INDEX
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE
CLIV
Ou se trouve l'obéissance, ce qu'elle est, ce qui la
fait perdre, et ce qui prouve qu'on la possède.
CLV
L'obéissance est la clef qui ouvre le ciel.
CLVI
De la misère des désobéissants et de l'excellence des
obéissants.
CLVII
De ceux qui aiment tant l'obéissance, qu'ils ajoutent
à l'observation générale des préceptes une obéissance plus particulière.
CLVIII
De quelle manière on parvient de l'obéissance
générale à l'obéissance particulière.
CLIX
Des obéissants et des désobéissants qui vivent en
religion.
CLX
Ceux qui obéissent reçoivent le centuple et la vie
éternelle.- Ce que veut dire le centuple.
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TRAITE
DE L'OBEISSANCE
1. Alors Dieu le Père jeta, dans sa bonté, un regard
miséricordieux sur cette âme, et il lui dit : Ma douce et bien-aimée fille,
les saints désirs et les demandes justes méritent d'être exaucés. Je suis la
Vérité souveraine et je remplirai les promesses que je t'ai faites, en
exauçant ta prière. Tu me demandes où tu peux trouver l'obéissance, la cause
qui peut te la faire perdre, et à quel signe tu reconnaîtras que tu la
possèdes, ou qu'elle te manque.
2. Je te répondrai d'abord que tu trouveras
l'obéissance d'une manière parfaite dans mon aimable Verbe, mon Fils unique.
Cette vertu a été si ardente en lui, que pour l'accomplir il s'est élancé
vers la mort ignominieuse de la Croix. Si tu veux savoir ce qui l'a fait
perdre, regarde le premier homme, et tu verras comment il a transgressé le
commandement que je lui avais imposé. C'est l'orgueil qui lui a fait perdre
l'obéissance, par amour pour lui-même et par complaisance pour sa, compagne.
Telle fut la cause qui lui ravit l'obéissance, et qui le fit tomber dans la
révolte, perdre la vie de la grâce et l'innocence, trouver la mort, la
corruption et la misère, non seulement pour lui, mais pour le genre humain
tout entier.
3. Le signe qui prouve qu'on possède la vertu de
l'obéissance, c'est la patience. L'impatience, au contraire, montre qu'on en
est privé, ainsi que je te l'ai déjà fait clairement comprendre. Mais
remarque qu'il y a deux obéissances, une bonne et une autre parfaite. Elle
ne sont pas séparées, mais elles sont unies ensemble, ainsi que je te l'ai
expliqué en te parlant des préceptes et des conseils, dont les uns sont bons
et les autres parfaits.
4. Nul ne peut entrer dans la vie éternelle que par
l'obéissance. C'est la clef de l'obéissance qui a ouvert la porte du
paradis, fermée par la désobéissance d'Adam. Quand je vis que l'homme, que
j'aimais tant, était privé de la fin glorieuse pour laquelle je l'avais
créé, et qu'il ne pouvait, jamais revenir à moi par lui-même, je me sentis
forcé par mon ineffable bonté de prendre les clefs de la sainte obéissance
et de les remettre aux mains de mon Fils bien-aimé, qui, fidèle à mes
ordres, ouvrit la porte du ciel ; et nul, depuis, ne peut entrer par cette
porte, si ce divin portier ne lui ouvre avec la clef de l'obéissance ; car
il a dit dans l'Évangile que personne ne peut venir à moi que par lui.
5. Mon Fils vous a laissé la douce clef de
l'obéissance, lorsque, retournant vers moi avec la palme de la victoire, il
est monté au ciel en s'éloignant des hommes. Il a confié cette clef à son
Vicaire, au Pape, qu'on peut bien appeler le Christ sur terre auquel vous
êtes tous obligés d'obéir jusqu'à la mort. Si quelqu'un se sépare de son
obéissance, il est sans aucun doute en état de damnation, à moins qu'il ne
change avant de mourir, ainsi que je te l'ai expliqué ailleurs.
6. Je veux maintenant que tu voies cette belle vertu
de l'obéissance dans l'Agneau sans tache, et que tu comprennes d'où elle
vient en lui. Si tu me demandes d'où procède l'obéissance si prompte de mon
Fils, tu sauras qu'elle vient de son amour pour mon honneur et pour votre
salut. Et cet amour, d'où vient-il ? De la claire vision que son âme avait
de l'essence divine et de l'éternelle Trinité. Il me contemplait toujours,
et cette vision produisait en lui d'une manière parfaite cette fidélité que
la lumière de la foi ne produit qu'imparfaitement en vous. Aussi m'a-t-il
été très fidèle, à moi qui suis son Père et il a couru à cette lumière
glorieuse dans la voie de l'obéissance, avec toute l'ardeur de l'amour.
7. L'amour n'est jamais seul ; il était accompagné de
toutes les vertus royales, qui puisent la vie ait foyer de la vraie charité.
Mais les vertus étaient bien différentes en lui qu'en vous. Entre toutes,
l'amour possède la vertu d'une invincible patience, qui est comme sa moelle,
et qui montre clairement si une âme est eu état de grâce, et si elle aime
véritablement ou non. La mère des vertus, qui est la charité, a donné la
patience pour sœur à l'obéissance, et les a tellement unies, qu'elles ne
peuvent jamais vivre l'une sans l'autre.
8. L'obéissance a l'humilité pour nourrice ; c'est
elle qui l'alimente chaque jour. On est aussi obéissant qu'on est humble, et
aussi humble qu'on est obéissant. L'humilité est la nourrice qui aide la
charité, et qui nourrit de son lait la vertu de l'obéissance ; elle la
couvre d'opprobres, elle la revêt du mépris de soi-même, afin de me plaire
davantage. Quel en est le plus parfait modèle ? C'est mon Fils, le doux
Jésus. Qui s'est plus abaissé et méprisé ? N'est-ce pas lui, puisqu'il a été
abreuvé d'opprobres, de moqueries et d'affronts, puisqu'il a sacrifié sa vie
corporelle pour me plaire ? Qui a été plus patient ? Jamais on n'entendit
sortir de sa bouche la plainte ou le murmure ; il a reçu avec patience les
injures, et il suivit avec amour l'obéissance qui lui avait été imposée par
moi son Père.
