VOUS NE
PORTEREZ POINT DE FAUX TEMOIGNAGE CONTRE VOTRE PROCHAIN
Voici une raison
capable de nous faire comprendre qu’il est non seulement utile, mais
nécessaire d’expliquer très souvent ce précepte, et de rappeler à
tous les devoirs qu’il impose. nous voulons parler de la déclaration
si autorisée de l’Apôtre Saint Jacques, lequel ne craint pas
d’affirmer que « celui qui ne pèche point en paroles est un homme
parfait » et un peu plus loin ajoute: « La langue n’est
qu’une petite partie du corps, et cependant quels effets ne
produit-elle pas ! Il ne faut qu’une étincelle pour embraser une
grande forêt », et le reste qui est dans le même sens. — Ces
paroles nous apprennent deux choses: la première, que le péché de la
langue est extrêmement répandu. C’est ce que nous confirme de son
côté le Prophète David. « Tout homme est menteur », dit-il ,
comme si ce péché était le seul qui pût s’étendre à tous les hommes.
La seconde, c’est qu’il est la source de maux innombrables. Car
souvent le coup de langue du médisant cause la perte de la fortune,
de la réputation, de la vie, du salut même, soit pour celui qui est
atteint par la médisance, parce qu’il supporte mal l’injure qu’on
lui fait, et qu’il manque de courage pour ne s’en point venger, soit
pour celui qui est l’auteur de l’offense, parce que, victime d’une
mauvaise honte et de la crainte exagérée du qu’en dira-t-on, il ne
peut se déterminer à donner satisfaction à celui qu’il a blessé.
C’est pourquoi il ne faut pas manquer d’exhorter les Fidèles à
rendre à Dieu les plus vives actions de grâces de ce qu’il a défendu
expressément le faux témoignage, en nous donnant un précepte très
salutaire, qui ne nous interdit pas seulement d’injurier les autres,
mais qui nous protège encore, si on l’observe, contre les injures
que les autres seraient tentés de nous faire.
Afin de garder, en
expliquant ce précepte, le même ordre et la même marche que dans
ceux qui précèdent, nous avons à remarquer qu’il renferme deux
prescriptions distinctes: l’une négative, qui nous défend de porter
faux témoignage, l’autre positive, qui nous ordonne d’écarter
résolument de notre conduite toute dissimulation et tout mensonge,
et de mesurer nos paroles et nos actes sur la simple vérité. Double
devoir que l’Apôtre Saint Paul rappelait aux Ephésiens, quand il
leur disait: « Ne séparons pas la vérité de la charité, afin de
croître en Jésus-Christ dans toutes choses. »
§ I. — DU FAUX
TÉMOIGNAGE.
On entend ordinairement
par faux témoignage tout ce qui est affirmé et soutenu de quelqu’un,
contre la vérité, en bonne ou en mauvaise part, devant la justice ou
non. Cependant le faux témoignage qui nous est spécialement défendu
par ce précepte, c’est celui qui se fait en justice, avec serment,
contre la vérité. Car si le témoin jure par le nom même de Dieu,
c’est parce qu’un témoignage qui s’appuie sur ce nom sacré n’en
acquiert que plus de poids et d’autorité. Mais d’autre part comme ce
témoignage est très dangereux dans ses conséquences, Dieu le défend
d’autant plus fortement. C’est qu’en effet le juge lui-même n’a pas
le droit de récuser des témoins qui affirment avec serment, s’ils ne
tombent pas sous les exceptions prévues par la Loi, ou bien s’ils ne
sont pas reconnus pour gens de mauvaise foi et sans aucune probité.
Et la raison en est que la Loi divine nous ordonne expressément de
tenir « pour constant et véritable le témoignage de deux ou trois
perssonnes » . — Mais afin que les Fidèles comprennent
parfaitement la nature et l’étendue de ce précepte, il importe avant
toutes choses de bien leur apprendre ce qu’il faut entendre par le
prochain, contre qui il est défendu de porter faux
témoignage.
