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1 Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola Annotations propres à faciliter l'intelligence des Exercices spirituels qui suivent, utiles à celui qui doit les donner et à celui qui doit les recevoir. 1 Première annotation. Par ce mot, Exercices spirituels, on entend toute manière d'examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier vocalement et mentalement, et les autres opérations spirituelles dont nous parlerons dans la suite. En effet, comme se promener, marcher, courir, sont des exercices corporels, de même les différents modes de préparer et de disposer l'âme à se défaire de toutes ses affections déréglées et, après s'en être défait, à chercher et à trouver la volonté de Dieu dans le règlement de sa vie, en vue de son salut, s'appellent Exercices spirituels. 2 Deuxième annotation. Que celui qui explique à un autre le mode à tenir et l'ordre à suivre dans la méditation ou dans la contemplation, lui raconte fidèlement l'histoire qui doit faire le sujet de cette contemplation ou de cette méditation, se contentant d'en parcourir les points avec une exposition sommaire. Parce que, si la personne qui fait la contemplation, s'attachant au fond de la vérité historique, parvient, en raisonnant et en réfléchissant par elle-même, à découvrir quelque chose qui lui fasse un peu plus connaître ou goûter son sujet, soit par le raisonnement propre, soit par la lumière divine qui éclaire son entendement, elle y trouvera plus de goût et plus de fruit spirituel que si celui qui donne les Exercices lui eût développé fort au long tout ce que renfermait le sujet de sa méditation. Car ce n'est pas l'abondance de la science qui rassasie l'âme et la satisfait, c'est le sentiment et le goût intérieur des vérités qu'elle médite. 3 Troisième annotation. Comme dans tous les Exercices spirituels suivants nous faisons usage des actes de l'entendement en employant le raisonnement et de ceux de la volonté en excitant en nous des affections, il est à remarquer que, dans les actes de la volonté, lorsque nous parlons vocalement ou mentalement à Dieu, notre Seigneur ou à ses saints, il faut de notre part un plus grand respect que quand nous faisons usage de l'entendement par la réflexion. 4 Quatrième annotation. Les Exercices suivants se divisent en quatre parties : la première est la considération et la contemplation des péchés ; la seconde, la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu'au dimanche des Rameaux inclusivement ; la troisième, la Passion du Sauveur ; la quatrième, sa Résurrection et son Ascension, avec les trois manières de prier. Supposé que l'on y emploie quatre semaines, pour correspondre à cette division, il ne faut pas croire que chaque semaine doive nécessairement se composer de sept ou de huit jours. Car il arrive que dans la première semaine, les uns sont plus lents que les autres à trouver ce qu'ils cherchent, c'est-à-dire la contrition, la douleur, des larmes pour leurs péchés, que d'autres sont plus actifs et plus diligents ; que d'autres sont plus agités et plus éprouvés par les mouvements des divers esprits ; d'où il résulte qu'il faut quelquefois abréger, et d'autres fois prolonger cette semaine ; j'en dis autant des suivantes, cherchant toujours à retirer le fruit propre de chacune d'elles. Mais ordinairement on terminera les Exercices en trente jours environ. 5 Cinquième annotation. Celui qui reçoit les Exercices gagnera beaucoup à y entrer avec un grand courage et une grande libéralité envers son Créateur et Seigneur, lui offrant toute sa volonté et toute sa liberté, afin que sa divine Majesté dispose de sa personne et de tout ce qu'il a selon sa très sainte volonté. 6 Sixième annotation. Quand celui qui donne les Exercices s'aperçoit qu'il ne survient dans l'âme de celui qui les reçoit aucun mouvement spirituel, soit de consolation, soit de désolation, qu'il ne ressent aucune touche des divers esprits, il doit l'interroger avec soin sur les exercices, lui demandant s'il les fait aux temps marqués et comment il s'en acquitte. Il s'assurera de la même manière s'il observe exactement les additions, entrant dans des détails sur chacun de ces points. Il est parlé plus loin de la consolation et de la désolation (316) et aussi des additions(73). 7 Septième annotation. Si celui qui donne les Exercices voit que celui qui les reçoit est désolé et tenté, qu'il ne se montre à son égard ni dur ni âpre, mais doux et suave ; découvrant les ruses de l'ennemi de la nature humaine, et l'aidant à se préparer et à se disposer à la consolation future. 8 Huitième annotation. Si celui qui donne les Exercices reconnaît dans celui qui les reçoit le besoin d'être instruit sur les désolations et les ruses de l'ennemi, ainsi que sur les consolations, il pourra lui expliquer, autant qu'il le jugera nécessaire, les règles de la première et de la seconde Semaine, qui ont pour but de faire connaître les divers esprits (313 et 328). 