DOMenico Loricato
Ermite à Montefeltro, puis camaldule, Saint
1000-1060

Ce qu’on va rapporter de la vie de ce Saint en étonnera plus d’un. On sera sans doute effrayé des austérités qu’il s’est imposées sans qu’aucune autorité ne lui ait suggéré davantage de prudence et de discrétion. Seul le contexte historique et sans doute une vocation toute particulière nous aideront à comprendre, à admettre une telle figure.

Né vers l’an 1000 à Cagli dans les Marches, Domenico échappa dès son enfance à la corruption régnante dans cette Italie du XIe siècle. Il était déjà clerc quand ses parents, qui désiraient le voir devenir prêtre, offrirent à l’évêque une belle peau de bouc bien préparée pour qu’il l’ordonnât. Ce qui eut lieu. Quand Domenico apprit l’acte simoniaque de ses parents, il fut terrifié, refusa d’accomplir dorénavant aucune fonction sacerdotale et supplia l’abbé Giovanni de Montefeltro de l’admettre parmi ses disciples.

S. Pietro Damiano, biographe de Domenico Loricato.

Son monastère se trouvait auprès de l’ancienne ville de Luceolum1 , entre Gubbio et Cagli. Il comprenait dix-huit cellules où les frères menaient une vie quasi érémitique, partageant leur temps entre la prière et le travail, ne parlant que le dimanche entre vêpres et complies. Ils ne possédaient qu’une seule bête de somme. Un seul frère était chargé de pourvoir à l’entretien des autres, ce qui n’était pas compliqué, puisqu’ils ne buvaient jamais de vin et jeûnaient au pain et à l’eau tous les jours, sauf le dimanche et le jeudi. Plus tard Domenico parlait avec admiration du Frère Anson, son compagnon de cellule : avant chaque heure canoniale, chacun flagellait l’autre pendant un bon moment ; entre autres mortifications, Anson s’astreignait à manger en une seule fois ses rations de pain de neuf jours, pour digérer plus difficilement.

Après plusieurs années de ce rude noviciat, Domenico partit, avec la permission de son abbé, se mettre sous le direction de saint Pietro Damiano (Pierre Damien), depuis peu prieur de Fonte Avellana, monastère camaldule situé seulement à quelques lieues de Luceolum. C’était vers 1042. Partisan décidé des mortifications corporelles, Pietro fut enchanté de recevoir une recrue déjà bien entraînée et l’encouragea dans ses austérités.

Les Camaldules vivaient presque en ermites, sans règle écrite, uniquement guidés par leur zèle et leur désir de perfection, ce qui leur permettait de se livrer à des exercices impossibles pour des cénobites. Domenico régla son menu une fois pour toutes : comme nourriture, du pain et du fenouil (l’espèce particulière à l’Italie donne une sorte de fruit consommé couramment en hors-d’œuvre) ; comme boisson, de l’eau et quelquefois un peu de vin, qu’il supprima longtemps avant sa mort. Son horaire était aussi simple : il priait sans s’arrêter, les bras en croix spécialement la nuit, et ne dormait qu’à genoux la tête par terre et seulement à l’extrême limite de ses forces.

Trouvant ces pratiques insuffisantes, il eut recours aux instruments de torture : il portait directement sur la peau une cotte de mailles ou cuirasse de fer qu’il n’enlevait que pour prendre la discipline. Il y ajouta des cercles de fer qui serraient ses bras, ses cuisses et ses jambes, un seul autour de chaque membre d’abord, puis après quelques années il en mit un second. Ce sont ces instruments qui lui valurent son surnom d’Encuirassé (Loricato) ; mais il semble bien qu’il leur préférait la flagellation pour laquelle il avait une véritable passion : neuf ans avant sa mort, il eut l’idée de remplacer les verges, utilisées ordinairement, par un fouet aux lanières de cuir, ce qui lui a valu d’être considéré comme l’inventeur de la discipline. Qu’il l’ait inventée ou non, il est certain qu’il ne voulait pas s’en séparer et qu’il l’emportait toujours en voyage. Il se flagellait avec la communauté au chapitre et ses frères pouvaient alors constater qu’il avait la peau noire comme un Ethiopien, mais cet exercice conventuel devait lui sembler bien court à côté de ses séances particulières.

