6 - Un douloureux Bonheur

Avant-propos

Le douloureux bonheur

Le bonheur en Dieu ne varie pas, il est toujours présent puisque Dieu est Amour et bonheur. Ce bonheur éternel est l’état constant des bienheureux; ce sera aussi notre état quand nous aurons rejoint le Père qui mettra chacun à sa place dans le Corps du FILS. Certains d’entre nous, en raison d’un choix spécial de Dieu, resteront dans le Cœur de Jésus, Cœur du Corps mystique, là où ils sont déjà, dès cette terre. 

Dans le Cœur du Corps mystique du Sacré-Cœur il ne peut y avoir que du bonheur, mais nous savons que pour ceux qui, tout en étant dans le Cœur de Jésus sont encore sur la terre, le bonheur est souvent douleur. Souvent nous sommes conduits à faire de douloureuses expériences. Ainsi, les médias français insistent souvent sur les fêtes et les rites de religions étrangères, en les admirant souvent, mais sur les fêtes chrétiennes, le silence est presque total, comme si l’Église catholique n’existait plus, et cela nous fait très mal. A-t-on totalement oublié le christianisme qui a modelé la France? Jésus n’existe-t-il plus pour nos contemporains? Être tolérant, compréhensif envers les autres, cela signifie-t-il renier notre propre foi, ou ce qui fut, autrefois, notre foi?

Nous comprenons alors que notre bonheur sera toujours douleur, car il est à Gethsémani... Mais nous aimons Jésus-Christ qui est notre bonheur malgré notre douleur. Comment expliquer cela? 

Le pied

À l’époque où le nazisme régnait en Europe, de grandes affiches représentaient le pied d’un officier SS écrasant, sur son passage, tout ce qui résistait à Hitler. Aujourd’hui, le pied du nazi a disparu mais un autre pied, un immense pied, grand comme toute la surface de la terre menace notre monde. Ce pied, encore légèrement soulevé, provoque, comme un nuage noir et mortel, une ombre gigantesque et terrifiante, qui plonge toute la terre dans des ténèbres épaisses.

Ce pied monstrueux s’approche de plus en plus de la surface du sol, et à mesure qu’il s’y pose, il écrase tout sous sa semelle criminelle. La surface de la terre, c’est comme une immense prairie plongée dans la nuit, qui, terrifiée, sent qu’on l’écrase impitoyablement d’un poids énorme, plongeant dans la mort toute la végétation destinée à la nourriture des êtres vivants. Toutes les plantes sont détruites, les petits animaux sont broyés par le pied satanique: rien ne subsiste après le passage du monstre.

Rien ne subsiste sur la terre après le passage du monstre: il n’y a plus que ruine et mort. La désolation est partout, la vie a disparu: Satan pourra régner sur ce qui n’est plus qu’un désert désespérant. La vie a disparu, Satan triomphe: il a tué l’humanité; il n’aura pas à adorer le Verbe incarné...

Satan n’aura pas à adorer le Verbe incarné... Pourtant il y a toujours des hommes sur la terre des hommes...  Comment quelques hommes ont-ils pu échapper à la destruction totale que Satan désirait tant? Satan n’est-il pas aussi vainqueur qu’il le croyait? Une espérance est-elle encore possible pour les rescapés? Le bonheur est-il encore possible sur la terre? Mais quel bonheur, et accompagné de quelles douleurs? Comment échapper au combat monstrueux qui se livre toujours entre Dieu et Satan? Notre angoisse est telle que seule une longue contemplation de Jésus durant toute sa Passion pourra nous apporter un peu de paix.

Contemplons les deux agonies de Jésus, celle de Gethsémani, et celle qui précéda sa mort sur la Croix. Est-ce parce qu’Il voyait toutes nos ignominies, toutes nos turpitudes qu’à Gethsémani Il supplia le Père d’éloigner “ce calice”. Est-ce parce qu’Il voyait des foules innombrables de ses enfants se précipiter vers l’Enfer qu’Il exprima sa terrible soif, soif du salut de tous ses frères les hommes? Nous aussi nous avons souvent envie de crier avec Jésus. Nos cœurs, comme le sien se déchirent à la vue de tous ces cœurs qui s’éloignent de Dieu. Nous n’arrivons pas à comprendre comment des êtres qui ne sont pas vraiment mauvais, -certains même sont bons et généreux- ont pu s’éloigner ainsi du Christ, s’éloigner de Dieu. Non seulement ils piétinent, avec tous les ténors du mal, les règles élémentaires de la morale et du respect de l’autre, mais ils oublient tout simplement que le monde ne peut vivre sans Dieu, et que, sans Dieu, les hommes ne peuvent connaître que le malheur.