9 Neuvième annotation. Si celui qui s'exerce n'est point versé dans les choses spirituelles et est tenté pendant les exercices de la première Semaine d'une manière grossière et évidente, rencontrant, par exemple, dans la crainte du travail, dans la fausse honte et l'honneur selon le monde, etc., des obstacles qui l'empêchent d'aller en avant dans le service de Dieu, notre Seigneur ; que celui qui donne les Exercices ne lui explique pas les règles du discernement des esprits de la Seconde semaine : car, autant celles de la première Semaine lui seront utiles, autant celles de la seconde lui seront nuisibles, parce que la matière qu'elles traitent est trop subtile et trop relevée pour qu'il la puisse comprendre. 10 Dixième annotation. Quand celui qui donne les Exercices remarque que celui qui les reçoit est combattu et tenté sous l'apparence du bien, c'est alors le moment de lui expliquer les règles de la seconde Semaine, dont nous avons déjà parlé ; parce que ordinairement, l'ennemi de la nature humaine tente plus sous apparence de bien quand on s'exerce dans la vie illuminative, qui correspond aux Exercices de la seconde Semaine, que lorsqu'on est encore dans la vie purgative, qui correspond aux Exercices de la première Semaine. 11 Onzième annotation. Il est avantageux à celui qui fait les Exercices de ne rien savoir dans la première Semaine de ce qu'il doit faire dans la seconde, et de travailler dans l'une à obtenir la fin qu'il se propose, comme s'il ne devait rien trouver de bon dans l'autre. 12 Douzième annotation. Comme celui qui reçoit les Exercices doit employer une heure à chacun des cinq exercices ou contemplations qui se font chaque jour, celui qui les donne aura grand soin de l'avertir de faire toujours en sorte que son esprit trouve le repos dans la pensée qu'il a consacré une heure entière à chaque exercice, et plutôt plus que moins ; car l'ennemi a coutume de mettre en usage toute son industrie pour nous faire abréger le temps que nous devons donner à la contemplation, à la méditation ou à l'oraison. 13 Treizième annotation. Il faut encore remarquer que si, dans le temps de la consolation, c'est chose facile et légère de donner à la contemplation une heure pleine, dans le temps de la désolation, au contraire, il est très difficile de l'achever. Pour cette raison, celui qui s'exerce doit toujours, afin d'agir contre la désolation et de vaincre les tentations, persévérer un peu au-delà de l'heure accomplie. Ainsi s'accoutumera-t-il, non seulement à résister à l'ennemi, mais encore à le terrasser. 14 Quatorzième annotation. Si celui qui donne les Exercices voit que celui qui les reçoit est dans la consolation et dans une grande ferveur, il doit l'avertir de ne faire aucune promesse, aucun v¦u indiscret et précipité ; et plus il reconnaîtra qu'il est d'un caractère léger, plus il doit réitérer cet avertissement. Car, bien que l'on puisse avec raison porter quelqu'un à entrer dans un ordre religieux où il a intention de faire les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, et bien qu'une bonne action faite en vertu d'un vœu soit plus méritoire que celle que l'on fait sans v¦u, on doit cependant considérer avec attention la condition et les qualités personnelles du sujet, ainsi que la facilité ou la difficulté qu'il pourra trouver à accomplir ce qu'il voudrait promettre.
15 Quinzième annotation. Celui qui donne les Exercices ne doit point porter
celui qui les
reçoit à embrasser ou à promettre d'embrasser la pauvreté volontaire plutôt que
l'état
contraire, ni à choisir un état de vie plutôt qu'un autre. Car, quoique nous
puissions
licitement et méritoirement, hors du temps des Exercices, porter toutes les
personnes qui
paraissent avoir les dispositions nécessaires à choisir la continence, la
virginité, l'état
religieux et toute autre pratique de perfection évangélique ; néanmoins, dans le
temps même
des Exercices, tandis que l'âme cherche la volonté divine, il est plus
convenable et beaucoup
mieux que le Créateur et Seigneur se communique lui-même à cette âme qui est