Or, le prochain, selon
l’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est tout homme quia
besoin de nous, qu’il nous soit proche ou éloigné, concitoyen ou
étranger, ami ou ennemi.
C’est un crime en effet
de penser qu’on puisse faire un faux témoignage contre des ennemis,
lorsque Dieu et notre Seigneur nous font un précepte de les aimer.
Mais il y a plus ;
comme chacun de nous, dans un certain sens, est à soi-même son
prochain, personne n’a le droit de porter contre soi-même un faux
témoignage. Ceux qui ont le malheur de commettre un pareil crime, en
se diffamant et en se couvrant de honte, se nuisent à eux-mêmes
d’abord, et en même temps ils font tort à l’Eglise, comme ceux qui
se suicident nuisent à la société. C’est l’enseignement formel de
Saint Augustin: « Les personnes peu éclairées, dit-il,
pourraient penser qu’il n’est pas défendu de se porter comme faux
témoin contre soi-même, parce que dans la formule du Commandement il
est dit seulement: contre le prochain ; mais que celui qui a
fait contre lui-même une déposition fausse n’aille pas se croire
innocent, puisque la règle de l’amour du prochain, c’est de l’aimer
comme soi-même. »
Et parce qu’il nous est
défendu de faire tort au prochain par le faux témoignage, il faut
bien nous garder d’en conclure que le parjure nous est permis pour
rendre quelque service ou procurer quelque avantage à ceux qui nous
sont unis par les liens du sang ou de la Religion. Il ne faut être
utile à personne par le mensonge, encore moins par le parjure. C’est
pourquoi Saint Augustin, dans une lettre à Crescence sur le mensonge
, ne craint pas de dire, en s’appuyant sur l’autorité de l’Apôtre
Saint Paul, que le mensonge doit être mis au nombre des faux
témoignages, quand même il décernerait à quelqu’un de fausses
louanges. Il rapporte d’abord les paroles de l’Apôtre: nous
serons nous-mêmes convaincus d’avoir été de faux témoins, parce que
nous avons porté témoignage contre Dieu même, en disant qu’Il a
ressuscité Jésus-Christ, qu’Il n’a cependant pas ressuscité, si les
morts ne ressuscitent pas, puis il ajoute : l’Apôtre regarde
comme faux témoignage de dire une chose fausse de Jésus-Christ,
quoiqu’elle soit à sa Gloire .
N’arrive-t-il pas très
souvent d’ailleurs que celui qui favorise quelqu’un par son faux
témoignage, porte par là même préjudice à un autre ? ne met-il pas
le juge dans une sorte d’erreur invincible ? Aussi qu’arrive-t-il ?
le juge trompé par de faux serments est forcé de prononcer contre le
droit en faveur de l’injustice.
Quelquefois même celui
qui a gagné sa cause en justice, grâce au faux témoignage d’un
complice, et cela impunément, celui-là, disons-nous, est tout fier
de sa victoire, dès lors il rend l’habitude de corrompre des
témoins, dans l’espoir qu’avec leur aide, il réussira dans toutes
ses entreprises.
Le faux témoignage est
également très funeste au témoin lui-même. Aux yeux de celui qu’il a
criminellement servi par son serment, il n’est plus qu’un parjure et
un vil imposteur ; mais par contre, en voyant que son mensonge a
réussi, il se trouve encouragé au mal et prend de jour en jour des
habitudes plus grandes de hardiesse et d’impiété.
Mais si la fausseté, le
mensonge et le parjure sont nettement défendus aux témoins, ils le
sont tout autant aux accusateurs, aux accusés, aux protecteurs, aux
parents, aux procureurs, aux avocats, en un mot à tous ceux qui ont
part aux jugements.