Le mystère du mal est incompréhensible, inouï. Comment imaginer qu’on puisse vivre sans espoir, sans amour en dehors de l’amour de soi-même qui n’est que néant. Et lorsque nous rejoignons Jésus dans les agonies de sa Passion, nous entendons ses pleurs, nous sentons sa soif, nous sommes comme anéantis, brisés, désespérés... 

Comme elles sont étranges les images qui naissent parfois dans nos esprits! Jésus les a-t-Il vues, ces images de mort, durant son agonie atroce de Gethsémani? A-t-Il contemplé la mort des hommes qu’Il aime et pour qui Il allait mourir dans quelques instants? Est-ce cette vision qui L’a fait crier vers le Père son angoisse infinie? A-t-Il connu, à ce moment-là, le désespoir horrible d’un être face au néant, le désespoir mortel de l’homme qui contemple seul les ténèbres indescriptibles de son existence affrontée au Rien? Le cri de désespoir et de détresse infinie de l’Homme qui découvre qu’il vit, mais dans un univers de Rien, était-ce cela, que Jésus exprimait quand, avant de mourir, Il poussa un grand cri?

Il peut nous arriver de vivre, l’espace d’un instant, cette sensation atroce d’un vertige sans nom, car vertige de néant, vertige de Rien, vertige de mort offerte cependant à un être qui croit vivre... Jésus, a-t-Il connu aussi ce vertige de la solitude totale devant le Rien-néant? Jésus a-t-Il crié parce qu’Il voyait le monstrueux pied destructeur écrasant l’Homme qui faisait ses délices? Le pied écrase tout, l’herbe autour de nous n’est plus qu’une abominable soupe encore verdâtre. Quel désastre!

Mais voici que le pied se soulève, comme pour aller plus loin, car il n’y a plus rien maintenant sur la terre...

Seigneur! Notre monde d’aujourd’hui est comme écrasé par le pied dominateur de Satan à qui rien ne semble résister. Son ombre ténébreuse empêche la lumière de pénétrer les cœurs meurtris et dévastés par le pied plein de haine. Les âmes ne peuvent plus atteindre Dieu, et la charité a disparu. Le désespoir règne, la civilisation est devenue la mort, un désastre de mort. C’est la nuit, c’est la mort, c’est l’angoisse extrême de ceux qui meurent dans la désespérance, dans le néant, dans le Rien.

Un silence angoissant enveloppe l’immobilité totale et atroce de l’absence de vie. Pourtant nous réalisons bientôt que tout n’a pas disparu. Le pied n’a écrasé que ce qui se voyait. Les toutes petites plantes, les toutes minuscules fleurs qui se cachaient au pied des racines de l’herbe, ou dans les petites entailles du sol, ont miraculeusement échappé au massacre: elles étaient si petites, ces plantes, si cachées, si humbles, ces fleurettes, que le pied n’a pas pu les atteindre... Il semble aussi que quelque chose d’autre ait échappé au désastre: ce sont des petits cœurs qui palpitent encore. Ils sont peu nombreux, tout petits, bien meurtris, douloureux mais encore vivants. Leur faiblesse cherche Dieu qu’on avait voulu détruire. Leur cœur cherche l’Amour que l’on avait éteint. Ce n’est qu’un petit reste, un tout petit reste, mais un foyer d’amour brûle toujours en chacun eux. La vie peut renaître: la Croix se redresse, le Sacré-Cœur de Jésus offre toujours son Amour...

Ce petit reste des humbles tout petits était-il aussi dans la coupe de la  consolation, portée par l’ange que le Père envoya à Gethémani, pour consoler la souffrance de son Fils, la souffrance de Dieu?

6-1-La souffrance de Dieu

Peut-on parler de la souffrance de Dieu face à nos manques d’amour? Pour le savoir nous allons de nouveau suivre et contempler le petit Ravi.