toute à lui, 16 Seizième annotation. A cette fin, c'est-à-dire pour que le Créateur et Seigneur opère plus efficacement en sa créature, il est important, si cette âme, peut-être, se sent affectionnée et portée à un objet d'une manière désordonnée, qu'elle emploie toutes ses forces pour tâcher de parvenir à ce qui est l'opposé de son affection désordonnée. Que, si par exemple, elle se sent portée à chercher et à posséder un emploi ou un bénéfice, non pour l'honneur et la gloire de Dieu, notre Seigneur, ni pour le salut spirituel des âmes, mais pour ses propres avantages et pour ses intérêts temporels, elle doit se porter à ce qui est contraire et le demander à Dieu, notre Seigneur. Qu'elle fasse de vives instances dans ses prières et dans ses autres exercices spirituels, protestant qu'elle ne veut ni cet emploi ou ce bénéfice, ni aucune autre chose, à moins que Dieu, réglant ses désirs, ne change sa première affection ; en sorte que la raison de désirer ou de posséder une chose ou une autre soit uniquement le service, l'honneur et la gloire de sa divine Majesté. 17 Dix-septième annotation. Il est très utile que celui qui donne les Exercices, sans chercher à connaître les pensées et les péchés de celui qui les reçoit, soit fidèlement instruit des pensées et des mouvements divers que les différents esprits excitent en lui ; afin que, selon son avancement plus ou moins grand, il puisse lui donner quelques exercices spirituels convenables et conformes à la nécessité de son âme agitée. 18 Dix-huitième annotation. Il faut adapter les Exercices spirituels à la disposition des personnes qui veulent les faire, c'est-à-dire à leur âge, à leur science, à leur talent, et ne pas donner à celui qui est ignorant ou d'une complexion faible, des choses qu'il ne puisse pas supporter aisément, et dont il est incapable de profiter. On doit également consulter l'intention du retraitant, et, selon le désir qu'il aura de s'avancer dans le service de Dieu, lui donner ce qui est le plus convenable pour l'aider à obtenir le but qu'il se propose. Par conséquent, s'il ne veut que s'instruire de ses devoirs et parvenir à un certain degré de repos intérieur, on peut lui donner l'examen particulier (24), et ensuite l'examen général (32). Il consacrera en même temps une demi-heure le matin à la première manière de prier, sur les commandements et sur les péchés capitaux, etc. (238). On lui recommandera aussi de se confesser tous les huit jours, et, s'il le peut, de recevoir le sacrement de l'Eucharistie tous les quinze jours, et mieux encore tous les huit jours, s'il en a la dévotion. Cette méthode convient surtout aux personnes simples et sans études. On leur expliquera tous les commandements de Dieu et de l'Église, les péchés capitaux, ce qui regarde les cinq sens corporels et les œuvres de miséricorde. De même, si celui qui donne les Exercices reconnaît que celui qui les reçoit a peu de fond ou de capacité naturelle, et qu'on ne peut pas espérer de lui beaucoup de fruits, il est plus convenable de lui donner quelques-uns de ces exercices faciles, jusqu'à ce qu'il fasse la confession de ses péchés. On lui donnera ensuite quelques méthodes d'examen de conscience, et quelques règles à suivre pour se confesser plus souvent qu'il n'avait coutume de le faire, afin de conserver les fruits qu'il aura recueillis ; mais on laissera de côté les matières de l'élection et tous les exercices qui sont hors de la première Semaine ; surtout quand on peut obtenir un plus grand fruit auprès d'autres personnes, et que le temps manque pour toutes. 19 Dix-neuvième annotation. S'il s'agit d'un homme retenu par un emploi public ou par des affaires auxquelles il ne peut se soustraire ; d'un homme qui ait de l'instruction, de l'intelligence, et qui puisse prendre une heure et demie chaque jour pour faire les Exercices, on lui expliquera d'abord pourquoi l'homme est créé (21) ; on pourra de même lui assigner une demi-heure pour s'occuper de l'examen particulier, puis de l'examen général, de la manière de se confesser et de recevoir le sacrement de l'Eucharistie. Il fera, durant trois jours, tous les matins, pendant l'espace d'une heure, la méditation du premier, du second et du troisième péché (45) ; et trois autres jours, à la même heure, la méditation sur les péchés personnels (55) ; et trois autres jours encore, à la même heure, la méditation des peines dues aux péchés (65). On lui donnera pour chacune de ces méditations les dix additions de la première Semaine (73), et l'on conservera, pour la contemplation des mystères de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la méthode qui est expliquée plus bas et au long dans le livre même des Exercices.
20 Vingtième annotation. Mais, si quelqu'un est plus libre d'affaires, et
désire retirer des
Exercices spirituels tout le fruit qu'il peut en recueillir, qu'on les lui donne
tout entiers,
gardant exactement l'ordre dans lequel ils sont ici développés. Et ordinairement
il en retirera
d'autant plus de profit qu'il sera plus séparé de ses amis, de ses proches et de
toute
sollicitude terrestre, quittant, par exemple, son habitation ordinaire et
choisissant une autre
maison ou une autre chambre pour y habiter le plus à l'écart qu'il pourra, de
manière qu'il
soit en son pouvoir d'aller tous les jours à la messe et à vêpres sans crainte
d'être dérangé
par personne.
Cette solitude lui procurera trois avantages spirituels, entre beaucoup
d'autres.
