INDEX

DEUXIÈME PARTIE

LXXXIX

Des différentes sortes de larmes.

XC

Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.

XCI

Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.

XCII

Dieu veut être servi comme l'être infini, et non comme une chose finie.

XCIII

Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.

XCIV

Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.

XCV

Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.

XCVI

Du fruit des quatrièmes larmes unitives.

XCVII

L'âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.

XCVIII

La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu.- De la lumière générale.

XCIX

De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.

C

De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de l'âme parvenue à cette lumière.

CI

Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.

 

 

 

 

DEUXIEME PARTIE

LXXXIX

Des différentes sortes de larmes.

1.     Apprends, ma fille, que toute larme vient du cœur, car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement que l’œil aux affections du cœur. Si le cœur souffre, l’œil le fait paraître. Si sa douleur est sensuelle, les larmes le sont aussi et engendrent la mort, parce qu'elles procèdent d'un amour déréglé qui m'offense et qui empoisonne la douleur et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins coupables, selon la mesure de l'amour déréglé, ceux qui pleurent ainsi répandent les larmes de mort dont je t'ai parlé.

2.      Voici maintenant les larmes qui commencent à donner la vie : ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs fautes commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces larmes sont humaines et sensibles, parce que l'âme n'a pas encore la haine parfaite de sa faute, à cause de l'offense qu'elle m'a faite ; sa douleur vient de la peine qui suit le péché commis, et l’œil pleure parce qu'il obéit au mouvement du cœur.

3.     Lorsque l'âme s'exerce à la vertu, elle commence à perdre la crainte, parce qu'elle connaît que la seule crainte ne suffit pas pour donner la vie éternelle, comme je te l'ai expliqué dans le second état de l'âme. Alors elle s'élève avec amour à la connaissance d'elle-même et de ma bonté jour elle, et elle commence à espérer de ma miséricorde dans laquelle se réjouit son cœur. La douleur de sa faute se mêle à la joie de l'espérance dans ma miséricorde, et l’œil commence à verser des larmes qui viennent de la source du cœur.

4.      Mais, parce que l'âme n'est pas parvenue à la véritable perfection, souvent ces larmes sont encore sensuelles. Et si tu me demandes pourquoi, je te répondrai : Parce que la racine de l'amour-propre n'est pas détruite : Je ne parle pas de l'amour-propre sensitif, car il est vaincu, mais de l'amour-propre spirituel, qui fait désirer à l'âme les consolations qui viennent de moi ou de quelque créature qu'elle aime d'une affection spirituelle.

5.     Lorsqu'elle est privée de ces consolations intérieures ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou extérieures si elles viennent des créatures, lorsqu'elle est éprouvée par les tentations du démon et par les persécutions des hommes, son cœur souffre, et aussitôt l’œil ressent sa douleur et commence à répandre des larmes personnelles qui viennent de la tendresse que l'âme u pour elle-même, parce que sa volonté propre n'est pas encore entièrement foulée aux pieds et détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles procèdent d'une passion spirituelle dont je t'ai montré l'imperfection.

6.      Mais si l'âme, en augmentant la connaissance d'elle-même, se méprise et se hait parfaitement ; si elle acquiert ainsi une vraie connaissance de ma bonté et un ardent amour, elle commence à unir et conformer sa volonté à la mienne, et à ressentir intérieurement la joie de la compassion, la joie de l'amour et la compassion du prochain, comme je te l'ai dit en parlant du troisième état. Aussitôt l’œil qui veut satisfaire le cœur verse des larmes excitées par ma charité et par l'amour du prochain. L'âme pleure sur l'offense qui m'est faite, et sur le malheur du prochain, sans penser à la peine qu'elle peut en recevoir elle-même, parce qu'elle s'oublie pour ne penser qu'à rendre gloire à mon nom ; et dans l'ardeur de son désir elle se rassasie à la table de la sainte Croix, en imitant l'humilité, la patience de l'Agneau sans tache, mon Fils unique, dont j'ai fait un pont pour les hommes.

7.     Lorsque l'âme a passé sur ce pont, en suivant la doctrine de rua Vérité et l'exemple de mon Verbe, elle souffre avec une sincère patience les épreuves et les afflictions que je permets pour son salut ; non seulement elle les supporte avec patience, mais encore avec joie et empressement. Elle trouve que c'est une gloire d'être persécutée pour mon nom, selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est contente, pourvu qu'elle souffre, et elle goûte une consolation et une paix qu'aucune langue n'est capable d'exprimer.

8.      En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle fixe son intelligence en moi, la Vérité suprême ; en me voyant elle me connaît, en me connaissant elle, m'aime. L'amour suit l'intelligence et savoure ma divinité qu'elle connaît et qu'elle voit dans la nature divine unie à votre humanité. Elle se repose en moi, l'océan de la paix, et son cœur m'est uni par les liens de l'amour, comme je l'ai dit dans le quatrième état unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de douces larmes qui sont un lait pur dont l'âme se nourrit clans la patience. Ces larmes sont un baume précieux qui répand un parfum d'une extrême suavité.

9.     O ma fille bien-aimée ! quelle gloire pour cette âme qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à moi, l'océan de la paix, pour y remplir le vase de son cœur dans les abîmes de ma divinité ! L’œil, qui est le canal dit cœur, en reçoit les larmes et les répand avec abondance. C'est le dernier état, où l'âme est heureuse et affligée : heureuse par l'union qu'elle éprouve en moi, et par l'amour divin qu'elle goûte ; affligée par l'offense qu'elle voit faire à ma bonté, à ma grandeur qu'elle a vue et goûtée dans la connaissance d'elle-même. C'est par cette connaissance et. par la mienne qu'elle arrive à ce dernier état.

10.    Cet état unitif n'empêché pas qu'elle ne répande des larmes d'une extrême douceur, que lui causent la connaissance d'elle-même et la charité du prochain. Elle pleure d'amour pour ma divine miséricorde, et de douleur pour l'offense du prochain ; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent. L'âme se réjouit avec ceux qui vivent dans la charité, parce qu'elle me voit rendre grâce et honneur par mes serviteurs.