Le Ravi, celui de nos crèches de Noël, avait longtemps suivi Jésus. Pendant des années il avait vécu discrètement, tout près de Lui, sans se faire remarquer. Le Ravi avait suivi Jésus tout au long de sa vie privée et pendant toute sa vie publique. Les réactions des apôtres l’avaient parfois étonné, mais Jésus lui faisait comprendre que ces hommes plein de bonne volonté, mais frustes, avaient beaucoup de choses à apprendre et qu’il fallait être patient. Et le Ravi, dut, lui aussi, apprendre la patience...

Aujourd’hui le Ravi revient du Cénacle. Il était près de Jésus pendant qu’Il lavait les pieds de ses disciples: il Le regardait et il pleurait d’émotion car il L’aimait trop. Puis il a assisté à sa dernière pâque juive; comme les apôtres il se réjouissait et priait et chantait avec eux. On ne le remarquait pas, ce n’était pas possible car, tout petit, il s’était placé à un endroit stratégique d’où il pouvait tout voir sans être vu.

Le Ravi revient du Cénacle; il a assisté à la Nouvelle Pâque, à  l’Eucharistie de Jésus. Il a pleuré de joie et d’amour sans bien comprendre ce qui se passait. Mais puisque cela venait de Jésus, ce ne pouvait être que merveilleux. C’est d’ailleurs le rôle d’un Ravi de trouver tout merveilleux... Mais Jésus est parti avec tous ses apôtres et Il avait l’air très sérieux, presque triste. Le Ravi aurait bien voulu Le suivre tout de suite, mais ce n’était pas possible, il fallait qu’il descende de son point d’observation sans se faire remarquer. D’ailleurs, c’était sans importance, il savait où retrouver Jésus, il connaissait ses habitudes...

Le Ravi arrive du Cénacle. Il est maintenant dans le jardin de Olives. C’est bizarre, Jésus n’est pas avec ses disciples: huit d’un côté, trois de l’autre? Il en manque un... C’est bizarre, ils dorment tous! Mais Jésus, où es-Il donc? Il doit certainement prier et rencontrer le Père qu’Il aime tant. Le Ravi se dit alors en lui-même qu’il va aller contempler le Maître qu’il aime: Il est si beau, Jésus, quand Il prie. Il semble lumineux, Jésus, transfiguré, même dans son humanité, quand, Un avec le Père, Il retrouve dans sa prière l’unité de la Trinité. Oui, Il est si beau, Jésus, quand Il rencontre le Père, Il est si beau et si lumineux... Le Ravi est bien content car il trouve tant de joie, tant de bonheur à Le contempler dans sa prière. Le Ravi est bien content car il sera ravi, tellement ravi! Comment ne pas être ravi quand on contemple le Fils de Dieu!

Le Ravi est stupéfait. Comment Jésus peut-Il souffrir autant? Pourtant Il est Dieu, Fils de Dieu. Comment le Fils de Dieu peut-Il connaître une telle douleur? Et pour qui? Pour de malheureux pécheurs, aussi petits et insignifiants que lui, le Ravi. Qu’est-ce donc que l’Amour, que Dieu souffre tant de n’être pas aimé?

Le Ravi ne pense plus: ce n’est pas possible. Il s’absorbe dans une contemplation qui le conduit au vertige. Soudain il voit la grande main de Dieu qui contient toute la création. Il voit un point minuscule: la terre, et sur la terre des milliards de petits êtres qui s’agitent, et le voile gris qui les recouvre. Et Dieu regarde ces petits êtres et les aime, car Il les a destinés à devenir le Corps de son Fils. Mais le Ravi ravi se demande toujours: “Qu’est-ce que l’Homme pour que Dieu l’aime tant, et qu’est-ce que le péché pour qu’il fasse tellement souffrir l’Amour?

6-1-1-L’amour, douleur et joie

Dieu souffre car Il est Amour et l’amour est douleur

La joie de Jésus

“L’amour est toujours douleur, et l’amour ne peut être que douleur.” dit un jour Jésus à Padre Pio. Pourtant l’amour rend heureux, et joyeux... Et Jésus a dû connaître la joie. Il a dû sourire durant sa vie d’homme. Il a certainement été joyeux. Il a dû rire parfois, à Nazareth, et même pendant sa vie publique. Il n’a certainement pas évité les situations cocasses. On dit que les saints sont toujours joyeux; alors Lui, Jésus, le saint entre les saints, devait être joyeux et certainement partager sa joie à ceux qui en avaient besoin.

Oui, c’est incontestable, Jésus a certainement été un homme joyeux comme le sont tous ceux qui sont étroitement unis à Dieu. Or l’union de Jésus au Père était très grande puisque, homme, Il était Dieu aussi, Verbe de Dieu Incarné pour le salut des hommes. Jésus a connu la joie, mais comment imaginer correctement cette joie du Christ, comment la concevoir, cette joie que nous découvrons toujours accompagnée de douleur. La joie qui vient de Dieu est-elle aussi douleur?

Pour découvrir la joie de Dieu, joie douloureuse quand elle se tourne vers les hommes, le mieux est de contempler Jésus durant toute sa vie. Écoutons le petit Ravi nous raconter la plus extraordinaire des histoires:

6-1-2-La joie douloureuse de Jésus. Les souvenirs du Ravi

 Ah! nous dit le petit Ravi, j’ai souvent pensé à la joie de Jésus, et je l’ai contemplé quand Il était heureux. Je L’ai “vu” à Nazareth, heureux entre Marie et Joseph, vivant sa vie de tous les jours, dans la pureté qui rayonnait de ces deux justes.

Oui ils étaient joyeux, eux aussi, même dans les épreuves,  car ils avaient dans leur cœur la joie qui vient de Dieu, la joie pure de ceux qui ne vivent que pour Dieu et avec Dieu. Oui, Il était joyeux, Jésus, à Nazareth, mais d’une joie sérieuse, car dans son Cœur, il y avait toujours l’Amour qui devait nous sauver, et donc le conduire jusqu’à la Croix. Alors, le petit Ravi, comme en extase, évoque ses souvenirs:

— Je L’ai “vu”, Jésus, les jours de sabbat, à la synagogue, quand son Cœur se gonflait de joie en contemplant l’Amour du Père et les merveilles de sa Création. Son Cœur, alors, ne pouvait être que joyeux et infiniment heureux quand Il rejoignait le Cœur de la Trinité, son Cœur uni au Cœur du Père et à l’Esprit. Il était joyeux à la synagogue, Jésus, même si souvent son Cœur souffrait en découvrant les faiblesses humaines...

Je L’ai “vu”, Jésus, sur les routes de Palestine, quand Il accueillait les petits enfants au cœur pur, les petits enfants dont les anges contemplent la face de Dieu. Quelle joie, pour Lui, d’écouter leurs babillages! Oui, quelle joie pour Jésus, même si trop souvent cette joie était assombrie en voyant, à travers ses visions du futur, qu’eux aussi deviendraient pécheurs. Même avec les petits, la joie de Jésus devenait douloureuse.

Je L’ai “vu”, Jésus, redonnant un fils à sa mère, une fille à son Père. Quelle joie pour Lui, notre Seigneur, de redonner l’espoir et la joie à ceux qui souffraient trop! Oui, mais ces joies ne pouvaient que ramener le Rédempteur à sa propre résurrection, donc à sa mort sur la Croix. Joie intensément douloureuse pour Lui, notre Sauveur.

Je L’ai “vu”, Jésus, parcourant les routes de Galilée et de Samarie avec ses apôtres. Comme sa joie était grande quand Il sentait que ses disciples comprenaient ses enseignements et cherchaient à Lui rendre son amour! Quelle joie, pour Lui, mais vite assombrie à la pensée de la trahison de Judas ou du reniement de Pierre.

Je L’ai “vu”, Jésus, le jour des Rameaux. Le peuple venait pour L’acclamer, Le remercier de ses bienfaits... Quelle joie pour Jésus, que la vue de tous ces pauvres de cœur qui venaient rendre grâce à Dieu et à Celui que le Père avait envoyé! Quelle joie pour Jésus, mais joie tellement mêlée de douleur en pensant que ce triomphe était le prélude de la Croix! Dans quelques jours une autre foule et les chefs de son peuple Le condamneraient au supplice le plus infamant.