21 Exercices spirituels pour se vaincre soi-même et régler sa vie sans se déterminer par aucune affection désordonnée. 22 Supposition préalable Afin que celui qui donne les Exercices et celui qui les reçoit se prêtent un mutuel secours, et retirent un plus grand profit spirituel, il faut présupposer que tout homme vraiment chrétien doit être plus disposé à justifier une proposition obscure du prochain qu'à la condamner. S'il ne peut la justifier, qu'il sache de lui comment il la comprend ; et s'il la comprend mal, qu'il le corrige avec amour ; et si cela ne suffit pas, qu'il cherche tous les moyens convenables pour le mettre dans la voie de la vérité et du salut. 23 Principe et Fondement L'homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, Notre Seigneur, et, par ce moyen, sauver son âme. Et les autres choses qui sont sur la terre sont créées à cause de l'homme et pour l'aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a marquée en le créant. D'où il suit qu'il doit en faire usage autant qu'elles le conduisent vers sa fin, et qu'il doit s'en dégager autant qu'elles l'en détournent. Pour cela, il est nécessaire de nous rendre indifférents à l'égard de tous les objets créés, en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu ; en sorte que, de notre côté, nous ne voulions pas plus la santé que la maladie, les richesses que la pauvreté, l'honneur que le mépris, une longue vie qu'une vie courte, et ainsi de tout le reste ; désirant et choisissant uniquement ce qui nous conduit plus sûrement à la fin pour laquelle nous sommes créés. Examen particulier Il renferme trois temps et deux examens de conscience chaque jour. 24 Le premier temps est le matin. Aussitôt qu'on se lève, on doit se proposer de se tenir soigneusement en garde contre le péché ou défaut particulier dont on veut se corriger et se défaire. 25 Le second temps est après le dîner. On commencera par demander à Dieu, notre Seigneur, ce que l'on désire, c'est-à-dire la grâce de se souvenir combien de fois on est tombé dans ce péché ou défaut particulier et celle de s'en corriger à l'avenir ; puis on fera le premier examen, en se demandant à soi-même un compte exact de ce point spécial, sur lequel on a résolu de se corriger et de se réformer. On parcourra donc chacune des heures de la matinée, que l'on peut aussi diviser en certains espaces de temps, selon l'ordre des actions, en commençant depuis le moment du lever jusqu'à celui de l'examen présent ; puis on marquera sur la première ligne de la lettre J (voir n° 31) autant de points que l'on est tombé de fois dans ce péché ou défaut particulier. Enfin, on prendra de nouveau la résolution de s'amender du premier au second examen.
26 Le troisième temps est après le souper. On fera le second examen, aussi
d'heure en
heure, en commençant depuis le premier, puis on marquera sur la seconde ligne de
la même
lettre J autant de points qu'on est tombé de fois dans le péché ou défaut
particulier dont on
travaille à se corriger. 27 Première addition. Elle consiste, chaque fois que l'on tombe dans le péché ou défaut de l'examen particulier, à porter la main sur la poitrine en s'excitant intérieurement à la douleur : ce que l'on peut faire, même en présence de plusieurs, sans être remarqué. 28 Deuxième addition. Comme la première ligne de la lettre J indique le premier examen, et la seconde le second, on observera le soir, en comparant la première et la seconde ligne, s'il y a amendement du premier au second examen. 29 Troisième addition. Comparer le second jour avec le premier, c'est-à-dire les deux examens du jour présent avec les deux du jour précédent et voir si d'un jour à l'autre on s'est corrigé. 30 Quatrième addition. Comparer également une semaine avec l'autre et voir si, dans la semaine qui vient de s'écouler, le progrès a été plus notable que dans la semaine précédente... 31 Il faut remarquer que, dans le tableau suivant, le premier J majuscule qui suit signifie le dimanche ; le second, minuscule, le lundi ; le troisième, le mardi, et ainsi de suite. Examen général de conscience pour purifier l'âme et se mieux confesser. 32 Je suppose qu'il y a en moi trois sortes de pensées : les unes, proprement miennes, naissent de ma volonté et de ma liberté ; les autres viennent du dehors, et ont pour principe le bon ou le mauvais esprit. I. De la pensée 33 On peut mériter en deux manières lorsqu'une mauvaise pensée vient du dehors. Premièrement, si, lorsque la pensée de commettre un péché mortel se présente, je lui résiste aussitôt, et qu'ainsi j'en triomphe. 34 Secondement, si, d'abord repoussée, cette mauvaise pensée revient une ou plusieurs fois et que je lui résiste toujours, jusqu'à ce que je la chasse entièrement. Cette seconde manière est d'un plus grand mérite que la première. 35 On pèche véniellement, quand la pensée de pécher mortellement s'offrant à l'esprit, on lui prête l'oreille en s'y arrêtant quelques instants, ou lorsqu'on en reçoit quelque délectation sensuelle, ou lorsqu'on apporte quelque négligence à rejeter cette pensée. 