Chapitre 1

Jean Duvergier de Hauranne
abbé de Saint-Cyran
(1581-1643)

Jean Duvergier de Hauranne, qui devint l’abbé de Saint Cyran, est surtout connu comme celui qui introduisit en France la doctrine janséniste.

1-1-La vie de Saint-Cyran

Jean Duvergier de Hauranne naquit à Bayonne en 1581. Il fit une partie de ses études à l’université de Louvain, et rencontra Cornelius Jansen en 1609, à Paris. Les deux hommes se retirèrent ensuite à Bayonne pour étudier la patristique, et, en particulier, les oeuvres Saint Augustin. Plus tard, Jansen s’en retourna à Louvain, et Saint-Cyran correspondit régulièrement avec lui. Ce serait même lui qui aurait invité Jansen à préparer son livre L’Augustinus, lequel deviendra le fondement de la doctrine janséniste. 

1-1-1-L’abbé de Saint-Cyran

Devenu abbé de Saint-Cyran en 1620, Duvergier de Hauranne se lia d’amitié avec le cardinal de Bérulle, fondateur de l’Oratoire, en France, et fréquenta le milieu dévôt de l’époque. Comme Bérulle, l’abbé de Saint-Cyran avait un vrai désir travailler à la réforme de l’Église et à la conversion profonde des chrétiens de son époque.

En 1633, l’Abbé de Saint-Cyran, disciple passionné de Saint Augustin, fut nommé directeur spirituel et confesseur du couvent de Port-Royal. C’est sous sa direction, jusqu’en 1636, que le monastère devint le centre principal, en France, de ce que l’on appellera plus tard le jansénisme.

1-1-2-Après la mort du cardinal de Bérulle

Depuis la mort de Bérulle en 1629, Saint-Cyran dirigeait le “parti dévot”[1]  appuyé par le Parlement. Or, on se souvient que Bérulle, à la fin de sa vie, s’était trouvé en désaccord avec la politique de Richelieu. Moins diplomate que Bérulle, Saint-Cyran s’attira les foudres du puissant ministre. Son ami Jansen était d'ailleurs l'auteur d'un ouvrage assez politique, Mars gallicus dirigé contre Richelieu. Soupçonné de comploter contre son pays, suspecté quant à son orthodoxie, et insoumis à Richelieu, Saint-Cyran fut arrêté et mis en prison à Vincennes en 1638. Il n'en sortit qu'en 1643, après la mort de Richelieu, et mourut huit mois plus tard, à Paris, en octobre 1643.

Il convient de noter ici que Saint-Cyran se montrait également un farouche adversaire des jésuites qu’il estimait trop liés à Rome et trop laxistes sur le plan moral. 

1-1-3-L’influence de Saint-Cyran

Le rayonnement spirituel de Saint-Cyran ne s’éteignit pas pendant son incarcération: depuis sa cellule, il continuait sa direction spirituelle au moyen d'une abondante correspondance. Après la mort de Saint-Cyran, considéré comme père fondateur, en France, de l’augustinisme, et vénéré comme un martyr par ses amis, la cause janséniste, fut défendue par Antoine Arnauld, le successeur qu'il s'était désigné.

Grâce à son autorité et au soutien de ses nombreuses relations, Jean Duvergier de Hauranne avait eu une influence considérable dans la France de la première moitié du XVIIe siècle. Des gens venus de tous les milieux: membres du clergé, de la noblesse, et des milieux parlementaires, s’étaient rendus à Port-Royal pour entendre les sermons et les conseils de ce “maître en humanité et guide pour la vie intérieure”.

Dès 1633, toute la famille Arnauld, et pas seulement la Mère Angélique et les religieuses de Port-Royal, fut conquise par le charisme exceptionnel de l'abbé de Saint-Cyran, et se trouva, insensiblement, engagée dans la défense de la grande cause augustinienne. C’est ainsi que Saint-Cyran devint un ami très cher de Robert d'Andilly, l'aîné de la famille Arnauld, qu'il engagea à traduire saint Augustin et à composer de la poésie religieuse. Robert d'Andilly, après la mort de son directeur, publiera aussi sa correspondance.

Mais c'est surtout sur le cadet de la famille Arnauld que Saint-Cyran faisait reposer ses plus grands espoirs: Antoine, qui deviendra bientôt "le Grand Arnauld", était un jeune théologien de la Sorbonne, tout acquis à la cause augustinienne, et promis à un brillant avenir. À la demande de Saint-Cyran, il publia un ouvrage, la Fréquente communion (1643), où il soutenait, contre les jésuites, que communier était une chose grave, qui ne se pouvait faire à la légère, et qui demandait un minimum de préparation. Or, Antoine Arnauld appuyait son argumentation sur ses impressionnantes connaissances patristiques. En conséquence, il fallait communier le moins souvent possible, et hésiter à recevoir les sacrements.