9. C'est donc en lui que vous trouverez la parfaite
obéissance ; il vous en a donné la règle en l'accomplissant le premier
lui-même. Sa doctrine vous enseigne la voie, puisqu'elle est la voie directe
qui conduit à Celui qui est la vie, et qui vous a dit dans l'Évangile qu'il
était la voie, la vérité et la vie (S. Jean. XIV, 6). Celui qui
marche dans cette voie est dans la lumière, et celui qui marche dans la
lumière ne se heurte pas, et n'est heurté par personne sans s'en apercevoir,
parce qu'il s'est retiré des ténèbres de l'amour-propre, qui fait tomber
dans la désobéissance. Car, comme je te l'ai déjà dit, la compagne de
l'obéissance est l'humilité.
10. Je te le répète aussi, c'est de l'orgueil que
procède la désobéissance, qui vient de l'amour- propre. La sœur que
l'amour-propre donne à la désobéissance est certainement l'impatience.
L'orgueil la nourrit, et, au milieu des ténèbres de l'infidélité, il fait
courir l'âme dans la voie mauvaise, jusqu'à ce qu'elle trouve la mort
éternelle. Il vous faut tous nécessairement lire dans le Livre glorieux où
vous trouverez l'obéissance enseignée avec toutes les autres vertus.
1. Après t'avoir montré où se trouve l'obéissance,
d'où elle vient, quelle est sa compagne et qui la nourrit, je vais te parler
des obéissants et des désobéissants, de l'obéissance générale et de
l'obéissance particulière, c'est-à-dire de l'obéissance des préceptes et de
celle des conseils.
2. Toute votre foi est fondée sur l'obéissance, et
c'est par l'obéissance que vous vous montrez fidèles. Ma Vérité a établi
dans la loi les préceptes que vous devez observer ; le plus grand est celui
de m'aimer par dessus toute chose, et d'aimer le prochain comme vous-mêmes.
Et ces préceptes sont tellement unis ensemble, que vous ne pouvez pas en
observer un sans observer tous les autres, ou en violer un sans violer tous
les autres.
3. Si quelqu'un observe ces deux commandements, il
garde les autres, et il est fidèle envers moi et envers son prochain ; il
m'aime et il persévère dans ma charité, il est obéissant par conséquent et
se soumet à tous les préceptes de la loi, et au prochain à cause de moi. Il
souffre tout avec patience et humilité, même la peine et l'injure qui lui
vient du prochain. Cette obéissance est d'une telle efficacité, qu'elle vous
donne la grâce, comme la désobéissance vous a donné la mort.
4. Il ne suffirait pas que l'obéissance se fût
trouvée dans mon Verbe incarné pour votre salut, si elle ne se trouvait pas
en vous. Car je te l'ai dit, c'est la clef qui ouvre le ciel, et mon Fils
l'a remise et confiée aux mains de son Vicaire. Son Vicaire la remet entre
les mains de tous ceux qui, ayant reçu le baptême, promettent volontairement
de renoncer au démon, au monde et à ses pompes. C'est cette promesse qui
donne la clef de l'obéissance, et cette clef de chacun est la même clef que
celle du Verbe.
5. Si quelqu'un ne marche pas à la lumière de la foi,
et ne cherche pas à ouvrir avec la main de l'amour cette porte de la vie
éternelle, il ne pourra jamais entrer avec cette clef, quoique mon Verbe
l'ait déjà ouverte. Je vous ai créés sans vous, vous ne me l'avez pas
demandé, et je vous ai aimés avant votre naissance ; mais je ne peux pas
vous sauver sans vous. Il faut donc prendre à la main cette clef de
l'obéissance et ne pas vous arrêter, mais marcher dans la voie de la Vérité
incarnée, en suivant fidèlement sa doctrine.
6. Oui, vous ne devez pas vous arrêter à des choses
finies, en plaçant vos affections comme le font les insensés qui suivent le
vieil homme, Adam, qui jeta la clef de l'obéissance dans la fange du péché,
la brisa avec le marteau de l'orgueil, et la laissa ronger par la rouille de
l'amour-propre. C'est pour cela que mon Fils bien-aimé est venu avec cette
clef de l'obéissance ; il l'a purifiée dans le feu de la charité divine ; il
l'a retirée de la fange et l'a parfaitement lavée dans son Sang ; il l'a
redressée avec l'instrument de la justice, en travaillant vos iniquités sur
l'enclume de son Corps sacré ; il l'a si bien réparée, que toutes les fois
qu'un homme l'a faussée par son libre arbitre, il peut la redresser par son
libre arbitre, avec ma grâce et les mêmes instruments.
7. O homme aveugle et malheureux, comment, lorsque tu
as brisé cette clef de l'obéissance, négliges-tu de la réparer ? Penses-tu
que la désobéissance, qui a fermé le ciel au premier homme, te l'ouvrira, et
que l'orgueil qui en a été précipité t'y fera monter ? Crois-tu entrer aux
noces avec un vêtement sale et déchiré ? Crois-tu qu'en t'arrêtant et en
t'enchaînant toi-même avec les liens du péché, tu pourras marcher et ouvrir
cette porte sans clef ? Ne te laisse donc pas ainsi abuser par
l'imagination. Il faut que tu sois délivré ; il faut sortir du péché mortel
par la contrition du cœur, par l'humble confession de la bouche et la
satisfaction des oeuvres, avec le ferme propos de te corriger et de ne plus
m'offenser.
8. De cette manière tu mépriseras, tu dépouilleras,
tu jetteras par terre le vêtement qui te souille ; tu prendras la robe
nuptiale pour courir à la lumière de la foi, en portant dans ta main cette
clef de l'obéissance qui ouvre la porte. Attache, attache cette clef avec le
cordon de l'abjection, du mépris de toi-même et du monde ; fixe-la au saint
désir de me plaire à moi, ton Créateur. Que ce désir te soit comme une forte
ceinture qui t'empêche toujours de la perdre.
9. Apprends, ma fille bien-aimée, que beaucoup
prennent la clef de l'obéissance, parce qu'ils ont vu à la lumière de la foi
qu'ils ne pouvaient sans elle échapper à la damnation ; mais ils la tiennent
à la main, sans l'attacher à ce cordon et à cette ceinture dont je te parle.
Ils ne se ceignent pas du désir de me plaire, parce qu'ils s'aiment
eux-mêmes, et ils n'y pendent pas le cordon de l'abaissement, parce qu'au
lieu de souhaiter l'humiliation, ils recherchent plutôt la louange des
hommes.
10. Ceux-là sont exposés à perdre la clef de
l'obéissance lorsqu'il leur arrive quelque peine, quelque épreuve
spirituelle ou corporelle ; et s'ils n'y font attention, ils peuvent la
perdre pour toujours, en négligeant de retrouver à temps le saint désir ;
car, pendant qu'ils vivent, ils peuvent s'ils veulent, ressaisir la clef de
l'obéissance ; mais s'ils ne savent pas vouloir, ils ne la retrouveront
jamais. Et qui est-ce qui montrera qu'ils l'ont perdue ? L'impatience, parce
que la patience est la compagne inséparable de l'obéissance. Dès que
quelqu'un n'est pas patient, il est évident que l'obéissance n'habite pas
son âme.