36 On pèche mortellement en deux manières : la première, lorsque l'on consent à la mauvaise pensée, avec l'intention de commettre ensuite le péché dont la pensée se présente, ou avec le désir de le commettre, si on le pouvait ; 37 La seconde, quand on commet extérieurement ce péché. Or, le péché d'action est plus grave que le péché de pensée pour trois raisons : premièrement, à cause de la durée qui est plus longue ; secondement à cause de l'affection désordonnée qui est plus forte ; troisièmement à cause du dommage qui est plus grand pour les deux personnes. II. De la parole 38 On ne doit jurer ni par le Créateur ni par la créature qu'avec vérité, respect et nécessité. Il n'y a point nécessité d'affirmer avec serment toute vérité, mais celle-là seulement dont il doit résulter un avantage de quelque importance pour l'âme, pour le corps ou pour les biens temporels. On jure avec respect quand, en prononçant le nom de Dieu, Créateur et Seigneur de toutes choses, on se rappelle l'honneur et le respect qui lui sont dus. 39 Encore que dans le jurement fait en vain le péché soit plus grave quand on jure par le Créateur que quand on jure par la créature, il faut cependant remarquer qu'il est plus difficile de jurer avec les conditions requises, c'est-à-dire avec vérité, nécessité et respect, par la créature que par le Créateur, pour les raisons suivantes :
Premièrement. ‹ Lorsque nous voulons jurer par quelque créature, la pensée de
nommer la
créature ne nous rend pas aussi attentifs ni aussi circonspects pour dire la
vérité, ou pour
l'affirmer avec nécessité, que la pensée de nommer le Seigneur et Créateur de
toutes choses.
40 Il ne faut dire aucune parole oiseuse.
J'entends par parole oiseuse celle qui n'est utile ni à nous-mêmes ni au
prochain, ou qui
n'est point dirigée à cette fin. Toutes les fois donc qu'il doit résulter, ou que
nous avons
intention qu'il résulte de nos discours un avantage pour notre âme ou pour celle
du
prochain, pour notre corps ou pour nos biens temporels, ce n'est point une
parole oiseuse,
quand même nous parlerions de choses étrangères à notre profession : comme si,
étant
religieux, nous parlions de guerre ou de commerce. Mais, en général, toute
parole dite avec
une intention louable est méritoire et toute parole proférée avec une intention
coupable, ou
seulement sans motif raisonnable, est un péché.41 ‹ Gardez-vous de la détraction
et des
murmures. III. De l'action 42 On doit s'examiner sur les commandements de Dieu et de l'Église et sur les ordres de ses supérieurs. Tout ce qui se fait contre quelqu'une de ces trois parties de nos obligations, selon son importance plus ou moins grande, est un péché plus ou moins grave. J'entends par ordres des supérieurs tout ce qui est revêtu de leur autorité, comme sont les diplômes accordés par les souverains pontifes, dans l'intention d'obtenir de Dieu le triomphe de l'Église sur les infidèles et la concorde entre les princes chrétiens, et autres concessions d'indulgences attachées à l'accomplissement de certaines œuvres, et surtout à la confession de ses péchés et à la sainte communion. Car ce n'est pas un péché léger d'être cause que les autres méprisent, ou de mépriser soi-même ces règlements et ces recommandations si saintes de nos premiers pasteurs. Manière de faire l'Examen général Il renferme cinq points.
43 Le premier point est de rendre grâces à Dieu, notre Seigneur, des bienfaits
que nous
avons reçus. Confession générale et Communion
44 Celui qui voudrait, sans y être obligé, faire une confession générale, y
trouvera pendant
les Exercices trois avantages entre beaucoup d'autres. Premier exercice 45 Le premier exercice est la méditation selon les trois puissances de l'âme, sur le premier, le second et le troisième péché. Il renferme, après l'oraison préparatoire et les deux préludes, trois points principaux et un colloque. 46 L'oraison préparatoire consiste à demander à Dieu, notre Seigneur, que toutes mes intentions, toutes mes actions et toutes mes opérations soient dirigées uniquement au service et à la louange de sa divine Majesté. 47 Le premier prélude est la composition de lieu. Il faut remarquer ici que si le sujet de la contemplation ou de la méditation est une chose visible, comme dans la contemplation des mystères de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce prélude consistera à me représenter, à l'aide de l'imagination, le lieu matériel où se trouve l'objet que je veux contempler : par exemple le temple, la montagne où est Jésus-Christ, ou Notre-Dame, selon le mystère que je choisis pour ma contemplation. Si le sujet de la méditation est une chose invisible, comme sont ici les péchés, la composition de lieu sera de voir des yeux de l'imagination et de considérer mon âme emprisonnée dans ce corps mortel et moi-même, c'est-à-dire mon corps et mon âme, dans cette vallée de larmes, comme exilé parmi les animaux privés de raison.
