VOUS NE TUEREZ POINT
Le grand bonheur promis
aux pacifiques, puisqu’ils seront appelés enfants de Dieu ,
est pour les pasteurs un motif bien puissant de faire connaître ce
Commandement aux Fidèles avec tout le soin et toute la clarté
possibles. Car pour établir la concorde entre les hommes, il n’est
pas de moyen plus efficace que de les amener tous, par une
explication parfaite, à l’observer religieusement comme ils le
doivent. Alors il sera permis d’espérer que vivant dans une
conformité parfaite de sentiments, ils s’appliqueront à entretenir
au milieu d’eux l’union et la paix.
Ce qui montre encore
combien il est nécessaire d’insister sur ce précepte, c’est
qu’aussitôt après le déluge, la première et l’unique défense que
Dieu fit aux hommes fut la transgression de ce Commandement : « Je
demanderai compte de votre sang à quiconque l’aura versé, soit
l’homme, soit la bête. » Et dans l’Evangile, lorsque
Notre-Seigneur rappelle les Commandements de la Loi de Moise, le
premier qu’Il explique, nous dit Saint Matthieu, est précisément
celui-ci : « Il a été dit aux anciens: vous ne tuerez point »,
et le reste qui est rapporté au même endroit.
De leur côté les
Fidèles doivent écouter avec attention et empressement ce qu’on leur
dit de ce précepte, puisqu’il est fait pour protéger la vie de
chacun de nous en particulier et que ces paroles: Vous ne tuerez
point, défendent absolument l’homicide. Ainsi donc chaque homme doit
recevoir ce Commandement avec autant de joie que si Dieu lui
défendait, sous les peines et les menaces les plus terribles,
d’attenter à sa propre vie. Mais si nous devons aimer à entendre
parler de ce précepte nous devons aimer également à éviter le mal
qu’il défend.
En expliquant Lui-même
cette Loi, Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré qu’elle renferme
deux choses: l’une qui nous est défendue, c’est de tuer ; l’autre
qui nous est commandée, c’est d’avoir une charité et un amour
sincères pour nos ennemis, de vivre en paix avec tout le monde, et
de supporter patiemment toutes les souffrances de la vie.
§ I. — QUELS SONT LES MEURTRES QUI nE SONT
POINT ICI DÉFENDUS.
Dans la partie du
précepte qui défend le meurtre, il faut d’abord faire remarquer aux
Fidèles qu’il y a des meurtres qui ne sont point compris dans cette
défense. Ainsi il n’est pas défendu de tuer les bêtes ; puisque Dieu
nous a permis de nous en nourrir, Il nous a permis par là -même de
les tuer. Ce qui a fait dire à Saint Augustin : « Lorsque nous
lisons ces paroles: Vous ne tuerez point, cela ne peut s’entendre
des arbres qui n’ont aucune sensibilité, ni des animaux sans raison,
parce qu’ils ne nous sont unis par aucun lien social. »
Il est une autre espèce
de meurtre qui est également permise, ce sont les homicides ordonnés
par les magistrats qui ont droit de vie et de mort pour sévir contre
les criminels que les tribunaux condamnent, et pour protéger les
innocents. Quand donc ils remplissent leurs fonctions avec équité,
non seulement ils ne sont point coupables de meurtre, mais au
contraire ils observent très fidèlement la Loi de Dieu qui le
défend. Le but de cette Loi est en effet de veiller à la
conservation de la vie des hommes, par conséquent les châtiments
infligés par les magistrats, qui sont les vengeurs légitimes du
crime, ne tendent qu’à mettre notre vie en sûreté, en réprimant
l’audace et l’injustice par les supplices. C’est ce qui faisait dire
à David : « Dés le matin je songeais à exterminer tous les
coupables, pour retrancher de la cité de Dieu les artisans
d’iniquité. »
Par la même raison,
ceux qui, dans une guerre juste, ôtent la vie à leurs ennemis, ne
sont point coupables d’homicide, pourvu qu’ils n’obéissent point à
la cupidité et à la cruauté, mais qu’ils ne cherchent que le bien
public. Les meurtres qui se font par la volonté formelle de Dieu ne
sont point non plus des péchés. Les enfants de Lévi qui firent périr
en un seul jour tant de milliers d’hommes ne commirent aucune faute.
Après le massacre, Moïse leur dit: « Vous avez aujourd’hui
consacré vos mains au Seigneur. » Celui qui involontairement et
sans préméditation donne la mort à quelqu’un, n’est pas coupable non
plus. Voici ce que le Deutéronome dit à ce sujet: « Celui qui,
sans y penser, aura frappé un autre avec lequel il n’aura point eu
de dispute les deux jours précédents, et qui étant allé avec lui
dans une forêt simplement pour y couper du bois, lui aura donné un
coup et l’aura tué avec sa cognée qui lui aura échappé des mains, ou
qui a quitté son manche, ne sera point coupable de la mort de cet
homme. » Ces sortes de meurtres ne sont ni volontaires ni commis
à dessein, ils ne sauraient donc être mis au nombre des péchés.
C’est ce que nous confirme Saint Augustin: « Si contre notre
volonté, dit-il, il arrive du mal des actions que nous
faisons licitement et pour le bien, ce mal ne doit pas nous être
imputé. »
Toutefois il est deux
cas où nous pouvons être coupables d’homicide, sans qu’il y ait eu
préméditation de notre part
En premier lieu, si
quelqu’un vient à tuer son semblable, en faisant une action
injuste ; par exemple, en frappant une femme enceinte à coups de
pied, ou à coups de poing, de manière à causer la mort de son
enfant ; sans doute il n’est pas volontairement cause de cette mort,
mais il en est coupable, par la raison qu’il lui est absolument
défendu de frapper une femme enceinte. En second lieu, si on donne
la mort à quelqu’un par imprudence, et faute d’avoir pris les
précautions et les soins nécessaires, pour éviter un tel malheur.
De même encore, celui
qui en défendant sa propre vie tue son agresseur, malgré les
précautions qu’il prend pour ne le point frapper mortellement, n’est
nullement coupable d’homicide. tous ces meurtres dont nous venons de
parler ne tombent point sous les prescriptions de la Loi. Mais les
autres sont absolument défendus, soit qu’on les considère du côté de
celui qui donne la mort, ou du côté de celui qui la reçoit, ou enfin
selon les différentes manières dont l’homicide peut être commis.
§ II. — MEURTRES DÉFENDUS.
Et d’abord la loi
défend le meurtre à tout le monde. Elle n’excepte personne ; ni
riches, ni pauvres, ni puissants, ni maîtres, ni parents. Elle ne
fait aucune distinction. Défense à tous de tuer.
Défense de tuer qui que
ce soit ! La Loi s’étend à tous. Il n’est personne, quelle que soit
la bassesse de sa condition, qui ne soit protégé par elle.
Bien plus, défense de
se tuer soi-même. nul n’a assez de pouvoir sur sa propre vie, pour
se donner la mort quand il lui plait. C’est pour cela que la Loi ne
dit pas: vous ne tuerez point les autres, mais simplement:
vous ne tuerez point.
Si maintenant nous
examinons les différentes manières de commettre un meurtre, il n’en
est point qui ne soit interdite par ce précepte. non seulement il
n’est permis à personne d’ôter la vie à son semblable de ses propres
mains, ou avec le fer, la pierre, le bâton, le lacet ou le poison,
mais il est encore défendu d’y contribuer de ses conseils, de ses
moyens, de son secours ou de quelque manière que ce soit. C’est
pourquoi les Juifs firent preuve d’un aveuglement bien étrange, en
s’imaginant qu’ils observaient ce précepte, pourvu seulement qu’ils
n’eussent pas commis le meurtre de leurs mains.
§ III. — AUTRES CHOSES DÉFENDUES PAR CE
PRÉCEPTE.
Un Chrétien qui sait,
par l’interprétation de notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même, que la
Loi dont nous parlons est spirituelle, c’est-à-dire qu’elle nous
ordonne d’avoir non seulement les mains pures, mais encore le cœur
droit et irréprochable, ce Chrétien, disons-nous, ne peut se
contenter de ce que les Juifs regardaient comme surabondant. Ainsi,
d’après l’enseignement de l’Evangile, nous n’avons même pas le droit
de nous mettre en colère contre notre frère. Notre-Seigneur ne
dit-il pas ? « Mais Moi Je vous le dis, quiconque se met en
colère contre son frère, sera condamné par le jugement ; celui qui
dira à son frère: Raca, sera condamné par le conseil ; et celui qui
l’appellera fou, méritera d’être condamné au feu éternel de l’enfer. »
Ces paroles nous
montrent clairement que celui qui se met en colère contre son frère,
même s’il tient sa colère renfermée dans son cœur, ne laisse pas
d’être coupable ; que celui qui la fait éclater au dehors d’une
manière quelconque, commet un péché grave, et son péché est bien
plus grave encore s’il ne craint pas de traiter son frère avec
dureté, et de le charger d’injures.