Il disait que trois mille coups de discipline équivalaient à une année de pénitence publique, et qu’en récitant un psautier il se donnait quinze mille coups en frappant des deux mains. Vingt psautiers, trois cent mille coups valaient une pénitence de cent ans, sa ration habituelle pour une semaine. Pendant un carême, il demanda d’accomplir une pénitence de mille ans et il tint son engagement. Il s’attaqua aussi au “record” de durée : il commençait le soir et se flagellait sans désemparer en récitant des psautiers ; plusieurs fois, il dut s’arrêter au bout du neuvième et se désespérait de ne pouvoir atteindre dix. Il devait probablement réciter les psaumes à un rythme assez rapide et mettre moins des trois heures que l’on compte ordinairement pour réciter un psautier. Une fois il eut la joie de pouvoir enregistrer un record qui n’a jamais sans doute été dépassé depuis ; il récita, en se flagellant des deux mains sans s’arrêter, douze psautiers et en commença un treizième qu’il poursuivit jusqu’au psaume XXXIe : après cet exploit , son corps était tellement zébré de meurtrissures qu’on aurait cru voir une masse pilonnée dans un mortier.

Domenico essayait d’entraîner les autres à suivre son exemple. Un moine se laissa convaincre avec beaucoup de peine, mais une fois décidé fut pris d’une belle ardeur et se flagella pendant un psautier et cinquante psaumes. Le lendemain, craignant un reproche pour avoir manqué de discrétion, il vint trouver le grand ascète et lui raconta ce qu’il avait fait. “Courage, mon frère, lui répondit-il, ne perds pas confiance en constatant ta faiblesse d’aujourd’hui. Dieu peut te conduire de ces bas-fonds à de hauts sommets et transformer cette faiblesse enfantine en force virile.”

Ce goût certainement exagéré de l’ascèse pour elle même contraste avec la vertu de discrétion prônée par saint Benoît. Domenico n’était pas à proprement parler un directeur d’âmes. Après avoir changé plusieurs fois d’ermitage, il fut nommé par saint Pietro Damiani vers 1050 supérieur de celui de San Vicino près de Frontale, entre Fabriano et San Severino et dédié à la Très Sainte Trinité. Quelques disputes avec ses voisins le lassèrent plus vite que des flagellations volontaires et il demanda à son maître de s’en aller. On imagine que saint Pietro Damiani dut encourager ce champion des mortifications, en lui rappelant que la patience est la reine des vertus et le remède des péchés et que la prospérité dans les affaires temporelles n’est pas un signe de la bénédiction divine.

Souffrant de l’estomac et de continuels maux de tête, Domenico, qui ne cessait pas de réciter des psautiers et de prendre la discipline, finit par accepter un remède au cours d’une nuit d’insomnie. Aussitôt il souffrit atrocement, ce qui ne l’empêcha pas d’aller à matines, mais il mourut pendant l’office suivant (Prime)2.

C’était le 14 octobre 1060 ou 1061. Ses confrères l’enterrèrent aussitôt pour ne pas laisser voler le corps de celui qu’ils considéraient comme un saint. Pietro Damiani, averti, vint à San Vicino et le fit exhumer pour le déposer au chapitre. Il y avait neuf jours que Domenico était mort et son corps ne portait aucune trace de corruption.

En 1302, ses reliques furent transférées dans l’église de Frontale, qui fut alors dédiée à saint Domenico, et où elles sont encore pour la plus grande part.

En ce Xe siècle, où l’Eglise traversait une grave crise, surtout en Italie, Domenico voulut offrir à Dieu son ascèse comme prix d’une conversion générale du clergé. Son exemple n’est pas à imiter. S’il passe pour avoir inventé la discipline - que beaucoup de monastères ont ensuite adoptée, mais d’une façon beaucoup plus discrète que Domenico - il pourra certainement nous enseigner que notre corps humain est bien plus résistant qu’on ne le croit parfois, quand nous nous disons à bout de forces au terme de quelques petits efforts.

C’est saint Pietro Damiani3 qui rédigea lui-même une Vie de Domenico dans une longue lettre adressée au pape Alexandre II.


1 Petite localité qu’on croit identifier avec Ponte Riccioli (Ombrie).
2 Cette heure matinale du l’Office Divin a été supprimée dans la récente révision liturgique.
3 Saint Pietro Damiani est fêté le 21 février.

 

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