11. Oh ! combien est douce et glorieuse cette vertu de
l'obéissance, par laquelle existent toutes les autres vertus, parce qu'elle
est niée de la charité ! Sur elle est fondée la pierre de la sainte foi ;
c'est une reine magnifique ; celui qui l'épouse est riche de tous les biens
et ne ressent jamais aucun mal. Tous ses jours sont pleins de paix et de
repos ; les flots d'une mer irritée ne peuvent lui nuire par leurs orages.
Le centre de son âme est inaccessible à la haine, même au temps de l'injure,
parce qu'il veut obéir et qu'il connaît le précepte du pardon.
12. Il ne sent aucune amertume lorsque ses désirs ne
sont pas satisfaits, parce que l'obéissance fait qu'il ne désire réellement
que moi, qui peut, qui sait, qui veut satisfaire tous ses désirs. Il s'est
dépouillé de toutes joies mondaines, et il trouve en toutes choses une
heureuse paix, car il a épousé cette grande reine, l'obéissance, que j'ai
comparée à une clef,
13. O douce obéissance, qui navigues sans peine et qui
arrives sans péril au port du salut ! tu ressembles au Verbe, mon Fils
bien-aimé ; tu montes la barque de la sainte Croix, tu es prête à tout
souffrir plutôt que de manquer à l'obéissance de mon Verbe et de t'éloigner
de sa doctrine. Elle est pour toi comme une table sur laquelle tu prends la
nourriture des âmes, en te passionnant d'amour pour le prochain. Tu es toute
parfumée d'une humilité sincère, et tu ne désires rien de ton prochain en
dehors de ma volonté. Tu es droite sans détour, parce que tu rends le cœur
simple et charitable sans réserve et sans dissimulation. Tu es comme
l'aurore qui annonce la lumière de la grâce divine ; tu es comme le soleil
qui réchauffe celui qui te possède, parce que l'ardeur de la charité ne
t'abandonne jamais. Chaque jour tu fécondes la terre, parce que tu fais
produire au corps et à l'âme un fruit qui donne la vie à l'homme et à son
prochain.
14. Tu plais à tout le monde, parce que ton visage
n'est troublé par aucun orage, mais qu'il est toujours éclairé par la douce
lumière de la patience. Ton calme vient de ta force ; tu es si grande et si
puissante par ta persévérance, que tu vas de la terre jusqu'au ciel, et que
tu l'ouvres par son moyen. Tu es une perle précieuse, mais cachée, que
beaucoup méconnaissent et que le monde foule aux pieds ; mais en te
méprisant toi-même et en te faisant petite en toute occasion, tu élèves les
créatures qui te possèdent. Ton pouvoir est si grand, que personne ne peut
te commander, parce que tu es affranchie de la servitude mortelle de la
sensualité, qui détruisait la grandeur. En tuant cet ennemi avec la' haine
et le mépris de toi-même, tu as reconquis toute ta liberté.
1. Ma fille bien-aimée, tout ce que ma bonté a fait,
a été fait pour que le Verbe, mon Fils unique, réparât cette clef de
l'obéissance. Les hommes du monde, qui n'ont aucune vertu, ne veulent pas
s'en servir ; ils sont au contraire comme des animaux sans frein, car ils
n'ont pas le frein de l'obéissance, et ils vont de mal en pis, de péché en
péché, de misère en misère, de ténèbres en ténèbres, de mort en mort,
jusqu'à ce qu'ils tombent dans l'abîme de la dernière mort, où le ver de la
conscience les ronge éternellement.
2. Ils pourraient bien revenir à l'obéissance et se
soumettre aux préceptes de la loi ; ils ont encore le temps de pleurer dans
leur cœur, mais parce qu'ils ont vieilli dans la désobéissance, il leur est
difficile de rompre cette longue habitude du péché. Personne ne doit compter
sur des délais, et il est bien dangereux d'attendre le moment de la mort
pour ressaisir la clef de l'obéissance. On peut, on doit même espérer en moi
pendant toute la vie présente ; mais c'est s'exposer beaucoup que de
différer sa conversion, et de compter sur un temps qu'on n'a pas, tandis
qu'on perd celui que ma grâce accorde.
3. Quelle est la cause de ce malheur et de cet
aveuglement, si ce n'est les hommes qui méconnaissent ce trésor ? Les nuages
de l'amour-propre et de l'orgueil les ont séparés de l'obéissance et fait
tomber dans la révolte. Parce qu'ils ne sont plus obéissants, ils ne sont
plus patients, et leur impatience leur cause des maux insupportables. Ils
sont détournés de la voie de la vérité pour su perdre dans celle de l'erreur
et du mensonge ; ils deviennent les esclaves et les amis des démons, et
s'ils ne se corrigent pas, ils se précipitent par leur désobéissance dans
les flammes éternelles, avec les démons dont ils ont reconnu le pouvoir.
4. Ceux, au contraire, qui observent la loi de mon
Fils bien-aimé se réjouissent dans leur obéissance, et goûtent. d'une
manière ineffable mon éternelle Vision, avec l'agneau sans tache qui a fait,
gardé et donné la loi. En l'accomplissant pendant la vie présente, ils ont
trouvé la paix, et dans la vie bienheureuse ils reçoivent et goûtent une
paix plus parfaite encore, parce que là se trouvent une paix sans orage, un
bien sans mélange, une confiance sans crainte, des richesses infinies sans
défaut, une satiété sans dégoût, une faim sans peine, une lumière sans
ténèbres, un bonheur suprême, infini, sans bornes et sans limites, un
bonheur que partagent tous les bienheureux.
5. Qui a pu donner à l'homme tant de joie ? Le sang
de l'Agneau, dont la vertu a dépouillé de la rouille la clef de
l'obéissance, avec laquelle vous pouvez ouvrir la porte du ciel. Oui, c'est
l'obéissance qui l'a ouverte par la vertu de ce Sang.
6. O malheureux insensés ! ne différez donc plus de
sortir de la boue de la corruption et du péché. Il semble que vous vous
plaisez à vous vautrer dans les ordures de la chair comme le pourceau dans
les immondices et la fange. Laissez donc les injustices, la haine,
l'homicide, la vengeance, les injures, les murmures, les jugements
téméraires, la cruauté envers le prochain, le vol, le mensonge, la trahison
et les jouissances déréglées de la fortune ; abattez les cornes de
l'orgueil. Si vous le faites, vous éteindrez la haine que nourrit votre cœur
contre celui qui vous a fait injure.