Ceci est vrai, lorsque
nous nous mettons en colère sans raison. Mais il y a une colère
légitime et selon Dieu c’est celle qui nous fait réprimander, quand
elles sont en faute, les personnes placées sous nos ordres et qui
nous doivent obéissance. La colère du Chrétien ne procède point des
sens, ni des émotions de la passion, elle vient du Saint-Esprit,
dont nous sommes les temples, et il faut que Jésus-Christ habite
dans ces temples.
Il est encore beaucoup
d’autres choses que notre Seigneur nous a recommandées, et qui
tiennent à l’observation parfaite de ce Commandement. Par exemple:
« Ne résistez pas à ceux qui vous maltraitent. Si quelqu’un vous
a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. Si
quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre tunique,
abandonnez-lui encore votre manteau. Et si quelqu’un vous force de
faire mille pas avec lui, faites-en deux mille. »
De tout ce que nous
venons de dire il est aisé de conclure combien les hommes sont
enclins aux péchés défendus par ce Commandement, et par conséquent
combien il s’en trouve, hélas ! qui sont homicides, non de la main,
mais du cœur.
§ IV. — MOYENS D’ÉVITER LES FAUTES CONTRAIRES
AU CINQUIÈME COMMANDEMENT.
L’écriture ne manque
pas de remèdes à opposer à un mal si funeste. Le devoir du Pasteur
sera donc de les indiquer soigneusement aux Fidèles. Or, le remède
le plus efficace est de leur faire comprendre combien l’homicide est
un crime énorme ; et cette vérité peut se prouver par plusieurs
passages très importants de nos Saints Livres, où nous voyons Dieu
détester tellement l’homicide qu’il nous assure qu’Il vengera la
mort de l’homme sur les bêtes, et qu’Il ordonne de tuer l’animal qui
aura seulement blessé un homme. Et si Dieu a voulu inspirer à
l’homme tant d’horreur du sang, c’est uniquement pour le détourner
par tous les moyens du crime affreux de l’homicide, et en préserver
autant son cœur que ses mains.
Les homicides sont les
ennemis les plus acharnés du genre humain et même de la nature ; car
ils détruisent, autant qu’il est en eux, l’œuvre de Dieu, en
détruisant l’homme pour lequel Il nous atteste qu’Il a fait toutes
choses. Il y a plus: comme il est défendu dans la Genèse de tuer
l’homme, parce que Dieu l’a créé à son image et à sa ressemblance,
celui-là Lui fait une injure insigne, qui porte pour ainsi dire sur
Lui une main criminelle, en faisant disparaître son image du milieu
du monde. C’est en méditant devant Dieu cette triste vérité que
David se plaint si amèrement des hommes sanguinaires. « Leurs
pieds, dit-il, sont agiles pour répandre le sang. » Il ne
dit pas simplement: ils tuent, mais: ils répandent le sang.
Or il emploie ces mots pour faire ressortir davantage l’énormité de
cet abominable crime et la cruauté insensée de ceux qui le
commettent. De même encore pour montrer avec quelle précipitation
ils sont poussés au mal par une sorte de violence diabolique, il
dit: leurs pieds sont agiles.
§ V. — CE QUI eST COMMANDÉ PAR CE PRÉCEPTE.
Cette deuxième partie
du précepte ne défend pas ; elle commande. Et ce que Notre-Seigneur
Jésus-Christ exige de nous, c’est que nous vivions en paix avec tout
le monde. Voici d’ailleurs comme Il explique ce commandement: « Si
lorsque vous présentez votre offrande à l’Autel, vous vous souvenez
que votre frère a quelque chose sur le cœur contre vous, laissez là
votre offrande devant l’Autel et allez d’abord vous réconcilier avec
votre frère, puis vous viendrez faire votre offrande. » Le
Pasteur aura soin d’expliquer ces paroles de manière à faire
comprendre que notre Charité doit s’étendre à tous les hommes sans
exception. Et il multipliera ses exhortations pour porter les
Fidèles à cette grande vertu de l’amour du prochain si visiblement
contenue dans ce précepte. En effet, la haine y étant clairement
défendue, puisque « celui qui hait son frère est homicide, »
il s’ensuit nécessairement que l’amour et la charité envers le
prochain y sont commandés. Ce n’est pas tout, car en même temps que
ce précepte nous fait un devoir de la Charité universelle, il nous
ordonne également toutes les obligations et toutes les œuvres
qui en sont une suite naturelle. Ainsi, « la Charité est patiente »,
dit Saint Paul , donc la patience nous est commandée, cette patience
dans laquelle Notre-Seigneur nous assure que nous posséderons nos
âmes. Il en est de même de la bienfaisance, qui est l’amie et
la compagne de la Charité, car la Charité est bienfaisante .
Or la bienfaisance et la bonté vont très loin. Ce sont elles
principalement qui font que nous soulageons les pauvres en ce qui
leur est nécessaire, que nous donnons à manger à ceux qui ont faim,
à boire à ceux qui ont soif, des vêtements à ceux qui sont nus, en
un mot que nos libéralités sont d’autant plus grandes que nous
constatons des besoins plus étendus. tous ces actes de bonté et de
bienfaisance, déjà très beaux et très méritoires par eux-mêmes, le
deviennent bien davantage encore, lorsque nous les exerçons envers
des ennemis. Car notre Sauveur nous dit: « Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Et Saint Paul
ajoute: « Si votre ennemi a faim, donnez-lui d manger ; s’il a
soif, donnez-lui à boire ; en agissant ainsi vous amasserez des
charbons de feu sur sa tête. ne vous laissez point vaincre par le
mal, mais cherchez à vaincre le mal par le bien. »
Si nous considérons
enfin la loi de la Charité, toujours par rapport à la bienveillance,
nous n’aurons pas de peine à comprendre qu’elle nous oblige à
pratiquer en toutes choses la douceur, la retenue, la réserve et
toutes les autres vertus de ce genre.
Mais le devoir qui
l’emporte, et de beaucoup, sur tous les autres, le devoir de Charité
par excellence, celui auquel nous devons nous exercer le plus, c’est
de remettre et de pardonner d’un bon cœur les injures qu’on nous a
faites. Pour nous amener à la pratique de cette vertu, la Sainte
Ecriture, comme nous l’avons dit plus haut, multiplie les
recommandations et les exhortations. non seulement elle appelle
heureux ceux qui pardonnent en toute sincérité, mais elle leur
promet de la part de Dieu la rémission de leurs péchés ; tandis que
cette rémission est refusée à ceux qui négligent ou refusent de
remplir ce devoir.
Mais comme le désir de
la vengeance est pour ainsi dire inné dans le cœur de l’homme, le
Pasteur mettra tous ses soins, non seulement à rappeler aux Fidèles
qu’ils doivent oublier et pardonner les injures, mais encore à faire
en sorte de le leur persuader. Et comme les Saints Pères ont
beaucoup parlé de cette matière, il ne manquera pas de les
consulter, pour vaincre l’opiniâtreté de ceux qui veulent s’obstiner
et s’endurcir dans la résolution de se venger. Il devra tenir
toujours prêts les arguments si concluants que leur piété leur a
suggérés, et qu’ils ont si bien appropriés à la question.
Il pourra se servir
utilement des trois considérations suivantes :
D’abord il importe
grandement de bien persuader à celui qui se croit offensé que
l’auteur principal de l’injure ou du dommage qu’il a reçu, n’est pas
celui sur lequel il désire se venger. C’est ainsi que l’avait
compris Job, cet homme admirable qui, accablé des traitements les
plus cruels par les Sabéens, les Chaldéens et le démon, ne tient
d’eux aucun compte, mais se contente, en homme droit et vraiment
pieux, de prononcer ces paroles, si dignes de sa vertu et de sa
Foi: « Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout ôté. »
De te !les paroles et
un tel exemple de patience sont bien propres à convaincre les
Chrétiens que tout ce que nous souffrons en cette vie vient de Dieu,
Père et Auteur de toute justice et de toute miséricorde. Et sa bonté
pour nous est si grande qu’Il ne nous punit point comme des ennemis,
mais qu’Il nous corrige et nous châtie comme ses enfants.