48 Le second prélude consiste à demander à Dieu notre Seigneur ce que je veux
et ce que
je désire.
Cette demande doit être conforme au sujet de la méditation. Dans la
contemplation de la
Résurrection, par exemple, je demanderai la grâce de participer à la joie
ineffable de
Jésus-Christ glorieux ; dans celle de la Passion, je demanderai la douleur, les
larmes, les
souffrances, avec Jésus-Christ dans les tourments. 49 Avant chaque contemplation ou méditation, on doit faire exactement l'oraison préparatoire, qui est toujours la même, et les deux préludes qui varient de fois à autre selon le sujet.
50 Le premier point sera d'exercer la mémoire, en me rappelant le premier
péché qui fut
celui des anges ; puis l'entendement, en réfléchissant sur le même péché ; puis
enfin la
volonté, en m'efforçant de me rappeler et de comprendre vivement cette première
rébellion
et ses suites, afin de me causer plus de honte et de confusion, en mettant mes
péchés
innombrables en comparaison avec le péché unique des anges. Pour un seul péché
ils ont été
précipités en enfer ; combien de fois l'ai-je mérité moi-même pour tous ceux que
j'ai
commis ?
51 Le second point sera d'exercer, comme dans le premier, les trois puissances
de l'âme sur
le second péché, qui fut celui d'Adam et d'Ève, me rappelant à la mémoire
comment, pour
ce péché, ils firent une si longue pénitence et quelle corruption il causa dans
tout le genre
humain, tant de millions d'hommes se précipitant depuis ce moment dans les
enfers !
52 Le troisième point sera de méditer de la même manière sur le troisième
péché, le péché
particulier d'un homme quelconque tombé en enfer pour ce seul péché mortel,
considérant
que des âmes sans nombre sont maintenant damnées pour des péchés moins
multipliés que
les miens.
53 Colloque. ‹ Me représentant Notre-Seigneur Jésus-Christ en croix devant
moi, je lui
demanderai dans un colloque comment, étant le Créateur de toutes choses, il en
est venu
jusqu'à se faire homme ; comment, possédant la vie éternelle, il a daigné
accepter une mort
temporelle et la subir réellement pour mes péchés.
54 Le colloque est, à proprement parler, l'entretien d'un ami avec son ami, ou
d'un esclave
avec son seigneur. Tantôt il lui demande quelque grâce, tantôt il s'accuse d'une
mauvaise
action ; il lui communique ses propres affaires, il lui demande conseil. Deuxième exercice Le deuxième exercice est la méditation sur ses propres péchés. Il renferme, outre l'oraison préparatoire et les deux préludes, cinq points et un colloque.
55 L'oraison préparatoire sera la même (46). 56 Le premier point est comme une revue générale. Je tâcherai donc de me souvenir de tous les péchés de ma vie, la repassant tout entière d'année en année, ou d'époque en époque. Pour cela, il me sera très utile de me rappeler trois choses : premièrement, les lieux que j'ai habités ; secondement, les relations que j'ai eues avec d'autres personnes ; troisièmement, les emplois que j'ai exercés. 57 Dans le second point, je pèserai mes péchés : c'est-à-dire que je considérerai la laideur et la malice intrinsèque de chaque péché mortel, supposé même qu'il ne soit pas défendu. 58 Dans le troisième, je considérerai qui je suis, en m'efforçant par diverses comparaisons de paraître de plus en plus petit à mes yeux. Premièrement, que suis-je en comparaison de tous les hommes ? Deuxièmement, que sont tous les hommes en comparaison de tous les Anges et de tous les Saints du paradis ? Troisièmement, que sont toutes les créatures en comparaison de Dieu ? Donc moi seul, enfin, que puis-je être ? Quatrièmement, je considérerai toute la corruption et toute l'infection de mon corps. Cinquièmement, je me regarderai comme un ulcère et un abcès d'où sont sortis tant de péchés, tant de crimes et tant de souillures honteuses. 59 Dans le quatrième point, je m'appliquerai à connaître Dieu que j'ai offensé. Je m'aiderai de la considération de ses attributs, que je comparerai aux défauts contraires qui sont en moi : sa sagesse à mon ignorance, sa toute-puissance à ma faiblesse, sa justice à mon iniquité, sa bonté à ma malice.