11.   Les secondes larmes n'empêchent pas les dernIères, c'est-à-dire celles du second état d'union. Les unes conduisent aux autres. Si les dernières larmes, où l'âme a trouvé une si grande union, n'étaient pas venues des secondes, c'est-à-dire du troisième état de la charité du prochain, elles ne seraient pas parfaites. Il faut qu'elles viennent les unes des autres : sans cela la présomption serait à craindre ; le vent perfide de la propre estime pourrait faire tomber l'âme des hauteurs de la vertu jusqu'aux abîmes des premières chutes.

12.    Il faut soutenir et entretenir la-charité du prochain par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi s'alimentera le feu de ma charité dans l'âme, parce que la charité du prochain vient de ma charité, c'est-à-dire de cette connaissance que l'âme a d'elle et de ma bonté en elle. Elle voit un amour ineffable envers elle, et du même amour dont elle se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable. C'est pour cela que l'âme, aussitôt qu'elle me connaît, aime le prochain, et elle aime avec ardeur ce qu'elle voit que j'aime le plus.

13.   Elle comprend qu'elle né peut m'être utile personnellement et me rendre ce pur amour que je lui porte ; alors elle s'applique à me rendre cet amour par le moyen que je lui ai donné, c'est-à-dire par le prochain. C'est le moyen dont vous devez profiter ; car, comme je te l'ai dit, toute vertu s'accomplit par le moyen du prochain, en agissant envers lui en général et en particulier, selon les grâces de la vocation que je vous donne.

14.    Vous devez aimer du même amour pur dont je vous aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que je vous ai aimés sans être aimé et sans aucun intérêt, car je vous ai aimés avant même votre existence. L'amour m'a porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez le rendre aux créatures raisonnables ; vous devez les aimer sans en être aimés et sans songer à aucun intérêt spirituel ou temporel. Vous devez les aimer uniquement pour l'honneur et la gloire de mon nom, parce que je les aime : et ainsi vous accomplirez le commandement de la loi qui est de m'aimer par dessus toute chose et d'aimer le prochain comme vous-mêmes.

15.   Il est vrai qu'on ne peut arriver à cette hauteur que par le second degré de l'union ; et, quand on y est parvenu, on ne peut le conserver, si on s'éloigne de cet amour qui conduit aux secondes larmes. Il est impossible d'accomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain. Ce sont les deux pieds de l'affection qui font observer les commandements et les conseils que vous a donnés ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états, qui n'en font qu'un, nourrissent l'âme dans la vertu, en augmentant sa perfection et son état d'union. L'âme ne change pas d'état quand elle est parvenue à ce degré ; mais à ce degré augmente la richesse de la grâce par de nouveaux dons et d'admirables extases, avec une connaissance de la Vérité qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le sentiment de sa propre sensualité est vaincu, et que sa volonté est morte par l'union qu'elle a avec moi.

16.    Oh ! combien cette union est douce pour l'âme qui en jouit et qui voit ainsi mes secrets ! Souvent l'esprit de prophétie lui fait connaître les choses futures ; c'est un don de ma bonté, que l'âme humble ne doit pas demander, parce qu'elle doit fuir, non pas les effets de ma charité, mais le désir des consolations. Pour entretenir sa vertu, elle sa reconnaît indigne de la paix et du repos ; elle ne s'arrête pas au second état, mais elle descend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.

17.   Ma grâce lui accorde cette lumière pour qu'elle grandisse. Car l'âme n'est jamais si parfaite en cette vie, qu'elle ne puisse arriver à une plus grande perfection d'amour. Il n'y a que mon Fils bien-aimé, votre Chef, qui ne pouvait pas croître en perfection, parce qu'il était une même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était bienheureuse par l'union de sa nature divine. Mais vous qui êtes ses membres, vous pouvez, pendant votre pèlerinage, croître toujours en perfection ; vous ne pouvez, cependant arriver à un autre état que celui dont je vous ai parié ; vous êtes arrivés au dernier, mais vous pourrez toujours y croître dans la perfection, autant que vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.

XC

Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.

1.     Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur différence, parce qu'il a plu à ma Vérité de satisfaire ton désir. Les premières viennent de ceux qui sont dans un état de mort et de péché mortel. Tu as vu que la douleur procède généralement du cœur, et comme le principe du sentiment qui cause les larmes est corrompu, cette douleur est corrompue et misérable, et toutes leurs oeuvres sort mauvaises. Dans le second état. se trouvent ceux qui commencent à connaître leur malheur par le châtiment qui doit suivre la faute. C'est là un premier mouvement que ma bonté donne aux faibles et aux aveugles qui se noient dans le fleuve, en méprisant la doctrine de mon Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaissent leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui ressentent aussitôt une grande haine d'eux-mêmes ; à cause de cette haine ils se reconnaissent dignes de toutes sortes de peines.

2.      Plusieurs s'appliquent en toute simplicité à me servir et à se repentir de l'offense qu'ils ont faite à leur Créateur. Il est vrai que celui qui a une grande haine de lui-même est plus apte que tout autre à parvenir, à la perfection ; tous y arrivent en s'exerçant à la vertu, mais celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une grande haine de lui même doit prendre garde de rester dans la crainte servile ; celui qui marche plus simplement doit prendre garde de s'engourdir dans la tiédeur, cette route cependant est la vocation la plus commune.

3.     Dans le troisième et le quatrième état se trouvent ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à l'amour et à l'espérance ; ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoivent de moi des faveurs et des consolations abondantes ; leurs yeux pleurent d'abord pour satisfaire le sentiment de leur cœur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et mélangé de regrets spirituels, en s'exerçant à la vertu, ils arrivent au degré où l'âme, augmentant son désir, s'unit et se conforme tellement à ma volonté, qu'elle ne peut vouloir et désirer que ce que je veux. Elle trouve alors en elle des pleurs d'amour et de douleur pour l'offense et le malheur du prochain. Cet état est inséparable de la perfection où l'âme s'unit dans la vérité, et augmente l'ardeur du saint désir.