Et de fait, si nous
voulons y réfléchir, nous devons reconnaître que les hommes, dans
les maux que nous souffrons, ne sont que les ministres et les
exécuteurs de la justice divine. On peut en venir à concevoir contre
quelqu’un une haine criminelle, et même lui souhaiter le plus grand
mal, mais on ne peut lui nuire qu’avec la permission de Dieu. Voilà
pourquoi Joseph supporta patiemment les traitements impies de ses
frères, et David les injures de Séméi. Il est encore un raisonnement
qui s’applique très bien à notre sujet, c’est celui de Saint Jean
Chrysostome, et qu’il a développé avec tant de bonheur et
d’habileté. « Personne, dit-il, n’éprouve de mal que celui qu’il
se fait à lui-même. Car ceux qui croient avoir été traités d’une
manière injurieuse n’auront pas de peine à comprendre, s’ils y
pensent en toute sincérité, qu’ils n’ont reçu des autres aucune
injure, aucun dommage pour leur âme, encore qu’on leur ait fait
quelques maux qui sont purement extérieurs. Au contraire, ils se
font à eux-mêmes le plus grand mal, quand ils souillent leur âme par
la haine, la cupidité et la jalousie. »
En second lieu, il y a
deux grands avantages pour ceux qui en vue de plaire à Dieu
pardonnent volontiers les Injures qu’on leur a faites. Le premier,
c’est le pardon de nos fautes que Dieu nous a promis, si nous
pardonnons celles des autres envers nous: d’où il est aisé de
conclure combien cet acte de Charité lui est agréable. Le second,
c’est que nous nous élevons à un nouveau degré de dignité et de
perfection, car en pardonnant nous devenons en quelque sorte
semblables à Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur
les méchants, et qui fait pleuvoir sur les pécheurs comme sur les
justes.
Enfin il faut avoir
soin de bien montrer les inconvénients qui nous attendent, si nous
ne voulons point pardonner les injures que nous avons reçues. Le
Pasteur représentera donc à ceux qui ne peuvent se déterminer à
pardonner à leurs ennemis, que la haine n’est pas seulement un péché
grave, mais encore un péché qui tire de sa durée même une gravité
sans cesse croissante. Car celui qui a le malheur de nourrir cette
passion dans son âme, a soif en quelque sorte du sang de son ennemi.
Il passera, en vue de sa vengeance, ses jours et ses nuits à rouler
dans son esprit quelque projet mauvais, toujours occupé de, pensées
de meurtre et de choses détestables. C’est pourquoi il devient
impossible, ou du moins très difficile de l’amener à pardonner, en
tout ou en partie, les injures qu’il a reçues. Aussi on a comparé
très justement la haine à une plaie dans laquelle le trait reste
enfoncé.
Il est encore beaucoup
d’autres inconvénients et de péchés dont la haine devient pour ainsi
dire le lien et le centre. C’est ce qui a fait dire à Saint Jean:
« Celui qui hait son frère est dans les ténèbres, et il marche
dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres
l’ont aveuglé. » Par conséquent, il est condamné à des chutes
fréquentes ; car comment approuver les paroles ou les actes de
quelqu’un qu’on déteste ? De là des jugements téméraires et
injustes, des colères, des jalousies, des médisances et autres
péchés semblables, qui n’épargnent pas même — cela ne se voit que
trop souvent — ceux qui sont unis par les liens du sang ou de
l’amitié. C’est ainsi qu’un seul péché en engendre beaucoup
d’autres.
Et certes, ce n’est pas
sans motif que ce péché de la haine est appelé péché diabolique,
puisque « le diable est homicide dès le commencement » Voilà
pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, voyant que les Pharisiens
voulaient Le faire mourir, leur disait: « Le démon est votre
père, et vous êtes de lui. »
Outre ce que nous
venons de dire et toutes les raisons que nous avons apportées pour
faire détester ce crime, nos Saints Livres nous proposent encore
contre lui plusieurs remèdes d’une grande efficacité.
Le premier, et le
meilleur de tous, est l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que
nous devons faire en sorte d’imiter. Lui qui ne pouvait pas même
être soupçonné du moindre péché, Lui, (l’innocence même), après
avoir été indignement battu de verges, couronné d’épines et cloué à
une croix, laisse tomber de ses lèvres cette prière si pleine de
Charité: « mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce
qu’ils font, » bien que son sang répandu parlât déjà, au
témoignage de l’Apôtre, plus éloquemment que celui d’Abel.
L’Ecclésiastique nous
propose un autre remède. C’est la pensée de la mort et du jugement.
« Souvenez-vous de vos fins dernières, dit-il, et jamais
vous ne pécherez. » En d’autres termes, pensez souvent, ou mieux
ayez sans cesse dans la pensée que vous devez mourir bientôt. Et
comme alors il sera très désirable et même très nécessaire pour vous
d’obtenir la très grande miséricorde de Dieu, vous devez dès
maintenant et toujours vous remettre sous les yeux cette miséricorde
dont vous avez tant besoin. C’est le moyen d’éteindre dans votre âme
ce feu infernal de la haine et de la vengeance. Rien n’est plus
propre en effet à vous faire obtenir la divine miséricorde que
l’oubli des injures et l’amour de ceux qui vous ont offensé, vous ou
les vôtres, soit en paroles, soit en actions.
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