60 Le cinquième point sera le cri d'étonnement d'une âme profondément émue. Je
parcourrai toutes les créatures, leur demandant comment elles m'ont laissé la
vie, comment
elles ont concouru à me la conserver. 61 Je terminerai par un colloque, dans lequel j'exalterai la miséricorde de mon Dieu ; je lui rendrai grâces de m'avoir conservé la vie jusqu'à ce moment, et je prendrai la résolution de me corriger avec le secours de sa grâce. Notre Père, etc. Troisième exercice Le troisième exercice est la répétition du premier et du deuxième, terminée par trois colloques. 62 Après l'oraison préparatoire et les deux préludes, je répéterai le premier exercice et le deuxième, faisant une attention spéciale aux endroits qui m'auront fait éprouver plus de consolation ou de désolation et que j'aurai médités avec plus de goût spirituel, m'y arrêtant quelque temps. Je ferai ensuite les trois colloques de la manière suivante :
63 Le premier à Notre-Dame pour qu'elle m'obtienne de son Fils et Seigneur
trois grâces :
Le second au Fils, lui demandant les mêmes grâces et le priant de me les obtenir
de son Père
céleste.
Le troisième à Dieu le Père, lui demandant toujours les mêmes grâces et le
suppliant de me
les accorder lui-même, lui qui est le Seigneur éternel de toutes choses. Quatrième exercice Le quatrième exercice est un résumé du troisième. 64 Je dis un résumé, dans lequel l'entendement, sans s'égarer, réfléchit attentivement, en se rappelant les vérités qu'il a contemplées dans les exercices précédents. On terminera en faisant les trois mêmes colloques. Cinquième exercice
Le cinquième exercice est la méditation de l'enfer.
65 L'oraison préparatoire, comme à l'ordinaire. 66 Dans le premier point, je verrai des yeux de l'imagination ces feux immenses et les âmes des réprouvés comme enfermées dans des corps de feu. 67 Dans le deuxième, j'entendrai, à l'aide de l'imagination, les gémissements, les cris, les clameurs, les blasphèmes contre Jésus-Christ, Notre-Seigneur et contre tous les Saints. 68 Dans le troisième, je me figurerai que je respire la fumée, le soufre, l'odeur d'une sentine et de matières en putréfaction. 69 Dans le quatrième, je m'imaginerai goûter intérieurement des choses amères, comme les larmes, la tristesse, le ver de la conscience. 70 Dans le cinquième, je toucherai ces flammes vengeresses, m'efforçant de comprendre vivement comment elles environnent et brûlent les âmes des réprouvés.
71 Faisant un colloque avec Jésus-Christ Notre-Seigneur, je me rappellerai
combien
d'âmes sont en enfer, les unes parce qu'elles n'ont pas cru à la venue du
Sauveur, les autres
parce qu'en y croyant elles n'ont pas agi selon ses commandements ; partageant
ces âmes en
trois classes : la première, celles qui se sont perdues avant sa venue ; la
deuxième, pendant
sa vie ; la troisième, après sa vie en ce monde.
72 Le premier exercice se fera au milieu de la nuit ; le deuxième, le matin,
aussitôt après le
lever ; le troisième, avant ou après la Messe, mais toujours avant le dîner ; le
quatrième, à
l'heure de vêpres ; le cinquième, une heure avant le souper. Additions à observer pour mieux faire les Exercices et trouver plus sûrement ce que l'on désire. 73 Première addition. Après m'être couché, et avant de m'endormir, je penserai à l'heure à laquelle je dois me lever, et pour quelle fin, et je résumerai pendant l'espace d'un Ave Maria l'exercice que je dois faire.