4.      Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler l'âme, ni par l'injure qui lui est faite parce qu'elle est devenue patiente dans la charité du prochain, ni par les consolations spirituelles ou temporelles parce que la haine d'elle-même, son humilité sincère lui font tout mépriser. Il est vrai que de son côté le démon ne dort jamais : il vous donne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vous perdez à dormir le temps dont vous pourriez profiter. Mais sa vigilance ne peut nuire à cette âme, parce qu'il ne peut supporter l'ardeur de sa charité, ni l'odeur de l'union qu'elle a contractée avec moi, l'océan de la paix.

5.     L'âme ne peut être trompée tant qu'elle est unie à moi ; le démon s'en éloigne, comme la mouche fuit la vapeur d'un vase qui bout sur le feu ; si le vase était tiède, la mouche ne le craindrait pas ; elle s'y arrêterait, quoique souvent elle y périsse, en y trouvant plus de chaleur qu'elle ne croyait. Il en arrive de même pour l'âme qui n'est pas encore parvenue à l'état parfait : le démon, parce qu'il la croit tiède, s'y présente avec beaucoup de tentations ; mais il y trouve une connaissance de soi-même, une ferveur et une horreur des fautes qui lui résistent et fixent la volonté dans les liens de la haine du péché et de l'amour de la vertu.

6.      Que l'âme se réjouisse quand elle éprouve ces tentations, car c'est là le chemin pour arriver à ce doux et glorieux degré. Je te l'ai dit, vous arrivez à la perfection par la connaissance et la haine de vous-mêmes, et par la connaissance de ma bonté. Jamais l'âme ne se connaît aussi parfaitement, si je suis en elle, qu'au moment de ces combats : elle se connaît en se voyant dans des combats qu'elle ne peut éviter malgré sa volonté ; elle peut seulement y résister en refusant toujours son consentement mais pas autrement. Elle peut alors comprendre qu'elle n'est pas ; car si elle était quelque chose par elle-même, elle se délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.

7.     Elle s'humilie ainsi dans la connaissance d'elle-même, et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi l'Éternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droiture et la justice, si elle ne consent pas, pendant le combat, à obéir à ces misères qui la tourmentent. Vous avez donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine du doux et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque l'adversité et les tentations des hommes et du démon vous éprouvent car ce sont des moyens pour augmenter la vertu et parvenir à la perfection.

XCI

Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.

1.     Je t'ai parlé des larmes parfaites et imparfaites toutes sortent du cœur comme d'un vase, qu'elle qu'en soit la raison : aussi peut-on les appeler toutes des larmes. du cœur. Leur différence vient de l'amour réglé ou déréglé, parfait ou imparfait, comme je te l'ai dit : il me reste maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir l'atteindre.

2.      Y a-t-il une autre manière de pleurer ? Oui, car il y a des larmes de feu, c'est-à-dire les larmes d'un vrai et saint désir, les larmes de ceux qui se consument d'amour et qui voudraient perdre la vie dans la douleur, par haine pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des âmes ; et il semble qu'ils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-là ont des larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit pleure devant moi, pour eux et pour le prochain. Ma divine charité embrase de ses flammes cette âme, qui m'offre ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.

3.     Ces larmes sont des larmes de feu, et c'est pour cela que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme. Au lieu des larmes qu'elle ne peut répandre, elle offre le désir, la volonté qu'elle a de pleurer par amour pour moi. Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des saints désirs, et offrent en ma présence d'humbles et continuelles prières, l'Esprit Saint gémit en eux. C'est ce que mon glorieux apôtre saint Paul voulait exprimer lorsqu'il disait que l'Esprit Saint me sollicite pour vous par des gémissements inénarrables (Rom., VIII, 26).

4.      Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas. moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Souvent même elles valent davantage, selon la mesure de l'amour : L'âme ne doit donc pas se troubler et se croire privée de moi parce qu'elle désire les larmes et qu'elle ne peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les désirer en conformant sa volonté à la mienne, et s'humilier toujours, qu'elle les obtienne ou qu'elle ne les obtienne pas, selon qu'il plaît à ma bonté divine.

5.     Quelquefois je n'accorde pas les larmes dû corps, pour que l'âme persévère dans l'humilité, la prière et le désir de me goûter ; car si elle recevait de moi ce qu'elle me demande, elle n'en retirerait pas l'utilité qu'elle en attend, mais elle serait contente de posséder ce qu'elle désire, et ralentirait son ardeur. Pour soutenir et augmenter sa vertu, je la prive des larmes des yeux ; je lui donne des larmes du cœur tout embrasées du feu de ma divine charité. Je suis le médecin, et vous êtes les malades ; je donne à tous ce qui est nécessaire à votre salut et à la perfection de vos âmes.

6.     Ceci est la vérité et l'explication des différentes sortes de larmes que tu m'as demandée, ma fille bien-aimée. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de l'humble Agneau sans tache, et avance toujours dans la vertu, afin d'augmenter en toi le feu de ma divine charité.

XCII

Dieu veut être servi comme l'être infini, et non comme une chose finie.

1.     Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous n'êtes pas infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini de l'âme.

2.      Tu sais maintenant que toute larme procède du cœur, c'est le cœur qui donne les larmes aux yeux lorsque l'ardeur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la chaleur le fait pleurer, parce qu'il est vert ; s'il était sec il ne pleurerait pas. De même le cœur reverdit par l'action de la grâce, et perd la sécheresse de l'amour-propre qui dessèche l'âme ; ce cœur renouvelé trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.

3.- Plus l'âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la charité et qui lui fait répandre des larmes. Mais dès que l'âme est séparée du corps et qu'elle est arrivée à moi, sa fin, elle n'abandonne plus le désir qui la porte vers moi et vers la charité du prochain ; car la charité est entrée dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes lés autres vertus.

4.      Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le désir dure toujours. L'âme me désire, mais elle me possède en vérité ; sans aucune crainte de perdre ce qu'elle a si longtemps désiré, et de cette manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée ; elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété, ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.

5.     Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d'une manière finie ; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous d'une manière infinie, et vous n'avez d'infini que le désir et l'élan de votre âme. Aussi je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et c'est la vérité, à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes.