7. Comparez donc les injures que vous me faites et
que vous faites au prochain avec celles qui vous sont faites, et vous verrez
que vous n'avez aucun droit de vous plaindre. Quand vous êtes l'ennemi de
votre prochain, vous me faites injure, parce que vous méprisez et
transgressez mon commandement. Vous offensez aussi votre prochain en vous
dépouillant des sentiments de charité à son égard.
8. Il vous est ordonné de m'aimer par dessus toutes
choses et d'aimer le prochain comme vous-mêmes ; il n'y a pas de commentaire
qui ajoute : A moins qu'il ne vous fasse injure. Il a été dit au contraire
par ma Vérité, que ce qu'elle a observé parfaitement, vous devez l'observer
parfaitement vous-mêmes. Si vous ne l'observez pas, vous faites tort à votre
âme en la privant de la grâce.
9. Prenez donc, oui, prenez la clef de l'obéissance à
la lumière de la foi. Ne marchez pas dans l'aveuglement et la tiédeur, mais
maintenez l'obéissance dans votre cœur avec l'ardeur de la charité, afin
qu'un jour, avec les observateurs de la loi, vous goûtiez l'éternelle
félicité.
1. Ma fille bien-aimée, il en est en qui augmente
tellement l'amour de l'obéissance, qu'ils ne veulent plus se contenter de
l'obéissance générale aux préceptes de la loi, que vous êtes toujours
obligés d'observer, si vous voulez avoir la vie et ne pas tomber dans la
mort éternelle ; ils tendent à la perfection en recherchant une obéissance
plus particulière et plus parfaite, qui consiste à observer les préceptes et
les conseils mentalement et réellement.
2. En effet, il n'y. a pas d'ardent amour sans haine
de la sensualité, et avec cet amour croit nécessairement cette haine.
Ceux-là donc, à cause de cette haine et pour tuer entièrement leur volonté
propre, veulent se lier sous le joug d'une règle religieuse, ou, en dehors
d'un Ordre, sous l'obéissance plus étroite de quelqu'un qu'ils prennent pour
supérieur, afin de marcher plus rapidement et d'ouvrir plus sûrement avec la
clef de l'obéissance la porte de la vie éternelle. Ce sont ceux qui
choisissent l'obéissance parfaite.
3. Je t'ai parlé de l'obéissance générale ; mais
puisque tu veux que je te parle spécialement de cette obéissance parfaite,
je vais t'en entretenir. Elle n'est pas séparée de la première, elle est
seulement plus parfaite ; mais elles sont si unies, qu'elles ne peuvent
exister l'une sans l'autre. Je t'ai dit d'où vient l'obéissance générale, où
elle se trouve et ce qui vous la fait perdre ; je t'expliquerai de la même
façon l'obéissance particulière.
1. L'âme qui, avec un amour sincère, a pris le joug
de l'obéissance aux préceptes, en suivant la doctrine de ma Vérité, et en
s'exerçant par des actes de vertu à cette obéissance générale, arrive à la
seconde obéissance par la lumière qui l'a conduite à la première. La sainte
lumière de la foi lui fait connaître par le sang de l'humble Agneau la
vérité de l'amour ineffable que je lui porte, et la faiblesse qui la rend
incapable d'y répondre avec la perfection que je mérite. Et alors, à l'aide
de cette lumière, elle cherche le lieu et le moyen de s'acquitter envers
moi, de surmonter sa faiblesse et de tuer sa volonté.
2. La foi lui montre le lieu qu'elle cherche ; c'est
la vie religieuse établie par l'Esprit Saint comme une barque pour recevoir
les âmes qui veulent atteindre la perfection et parvenir au port du salut.
Le patron de cette barque est l'Esprit Saint, que personne ne peut mettre en
défaut ; car le religieux qui désobéit à ses ordres ne nuit point à la
barque et ne nuit qu'à lui-même. Ii est vrai que, par la faute de celui qui
tient le gouvernail, la barque peut être battue par la tempête. Les mauvais
pilotes sont les supérieurs qui remplissent d'une manière si déplorable les
fonctions que leur a confiées le patron de cette barque. Cette barque est
plus désirable que ta langue ne saura jamais le dire.
3. Lorsque cette âme augmente ainsi le feu de son
amour par la sainte haine d'elle-même, et qu'elle trouve, par la lumière de
la foi, la barque de la vie religieuse, elle y entre morte à elle-même, si
elle est véritablement obéissante, c'est-à-dire si elle a déjà parfaitement
observé l'obéissance générale. L'imperfection qu'elle y apporte ne
l'empêchera pas de parvenir ensuite à la perfection, Elle y parviendra à
mesure qu'elle s'exercera davantage à l'obéissance.
4. La plupart de ceux qui entrent en religion sont
encore imparfaits. Les uns le font par légèreté d'âge, les autres par
crainte, d'autres pour y trouver des consolations ou des jouissances.
L'important est qu'ils fassent bien ce qu'ils ont entrepris et qu'ils y
persévèrent jusqu'à la mort. Ce n'est pas sur le commencement, mais sur la
fin que porte le jugement. Beaucoup qui paraissent parfaits d'abord
regardent ensuite en arrière ou restent dans leur Ordre avec une grande
imperfection. Les motifs et les circonstances avec lesquels on entre en
religion ne sont rien ; c'est moi qui les fais naître en appelant chacun de
différentes manières. Ce qu'il faut seulement considérer, c'est l'amour avec
lequel on persévère dans la véritable obéissance.
5. Cette barque de l'obéissance est pleine de
richesses, et celui qui s'y trouve n'a pas à se préoccuper de ses besoins
spirituels ou temporels ; car celui qui obéit véritablement et qui observe
la règle a pour patron le Saint Esprit lui-même. Je te l'ai dit en te
parlant de ma providence, mes serviteurs peuvent être pauvres, mais jamais
misérables, parce que je fournis chaque jour à leurs besoins. Ceux qui se
soumettent à une règle le savent par expérience.
6. En effet, tu vois qu'au moment où les Ordres
religieux florissaient davantage par l'esprit de pauvreté et de charité
fraternelle, jamais leurs moyens de vivre n'ont diminué ; ils se trouvaient
plutôt du superflu. Mais dès que le poison de l'amour-propre eut introduit
le désir de vivre séparément, et que l'obéissance eut disparu, leurs
ressources temporelles se sont amoindries et plus ils possédaient, plus ils
avaient de nécessités. Même dans les plus petites choses, ils devaient
éprouver le fruit que porte la désobéissance ; car, s'ils avaient été
obéissants et fidèles au vœu de pauvreté, ils n'auraient pas possédé quelque
chose et vécu séparément.
7. Tu trouveras dans cette barque le trésor de ces
saintes règles, composées avec tant de sagesse et de lumière par ceux qui
étaient les temples du Saint Esprit. Regarde avec quelle science Benoît sut
disposer sa barque ; considère les parfums de pauvreté et les diamants de
vertus dont François enrichit la barque de son Ordre, qu'il conduisit à une
si haute perfection il la monta lui-même le premier, et donna l'exemple de
ce mariage avec la sainte pauvreté à laquelle il s'était attaché par l'amour
de l'abaissement et par le mépris de lui-même. Il ne désirait plaire à
aucune créature en dehors de ma volonté ; il recherchait les humiliations du
monde ; il macérait son corps et détruisait sa volonté ; il se couvrait
d'opprobres et d'ignominies par amour pour l'humble Agneau que l'amour a
cloué et percé sur la Croix, tellement que, par une grâce extraordinaire,
les plaies sacrées de mon Verbe apparurent sur son corps pour manifester,
dans sa chair, l'ardeur qui dévorait son âme : c'est ainsi que François
fraya la route aux autres.
8. Te me diras : Est-ce que les autres Ordres ne
sont pas fondés sur la pauvreté ? Si, assurément. Mais pour tous elle n'est
pas la chose principale : tous peuvent s'affermir sur la pauvreté ; mais,
comme dans les vertus qui tirent leur vie de la charité il y en-a de
spéciales aux uns et aux autres, quoiqu'elles aient toutes la même origine,
mon cher pauvre François eut pour sa part la vraie pauvreté ; c'est par
amour pour elle qu'il construisit sa barque, et qu'il y plaça des hommes
d'une rare perfection ; ils n'étaient pas nombreux, mais excellents. Il y en
a peu maintenant qui choisissent cette perfection. Hélas ! ils ont augmenté
en nombre et diminué en vertu ; et ce n'est pas la faute de la barque, mais
c'est la faute de ceux qui n'obéissent pas et qui commandent mal.
9. Si tu regardes la barque de ton père Dominique,
mon fils bien-aimé, tu verras qu'il y a parfaitement tout disposé pour
m'honorer et sauver les âmes par la lumière de la science : en prenant cette
lumière pour principe de son oeuvre, il n'a pas renoncé à la pauvreté
volontaire ; il l'a embrassée aussi, et, afin de le prouver, il a laissé
pour toujours dans son testament à ses fils, sa malédiction et la mienne,
sur tous ceux qui possèderaient ou retiendraient quelque chose, d'une
manière générale ou particulière : c'était montrer qu'il avait pris pour
épouse la royale pauvreté. Mais, comme bien spécial, il choisit la lumière
de la science, afin de détruire les erreurs qui s'étaient élevées de son
temps. Il prit la charge du Verbe, mon Fils unique, et il parut comme un
apôtre dans le monde, tant il sema ma parole avec ardeur, dissipant les
ténèbres et répandant partout la lumière.
10. Ce fut un flambeau que je donnai aux hommes par
l'intermédiaire de Marie, pour détruire les hérésies. Oui, ce fut par
l'intermédiaire de Marie ; car c'est elle qui lui donna l'Habit : ma bonté
lui en avait confié le soin. Sur quelle table prenait-il avec ses enfants la
lumière de la science ? sur la table de la Croix, qui est la table des
saints désirs, où on se rassasie des âmes en mon honneur. Dominique voulait
que ses enfants fussent sans cesse occupés à cette table pour chercher, à la
lumière de la science, la gloire de mon nom et le salut des âmes. Afin de
les empêcher de songer à autre chose, il leur ôta le soin des biens
temporels ; il voulut qu'ils fussent pauvres ; il montrait qu'il ne
craignait pas de les voir manquer de rien ; car il était revêtu d'une foi
puissante, et il espérait d'une espérance ferme en ma providence.
11. Il prescrivit l'obéissance, et voulut-que chacun
fût fidèle à la tâche qui lui était imposée ; et comme une vie sensuelle
obscurcit la lumière de l'intelligence, et que les excès de la débauche
éteignent même les yeux du corps, il prit un moyen pour conserver la vue et
acquérir plus parfaitement la lumière de la science. Il établit le vœu de
continence, et voulut qu'il fût observé par tous avec une vraie et parfaite
obéissance. Mais aujourd'hui combien sont infidèles ! Ceux-là cachent la
lumière de la science par les ténèbres de l'orgueil ; ces ténèbres
n'obscurcissent pas la science elle-même, mais seulement leur âme. Où est
l'orgueil, là ne peut être l'obéissance.
12. Je te l'ai dit, l'humilité est la mesure de
l'obéissance, et l'obéissance la mesure de l'humilité : celui qui viole le
vœu d'obéissance respecte rarement celui de continence dans ses actes ou ses
désirs. Ton père Dominique a mis à sa barque trois cordages, qui sont la
chasteté, l'obéissance et la vraie pauvreté : il a mis dans sa règle une
grande modération, puisqu'il n'y a pas obligé les âmes sous peine de péché
mortel. En cela je l'ai éclairé de ma lumière, dans l'intérêt de ceux qui
seraient moins parfaits ; car, quoique tous ceux qui se soumettent à la
règle soient dans un état de perfection, les uns vivent d'une manière plus
parfaite que les autres ; mais les parfaits et les mi-parfaits sont tous
dans la barque. Dominique est ainsi d'accord avec ma Vérité, puisqu'il ne
veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive.
13. Aussi sa religion est toute large, toute joyeuse,
toute parfumée ; c'est un jardin de délices, mais les malheureux qui n'en
observent pas la règle le rendent inculte et sauvage ; la vertu y répand à
peine quelque odeur, et la lumière de la science s'affaiblit en ceux qui s'y
nourrissent. Ce jardin si désirable n'était point ainsi dans son principe ;
les fleurs y abondaient, et les religieux y étaient d'une grande
perfection ; ils ressemblaient à saint Paul par la lumière, et les ténèbres
de l'erreur se dissipaient en leur présence.
14. Regarde le glorieux Thomas, dont l'admirable
intelligence contemplait ma Vérité, qu'il acquérait par une lumière
surnaturelle et par une science infuse ; il dut cette grâce beaucoup plus à
ses prières qu'à ses études. Aussi fut-il un flambeau resplendissant qui
éclaira son Ordre et le corps mystique de la sainte Église, dont il éloigna
toutes les hérésies.
15. Regarde Pierre, vierge et martyr, qui combattit
l'erreur avec son sang. Il l'avait en si grande horreur, qu'il résolut d'y
sacrifier sa vie. Tant qu'il respira, il ne fit autre chose que prier,
prêcher, disputer avec les hérétiques, confesser, annoncer la vérité et
répandre la foi sans rien craindre. Il la confessa pendant toute sa vie et
jusqu'à son dernier soupir. Au moment d'expirer, la voix et l'encre lui
manquaient : il trempa le doigt dans le sang qui sortait de sa blessure, et
comme il n'avait pas de papier, ce glorieux martyr s'inclina vers la terre
pour y écrire cette profession de foi : Credo in Deum. Son cœur était
tellement embrasé de ma charité, qu'il ne ralentit pas sa course, et qu'il
ne tourna pas la tête en arrière, lorsqu'il apprit qu'il devait mourir. Je
le lui avais annoncé ; mais, en vrai chevalier, il ne connut pas la peur, et
s'élança sur le champ de bataille.
16. Je pourrais t'en citer bien d'autres qui, sans
éprouver le martyre dans leur corps, le reçurent dans l'âme comme le
bienheureux Dominique. C'étaient là les ouvriers que le Père de famille
envoyait travailler à sa vigne, pour en arracher les épines du vice et y
planter des vertus. Oui, Dominique et François étaient véritablement les
deux colonnes de l'Église : François par la pauvreté qui a été partage, et
Dominique par la science.
1. Ainsi le lieu de l'obéissance est trouvé : ce sont
ces barques admirables que le Saint Esprit a fait préparer par les
fondateurs d'Ordres à ra sainte lumière de la foi ; c'est lui-même qui en
est le patron. Maintenant je te parlerai de l'obéissance et de la
désobéissance de ceux qui sont dans ces barques, d'une manière générale et
sans te désigner aucun Ordre en particulier ; je te signalerai la faute de
ceux qui désobéissent et la vertu de ceux qui obéissent, pour que tu les
apprécies par leur opposition et que tu saches comment doit faire celui qui
veut entrer dans la vie religieuse.
2. Quelle route doit suivre celui qui veut arriver à
l'obéissance parfaite ? Il doit suivre la lumière sainte de la foi, qui lui
apprendra qu'il faut tuer sa volonté avec le glaive de la haine de toute
sensualité, et qu'il faut prendre l'épouse et la sœur que lui donnera la
charité. Cette épouse, c'est l'obéissance sincère et prompte ; sa sœur est
la patience. Il faut aussi sa nourrice, l'humilité ; car, si elle ne l'avait
pas pour la nourrir, l'obéissance mourrait de faim.
3. Oui, l'obéissance ne peut vivre dans l'âme où ne
se trouve pas cette bonne vertu de l'humilité. L'humilité n'est jamais
seule, elle est servie par l'abaissement et par le mépris du monde et de
soi-même. L'âme qui se trouve méprisable ne désire pas les honneurs, mais
les affronts ; elle doit mourir en entrant dans la barque de la vie
religieuse, quand le moment est venu. L'âge et les circonstances varient
selon les appels de ma providence ; mais dès qu'on est entré, il faut
acquérir cette perfection et prendre franchement, joyeusement, la clef de
l'obéissance à la règle.
4. Cette clef ouvre la petite porte qui est à
l'entrée du ciel, de même que les grandes portes en ont une particulière qui
n'est pas ouverte à tout le monde. Ceux qui vont au delà de l'obéissance
commune prennent une clef plus petite qui leur permet d'entrer par la porte
étroite et basse. Cette porte n'est pas séparée de la grande ; quand ils en
ont la clef, ils doivent la garder et ne pas la jeter loin d'eux.
5. Les vrais obéissants voient, à la lumière de la
foi, que le fardeau des richesses et le poids de leur propre volonté leur
causeraient une grande fatigue pour entrer par cette petite porte, et qu'ils
risqueraient de se tuer en levant la tête là où il faut bon gré mal gré la
baisser ; il se débarrassent alors de leurs richesses et de leur volonté, en
observant le vœu de pauvreté volontaire. Ils ne veulent rien, posséder,
parce qu'ils voient à la lumière de la foi à quelle ruine ils s'exposeraient
sans cela, puisqu'ils transgresseraient l'obéissance, en n'étant pas fidèles
à leur vœu de pauvreté.
6. Ils se rendraient également coupables d'orgueil
en levant la tête de leur volonté. Toutes les fois qu'il faut obéir, si ce
n'était pas l'humilité, mais la force qui leur faisait baisser la tête, elle
serait brisée par la violence, et cette obéissance ne pourrait plaire à leur
supérieurs et à leur Ordre. Ils arriveraient alors graduellement à une autre
révolte et tomberaient dans l'incontinence.
7. Ceux qui ne règlent pas leurs désirs et ne se
dépouillent pas des biens temporels, multiplient leurs relations et trouvent
beaucoup d'amis qui les aiment par intérêt ; ces rapports entraînent des
affections secrètes. Leur corps vivent dans les délices. Ils n'ont pas pour
se soutenir l'humilité et le mépris d'eux-mêmes ; ils recherchent le
bien-être, le plaisir, les délicatesses, comme des grands seigneurs, et non
comme des religieux ; ils abandonnent ses veilles et la prière.
8. Ils font d'autres chutes parce qu'ils ont de quoi
dépenser ; cela n'arriverait pas s'ils n'avaient rien. Ils tombent dans des
souillures spirituelles et corporelles. Si, par honte ou par impuissance,
ils ne font pas matériellement le mal, ils le commettent au moins dans leurs
cœurs. Celui qui recherche les conversations, les délicatesses du corps, les
plaisirs de la table, sans veiller et sans prier, ne pourra jamais conserver
la pureté de son âme.
9. Celui qui obéit parfaitement au contraire aperçoit
sur-le-champ, à la sainte lumière de la foi, le mal et les ruines que
causent la possession des biens temporels et le fardeau de la volonté
propre. Il comprend qu'il faut passer par la porte étroite, et qu'il y
perdrait la vie, s'il ne l'ouvrait avec la clef de l'obéissance ; car je
t'ai dit que c'était là lé moyen. Tant qu'il est dans la barque de la vie
religieuse, il suit bon gré mal gré la route étroite de l'obéissance à son
supérieur.