Enfin Dieu défend, non
seulement devant les juges, mais même partout ailleurs, un
témoignage quelconque capable de porter préjudice ou de causer
quelque dommage au prochain. Il est écrit en effet dans le
Lévitique, à l’endroit même où ces défenses sont faites à plusieurs
reprises: « Vous ne déroberez point, vous ne mentirez point ; et
personne ne trompera son prochain. » Des paroles si claires ne
permettent pas de douter que Dieu, par ce précepte, ne réprouve et
ne condamne absolument tout mensonge, quel qu’il soit. David dans
ses Psaumes nous l’atteste aussi, et très clairement : « Vous
perdrez, dit-il, tous ceux qui profèrent le mensonge. »
§ II. — DE LA MÉDISANCE ET DE LA CALOMNIE.
Le huitième
Commandement de Dieu ne nous défend pas seulement le faux
témoignage, il nous interdit de plus le vice et l’habitude
détestables de la médisance, cette véritable peste, qui donne
naissance à une multitude incroyable d’inconvénients très fâcheux et
de maux de toute espèce. Cette habitude criminelle de déchirer et
d’outrager secrètement son prochain est vigoureusement condamnée en
beaucoup d’endroits de nos Saints Livres. David nous dit: « Je
ne recevais pas le médisant à ma table. » Et l’Apôtre Saint
Jacques ajoute de son côté: « Mes Frères, ne parlez point mal
les uns des autres. »
Mais l’Ecriture Sainte
ne se borne pas à condamner la médisance, elle nous fournit des
exemples qui mettent en pleine lumière toute l’énormité de ce crime.
Ainsi Aman, par ses infâmes calomnies, enflamme tellement la colère
d’Assuérus contre les Juifs, que ce prince ordonne de les faire tous
périr. L’Histoire sainte est remplie de traits semblables. Les
Pasteurs ne manqueront pas de les rappeler aux Fidèles, afin de les
détourner de cet horrible péché.
Pour comprendre et
pénétrer toute la malice de la médisance, il faut savoir qu’on
blesse la réputation du prochain, non seulement en employant contre
lui la calomnie, mais encore en augmentant et en exagérant ses
fautes réelles. Et même si quelqu’un a commis un péché très secret
dont la révélation doit nécessairement être préjudiciable à son
honneur et le couvrir de honte, celui qui fait connaître ce péché,
dans un lieu, dans un temps et à des personnes qui ne sont pas
obligées de le savoir, doit passer à juste titre pour un
calomniateur et un médisant.
Mais de toutes les
calomnies, la plus coupable, à coup sûr, est celle qui s’en prend à
la Doctrine catholique, et à ceux qui la prêchent. Et quiconque
accorde des éloges aux propagateurs de l’erreur et des mauvais
principes commet la même faute. Il faut en dire autant de ceux qui,
en entendant la détraction et la médisance, non seulement ne blâment
point les calomniateurs, mais les écoutent avec plaisir. C’est ce
qui a fait dire à Saint Bernard et à Saint Jérôme, qu’il n’est pas
facile de distinguer lequel est le plus coupable de celui qui médit,
ou de celui qui écoute la médisance ; « car, disent-ils,
il n’y aurait point de médisant s’il n’y avait personne pour écouter
la médisance ».
On désobéit également à
ce précepte, si par ses artifices on met la désunion et le désaccord
entre les hommes ; si l’on se plaît à semer des dissensions, à miner
et à détruire, par des rapports mensongers, les liaisons et les
sociétés les mieux établies, à pousser les meilleurs amis à des
inimitiés irréconciliables, et même à les armer les uns contre les
autres. Détestable peste que Dieu condamne et défend quand il dit:
« Vous ne serez ni délateur, ni détracteur au Milieu de mon
peuple. » C’était le crime d’un bon nombre de conseillers de
Saül qui s’efforçaient de le détacher de David, et l’animaient
contre lui.