6.      Aussitôt que l'âme est séparée du corps, les larmes des yeux lui sont étrangères ; mais l'ardeur de la charité attire le fruit des larmes qu'elle a consumées, comme l'eau est absorbée par une fournaise : l'eau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu' l'attire et la détruit. De même, l'âme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité divine, et qui a quitté la vie avec l'ardeur de ma charité et de la charité du prochain dans l'amour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais de m'offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de larmes.

7.     Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que l’œil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet état. Je t'ai expliqué la différence des quatre états des larmes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce qu'il produit dans l'âme (Dans l'édition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.). (154)

XCIII

Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.

1.     Je commencerai d'abord par les premières larmes dont je t'ai parlé, c'est-à-dire par celles que répandent les malheureux qui ,vivent dans le monde, et qui font leur Dieu des choses créées et de leur propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je te dirai que toute larme procède du cœur, et c'est la vérité ; car le cœur souffre autant qu'il aime. Les hommes du monde pleurent quand leur cœur souffre, c'est-à-dire quand il est privé de ce qu'il aime.

2.      Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien ? Autant qu'ils ont de sortes d'amour. Et parce que la racine est corrompue par l'amour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu : c'est un arbre qui n'a que des fruits de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et qu'agitent tous les vents. Tel est l'arbre de l'âme. Vous êtes tous des arbres d'amour, et sans l'amour vous ne pouvez vivre ; car vous avez été faits par moi, par amour. L'âme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de l'humilité véritable ; mais celle qui vit misérablement l'enterre dans la montagne de l'orgueil, et, parce que l'arbre est mal planté, il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.

3.     Ces fruits sont leurs oeuvres, qui sont toutes empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la racine est gâtée, ce qui en sort l'est aussi. L'âme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisqu'elle n'est pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes oeuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme l’œuvre imparfaite que l'âme me présente.

4.      Quelquefois je la récompense par des biens temporels ; quelquefois je lui accorde, comme je te l'ai dit ; du temps pour qu'elle puisse se corriger. D'autres fois je lui donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs que j'aime et que j'écoute. Ainsi l'ai-je fait pour mon glorieux apôtre saint Paul, qui, par la prière de saint Étienne, cessa d'être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque état que l'homme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.

5.     Je t'ai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrompues, et c'est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du cœur qui m'offense et qui déteste le prochain ; l'homme, comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent l'infection des faux jugements de deux manières. D'abord l'homme me juge faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères ; il reçoit avec haine ce que j'ai fait par amour ; il voit le mensonge où j'ai mis la vérité, et la mort où j'ai placé la vie. Il juge et condamne d'après sa faiblesse et son ignorance. Parce qu'il a obscurci l’œil de l'intelligence recouvert la pupille de la sainte foi avec l'amour-propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vérité.

6.      Il juge ensuite faussement le prochain ; ce qui cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s'ignore lui-même, veut connaître le cœur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger d'après un acte qu'il verra ou une parole qu'il entendra. Mes serviteurs jugent toujours en bien, parce qu'ils s'appuient sur moi, le Bien suprême ; les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce qu'ils partent d'un principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, l'homicide, l'aversion pour le prochain et l'éloignement de l'amour de la vertu dans mes serviteurs.

7.     Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de mon Fils et pour injurier le prochain. Ils ne songent à autre chose qu'à maudire et condamner mes œuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous ceux qu'ils rencontrent et qu'ils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les malheureux, que la langue et uniquement faite pour m'honorer, pour confesser leurs fautes, pour pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont là les feuilles du péché, car le cœur d'où elles viennent n'est pas pur ; il est tout souillé de fausseté et de misère, Outre le tort que cause à l'âme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces langues coupables ! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de changements de fortune, de bouleversements dans les villes, d'homicides et de catastrophes ? Une parole entre dans le cœur de celui qui l'entend ; elle pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.

8.      Cet arbre a sept branches qui traînent par terre et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant d'autres. Leur commune racine est l'amour de soi-même et l'orgueil, d'où partent les fleurs des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des actions criminelles.

9.     Les branches sont courbées jusqu'à terre, car les péchés mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent qu'à s'en repaître sans pouvoir s'en rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste qu'ils soient toujours inquiets, toujours vides, puisqu'ils ne désirent qu'une chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les empochent d'être rassasiés, c'est qu'ils désirent une chose finie, tandis qu'ils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais, quoiqu'ils meurent à la grâce par le péché.

10.   L'homme est au-dessus des choses créées, et les choses créées ne sont pas au dessus de lui ; il ne peut se rassasier et trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au dessus de lui ; il n'y a rien que moi, l'Éternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant qu'il se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment continuels Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont l'arbre de l'amour sensuel, qui est le principe de tout mal.

XCIV

Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.

1.     Les mondains sont agités par quatre sortes de vents, le vent de la prospérité, le vent de l'adversité, le vent de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans l'âme l'orgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. S'il domine, il multiplie l'injustice, la vanité du cœur, les impuretés du corps et de l'esprit, l'amour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.

2.      Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu lui-même ? Non certainement, ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu, c'est la racine de l'arbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains pleurent, c'est que leur cœur n'est pas rassasié, il désire ce qu'il ne peut avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce que l’œil veut toujours satisfaire le cœur.

3.     Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait que l'homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu'il aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou d'autres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui l'intéressent, pour ses honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce qu'il ne possède pas selon les règles de ma volonté : de là sa crainte servile et continuelle. Il se rend l'esclave malheureux du péché ; il s'assimile à la chose qu'il sert, et comme le péché est un néant, il va au néant.

4.      Lorsque le vent de la crainte l'a frappé, il ressent bientôt celui de l'adversité, qu'il redoutait et qui le prive de ce qu'il possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine n'est pas si complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. L'âme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience. Elle produit l'impatience, les scandales, les murmures, la haine, l'aversion pour moi et pour mes créatures.

