S. Gérard,
né dans le comté de Namur, était proche parent d'Haganon, duc
de la basse Austrasie. Ses parents le mirent de bonne heure dans le
service, et il obtint un emploi considérable de Bérenger, comte de
Namur, dont la cour était une des plus brillantes de la chrétienté.
Une douceur charmante de caractère, et un amour décidé pour la vertu
lui gagnèrent dès son enfance l'estime et l'affection de tous ceux
qui le connaissaient. L'éclat de sa vertu était encore rehaussé par
sa politesse, son affabilité et son inclination à faire du bien. Il
proportionnait
l'abondance de ses aumônes à l'étendue de ses
revenus, et ne connaissait point ces besoins imaginaires qui
empêchent la charité d'agir. Dieu récompensa sa fidélité par les
grâces les plus précieuses.
L'amour de Gérard
pour la prière était extraordinaire. Un jour qu'il revenait de la
chasse avec son souverain, il se sépara des
autres seigneurs, alla se renfermer dans la chapelle de Brogne, qui
appartenait à sa famille, et y resta longtemps prosterné devant
Dieu. Il trouva tant de douceur dans ce saint exercice, qu'il ne le
quitta qu'avec un extrême regret. « Heureux, se disait-il à
lui-même, ceux qui n'ont d'autre emploi que celui de louer le
Seigneur nuit et jour, de vivre toujours en sa divine présence, et
de lui consacrer leurs cœurs sans interruption » ! Pour suppléer à
ce qu'il ne pouvait faire lui-même, il fit bâtir une église à Brogne,
en 918, et y mit des chanoines pour la desservir.
Le comte de Namur,
qui avait en lui une entière confiance, le chargeait des emplois qui
demandaient le plus de capacité, et l'envoya à la cour de France
pour y traiter une affaire de grande importance. Gérard étant à
Paris, y laissa sa suite pour aller visiter l'abbaye de S. Denys. Il
fut singulièrement édifié de la ferveur des moines de cette maison,
et il les pria de le recevoir parmi eux, Biais il ne pouvait
exécuter la résolution qu'il avait prise de renoncer au monde, sans
le consentement de son souverain. Il retourna donc à Namur pour le
demander, et il l'obtint avec de grandes difficultés. Devenu maître
de sa liberté, il alla voir Etienne, évêque de Tongres, son oncle,
pour recevoir sa bénédiction, et le consulter sur le salut de son
âme. Il régla ensuite ses affaires temporelles, et reprit avec joie
la route de S. Denys, désirant avec ardeur le moment où il pourrait
consommer le sacrifice qu'il méditait.
Pendant son noviciat,
il se fit un devoir de la pratique de la mortification et du
renoncement, afin de mourir entièrement à lui- même, et de détruire
l'amour-propre, ce principe de tant de désordres, qui s'insinue dans
les actions les plus saintes, et qui arrête les progrès de la
charité. Après sa profession, il travailla à perfectionner de jour
en jour les vertus qu'il avait déjà acquises, et surtout celles de
son nouvel état. Il recommença ses études par les premiers éléments,
et ses frères ne se lassaient point d'admirer sa patience et son
assiduité. Cinq ans après on l'obligea de recevoir les, saints
ordres ; et il fallut que ses supérieurs usassent de leur autorité
pour le déterminer à se laisser ordonner prêtre.
Dix ans après sa
retraite à S. Denys, c'est-à-dire en 931, son abbé l'envoya fonder
une abbaye dans sa terre de Brogne, à trois lieues de Namur. Mais à
peine eut-il achevé cet établissement, qu'il s'enferma dans une
petite cellule bâtie auprès de l'église, pour y vivre en reclus. Son
but était de se délivrer des visites fréquentes qu'il était obligé
de recevoir, et de se livrer à la prière avec moins de distraction.
On l'arracha depuis de sa solitude, en le chargeant de mettre la
réforme dans la maison des chanoines réguliers de Saint-Guislein,
qui était environ à trois lieues de Mons. Il les soumit
à la règle de S. Benoît, dont il était le zélé défenseur, et dont il
taisait le plus bel ornement. On lui donna ensuite une inspection
générale sur toutes les abbayes de Flandre, à la prière du comte
Arnold I, surnommé le Grand, qu'il avait miraculeusement guéri de la
pierre en 937, et qu'il fit entrer dans la voie de la pénitence, où
il marcha jusqu'à sa mort. Il rétablit une exacte discipline
dans un grand nombre de monastères, nommément dans ceux de
Saint-Pierre de Gand, de Saint-Bavon, de Saint-Martin de Tournay, de
Marchiennes, de Hanon, de Rhonai, de Saint-Vaast d'Arras, de
Turboult, du Wormhoult de Berg, de Saint-Riquier, etc. et tous
l'honorent comme leur abbé et leur second patriarche. Les monastères
de Champagne, de Lorraine et de Picardie le prièrent aussi d'être
leur réformateur. Ceux de Saint-Remi, de Mouson et de Thin-le-Moutier
reconnaissent encore aujourd'hui lui avoir été redevables de
l'exacte discipline qui les rendit si célèbres.
Malgré toutes les
fatigues qu'entraînaient tant d'affaires importantes, le saint ne
diminuait rien de ses austérités, et il trouvait le moyen de rendre
sa prière continuelle. Vingt-deux ans se passèrent de la sorte ;
Gérard fit .ensuite un voyage à Rome, pour obtenir du Pape la
confirmation des différentes réformes qu'il avait établies. A son
retour d'Italie, il entreprit une visite générale de tous ses
monastères ; et lorsqu'il l'eut achevée, il se renferma dans sa
cellule pour se préparer à la mort. Dieu l'appela à lui le 3 octobre
959. Ses reliques se gardent encore dans l'église de Brogne, qui
porte son nom. Quant à l'abbaye, elle ne subsiste plus; elle a été
unie à l'évêché qui fut érigé à Namur par le pape Paul IV.
SOURCE : Alban
Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |