Saint Bruno naquit à Cologne d'une famille de première
noblesse. Ses
magnifiques succès épouvantèrent son
âme, désireuse de ne vivre
que pour Dieu. Il songeait à quitter ce monde, où il était déjà appelé aux
grandeurs, quand un fait tragique décida complètement sa vocation. Bruno
comptait pour ami, à l'université de Paris, le célèbre chanoine Raymond, dont
tout le monde admirait la vertu non moins que la science. Or cet ami vint à
mourir, et pendant ses obsèques solennelles, auxquelles Bruno assistait, à ces
paroles de Job: "Réponds-moi, quelles sont mes iniquités?" Le mort se releva et
dit d'une voix effrayante: "Je suis accusé par un juste jugement de Dieu!" Une
panique indescriptible s'empara de la foule, et la sépulture fut remise au
lendemain; mais le lendemain au même moment de l'office, le mort se leva de
nouveau et s'écria: "Je suis jugé par un juste jugement de Dieu!" Une nouvelle
terreur occasionna un nouveau retard. Enfin, le troisième jour, le mort se leva
encore et cria d'une voix plus terrible: "Je suis condamné au juste jugement de
Dieu!"
Bruno brisa dès lors les derniers liens qui le retenaient au
monde, et, inspiré du Ciel, il se rendit à Grenoble, où le saint évêque Hugues,
répondant à ses aspirations vers la solitude la plus profonde, lui indiqua ce
désert affreux et grandiose à la fois, si connu sous le nom de Grande-Chartreuse.
Il fallut franchir de dangereux précipices, s'ouvrir un chemin à coups de hache
dans des bois d'une végétation puissante, entremêlés de ronces épaisses et
d'immenses fougères; il fallut prendre le terrain pied à pied sur les bêtes
sauvages, furieuses d'être troublées dans leur possession paisible. Quelques
cellules en bois et une chapelle furent le premier établissement. Le travail, la
prière, un profond silence du côté des hommes, tel fut pour Bruno l'emploi des
premières années de sa retraite.
Il dut aller, pendant plusieurs années, servir de conseiller
au saint Pape Urbain II, refusa avec larmes l'archevêché de Reggio, retourna à
sa vie solitaire et alla fonder en Calabre un nouveau couvent de son Ordre. À
l'approche de sa dernière heure, pendant que ses frères désolés entouraient son
lit de planches couvert de cendres, Bruno parla du bonheur de la vie monastique,
fit sa confession générale, demanda humblement la Sainte Eucharistie, et
s'endormit paisiblement dans le Seigneur.
Abbé L. Jaud,
Vie des Saints pour tous les
jours de l'année, Tours, Mame, 1950. |