§ III. — LA FLATTERIE, LE MENSONGE ET LA
DISSIMULATION.
Nous trouvons encore,
parmi ceux qui pèchent contre ce huitième Commandement, les
flatteurs, les adulateurs qui, par des complaisances et des louanges
hypocrites, cherchent à s’insinuer dans l’esprit et le cœur de ceux
dont ils attendent la faveur, de l’argent et des honneurs. Vils
complaisants qui appellent, comme le dit le Prophète , « mal ce
qui est bien, et bien ce qui est mal ». Tristes gens que David
nous avertit d’éloigner et de chasser de notre société, lorsqu’il
nous dit: « que le juste me reprenne par charité et qu’il me
corrige, mais que le pécheur ne répande point ses parfums sur ma
tête ! » encore que les flatteurs dont nous parlons ne disent
point de mal de leur prochain, ils ne laissent pas de lui être très
nuisibles, puisque, en le louant jusque dans ses fautes, ils sont
cause qu’il persévère dans le mal, jusqu’à la fin de sa vie.
La flatterie, ou
l’adulation la plus coupable en ce genre, est celle qui n’a en vue
que le malheur et la ruine des autres. Ainsi Saül, pour exposer
David à la fureur et au glaive des Philistins, c’est-à-dire selon
lui, pour l’envoyer a une mort certaine, le flattait par ces belles
paroles: « Voici Mérob ma fille aînée ; je vous la donnerai
comme épouse. Soyez seulement homme de cœur, et combattez les
combats du Seigneur ! » Ainsi les Juifs pour surprendre
Notre-Seigneur dans ses paroles Lui disaient insidieusement: « Maître,
nous savons que vous êtes sincère, et que Vous enseignez la Voie de
Dieu selon la Vérité. »
Et cependant il y a
quelque chose de bien plus pernicieux encore, ce sont ces discours
que des amis, des alliés, des parents n’ont pas honte de tenir à un
malade mortellement atteint, et déjà prêt à rendre le dernier
soupir, discours dans lesquels ils affirment à ce moribond qu’il
n’est pas en danger, lui ordonnent d’être gai et souriant, le
détournent de la Confession de ses péchés, comme d’une pensée trop
triste, et enfin écartent de son esprit tout souci et toute idée des
terribles dangers dans lesquels il se trouve.
II faut donc éviter
toute espèce de mensonge, et avant tout, celui qui peut causer au
prochain un dommage considérable. Mais ne pas craindre de mentir
contre la Religion ou dans des choses qui s’y rapportent, c’est
joindre l’impiété à la fourberie.
II ne faut pas oublier
que Dieu est encore grièvement offensé par les injures et les
outrages qu’on répand dans les libelles diffamatoires et autres
productions du même genre.
Il est même indigne
d’un chrétien de chercher à tromper son prochain par un mensonge
joyeux ou officieux, encore que ce mensonge n’entraîne pour personne
ni profit, ni perte. L’avertissement de Saint Paul sur ce point est
formel. « Evitez le mensonge, dit-il , que chacun de vous
parle selon la vérité ! » C’est qu’en effet, du mensonge pour
rire au mensonge grave, la pente est très rapide. Le mensonge joyeux
fait contracter l’habitude de mentir. Dès lors on passe pour n’être
point sincère et l’on est obligé d’affirmer sans cesse avec serment
pour faire croire à sa parole.
Enfin ce Commandement
nous défend toute espèce d’hypocrisie ou de dissimulation. La
dissimulation dans les paroles aussi bien que dans les actions est
également condamnable, puisque les unes et les autres sont comme le
signe et la marque de ce que nous avons dans le cœur. Voilà pourquoi
Notre-Seigneur, dans ses fréquents reproches aux Pharisiens, les
traite d’hypocrites.
Nous avons expliqué ce
que le huitième Commandement défend. Voyons maintenant ce qu’il
ordonne.
§ IV. — A QUOI NOUS SOMMES OBLIGÉS PAR CE
COMMANDEMENT.
L’objet propre de cette
deuxième partie du précepte est que les tribunaux jugent avec équité
et conformément aux Lois: elle a également pour but d’empêcher qu’on
n’attire les causes à soi en empiétant sur les juridictions. « Car
il n’est pas permis, comme le dit l’Apôtre , de juger le
serviteur d’autrui, » de peur de prononcer sans une connaissance
suffisante de la cause. Ce fut le crime précisément de cette
assemblée des prêtres et des scribes qui condamnèrent Saint Etienne,
comme ce fut aussi le péché de ces magistrats de Philippes, dont
l’Apôtre a dit: « Après nous avoir publiquement battus de
verges, et sans jugement préalable, nous qui sommes citoyens
romains, ils nous ont jetés en prison, et maintenant ils nous en
font sortir en secret. »
Il ne faut ni condamner
les innocents, ni renvoyer les coupables, ni se laisser séduire par
des présents ou par la faveur, par la haine ou par l’amitié. Aussi
Moise ne manque pas d’adresser aux vieillards qu’il avait établis
juges d’Israël, cet avertissement célèbre: « Jugez toujours
selon la justice le citoyen comme l’étranger ; ne mettez point de
différence entre les individus ; écoutez le petit comme le grand ;
ne faites acception de personne, parce que vous jugez pour Dieu. »
Quant aux accusés et
aux criminels, Dieu leur fait un devoir de confesser la vérité,
lorsqu’ils sont interrogés selon les formes de la justice. Cette
confession est un hommage éclatant à la Gloire de Dieu. C’est la
pensée de Josué : Lorsqu’il exhorte Achan à dire la vérité, il lui
parle de la sorte: « Mon fils, rendez gloire au Seigneur, Dieu
d’Israël. »
Et parce que ce
précepte s’adresse spécialement aux témoins, le Pasteur aura grand
soin d’en parler comme il convient. C’est qu’en effet ce huitième
Commandement n’a pas seulement pour but de défendre le faux
témoignage, mais encore de nous commander de dire la vérité. Dans
les affaires humaines, le témoignage conforme à la vérité est
extrêmement important. Il y a une multitude de choses que nous ne
pouvons connaître que sur la bonne foi des témoins. Rien donc n’est
plus nécessaire qu’un témoignage véridique dans ces choses que nous
ne savons pas, et que cependant nous n’avons pas le droit d’ignorer.
De là ce mot de Saint Augustin: « Celui qui tait la vérité, et
celui qui profère le mensonge sont également coupables, le premier
parce qu’il ne veut pas être utile, le second parce qu’il cherche à
nuire. »
Il peut être permis
quelquefois de taire la vérité, mais il faut que ce soit hors des
tribunaux. En justice, un témoin interrogé par un juge compétent,
doit faire connaître la vérité tout entière, mais à condition de ne
pas trop se fier à sa mémoire, et de prendre garde d’affirmer comme
certain ce dont il n’est pas absolument sûr.
Les autres personnes
que ce précepte oblige également à dire la vérité sont les avoués et
les avocats, les procureurs et les accusateurs.
Les avoués et les
avocats ne refuseront ni leurs services ni leur appui à ceux qui en
ont besoin ;ils se chargeront généreusement de la défense du
pauvre ; ils ne prendront point de mauvaises causes pour les
soutenir, ils ne feront point durer les procès par calomnie, ou par
avarice, et ils auront soin de régler leurs honoraires selon le
droit et la justice.
De leur côté, les
procureurs et accusateurs devront prendre bien garde de ne point se
laisser entraîner par affection, par haine, ou par quelque autre
passion, à poursuivre qui que ce soit sur d’iniques imputations,
Enfin la Loi de Dieu
ordonne à toutes les personnes pieuses d’être toujours sincères et
véridiques dans leurs entretiens et leurs discours, et de ne jamais
rien dire qui puisse blesser la réputation d’autrui, pas même de
ceux qui les auront offensées ou maltraitées. Elles ne doivent pas
oublier en effet qu’il y a entre elles et ces malheureux l’union et
les rapports qui existent entre les membres d’un même corps.