5.     Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes pleines d'impatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume et dépérit ; l'homme malheureux perd la vue spirituelle et corporelle ; il n'a plus de bonheur, d'espérance, parce qu'il est privé de ce qu'il aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance ; et il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets, c'est aussi l'amour déréglé et la peine du cœur d'où viennent ces larmes.

6.      Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c'est la racine d'où elles procèdent, c'est à-dire l'amour propre déréglé du cœur. Si le cœur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient réglées, et il connaîtrait que moi, l'Éternel, je veux lui faire miséricorde. J'ai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le cœur.

7.     Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et c'est un acte de ma divine bonté. J'ai voulu attirer l'homme par l'amour, au moyen de la prospérité. J'ai essayé ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son cœur à aimer d'une manière sainte et méritoire. Je I'ai enfin éprouvé par la tribulation, afin qu il connut la fragilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords de la conscience, afin qu'il ouvre la bouche et qu'il vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux obstinés s'éloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir ma grâce d'aucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et s'en délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre le prochain Il en est ainsi parce que la racine et l'arbre sont corrompus tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et des larmes amères.

8.      S'ils ne se convertissent pas pendant qu'ils ont encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la vertu, c'est-à-dire avec un désir de l'âme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s'ils avaient voulu, ils seraient sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres. J'ai dit ces larmes infinies quant au désir et à l'être de l'âme, mais non quant à la haine et à l'amour qui est dans l'âme. Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré : mais si l'homme finit dans l'amour de la vertu, il reçoit un bien infini, et s'il finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en recevant l'éternelle damnation, comme je te l'ai dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.

9.     Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu'ils sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi, la Vie éternelle ; les prières, les aumônes, les autres bonnes oeuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du corps de ma charité divine, parce que, pendant qu'ils ont vécu, ils n'ont pas voulu être unis à l'obéissance de mes saints commandements, dans le corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où vous puisez le sang de l'Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé.

10.   Ils recueillent le fruit de l'éternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon ; le démon leur donne le fruit qu'il a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la société éternelle des démons.

XCV

Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.

1.     Il me reste maintenant à te parler du fruit que reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te l'ai dit, c'est la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils ? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès qu'ils ont ainsi purifié l'âme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent leur âme à l'amour, et, en considérant leur intérieur, où ils n'apercevaient, avant de l'avoir débarrassé, que la corruption de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que le ver de la conscience est tranquille et qu'ils sont prêts à prendre la nourriture des vertus.

2.      Ainsi fait l'homme lorsque son estomac est débarrassé des humeurs mauvaises ; son appétit le porte à prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture des vertus que l'âme doit prendre. En effet, l'âme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections ; elle reçoit le second fruit, c'est-à-dire le second état des larmes où l'âme, poussée par l'amour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiqu'elle soit encore imparfaite. Pourvu qu'elle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la douceur, parce que son cœur jouit de ma vérité et de moi, qui suis l'amour même. Et à cause de la douceur, et de la consolation qu'elle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce qu'elle jouit de moi et des créatures à cause de moi.

3.     En exerçant l'amour qui est entré dans le cœur purifié par la crainte, l'âme commence à goûter les fruits de ma divine bonté ; et dès que l'amour est maître de l'âme, elle commence à jouir en recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle, obtient enfin de s'asseoir au festin, c'est-à-dire que, quand elle a passé de la crainte à l'amour des vertus, et qu'elle est arrivée aux troisièmes larmes, elle s'assoit à son festin, elle dresse la table de la très sainte Croix dans son cœur ; dès qu'elle l'a mise, elle y trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre salut ; car c'est pour mon honneur et votre salut que le cœur de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa chair vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et l'horreur, du péché.

4.      Quel fruit reçoit l'âme de ce troisième état des larmes ? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité, avec le doux fruit d'une humilité véritable et d'une patience qui ôte tout scandale et délivre l'âme de toute affliction, parce qu'avec le glaive de la haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il n'y a que la volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te l'ai dit, et ç'est ainsi que l'âme tombe dans l'impatience. Mais quand sa volonté est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de la patience.

5.     O fruit d'une extrême suavité, combien tu es doux à qui te goûte, et combien tu m'es agréable ! Tu fais trouver la douceur dans l'amertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la volonté divine, une ardente charité l'enveloppe comme d'un vêtement, et il est impossible à l'eau d'entrer.

6.      O ma fille bien-aimée, la patience est une reine qui résiste sur un roc inébranlable ; elle est toujours victorieuse, jamais vaincue. Elle n'est pas seule, car la persévérance l'accompagne ; elle est la moelle de la charité, et c'est celle qui montre qu'on porte la robe nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par l'imperfection, elle le fait voir sur-le-champ par son contraire, c'est-à-dire par l'Impatience.

7.     Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et faire croire qu'elles sont parfaites, lorsqu'elles sont imparfaites ; mais elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le miroir de l'âme : tu es l'essence de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les vertus sont imparfaites, et qu'elles ne sont pas encore nourries à la table de la sainte Croix. L'âme te conçoit dans la connaissance d'elle-même et dans la connaissance de ma bonté ; elle t'enfante par une sainte haine et te fortifie par une humilité véritable ; tu peux toujours prendre la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et tu t'en rassasies sans cesse.

8.      Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la vie ; ils ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses grandeurs, les princes et toute leur puissance ne pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.

9.     Cette vertu est la lampe sur le candélabre ; c'est le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l'âme, parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec l'Agneau sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son, désir, et le tourment qu'elle ressent de l'offense qui m'outrage. Ce n'est pas une peine qui l'afflige, parce que l'amour avec la vraie patience tue la crainte et l'amour-propre, qui donnent la peine. Mais c'est une peine pleine de douceur qui vient de l'offense qui m'est faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette peine engraisse l'âme qui s'en réjouit, parce que c'est une preuve qui lui montre que je suis en elle par ma grâce.

XCVI

Du fruit des quatrièmes larmes unitives.

1.     Je t'ai dit le fruit des troisièmes larmes ; vient ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n'est pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du prochain ; l'une est préparée par l'autre ; mais, en arrivant au quatrième état, l'âme a fait tant de progrès, qu'elle souffre non seulement avec patience, mais qu'elle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissance, de quelque côté qu'elle vienne, pourvu qu'elle puisse ressembler à Jésus crucifié.

