LES RÉVÉLATIONS
DE
SAINTE GERTRUDE
VIERGE DE L'ORDRE DE SAINT-BENOIT
AU MONASTÈRE D’HELFTA
PRÈS D’EISLEBEN EN SAXE
Traduction de « Insinuationes divinæ pietatis » par des
moines bénédictins en 1884
PROLOGUE
L'ESPRIT consolateur, distributeur de tous les biens, « qui
souffle où il veut » (Jean, 3, 8),
comme
il veut et quand il veut, tient ordinairement cachés les secrets de son amour,
mais parfois cependant il veut les manifester au dehors pour le bien des âmes.
Nous en trouverons un exemple dans cette servante de Dieu. Bien que la divine
Bonté n'ait cessé de se répandre en elle, c'est par intervalles seulement
qu'elle lui ordonna de publier les merveilles de sa tendresse. Ce livre a donc
été écrit à diverses époques. La première partie a été rédigée huit ans après le
commencement des faveurs divines, la seconde n'a été achevée qu’environ vingt
ans plus tard, et le Seigneur daigna accepter chacune de ces parties 1. En
effet, quand la première eut été écrite, celle-ci la présenta avec humilité et
dévotion au Seigneur, qui dans son extrême Bonté lui fit cette réponse :
«Personne n'a le pouvoir d'éloigner de moi le mémorial de 1'abondance de ma
divine suavité. » Par cette parole elle comprit que le Seigneur voulait donner
pour titre à ce livre : Mémorial de l'abondance de ma divine suavité. Le
Seigneur ajouta : « Si quelqu'un cherche dans ces pages les biens spirituels de
son âme, je l’attirerai tout près de moi, je prendrai part à sa lecture,
paraissant tenir ce livre dans mes mains. Lorsque deux personnes lisent ensemble
dans le même livre, l'une semble respirer le souffle de l'autre. De même
j'aspirerai le souffle des désirs de cette âme et ils viendront émouvoir en sa
faveur les entrailles de ma miséricorde ; de mon côté, je lui ferai respirer le
souffle de ma divinité, et elle sera toute renouvelée intérieurement. » Le
Seigneur dit encore: «Celui qui dans une pareille intention transcrira les
paroles de ce livre, recevra à chaque trait qui s'y trouve les flèches d'amour
lancées vers lui par la douceur infinie de mon Cœur sacré, et son âme éprouvera
les plus ineffables délices. »
Pendant qu'on rédigeait la seconde partie, elle exhala une nuit ses tendres
plaintes au Seigneur. Il la consola avec sa bonté ordinaire et dit, entre autres
choses : Je t'ai donnée pour être la lumière des nations, et pour être mon salut
jusqu'aux extrémités de la terre. (Isaïe, XLIX, 6. ) Elle comprit qu'il parlait
de ce livre à peine commencé et s'écria : « Et comment, ô Dieu, quelqu'un
pourrait-il recevoir par ce petit livre la lumière de votre connaissance,
puisque je ne veux pas que cette rédaction soit continuée ni que les pages déjà
écrites soient jamais connues ? » Le Seigneur répondit : « Quand je choisis
Jérémie pour mon prophète, il se trouvait incapable de parler ou d'agir avec la
discrétion convenable, cependant j'ai repris les peuples et les rois par les
paroles de sa bouche. De même, ceux que j'ai résolu d'amener par ton moyen à la
lumière de la connaissance et de la vérité ne sauraient être frustrés de ce
secours, car personne ne peut mettre obstacle à la prédestination éternelle ;
ceux que j'ai prédestinés, je les appellerai, et ceux que j'aurai appelés, je
les justifierai en la manière qui me plaira. »
Une autre fois, comme dans la prière elle faisait tous ses efforts pour obtenir
du Seigneur la permission d'interrompre la rédaction de ce livre, parce que
l'ordre de ses supérieurs lui semblait moins pressant, le Seigneur lui répondit
avec bonté : « Ne sais-tu. pas que l'ordre de ma volonté surpasse toute autre
obédience ? Puisque je désire voir ce livre écrit, pourquoi te troubler? C’est
moi qui stimule celle qui le compose ; je l’aiderai fidèlement et je garderai
intact ce qui est mon bien. » Elle conforma alors sa volonté au bon plaisir de
Dieu et lui dit : « Très aimé Seigneur, quel titre voulez-vous donner à ce livre
? » Le Seigneur répondit : « Ce livre, qui est mien, s'appellera LE HERAUT DE L’AMOUR