10. L'obéissant parfait s'élève au dessus de lui-même
et domine ses sens ; il en triomphe par la foi vive. Il place dans son âme
la haine du moi, pour la servir et pour en chasser son ennemi,
l'amour-propre ; car il veut préserver de toute offense l'obéissance, cette
épouse bien-aimée que lui a donnée la charité, sa mère, à la lumière de la
foi. Il chasse avec une sainte rigueur celui qui s'élève contre elle, et il
lui donne ses compagnes et sa nourrice. Dès que la haine a chassé l'ennemi,
l'amour de l'obéissance introduit daIms l'âme les amies de son épouse : ce
sont les vertus sincères, l'habitude, l'observance fidèle de la règle. Cette
aimable épouse entre dans l'âme avec sa sœur, la patience et sa nourrice,
l'humilité, qu'accompagnent l'abaissement et le mépris de soi-même.
11. Dès que l'obéissance est entrée, l'âme possède la
paix et le repos, parce que ses ennemis sont dehors. Elle est dans le jardin
de la véritable continence avec le soleil qui éclaire l'intelligence, et
fait contempler à l’œil de la foi ma Vérité incarnée, son unique objet. Elle
ressent aussi le feu d'une tendre charité qui embrase tous ses amis et ses
compagnons, parce qu'elle observe la règle avec un ardent amour.
12. Quels sont ses ennemis qui sont dehors ? Le
principal est l'amour-propre, qui produit l'orgueil ; c'est l'ennemi de la
charité et de l'humilité. L'impatience est opposée à la patience, la révolte
à l'obéissance, l'infidélité à la foi. La présomption et la fausse confiance
combattent la véritable espérance que l'âme doit mettre en moi. L'injustice
ne peut exister avec la justice, l'imprudence avec la prudence,
l'intempérance avec la tempérance, la violation de la règle avec son
observance. Les mauvaises conversations des méchants ne peuvent s'allier
avec les saintes relations : ce sont des ennemis qui ruinent les habitudes
et les usages salutaires de la vie religieuse. Il faut craindre leurs
cruelles attaques. La colère combat contre la douceur, la haine de la vertu
contre son amour, la volupté contre la pureté, la négligence contre le zèle,
l'ignorance contre la science, le Sommeil contre les veilles et la prière
persévérante.
13. Dès que la lumière, de la foi lui a fait apercevoir
ces ennemis qui voulaient souiller la sainte obéissance, l'âme envoie la
haine pour les chasser, et l'amour pour introduire ceux qui lui sont chers.
Alors la haine tue avec son glaive la volonté mauvaise, qui, nourrie par
l'amour-propre, donnait la vie à tous les ennemis de la véritable
obéissance. Une fois qu'est détruit le principe qui les entretenait, l'âme
est libre et possède la paix. Qui lui ferait la guerre, puisqu'elle est
délivrée de tout ce qui cause le trouble et la tristesse ?
14. Qui pourrait nuire à l'âme obéissante ? Est-ce
l'injure ? Non, car elle est patiente ; la patience est sœur de
l'obéissance. Est-ce le fardeau de la vie religieuse ? Non, puisqu'elle le
porte volontairement Les ordres rigoureux de ses supérieurs lui
causeront-ils quelque peine ? Non, car elle a foulé aux pieds sa volonté, et
jamais elle n'examine et ne juge les obligations qu'on lui impose, parce que
la lumière de la foi lui fait voir ma volonté dans ces obligations. Elle
sait que ma bonté les lui envoie dans l'intérêt de son salut. Aura-t-elle du
dégoût et de l'ennui dans les plus viles occupations ? souffrira-t-elle des
reproches, des injures, des affronts qu'elle reçoit, et des mépris dont elle
est l'objet ? Non, puisqu'elle aime l'abnégation et qu'elle se déteste
sincèrement.
15. Elle se réjouit au contraire dans la patience, et
tressaille d'allégresse à cause de l'obéissance, sa chère épouse. Elle
s'attriste seulement quand elle voit offenser son Créateur. Sa conversation
est avec ceux qui me craignent véritablement ; et si elle parle avec ceux
qui sont séparés de ma volonté, ce n'est pas pour contracter leurs défauts,
c'est pour les retirer de leur misère. La charité du prochain lui fait
désirer de communiquer à d'autres le bien qu'elle possède, parce qu'elle
voit que mon nom serait plus glorifié, si elle donnait à beaucoup son
obéissance à la règle. Aussi elle s'applique à y attirer les religieux et
les séculiers par ses paroles et ses exemples. Tous ses efforts tendent à
les retirer des ténèbres du péché mortel. Toutes les conversations de
l'obéissant véritable sont bonnes et parfaites ; qu'il parle avec les justes
ou avec les pécheurs, il suit toujours les règles d'une charité droite et
expansive.
16. Sa cellule est un ciel où il se plaît à
s'entretenir avec moi, l'éternel et souverain Bien ; l'amour l'empêche d'y
être oisif, et le porte à m'adresser d'humbles et continuelles prières.
Quand le démon lui envoie des pensées dangereuses, il ne s'endort pas dans
la négligence ; il ne s'arrête pas à discuter les mouvements de son cœur, et
à prendre des résolutions stériles ; mais il s'arme aussitôt d'une sainte
haine contre lui-même et contre ses sens. Il supporte avec patience et
humilité les tentations qu'il éprouve, et il leur résiste par les veilles et
la prière, en fixant vers moi le regard de son intelligence, et en voyant à
la lumière de la foi que je suis son protecteur, q,ui peux, qui sais et qui
veux le secourir. Alors je lui ouvre les bras de ma bonté, pour qu'en se
fuyant lui-même il se réfugie en moi.
17. S'il lui semble ne pouvoir plus faire l'oraison
mentale, à cause de la fatigue et des ténèbres de son âme, il a recours à la
prière vocale et à quelque exercice corporel pour ne pas rester en repos ;
il se tourne vers moi, qui lui accorde tout avec une paternelle tendresse.
Son humilité sincère lui persuade qu'il est indigne de la paix et du repos
dont jouissent mes autres serviteurs, et qu'il ne mérite que des tourments ;
il a pour lui tant de mépris et de sainte haine, qu'il lui semble qu'il ne
pourra jamais souffrir assez. Cependant il espère toujours en ma providence,
et, avec le secours de la foi et de l'obéissance, il traverse tous les
orages dans la barque de la vie religieuse, et il recueille laborieusement
dans sa cellule des fruits abondants.
18. Celui qui obéit veut être le premier à entrer au
chœur, et le dernier à en sortir ; quand il voit un religieux plus obéissant
et plus zélé que lui, il conçoit une sainte envie de cette vertu, qu'il
s'approprie sans vouloir cependant la diminuer dans son prochain ; car, s'il
le voulait, il se séparerait de la charité qu'il lui doit.