74 Deuxième addition. Lorsque je me réveillerai, j'éloignerai de mon esprit
toute autre
pensée, pour m'occuper de suite du sujet que je dois méditer dans le premier
exercice, qui se
fait au milieu de la nuit, m'excitant à la confusion de mes péchés, si grands et
si nombreux ;
je me proposerai quelques comparaisons, par exemple celle d'un gentilhomme qui
se 75 Troisième addition. Avant de commencer, je me tiendrai debout le temps de réciter l'Oraison dominicale, à un ou deux pas de l'endroit où je dois méditer, l'esprit élevé vers le ciel, et considérant comment Dieu, notre Seigneur, me regarde ; puis je me prosternerai en m'humiliant devant lui. 76 Quatrième addition. Je commencerai ma contemplation, tantôt à genoux, tantôt prosterné, tantôt étendu sur la terre, le visage vers le ciel, tantôt assis, tantôt debout ; cherchant toujours à trouver ce que je désire. Et en cela j'observerai deux choses : premièrement, si je trouve ce que je désire à genoux ou prosterné, je ne chercherai pas une autre position ; secondement, si j'éprouve dans un point de la méditation les sentiments que je voulais exciter en moi, je m'y arrêterai et m'y reposerai sans me mettre en peine de passer outre, jusqu'à ce que mon âme soit pleinement satisfaite. 77 Cinquième addition. L'exercice terminé, assis ou en me promenant, j'examinerai pendant un quart d'heure quel en a été le succès : s'il n'a pas été heureux, j'en rechercherai attentivement la cause et, l'ayant découverte, je m'exciterai au repentir, afin de me corriger dans la suite ; s'il a été heureux, j'en rendrai grâces à Dieu, notre Seigneur, et me conduirai une autre fois de la même manière. 78 Sixième addition. ‹ Je ne m'arrêterai volontairement à aucune pensée capable de me causer du contentement ou de la joie, comme serait le souvenir du ciel ou de la résurrection : car toute considération de cette nature m'empêcherait de ressentir de la peine et de la douleur, et de verser des larmes sur mes péchés. Je tâcherai, au contraire, de conserver toujours le désir d'éprouver de la douleur et du repentir, me rappelant plutôt à la mémoire la mort et le jugement. 79 Septième addition. Pour la même raison, je me priverai entièrement de jour, fermant les fenêtres et les portes de l'appartement que j'occupe, tout le temps où je m'y trouverai, excepté lorsque je devrai réciter l'Office divin, lire et prendre mon repas. 80 Huitième addition. Je m'abstiendrai de rire et de proférer aucune parole qui puisse porter à rire. 81 Neuvième addition. Je veillerai sur mes yeux et ne les lèverai sur personne, excepté lorsqu'il me faudra parler à quelqu'un, en l'abordant ou en le quittant. 82 Dixième addition. La dixième addition regarde la pénitence, qui se divise en intérieure et extérieure. La pénitence intérieure consiste dans la douleur de ses péchés, accompagnée d'un ferme propos de ne plus retomber dans ces mêmes péchés ni dans aucun autre. La pénitence extérieure est un fruit de la première et consiste à se punir de ses fautes passées ; ce qui peut surtout se pratiquer en trois manières. 83 Premièrement, à l'égard de la nourriture. Sur quoi il faut remarquer que le retranchement du superflu n'est pas pénitence, mais tempérance. Il n'y a pénitence que lorsqu'on retranche quelque chose de ce que l'on pourrait prendre convenablement ; et dans ce sens, plus nous parvenons à retrancher, plus la pénitence est grande et louable, pourvu qu'elle n'aille pas jusqu'à ruiner les forces et qu'elle n'altère pas notablement la santé. 84 Deuxièmement, à l'égard du sommeil. Pour la manière de le prendre, remarquez encore que ce n'est pas pénitence de retrancher ce qui ne servirait qu'à flatter notre délicatesse et notre sensualité. Il n'y a pénitence que dans la privation d'une partie des objets dont nous pourrions convenablement user ; et, dans ce sens, plus on parviendra à retrancher, mieux on fera, pourvu qu'on n'altère point considérablement sa santé et qu'il ne s'ensuive pas une infirmité notable. Quant au temps à donner au sommeil, il ne faut ordinairement rien retrancher de ce qui est convenable, à moins qu'il ne s'agisse de corriger l'habitude vicieuse de dormir trop et d'arriver à une juste mesure. 85 Troisièmement, à l'égard du corps. Elle consiste à lui faire souffrir une douleur sensible en portant des cilices, des cordes, des chaînes de fer sur la chair ; en prenant des disciplines, ou en se faisant des plaies et en pratiquant d'autres genres d'austérités. 86 Ce qui paraît le plus convenable et le moins dangereux en ce point, c'est que la douleur ne soit sensible que dans la chair, et qu'elle ne pénètre pas jusqu'aux os : de sorte que la pénitence cause de la douleur et non quelque infirmité. Aussi semble-t-il à propos de faire usage de disciplines faites de petites cordes qui causent extérieurement de la douleur, plutôt que d'employer un instrument qui puisse causer une infirmité notable.
87 Première remarque. Les pénitences extérieures se pratiquent
principalement pour trois fins : 88 Deuxième remarque. La première et la deuxième addition ne regardent que les exercices de la nuit et de l'aurore, et non ceux qui se font en d'autres temps. La quatrième addition ne s'observera jamais dans l'église ou en présence d'autres personnes, mais uniquement quand on est seul dans sa chambre ou ailleurs.
89 Troisième remarque. Quand celui qui fait les Exercices n'obtient pas ce
qu'il désire,
comme des larmes, des consolations, etc., il est souvent avantageux qu'il fasse
quelque
changement dans la nourriture, dans le coucher, ou dans le sommeil, et dans les
autres
manières de faire pénitence ; qu'il modifie sa conduite, pratiquant des
mortifications deux 90 Quatrième remarque. On se proposera, dans l'examen particulier (24-31), de corriger les défauts et les négligences commises, soit dans les exercices, soit dans l'observation des additions. La matière de cet examen sera la même dans la seconde, la troisième et la quatrième Semaine.
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