui
dans sa propre personne daigna s’incarner d’elle et se faire homme, Dieu le
Verbe, le Seigneur de la gloire, et qui garda intacte la virginité de sa Mère
après son enfantement, celui-là avait voulu encore, après son départ d’ici-bas,
honorer son corps virginal et immaculé du privilège de l’incorruptibilité, et
d’une translation avant la résurrection commune et universelle.
Etaient présents alors avec les
Apôtres, le saint apôtre Timothée, premier évêque d’Ephèse, et Denys
l’Aréopagite, comme lui-même, le grand Denys, dans ses discours adressés au
susdit apôtre Thimothée, au sujet du bienheureux Hiérothée, lui-même alors
présent, en témoigne en ces termes : « Même auprès de nos pontifes inspirés, en
effet ? lorsque nous-mêmes, comme tu le sais, et lui et beaucoup de nos saints
frères, nous nous réunîmes pour contempler le corps qui fut principe de vie, en
présence aussi de Jacques, frère du Seigneur, et de Pierre, la plus haute et la
plus ancienne autorité des théologiens, et lorsqu’on décida, après cette
contemplation, que chacun de tous les pontifes célébrerait selon son pouvoir la
bonté infiniment puissante de la force théarchique, ? après les théologiens, tu
le sais, il dépassait tous les autres initiateurs sacrés, tout ravi, tout
transporté hors de lui-même, subissant l’emprise profonde de l’objet qu’il
célébrait ; et tous ceux qui l’entendaient, qui le voyaient, qui le
connaissaient sans qu’il les reconnût, le tenaient pour un inspiré de Dieu et
pour un divin auteur d’hymnes. Mais à quoi bon t’entretenir de ce qui fut alors
dit de Dieu ? Car, si ma propre mémoire ne me trompe, je sais que j’ai entendu
souvent de ta bouche des fragments de ces hymnes inspirés ».
A cette réponse, les souverains
demandèrent à l’archevêque Juvénal lui-même de leur envoyer, dûment scellé, ce
saint cercueil avec les vêtements funèbres de la glorieuse et toute sainte
Théotokos Marie, qui s’y trouvaient. L’ayant reçu, ils le déposèrent dans le
sanctuaire élevé aux Blachernes en l’honneur de la sainte Théotokos. Tels furent
donc les faits.
Imitation de
la très sainte Vierge.
19. Et que dirons-nous, à notre
tour au tombeau ? Ta grâce est inépuisable et permanente, mais la puissance
divine n’est pas limitée par les lieux, ni les bienfaits de la Mère de Dieu.
S’ils se bornaient au sépulcre, le don divin n’atteindrait que peu d’hommes.
Mais c’est en toutes les régions du monde qu’ils sont libéralement distribués.
Ainsi donc, faisons de notre mémoire le trésor de la Théotokos. Comment y
parvenir ? Elle est vierge, et amie de la virginité ; elle est chaste et amie de
la chasteté. Si donc avec le corps nous purifions la mémoire, nous obtiendrons
sa grâce qui viendra habiter chez nous. Elle évite toute souillure et se
détourne de la fange des passions. Elle exècre l’intempérance ; elle a horreur
des convoitises de la honteuse fornication, dont elle fuit les impurs propos
comme une engeance de vipères, elle repousse les paroles et les chants honteux
et lascifs, et rejette les parfums des courtisanes.
Elle déteste l’enflure de l’orgueil
; elle n’admet pas l’inhumanité ni les querelles. Elle repousse la vaine gloire
qui se fatigue pour le néant. Elle s’oppose en adversaire au faste de la
superbe. Elle déteste le souvenir des injures, cet ennemi du salut. Tous les
vices, elle les tient pour poisons mortels, et prend sa joie dans leurs
contraires. Car les contraires se guérissent par les contraires. Le jeûne, la
maîtrise de soi, les chants des psaumes lui sont agréables. Avec la pureté, la
virginité, la sagesse, elle se plaît, entretient avec elles une paix éternelle,
les embrasse avec amour. Elle accueille la paix et l’esprit de douceur, elle
reçoit dans ses bras comme ses enfants, la charité, la pitié, l’humilité. Et
pour tout dire en un mot, attristée et irritée par tout vice, elle se réjouit de
toute vertu comme de sa grâce propre.
Si donc nous évitons avec courage
nos vices passés, si nous aimons de toute notre ardeur les vertus et que nous
les prenions pour compagnes, elle multipliera ses visites auprès de ses propres
serviteurs, avec, à sa suite, l’ensemble de tous les biens ; et elle prendra
avec elle le Christ son Fils Roi et Seigneur universel, qui habitera en nos
cœurs. A Lui gloire, honneur, force, majesté et magnificence, avec le Père sans
principe et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Amen.
|