DIVIN, parce qu'il donnera un certain avant goût de mon surabondant Amour. »
Remplie d'admiration, elle dit encore : « Puisque ceux qui sont envoyés comme
ambassadeurs ou hérauts jouissent d'une grande autorité, quelle autorité
daignerez-vous accorder à ce livre ? » Le Seigneur répondit : « Par la vertu de
ma Divinité, celui qui pour ma gloire lira ce livre avec une foi droite, une
humble dévotion, une amoureuse reconnaissance et pour y trouver le bien de son
âme obtiendra la rémission de ses péchés véniels, la grâce des consolations
spirituelles, et de plus une disposition à recevoir un accroissement des biens
célestes. »
Elle vit ensuite que la volonté de Dieu était que l'on
joignit, pour en faire un seul livre, les deux parties de ce travail, et par de
ferventes prières elle lui demanda comment ces deux parties, auxquelles il avait
donné un titre diffèrent, pourraient être réunies. Le Seigneur répondit : «
Comme souvent un père et une mère sont plus considérés à cause des charmes de
leur enfant de même j'ai voulu que ce livre fut composé de deux parties et qu'il
indiquât par son titre même le caractère de cette double origine, à savoir : LE
HÉRAUT DU MEMORIAL DE L'ABONDANCE DE MON DIVIN AMOUR parce que, tout en faisant
connaître mon amour, il perpétuera la mémoire de mes élus. »
Il est très évident par les récits de ce livre, que celle-ci
fut toujours favorisée de la divine présence; cependant on rencontrera parfois
ces expressions : Le Seigneur lui apparut, ou encore : se tint près d'elle. En
effet bien que, par un privilège spécial il lui fût presque toujours présent il
se montra quelquefois à elle sous des images plus sensibles, lorsqu'il y avait
un motif ou une occasion d'instruire par là d’autres âmes, à la faiblesse
desquelles Dieu voulait condescendre. Aussi dans les manifestations diverses que
nous allons décrire, verra-t-on que Dieu aime tous les hommes et cherche le
salut de tous, même en ne visitant qu'une seule âme. C'était aux jours de férie
comme aux jours de fête que le Seigneur lui faisait sans interruption toutes ces
grâces, se révélant à elle tantôt par des images sensibles, tantôt par les plus
pures illuminations de l'entendement. Néanmoins il a voulu que dans ce livre on
parlât à l'intelligence naturelle par des images sensibles, pour que tout
lecteur puisse comprendre.
Le tout a été divisé en cinq livres : le premier contient
l'éloge de la personne qui fut le sujet de ces faveurs, et les témoignages des
grâces qu'elle reçut. Dans le second se trouvent consignées, et la manière dont
elle reçut ces faveurs, et les actions de grâces qu'elle en rendit, le tout
écrit de sa propre main à l'instigation de l'Esprit de Dieu. Dans le troisième
sont exposés quelques-uns des bienfaits qui lui furent accordés. Le quatrième
raconte les visites par lesquelles la divine Bonté daigna la consoler en
certaines fêtes. Dans le cinquième sont relatées les révélations que le
.Seigneur daigna lui faire sur les mérites de plusieurs défunts. On y ajoute
les consolations dont le Seigneur, voulut bien prévenir ses derniers moments.
Mais tenons compte de cette recommandation d’Hugues de Saint-Victor : « Toute
vérité que ne confirme pas l'autorité des Écritures m'est suspecte. » A quoi il
ajoute: « Une révélation, si vraisemblable qu'elle paraisse, ne sera pas
acceptée qu'elle n'ait le témoignage de Moïse et d'Elie, c'est-à-dire l'autorité
des Écritures. » C'est pourquoi j'ai annoté à la marge les textes que mon génie
simple et inexpérimenté a pu se rappeler sur le moment, dans l'espérance qu'un
autre plus habile et plus exercé pourra encore alléguer d'autres témoignages
plus autorisés et plus convenables.
NOTA. La première partie est le second livre de ce
travail, le seul qui fut écrit par sainte Gertrude elle-même. La deuxième partie
comprend les livres 3, 4 et 5, qui furent seulement dictés par Gertrude. Nous
avons parlé dans la préface de l'époque où chaque partie fut composée. (Note de
l'édition latine.)
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