Je L’ai “vu”, Jésus, le soir du Jeudi Saint. Il venait d’inventer l’Eucharistie. Son Cœur ne pouvait plus contenir sa joie: Il savait maintenant qu’Il resterait avec nous jusqu’à la fin des temps. Quelle joie immense, infinie du Fils de Dieu fait homme, qui allait retrouver le Père!... Mais quelle joie immensément douloureuse qui allait Le conduire, dans quelques minutes, à son Agonie de Gethsémani.

La joie de Jésus, comme l’amour, était aussi douleur. Sa joie était aussi douleur. En achevant ces mots le petit Ravi se prit à sangloter:

— L’agonie de Jésus est devenue comme ma vie quotidienne; je vis en permanence sa souffrance de Gethsémani, sa souffrance qui durera jusqu’à la fin des temps. Je suis devenu un permanent de Gethsémani, je vis avec Lui son agonie qui précéda son Chemin de Croix, l’atroce Agonie du présent du temps de Jésus qui était aussi son éternel présent de Dieu; je vis aussi l’Agonie qui, pour Jésus, en l’an 33 de notre temps était à la fois son Agonie du jour et son agonie du futur, son Agonie de tous les siècles. Et je vis avec Jésus, une parcelle de son Agonie du futur, de son futur à Lui, mais mon présent à moi. Ce n’est qu’une infime parcelle de son Agonie, mais, ajoute le petit Ravi, toujours en pleurant, j’ai souvent l’impression d’être écrasé par le poids de cette parcelle, pourtant insignifiant par rapport au poids terrible que Lui, Jésus, a dû supporter.

Notre Ravi s’absorbe dans ses pensées. De grosses larmes coulent le long de ses joues, et il confie encore, d’une voix à peine audible:

— Je vis quotidiennement l’Agonie de Jésus qui est devenue comme ma propre souffrance. Cette souffrance m’écrase, me submerge, m’anéantit, et pourtant, je ne suis pas un bonnet de nuit; on me dit même, parfois, que je suis joyeux... C’est vrai! Mais comment ces deux contraires peuvent-ils se concilier?

Souvent je regarde Jésus. Je retourne vers Lui à Gethsémani. Je Le contemple suppliant le Père d’éloigner le calice de son Agonie du futur. Mais Il se soumet à la volonté du Père, Il accepte l’intégralité de la coupe de la Rédemption du monde. Je Le contemple, stupéfait... Il dit “oui!” et le Père a pitié... Le Père se cache toujours, mais Il envoie à son Christ la Coupe de la consolation... Et Jésus retrouve toutes ses forces, Il retrouve sa vigueur. Il se lève, réveille ses apôtres endormis, et part, comme joyeux quoique inquiet, vers sa Passion.

Le Ravi contemple Jésus, et soupire: “Je n’y comprends rien: son Cœur a-t-il connu la joie, même à Gethsémani [1]? Jésus, allait-Il à sa mort sur la Croix comme allant à ses noces, les noces de l’Agneau mystique?”

Nous ne sommes pas le Ravi; nous ne comprenons pas l’immensité du nouveau mystère qu’il semble aborder: la Joie de Jésus à Gethsémani... En effet, nous connaissons le désespoir de Jésus, à Gethsémani, et sa deuxième et terrible agonie accompagnée de l’abandon du Père tandis qu’Il mourait sur la Croix. Tout était fini, Il allait mourir, seul; seul avec ce désespoir mortel du silence du Père... Et dans le désespoir, il n’y a plus de joie, c’est impossible, car la joie, c’est le contraire du désespoir puisqu’elle renferme l’espérance. Alors?...

Prière

Jésus, rends-nous de plus en plus purs, de plus en plus humbles et saints, pour ta joie, pour ta gloire, et pour ta consolation à Gethsémani. Fais-nous purs, pour ta joie, ta joie à Gethsémani.

Le Ravi à Gethsémani

Notre Ravi est toujours avec Jésus, tout près de Lui, à Gethsémani. Il regarde Jésus et se tait. Sa souffrance de Ravi est trop grande; le désespoir vers lequel Satan cherche à conduire Jésus l’épouvante. Il s’écrie:

— Maître, pourtant Tu es bien Dieu, le tout Puissant Verbe de Dieu et Créateur, et même le Créateur de Satan!!! Et Satan veut Te détruire??? Et Satan veut détruire ton Œuvre? Pourtant, en Te détruisant, en détruisant Dieu, il se détruit lui-même. Ô Jésus, c’est le vide en moi: j’ai peur.