1-2-Après Saint-Cyran

Comme il fallait s’y attendre, l'Augustinus et La Fréquente communion furent violemment attaqués, en particulier par les jésuites, qui accusèrent les amis de Port-Royal de "jansénisme".  Ce mot n’était alors qu’un quolibet utilisé pour désigner les amis de Port-Royal qui prétendaient pourtant n’être que des disciples de Saint-Augustin. Ce quolibet, à l’époque, était employé exclusivement par les adversaires des jansénistes, et contre les jansénistes. Il voulait signifier que ces catholiques trop rigoristes n’étaient en fait que des hérétiques, sectateurs de l'évêque d'Ypres, Corneille Jansen, et pas seulement des adeptes de la doctrine de Saint Augustin.

1-3-Réflexions à propos de Saint-Cyran

Lorsqu’on se penche un  peu longuement sur la vie de l’abbé de Saint-cyran, il ne semble pas, tout d’abord,  que cet homme ait été un “mauvais homme”, un hérétique, un véritable sectaire. Il semble même que, outre les religieuses de Port-Royal, de nombreuses âmes soient venues chercher Dieu et du réconfort auprès de lui. Pourtant, c’est bien lui qui a introduit le jansénisme à Port-Royal, mais en toute bonne foi semble-t-il.  Et c’est là que nous avons du mal à comprendre.

Nous comprenons mal, car Saint-Cyran, suivant en cela son ami Jansen, se référait surtout à Saint Augustin, docteur de l’Église. Alors? Comment conclure un chapître, même court, consacré à Saint-Cyran? Comment exprimer cette sorte de malaise qui nous étreint, manifestation de sentiments contradictoires? Oui, comment conclure?

On est en droit de se demander: Jansen et Saint-Cyran ont-ils bien interprêté Saint Augustin? Ou bien encore, la lecture qu’ils firent de ses œuvres a-t-elle été complète? Comment des hommes, qui cherchaient vraiment Dieu, ont-ils pu se focaliser ainsi sur quelques points de doctrine, qui avaient déjà, longtemps auparavant, fait naître bien des querelles dans l’Église, et à propos desquels l’Église avait imposé le silence? Enfin, il faut ajouter que les points litigieux, concernant la grâce, le libre arbitre ou la prédestination, ne constituent pas l’essentiel de la pensée de Saint Augustin...

Il y a plus. Saint-Cyran fut très lié à Bérulle. Il a inévitablement connu Charles de Condren, le successeur de Bérulle. Il n’a pas pu ne pas entendre parler du saint évêque de Cahors, Alain de Solminihac, de Jean Eudes, de Jean-Jacques Olier, fondateur des Sulpiciens, et même de Gaston de Renty ou de la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement. Tous ces saints qui ont “fait” l’École Française de spiritualité étaient ses contemporains. Alors?...

Alors, pourquoi, ayant cheminé un temps avec eux, fut-il si différent de ses contemporains, et comment a-t-il pu introduire ce que l’on appela l’hérésie janséniste? Sa bonne foi aurait-elle été emporté par un orgueil sournois et dangereux?

Il est un passage de l’Évangile de Saint Jean (3, 16-21) qui  donne peut-être une réponse. “Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique: ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé... Mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres de Dieu.”

Jansen et Saint-Cyran auraient-ils oublié de lire l’Évangile? En se cantonnant à la seule méditation de Saint Augustin, n’ont-ils pas oublié l’amour et la Miséricorde du Seigneur, pour tous les hommes? Et si la Miséricorde de Dieu est pour tous les hommes, c’est que Dieu ne “s’amuse” pas à les créer pour en damner ensuite un grand nombre.

Et puis, nous savons bien que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes pécheurs, pour sauver tous les hommes dont la liberté, hélas! peut faillir. Et c’est Jésus Lui-même qui, dès le XVIIe siècle, puis davantage au XVIIe, apporta le remède contre le jansénisme. Jésus, pour redonner espoir aux désespérés qui pouvaient se croire prédestinés à la damnation éternelle, Jésus nous révélait, à la même époque, d’abord par une petite carmélite du Carmel de Dijon, Sœur Marguerite du Saint-Sacrement, puis à travers Jean Eudes et Marguerite-Marie Alacoque, tout l’amour de son Sacré-Cœur miséricordieux, amour exprimé par son Incarnation et son enfance, sa vie au milieu de nous, sa mort et sa Résurrection.

Le jansénisme mourra, mais l’amour de Dieu pour tous les hommes, et sa miséricorde sont éternels. Cela, c’est le Sacré-Cœur lui-même qui nous l’a enseigné.


[1] Curieusement, à cette époque, c’est le groupe des partisans de Saint-Cyran qui fut appelé le “parti dévot”.

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