§ V. — MOTIFS DE DÉTESTER LE MENSONGE.
Afin que les Fidèles se
détournent plus facilement du vice abject du mensonge, le Pasteur
leur en fera voir toute la honte et l’énormité. Dans nos Saints
Livres, le démon est
appelé le père du
mensonge. « Parce qu’il n’est point demeuré dans la vérité, nous dit
l’Apôtre Saint Jean , il est menteur et père du mensonge. »
Pour essayer de
détruire un désordre si funeste, le Pasteur ajoutera à cette parole
de Saint Jean, tous les maux que le mensonge apporte avec lui ; et
comme ces maux sont innombrables, il lui suffira de faire connaître
ceux d’entre eux qui sont autant de sources d’où dérivent tous les
autres.
Et d’abord, pour
montrer combien l’homme faux et menteur offense Dieu grièvement, et
à quel degré il encourt sa haine, il citera cette parole de Salomon
dans les Proverbes: « Il y a six choses que le Seigneur hait, et
une septième qui est en abomination devant Lui: des yeux altiers,
une langue calomniatrice, des mains qui versent le sang innocent, un
cœur qui médite des pensées mauvaises, des pieds prompts II courir
au mal, un homme menteur, un témoin faux. » Dés lors qui
pourrait préserver des derniers châtiments celui que Dieu poursuit
d’une haine si terrible ?
Et puis, comme le dit
l’Apôtre Saint Jacques , « Quoi de plus odieux et de plus infâme que
d’employer la même langue à bénir Dieu votre Père et à maudire les
hommes qui sont créés à son image et à sa ressemblance, comme si une
fontaine pouvait, par la même ouverture, donner une eau douce et une
eau amère ! » Et en effet, cette langue qui tout à l’heure louait
Dieu et Le glorifiait, ne Le couvre-t-elle pas maintenant de honte
et d’opprobre, autant qu’elle le peut, par les mensonges qu’elle
profère ? Aussi les menteurs sont-ils exclus de la béatitude
céleste. Car à cette demande que David fait à Dieu: « Seigneur, qui
demeurera dans vos tabernacles ? » le Saint-Esprit répond « Celui
qui dit la vérité dans la sincérité de son cœur, et dont la langue
ne connaît pas l’artifice. »
Ce qui fait encore que
le mensonge est un très grand mal, c’est qu’ils constitue une
maladie de l’âme presque incurable. Car le péché que l’on commet en
accusant quelqu’un d’un faux crime, ou bien en blessant son honneur
et sa réputation, ce péché ne peut être remis qu’autant que le
calomniateur a réparé son tort envers sa victime. Mais précisément,
ainsi que nous l’avons déjà remarqué, cette réparation est très
difficile à faire, parce qu’on se trouve retenu par une fausse honte
ou par un faux point d’honneur. D’où il suit que celui qui est
coupable de ce péché est pour ainsi dire voué aux supplices éternels
de l’enfer. Personne en effet n’a le droit d’espérer qu’il obtiendra
le pardon de ses calomnies et de ses diffamations, tant qu’il n’aura
pas satisfait à celui dont il a souillé l’honneur et la réputation,
soit publiquement et en justice, soit dans des entretiens privés et
familiers.
Enfin les suites
funestes du mensonge s’étendent très loin, et nous atteignent tous.
La fausseté et le mensonge font disparaître la vérité et la
confiance, qui sont les liens nécessaires de la société, et sans
lesquels les rapports entre les hommes tombent dans une confusion
telle que le monde ressemble à un véritable enfer.