Le Ravi poursuit sa douloureuse prière:

— J’ai peur, pourtant je reste là, à tes pieds, Jésus. Je pleure avec Toi, j’ai peur avec Toi. J’ai peur d’une peur effrayante, inhumaine comme le vide... mais je reste avec Toi, parce que je T’aime?

Le Ravi est près de Jésus, aux pieds de son Sauveur, de son Amour. Il sanglote fort, mais il a encore le courage de gémir:

— Ô Jésus, ce soir à Gethsémani, c’est le noir dans mon cœur comme c’est le noir pour Toi, car maintenant c’est l’heure des ténèbres, c’est l’heure de Satan... Jésus, je suis là, près de Toi et je T’aime. Jésus, regarde, je ne suis pas seul près de Toi: tous les Permanents de Gethsémani sont là, aussi, avec moi, près de Toi. Tous les Permanents de tous les siècles, de toutes les nations, de toutes les conditions. Tu ne les vois pas, Jésus, car Tu devais être seul ce jour-là, sans consolateur, mais le Père, dans sa pitié, Te les a tous montrés dans la coupe de ta consolation, avec tous les martyrs de tous les temps, avec tous ceux qui iraient témoigner de Toi, dans la joie.

Peu à peu le Ravi se calme, et il peut continuer, comme rasséréné:

— Jésus, pour Toi, maintenant, Gethsémani s’éclaire. Tu sais que Tu as sauvé  tous les hommes que Tu aimes, que l’amour est vainqueur. Le Père se cache, mais malgré les terribles apparences, Il ne T’a pas abandonné. Tu le sais, Jésus, et ta conscience humaine de l’Homme que Tu es le réalise maintenant, et retrouve l’espérance que Satan tenait cachée. Tu redeviens Toi, Jésus, le Christ, le Messie de tous les hommes. Peu à peu ta joie renaît. Ô mon Seigneur, comme ton Amour est un Amour de joie souvent baigné de larmes!

Nous allons laisser notre petit Ravi  à ses souvenirs, pour, à son exemple, contempler Jésus.

6-1-3-Jésus et l’Eucharistie

Voici que nous discernons mieux le lien qui existe entre l’Eucharistie (la Cène) et l’Agonie de Jésus à Gethsémani... Il est environ sept heures du soir, ce jeudi qui deviendra notre Jeudi Saint. Tout est prêt dans la salle du Cénacle pour célébrer la Pâque selon la Tradition juive. L’Agneau sans tache est amené. C’est le chef de famille qui doit l’immoler. C’est donc Jésus qui doit égorger la pauvre petite victime. Curieusement Il semble éprouver une vive répugnance à égorger l’agneau pascal. Il le fait cependant, avec beaucoup de douceur pour que le pauvre petit ne souffre pas trop longtemps... Puis Il le laisse aux apôtres pour qu’ils le préparent et le cuisent au feu.

Prière

Jésus! Que devais-Tu penser, ce soir-là? Tu savais que c’était ton Heure, ta dernière Pâque terrestre. Tu savais que dans quelques heures, c’est Toi qui serais la victime, c’est Toi que l’on immolerait, mais dans les pires tortures, et c’est Toi qui mourrais... dans moins de vingt heures. C’est Toi Jésus qui serais la Grande Victime qui expirerait sur la Croix.

Jésus! Que devais-Tu penser ce soir-là, en immolant l’agneau pascal? Jésus, Tu savais que dans quelques heures, c’est Toi que l’on immolerait... Ton être tout entier, Jésus, frémit à cette pensée. Tu as tout accepté de la volonté du Père, Tu sais que ce sacrifice de Toi-même est nécessaire pour le salut de l’humanité, et Tu dis oui au Père et Tu lui demandes de glorifier son Fils, puisque c’est pour cette heure que Tu es venu. L’Amour entre le Père et Toi est intact, et bientôt Tu le prouveras. Mais pour l’instant, ton humanité frémit. Alors, par un geste d’une solennité inouïe, Tu vas devancer ton offrande au Père, et faire comprendre aux hommes que Tu les aimes toujours. Jésus, ton Agonie commence, et Tu vas inventer l’Eucharistie...