2.      Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme l'enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture de même, l'âme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la chair de Jésus crucifié : c'est-à-dire qu'elle suit ses traces et sa doctrine ; car elle a bien compris dans le troisième état, qu'on ne pouvait avancer par moi le Père, parce qu'en moi ne peut se trouver la peine ; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.

3.     Oui, vous ne pouvez avancer sans peine ; c'est en souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. L'âme se placé donc sur le sein de Jésus crucifié ; elle tire à elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes n'étaient pas douces, mais elles le sont devenues, parce qu'elles ont été faites et unies en moi, l'Amour suprême ; car l'âme n'a pas pensé à elle, mais seulement à mon honneur et au salut des âmes.

4.      Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux cet état où l'âme s'attache tellement au sein de la charité, que jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. L'âme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, qu'elle a trouvé en goûtant l'éternelle et souveraine Déité. Oh ! qui pourra comprendre combien s'enrichissent les puissances de cette âme ? La mémoire se remplit continuellement de mon Souvenir ; elle se rappelle avec amour tous mes bienfaits ; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle d'abord le bienfait de la création qui l'a faite à mon image et ressemblance ; puis, dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je l'ai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de l'amour et le repentir du péché qu'elle voit m'avoir tellement déplu que je l'ai puni sur le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue du Saint-Esprit, qui l'a éclairée, et qui l'éclaire dans la vérité.

5.     Quand l'âme reçoit-elle cette lumière ? Lorsqu'elle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite ; elle connaît ma vérité, c'est-à-dire que par mon amour paternel je l'ai créée pour lui donner la vie éternelle ; et cette vérité je l'ai montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès qu'elle la connaît elle l'aime ; dès qu'elle l'aime, elle le prouve en aimant purement ce que j'aime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité ; elle se dépouille de toute imperfection, parce qu'elle s'est rappelé et qu'elle a retenu mes bienfaits.

6.      L'intelligence a reçu la lumière ; en regardant dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l'aveuglement de l'amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié, qu'elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui donne cette union, elle s'élève à une lumière acquise, non par sa nature, ni par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vérité, qui ne méprise jamais l'ardeur des désirs et les fatigues qu'on offre devant moi. Alors le cœur qui suit toujours l'intelligence, s'unit à moi d'un amour très parfait et très enflammé. Et si quelqu'un me demandait ce qu'est cette âme, je répondrais : Un autre moi-même par l'union de l'amour.

7.     Quelle langue pourrait dire l'excellence de ce dernier état, et les fruits nombreux et variés qu'en retirent les trois puissances de l'âme ? C'est de leur sainte union que je te parlais en t'expliquant, à l'occasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire ; cependant les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, l'ont montrée en expliquant la Sainte Écriture. Tu sais que le grand saint Thomas d'Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science dans la prière, l'extase et la lumière de l'intelligence, que dans les études humaines. C'est une lumière que j'ai donnée au corps mystique de la sainte Église pour dissiper les ténèbres de l'erreur.

8.      Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité ! Et avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité ! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière d'une manière ou d'une autre. Mais quant au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne l'union parfaite, la langue ne pourra jamais l'exprimer, puisqu'elle est une chose finie. C'est ce que saint Paul affirmait en disant : "L’œil ne peut voir, l'oreille entendre, le cœur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment véritablement" (I Cor., II, 9).

9.     Oh ! qu'elle est douce cette demeure ! douce au dessus de toutes les douceurs, par l'union parfaite de l'âme en moi. Cette union est telle que la volonté disparaît de l'âme, parce qu'elle ne fait plus qu'un avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles prières ; l'encens de son désir prie sans cesse pour le salut des âmes ; c'est une voix sans parole humaine, qui crie toujours en présence de ma divine Majesté.

10.    Ce sont ces fruits de l'union qui nourrissent l'âme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la grâce de cette union qui est encore imparfaite, à l'union durable et éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce qu'elle ne peut se rassasier de ce qu'elle désire tant qu'elle est dans les liens d'un corps mortel, où se trouve une loi perverse ; cette loi est endormie par l'amour de la vertu : elle n'est pas morte, et elle peut se réveiller, si la puissance de la vertu qui l'endort, disparaît. C'est pour cela qu'on peut appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit l'âme à recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.

11.   Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres n'ont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et m'offre sans cesse des larmes de feu pour vous. Maintenant je t'ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs perfections et les fruits qu'en retirent les âmes. Les parfaits reçoivent la vie éternelle et les méchants l'éternelle damnation.

XCVII

L'âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.

1.     Alors cette âme enflammée d'un ardent désir par les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents états de larmes, disait dans la violence de son amour : Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous passionnez pour nôtre salut ; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec vous, nous avez montré tant d'amour, par le moyen de votre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière ; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m'avez clairement montrée.

2.      Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu'avant de finir ce sujet vous m'expliquiez ces deux points : D'abord, si quelqu'un s'adressait à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner ? Je sais bien ; mon Dieu, que vous m'avez déjà expliqué cette parole que vous m'avez dite : "Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d'actions". Cependant, s'il plaisait fi votre bonté de m'en dire e-acore quelque chose, je serais bien heureuse.

3.     Si en priant pour vos créatures et particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans l'oraison, une âme bien disposée et paraissant jouir de vous et si j'en voyais une autre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que l'une est dans la lumière et l'autre dans les ténèbres ? Ou si je voyais quelqu'un faire de grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais je juger qu il y a une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que dans celui qui a en fait pas ? Faites, mon Dieu, que je ne m'égare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez moi plus particulièrement ce que vous m avez dit d'une manière générale.

4.     La seconde chose que je vous demande, c'est de me montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si c'est vous qui visitez l'âme, ou si ce n'est pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité éternelle, que l'âme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle ; si cela était, je ne m'arrêterais qu'au signe de la vertu. Ces choses, je vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux jugement à l'égard de vos créatures et de vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne l'âme de vous, et je ne voudrais pas tomber dans ce malheur.