Le Pasteur comprendra
dés lors qu’il doit exhorter les Fidèles à éviter de trop parler. La
modération dans les paroles fait fuir les autres péchés, et surtout
elle est un préservatif assuré contre le mensonge, vice auquel
échappent difficilement ceux qui parlent trop.
§ VI. — VAINES EXCUSES DES MENTEURS.
Le Pasteur s’appliquera
également à détruire l’erreur de ceux qui s’excusent sur le peu
d’importance des conversations, et qui prétendent autoriser leurs
mensonges par l’exemple de ces sages du monde qui ont pour maxime,
disent-ils, de savoir mentir à propos. Il leur fera observer, ce qui
est très vrai « que la prudence de la chair est la mort de l’âme »
. Il les exhortera à mettre en Dieu leur confiance, au milieu des
difficultés et des extrémités les plus fâcheuses, et à ne recourir
jamais au grossier artifice du mensonge ; car ceux qui se servent de
ce subterfuge, laissent voir clairement qu’ils comptent plus sur
leur prudence personnelle que sur la Providence de Dieu.
Ceux qui rejettent la
cause de leur mensonge sur les menteurs qui les ont trompés les
premiers, ont besoin qu’on leur rappelle qu’il n’est pas permis à
l’homme de se venger lui-même ; qu’il ne faut point rendre le mal
pour le mal, mais au contraire chercher « à vaincre le mal par le
bien » ; et que, quand même la vengeance serait permise, il ne
peut jamais être utile à personne de se venger à ses dépens, ce qui
arriverait sûrement et avec un préjudice considérable si l’on avait
recours au mensonge.
Si on en trouve qui
apportent pour excuse l’infirmité et la fragilité naturelles, il
faut leur remettre en mémoire l’obligation où ils sont d’implorer le
secours divin, et de ne point se laisser vaincre par la nature.
D’autres diront qu’ils ont contracté l’habitude de mentir. Il faut
les exhorter à multiplier leurs efforts pour contracter l’habitude
contraire, de dire toujours la vérité, d’autant que ceux qui pèchent
par habitude, sont plus coupables que les autres. Quant à ceux — et
ils ne sont pas rares — qui prétendent se justifier sur l’exemple
des autres hommes qui, selon eux, mentent et se parjurent à tout
propos, il faut les détromper par cette considération, que nous ne
devons point imiter les méchants, mais bien plutôt les reprendre et
faire en sorte de les corriger ; que si, par malheur, nous mentons
nous-mêmes, notre parole aura bien moins d’autorité pour faire
accepter nos reproches et nos bons conseils.
Ceux qui défendent
leurs mensonges en alléguant qu’ils ont éprouvé souvent de graves
ennuis parce qu’ils avaient dit la vérité, les Prêtres les
réfuteront en leur montrant que par de telles paroles ils
s’accusent, bien plus qu’ils ne s’excusent. Le devoir du vrai
Chrétien en effet, n’est-il pas de tout souffrir plutôt que de
mentir ?
Enfin nous avons encore
deux sortes de personnes qui veulent excuser leurs mensonges: celles
qui prétendent ne mentir que par plaisanterie, et celles qui le font
pour leur utilité, parce que, disent-elles, elles ne pourraient ni
bien vendre ni bien acheter, si elles n’avaient recours au mensonge.
Les Pasteurs les tireront de leur erreur les unes et les autres. Ils
écarteront les premières de ce vice en leur remontrant que rien
n’augmente plus l’habitude du mensonge, que de mentir sans aucune
retenue. Ils ajouteront « qu’il leur faudra rendre compte de
toute parole oiseuse ». Et pour les secondes, ils ne craindront
point de les reprendre fortement, et de leur montrer qu’une excuse
d’un pareil genre ne fait qu’augmenter leur faute, puisqu’elles
prouvent bien par là qu’elles n’accordent ni autorité ni confiance à
ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Cherchez
premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous
sera donné par surcroît. »
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