Eucharistie: action de grâce. Jésus sait que la mort L’attend, dans quelques heures. Il connaît les supplices qui Lui sont réservés. Et Il rend grâce au Père! Son offrande devient action de grâce, son Agonie devient don suprême. Il anticipe son immolation, et Il se livre à ses apôtres. Prenant du pain, Il le bénit et le donne aux disciples en disant:

— Prenez, et mangez-en tous. Ceci EST mon Corps livré pour vous.

Puis, prenant la coupe du vin, Il la bénit et la donne aux apôtres en disant:

— Prenez et buvez-en tous, ceci EST mon sang versé pour vous... Mon corps, EST déjà livré, et mon sang  EST déjà versé...

Et Jésus va directement dans le Jardin des Oliviers. Son Agonie effective peut commencer. Entre la Cène de l’Eucharistie et l’Agonie de Gethsémani, il n’y a pas d’interruption. Le bonheur de la Cène, l’action de grâce de l’Eucharistie sont déjà la douleur de l’Agonie.

6-1-4-Nous avons besoin de l’Eucharistie

Seigneur nous avons besoin et faim de Toi

Les Chrétiens vont à la messe au moins tous les dimanches. Certains y vont même en semaine car ils aiment leur Seigneur et ils ne peuvent pas se passer de Dieu. On ne s’habitue jamais quand on aime vraiment... au contraire, la rencontre est toujours nouvelle, toujours pleine de surprises, les surprises de l’Amour... C’est si simple à comprendre! Certes, il faut accepter le quotidien de nos vies avec ses joies, ses peines et ses difficultés, certes il faut prendre le temps de la charité et du service envers son prochain, mais la force, on ne la trouve qu’auprès du Seigneur. C’est cette force seule qui nous fait aimer le Seigneur, qui nous permet de Lui dire notre amour et de lui confier nos peines et tous ceux que nous aimons. 

Tous les saints ont eu faim de Jésus et de ton Eucharistie. Ils avaient faim de sa présence et de son Amour. Nous aussi, nous avons faim de sa tendresse, de sa bonté, de sa gentillesse. Nous avons faim de Jésus et de son Eucharistie, car Il est la force, et nous avons besoin de force pour vivre, et Le donner aux autres, notre prochain qu’Il nous a demandé d’aimer et de servir. Comment aimerions-nous vraiment Jésus, si ce n’était pas Lui qui vivait en nous? Nous avons faim de Jésus, car Il est Vie. Il s’est fait notre nourriture et notre boisson pour entretenir la vie divine en nous... C’est bien à cause de Jésus que nous avons besoin de Lui.

Nous avons faim de Jésus et de son Eucharistie. Même si notre cœur ne brûle pas toujours quand nous venons de communier, -ce qui étonnait toujours le Padre Pio- nous savons que c’est Jésus qui est là, dans notre cœur, nous savons qu’Il désire notre cœur. Il le désire tellement que, si nous Le laissons faire, Il met nos cœurs dans le sien, Il nous greffe dans son Cœur, afin son Sang circule dans nos veines, que son Corps devienne nos corps, car sa chair est notre nourriture. Et ne devons-nous pas manger tous les jours? 

Nous avons faim de Jésus-Christ et de son Eucharistie, car Jésus est la vie, même si nos cœurs ne brûlent pas tous les jours, même s’ils sont affligés. Car c’est alors que nous avons surtout besoin de Lui, de sa force et de son Amour, pour vivre avec Lui l’Agonie de son éternel Amour pour le salut des hommes qu’Il aime toujours, et qu’Il aimera éternellement, dans le Cœur de la très Sainte Trinité. Alors notre cœur pourra éclater de joie, éclater de bonheur, même si nous sommes broyés par la souffrance, la souffrance qui, depuis sa Passion, est devenue une composante de notre Rédemption.


[1] Le Père Peytieu, directeur spirituel de Benoîte, la Bergère voyante du Laus, qui connut une longue intimité avec la Sainte Vierge, mourut en 1689 en disant: “Je m’en va à l’agonie, comme un espoux à la nopce.”
 

   

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