19. L'obéissant prend ses repas au réfectoire ; il y
est fidèle et se plait à manger comme les pauvres, pour prouver qu'il n'aime
pas les exceptions. Il retranche même de sa part, et il observe si
parfaitement son vœu de pauvreté, qu'il se reproche ce qu'il accorde aux
nécessités de son corps. Au lieu de beaux ornements, sa cellule est pleine
des parfums de la pauvreté ; il n'a pas à redouter que les voleurs le
dépouillent et que les teignes rongent ses vêtements. Si on lui fait quelque
présent, il ne songe pas à le conserver, mais il en fait part à ses frères.
20. Il ne s'inquiète pas du lendemain et se contente
de ce qui suffit à chaque jour. Son unique pensée est le royaume du ciel et
la vraie obéissance, qu'il cherche à observer le mieux qu'il lui est
possible ; et parce que l'humilité est la voie la plus sûre, il se soumet au
petit comme au grand, au riche comme au pauvre. Il se fait l'esclave de
chacun, ne refusant aucune fatigue et servant tout le monde avec amour.
L'obéissant ne veut point obéir à sa manière et choisir le moment et le
lieu ; il obéit à sa règle et à son supérieur, et cela sans peine et sans
ennui.
21. Son obéissance sincère et parfaite le fait passer
par la porte étroite de la vie religieuse sans difficulté, sans violence,
parce qu'il observe ses vœux de pauvreté, d'obéissance, de chasteté. Il
abaisse l'orgueil en inclinant la tête avec soumission, et humilité ; il ne
se la brise pas par impatience, mais il est patient avec force et
persévérance, ainsi que l'aime l'obéissance. Il repousse les attaques du
démon en mortifiant et en macérant sa chair, en la privant de toute
délicatesse, de tout plaisir, en lui imposant toutes les fatigues de la
règle, en acceptant tout et ne méprisant rien. Semblable à l'enfant qui ne
garde aucun ressentiment des corrections de son père et des injures qui lui
sont faites il oublie les injures, les peines et les rigueurs qu'il peut
éprouver de la part de ses supérieurs, et quand il est appelé, il retourne
humblement vers eux, sans passion, sans haine, sans colère, mais avec
douceur et bienveillance.
22. Ce sont là ces enfants dont mon Fils parlait à ses
disciples lorsqu'ils se disputaient pour savoir qui d'entre eux serait le
plus grand, il leur disait : "Laissez venir à moi les petits enfants, c'est
à eux qu'est le royaume du ciel” (S. Marc. X, 14). Celui qui ne
s'humiliera pas comme le petit enfant, c'est-à-dire qui n'aura pas ses
qualités, sa simplicité, celui-là n'entrera pas dans le royaume du ciel.
23. Celui qui s'humiliera, ma fille bien-aimée, sera
élevé, et celui qui s'élèvera sera humilié (S. Mt. XXIII, 12) ; ainsi
l'a dit ma Vérité. Oui, les petits, les humbles, qui se seront abaissés, qui
se seront soumis à la véritable et sainte obéissance, ceux qui n'ont pas
résisté à la règle et à leur supérieur, je les exalterai, moi l'Éternel, le
Tout-Puissant. Je les placerai parmi les habitants de la cité bienheureuse,
où toutes leurs fatigues auront leur récompense. Et dès cette vie même, je
leur donnerai un avant-goût de la vie éternelle.
1. Ma fille bien-aimée, c'est en ceux qui obéissent
que s'accomplit la parole de mon aimable et doux Verbe. Pierre lui avait
dit : "Maître, voici que nous avons tout laissé par amour pour vous, et que
nous vous avons suivi, que nous donnerez-vous ?" Mon Fils lui répondit :
"Vous recevrez le centuple, et vous posséderez la vie éternelle" (S.
Marc, x, 28, 30) ; c'est-à-dire : Pierre, vous avez bien fait, car vous
ne pouviez me suivre autrement, et moi, dans cette vie, je vous donnerai le
centuple.
2. Quel est, ma fille bien-aimée, le centuple que
suivra la vie éternelle ? que voulait dire ma Vérité ? Parlait-elle des
biens temporels ? Non, certainement, quoique je les multiplie quelquefois
pour récompenser l'aumône. De qui parle-t-elle ? De celui qui donne sa
volonté propre, qui est son unique chose ; et pour cette unique chose je lui
en donne cent, car je lui donne la charité. Pourquoi le nombre cent ? parce
que ce nombre est parfait, et qu'on ne peut y ajouter sans recommencer le
premier nombre. De même la charité est la plus parfaite de toutes les
vertus, et on ne peut y ajouter qu'en recommençant la connaissance de
soi-même, et en l'augmentant de mérite jusqu'à ce qu'on soit arrivé à une
nouvelle centaine. Tel est le centuple que je donne à ceux qui m'ont donné
leur seule volonté par l'obéissance générale, et mieux encore par
l'obéissance particulière.
3. Avec le centuple vous avez la vie éternelle ; car
il n'y a que la charité qui entre en maîtresse dans le ciel avec le fruit
des autres vertus qui restent en dehors. Elle vient à moi, la Vie éternelle,
que possèdent à jamais, les bienheureux. La foi ne l'accompagne pas ;
puisque les bienheureux connaissent par expérience et en vérité ce qu'ils
ont cru par la foi ; ils n'ont pas non plus l'espérance, puisqu'ils
possèdent ce qu'ils espéraient. Il en est ainsi de toutes les autres vertus.
La seule charité entre en reine, et elle me possède comme je la possède.
4. Tu vois donc que ces petits enfants de
l'obéissance reçoivent le centuple et la vie éternelle, puisqu'ils reçoivent
le feu de la charité, qui est représenté par le nombre cent. Et parce qu'ils
ont reçu le centuple, ils vivent dans une admirable allégresse de cœur ; car
jamais dans la vraie charité ne se trouve la tristesse ; il y règne au
contraire une joie qui dilate le cœur, qui le rend généreux, sans petitesse
et sans fausseté. L'âme qui est frappée de cette douce blessure ne met
jamais sur le visage et sur la langue autre chose que ce qui est dans le
cœur. Elle ne sert pas son prochain par hypocrisie ou par intérêt ; car la
charité se dévoue à toute créature, et l'âme qui la possède ne tombe jamais
dans l'abattement et la tristesse ; elle ne se sépare jamais de
l'obéissance, et lui reste fidèle jusqu'à la mort.
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