XCVIII

La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu.- De la lumière générale.

1.     Alors l'Éternel, se délectant de la soif et de la faim de cette âme, de la pureté de son cœur et du désir avec lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta-sur elle les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant : Ma bien-aimée, ma chère et douce fille, mon épouse fidèle, élève-toi au dessus de toi-même, et ouvre l’œil de ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et l'amour ineffable que j'ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre l'oreille de ton cœur et de ton désir ; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.

2.      L'âme qui ne voit pas avec l’œil de son intelligence l'objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité, et je veux que, pour la mieux connaître, tu t'élèves au dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis ; je puis vous enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi ; je nie réjouis en moi-même de mes oeuvres.

3.- Alors cotte âme obéissante s'éleva au dessus d'elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu'elle demandait ; et l'Éternel lui dit : Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie Lumière.

4.      La première lumière est une lumière générale pour ceux qui sont dans la charité commune. Je t'en ai déjà entretenu de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir : Les deux autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection ; et sur ce sujet je te dirai ce que tu m'as demandé, et je t'expliquerai particulièrement ce que j'en ai dit d'une manière générale.

5.     Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne ne peut aller par la voie de la vérité ; et cette lumière de la raison, vous la tirez de moi, la vrai Lumière, au moyen de l'intelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas par vos fautes.

6.      Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous a donné la forme de la foi ; et cette foi s'exerce par la vertu, par la lumière de la raison. La raison s'illumine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous n'arriverez qu'aux ténèbres.

7.     Deux lumières qui viennent de cette lumière vous sont nécessaires, et à ces deux lumières j'en joindrai une troisième. La première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde qui passe comme le vent ; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connaissez pas d'abord votre propre fragilité, et combien elle s'incline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le moindre péché, si la volonté n'y consent pas, mais elle combat violemment contre l'esprit.

8.      Je n'ai pas donné cette loi pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fût éprouvée dans l'âme, car la vertu ne s'éprouve que par les contraires. La sensualité est contraire à l'esprit, et c'est par la sensualité que l'âme montre l'amour qu'elle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle ? Lorsqu'elle se combat elle-même par le mépris.

9.     J'ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les, conserver dans l'humilité véritable. Tu dois voir qu'en créant l'âme à mon image et à ma ressemblance, et en l'élevant à une si haute dignité et beauté, je l'ai associée en même temps aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la tête contre moi.

10.    Ainsi donc, l'homme fragile qui a cette lumière, a raison d'humilier son âme, et n'a aucun sujet de s'enorgueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-même et de l'instabilité de la vie présente. C'est ce que doit voir l’œil de l'intelligence avec la lumière de la sainte foi qui est, comme je te l'ai dit, la prunelle de l’œil.

11.   Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de l'Agneau sans tache. C'est la lumière générale que chacun doit avoir : et. s'il ne l'avait pas, il serait en état de damnation. Et ce qui l'empêche d'être en état de grâce, c'est de n'avoir pas la lumière ; celui qui n'a pas la lumière ne connaît pas le mal de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et détester cette cause.

12.    Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du bien, c'est-à-dire la vertu ; il ne peut m'aimer et me désirer, moi qui suis le Bien suprême ; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière ; car vos fautes ne consistent qu'à aimer ce que je hais et à haïr ce que j'aime. J'aime la vertu et je hais le vice ; celui qui aime le vice et hait la vertu, m'outrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du vice, qui est l'amour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-même ; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice ; il ignore aussi la vertu, et il m'ignore, moi qui lui donne la vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette lumière vous est nécessaire.

XCIX

De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.

1.     Lorsque l'âme est parvenue à la lumière générale dont je viens de te parler, elle ne doit pas s'en contenter ; car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui n'avance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et s'efforcer d'atteindre la seconde lumière en allant de l'imparfait au parfait, parce qu'il faut avec la lumière arriver à la perfection.

2.      Dans cette seconde lumière il y a deux sortes de parfaits ; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et dans cette perfection il y a deux états : le premier, où sont ceux qui s'appliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas Contre la raison ; ils mettent plus de soin à mortifier leur corps qu'à tuer leur volonté, comme je te l'ai déjà dit.

3.     Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence. Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la lumière de la discrétion, c'est-à-dire avec l'humble connaissance d'eux-mêmes et de moi, surtout s'ils s'appliquent plus à voir ma volonté que celle des hommes. S'il en était autrement, c'est-à-dire s'ils ne se revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait ? Parce qu'ils mettent plutôt leurs soins et leurs désirs à mortifier leur corps qu'à tuer leur volonté.

4.      Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que j'ai appelée la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus abondante dans mon âme ; car il me semble que je le servirai bien mieux de cette manière que d'une autre.

5.     C'est ainsi que souvent l'âme tombe dans la peine et l'ennui, et qu'elle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne s'aperçoit pas de la corruption de l'orgueil qui l'envahit. Car, si l'âme était véritablement humble et sans présomption, elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je distribue à chacun l'état, le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle j'appelle les âmes ; elle verrait que toute chose vient de mon amour et quelle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière parfaite.

C

De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de l'âme parvenue à cette lumière.

1.     Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma permission, ainsi que je te l'ai dit en te parlant du troisième état unitif de l'âme. Ils se croient dignes des peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte de consolation ; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les peines.

2.      Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je donne et permet est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que l'âme l'a reconnu, elle se revêt de ma volonté ; elle ne songe à autre chose qu'au moyen de conserver et d'accroître sa perfection pour la gloire et l'honneur de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi l’œil de son intelligence sur Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette vue la remplit d'amour.

3.     La perfection est la connaissance de ce doux et tendre Verbe, mon Fils unique, qui s'est nourri à la table du saint désir, en cherchant l'honneur de son Père et votre salut. C'est ce désir qui l'a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à l'obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il n'a pas craint la fatigue et les opprobres ; il n'a pas reculé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne s'est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris, les affronts, les murmures du peuple ; mais il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un généreux chevalier que j'avais envoyé sur le champ de bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen de son sang précieux, répandu avec tant d'amour et avec tant de haine de vos fautes.

4.      C'est comme si le doux ,et tendre Verbe, mon Fils, vous disait : Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai ouvert la porte avec mon sang ; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans votre amour-propre, dans l'ignorance de la voie et dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne. Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui l'a arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut venir à moi, le Père, si ce n'est par lui. Il est la voie et la porte par laquelle il faut entrer en moi, l'océan de la paix.

5.- Lorsque l'âme est parvenue à goûter cette lumière et qu'elle en connaît la douceur parce qu'elle l'a goûtée, elle court vers moi dans l'ardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté qu'elle vienne : elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les murmures des hommes ; elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créatures, car elle s'est dépouillée de l'amour mercenaire qui m'aime par intérêt. Elle s'est revêtue de la lumière parfaite en m'aimant, sans songer à autre chose qu'à la gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans penser au bonheur qu'elle y trouve et à l'utilité que lui procure le prochain, mais en agissant par pur amour.

6.      Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dépouillés du vieil homme, c'est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l'homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, qu'ils suivent avec courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et s'appliquent plus à tuer leur propre volonté qu'à tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce n'est pas là leur but principal ; c'est seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te l'ai dit en t'expliquant cette parole : que je voulais peu de mots et beaucoup d'actions.

7.     En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le Christ crucifié, en cherchant l'honneur et la gloire de mon nom et le salut des âmes ceux qui sont dans cette glorieuse lumière le font, et c'est pour cela qu'ils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise, parce qu'ils ont éloigné ce qui cause le scandale, c'est-à-dire la volonté propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à leurs pieds ; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la tentation sans qu'elles puissent leur nuire, parce qu'ils sont revêtus et fortifiés par l'ardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.

8.      Ils sont heureux de tout ce qu'ils voient, de tout ce qu'ils rencontrent, et ils disent : Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! de ce qu'il y a en votre maison plusieurs demeures (S. Jean, XIV,2). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce qu'ils admirent plus la grandeur de ma bonté ; tout leur est agréable, et leur semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui est évidemment mal ; ils éprouvent seulement alors une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui m'offensent et disant avec une humilité parfaite : Aujourd'hui c'est toi, demain ce sera moi, si la grâce divine ne me conserve.

9.     O ma fille bien-aimée ! passionne-toi pour ce doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse lumière ; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau vêtement de l'Agneau, mon Fils unique, c'est-à-dire de sa doctrine, par l'ardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde ; ils ne sont jamais scandalisés d'aucun murmure contre eux ou contre le prochain. Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.

10.    Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils ne s'égarent jamais, et parce qu'il est réglé, ma chère fille, ils ne se scandalisent pas de ceux qu'ils aiment ni d'aucune créature raisonnable. Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne s'arrêtent pas à juger la volonté des autres, mais ils ne voient partout que l'expression de ma miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu t'étais endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit, mais à ton oreille, de telle sorte, s'il t'en souvient, que tu fus rappelée à toi-même.

11.   Ma Vérité te disait clairement : si tu veux arriver à la pureté parfaite ; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale, il faut toujours m'être unie par l'amour, car je suis la souveraine, l'éternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie l'âme véritablement. Plus tu t'approcheras de moi, plus tu deviendras pure ; et plus tu t'en éloigneras, plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes souillures que parce qu'ils sont séparés de moi ; car l'âme qui s'unit à moi participe nécessairement à ma pureté.

12.    Il faut faire une autre chose pour arriver à cette union, à cette pureté : il faut t'abstenir de tout jugement sur ce que tu vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre les autres ; il ne faut jamais considérer la volonté de l'homme, mais voir ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut tirer de l'épine la rose, en m'offrant les coupables par une sainte et fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs, pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que souvent ses intentions sont bonnes ; car personne ne peut juger les secrets du cœur de l'homme.

13.   Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté. Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir compassion ; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce qu'en faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi, ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce scandale séparent l'âme de moi, et empêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris et de la haine qu'ils ont contre le prochain en le jugeant.

14.- Le contraire arrive à l'âme qui en tout, comme je te l'ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen de rester toujours dans l'amour du prochain est de rester toujours dans le mien, et l'âme en m'aimant m'est toujours unie.

15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu me demandes, il faut faire surtout trois choses : T'unir à moi par l'amour, en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de moi ; voir avec l’œil de ton intelligence l'ardeur ineffable de ma charité envers vous ; voir enfin ma volonté dans la volonté de l'homme, et non pas sa méchanceté, parce que c'est moi qui suis juge, ce n'est pas vous. Tu arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que t'enseigna ma Vérité, s'il t'en souvient bien.

16.   Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les pièges du démon ; car tu les reconnaîtras aux signes que tu m'as demandés. Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.

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Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.

1.     Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éternelle. Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce qu'ils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance ; la peine alors sera séparée de la faim, parce qu'ils auront ce qu'ils désirent, et leur rassasiement ne connaîtra pas l'ennui, parce que je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que l'âme est affamée de mon honneur et du salut des âmes ; et comme elle en a faim, elle s'en nourrit, c'est-à-dire que l'âme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim comme d'une nourriture, et en s'en nourrissant elle ne s'en rassasie jamais, parce qu'elle est insatiable et qu'elle a une faim continuelle.

2.      Les arrhes sont une garantie qu'on donne à l'homme pour qu'il attende le payement. Cette sûreté n'est pas parfaite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude d'arriver au complément, et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de la charité du prochain ; elle n'est pas parfaite, mais elle attend la perfection de la vie éternelle.

3.     Ce qu'elle reçoit n'est pas parfait, parce qu'elle n'est, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle, ni dans les autres : en elle, par l'offense que me cause la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat contre l'esprit ; dans les autres, par les fautes du prochain. Ce qu'elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle n'a pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel ; car, comme je te l'ai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres vous font souffrir.

4.     Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique l'était sur le bois de la sainte Croix ; car sa chair était douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bienheureuse par l'union de la nature divine. De même ceux-là sont bienheureux par l'union de leur saint désir en moi, parce qu'ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce qu'ils compatissent au malheur du prochain, et qu'ils affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles.

   

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