Sainte Bertille,
issue d'une illustre famille du Soissonnais, vint au monde sous le
règne de Dagobert Ier, et sa piété lui
procura la vraie noblesse des enfants de Dieu. On la vit dès son
enfance préférer l'amour des biens célestes à
celui des créatures.
Elle fuyait, autant qu'il lui était possible,
les vains amusements du monde, pour ne s'occuper que d'objets
sérieux, et surtout de la prière. Lee douceurs qu'elle goûtait de
plus en plus en conversant avec Dieu, lui inspirèrent le dessein de
renoncer entièrement au siècle. Comme elle n'osait s'en ouvrir à ses
parents, elle consulta saint Ouen, qui crut devoir la confirmer dans
sa pieuse résolution. Ils convinrent cependant l'un et l'autre,
qu'ils prieraient quelque temps le Père des lumières, afin qu'il
daignât manifester plus particulièrement sa volonté. Le Saint prit
cette précaution, parce qu'il savait que rien n'est plus important
que le choix d'un état de vie ; qu'il est dangereux de ne pas
marcher dans la voie assignée à chaque homme par la Providence ; que
l'amour-propre, par ses artifices, ne nous déguise que trop souvent
les motifs qui nous font agir, et qu'il n'est pas rare que le démon
se transforme en ange de lumière pour nous tromper plus sûrement.
Bertille s'étant
assurée que sa vocation venait du Ciel, ne balança plus à découvrir
à ses parents ce qui se passait dans son âme. Ceux-ci, touchés des
dispositions de leur fille, lui permirent de suivre les mouvements
de la grâce. Us la conduisirent au monastère de Jouarre en Brie,
qu'avait fondé depuis peu le B. Adon, frère aîné de saint Ouen, et
dans lequel il prit l'habit avec plusieurs jeunes gens de qualité.
Sainte Telchilde,
qu'on croit avoir été professe de Faremoutiers, gouvernait alors
cette maison, dont elle était la première abbesse. Elle reçut
Bertille avec empressement, et l'instruisit dans les voies de la
perfection religieuse. La jeune novice, qui regardait la solitude
comme un port assuré, remerciait sans cesse le Seigneur de ce que,
par sa miséricorde, il l'avait soustraite aux tempêtes de la mer
orageuse du monde. Mais elle pensa qu'elle ne mériterait de devenir
l'épouse de Jésus-Christ, qu'autant qu'elle s'efforcerait de le
suivre dans la route pénible des humiliations et des renoncements
qu'il avait tracés. Elle se mit donc au-dessous de toutes les sœurs,
ne se jugeant pas digne de vivre parmi elles. La prudence et la
vertu prévenant en elle le nombre des années, on lui confia
successivement le soin de recevoir les étrangers, de pourvoir au
soulagement des malades, et de veiller sur la conduite des enfants
qu'on élevait dans le monastère. Elle s'acquitta si parfaitement de
ces emplois, qu'on l'élut prieure, pour aider l'abbesse dans le
gouvernement des religieuses. Cette place fit briller sa ferveur
d'un nouvel éclat. Son exemple animait toutes les sœurs ; et elles
auraient rougi de ne pas pratiquer toutes les observances que
pratiquait leur prieure avec tant de fidélité.
Sainte Bathilde,
femme du Roi Clovis II, ayant fait reconstruire l'abbaye de Chelles,
au diocèse de Paris, laquelle avait été fondée par sainte Clotilde,
pria l'abbesse de Jouarre de lui envoyer quelques-unes de ses
religieuses qui fussent en étal, par leurs vertus et leur
expérience, d'établir la régularité dans la nouvelle communauté.
Bertille fut mise à la tète de la pieuse colonie, et désignée pour
être première abbesse de Chelles, vers l'an 646.
Sa réputation se répandit bientôt au loin. Elle compta parmi ses
religieuses plusieurs princesses étrangères. De ce nombre fut
Héreswith, Reine des Est-Angles. Elle était fille de Héréric, frère
ou beau-frère de saint Edwin, Roi des Northumbres. Elle épousa le
pieux Roi Anna, qui consentit qu'elle se séparât de lui pour
renoncer au monde. Elle passa en France en 646, et mourut saintement
à Chelles, où elle avait pris le voile. Sa fête est marquée au 20
Septembre dans le martyrologe anglais de Wilson.
Sainte Bathilde,
devenue veuve en 655, gouverna le royaume en qualité de régente ;
mais à la majorité de Clotaire III, son fils, c'est-à-dire, en 665,
elle se retira à Chelles, où elle prit l'habit. Elle vécut sous la
conduite de sainte Bertille jusqu'en 680, que le Seigneur récompensa
ses vertus par une heureuse mort.
Quelque nombreuse
que fût la communauté de Chelles, et quelque qualifiées que fussent
la plupart des religieuses qui la composaient, la paix n'y était
jamais troublée. Toutes s'efforçaient, par une sainte émulation, de
se surpasser les unes les autres en humilité, en douceur, en
mortification, en charité. Bertille, qui voyait parmi ses filles
deux grandes Reines, ne cherchait à se distinguer que par son amour
pour la perfection. Elle montrait par son exemple, qu'on ne sait
bien commander que quand on a appris à obéir. Cette heureuse
disposition la préservait de l'orgueil et des vices qui en sont la
suite ordinaire. Elle gouverna quarante-six ans, toujours avec la
même vigueur et la même prudence. Les infirmités de la vieillesse,
loin de diminuer sa ferveur, ne firent que l'augmenter. Elle mourut
en 692. Une personne qui a renoncé véritablement au monde, en voit
passer la figure devant ses yeux ; elle méprise la frivolité
de ses occupations ; elle frissonne à la vue des scènes tragiques
qu'il offre si souvent ; elle redoute ses pièges ; elle
dédaigne ses promesses flatteuses ; elle se défie de l'amorce de ses
plaisirs qui conduisent tant d'âmes à une perte éternelle. Semblable
à un homme qui est tranquille dans le port, elle contemple la fureur
de cette mer orageuse, au milieu de laquelle les malheureux
Egyptiens périssent après avoir lutté quelque temps contre les
vagues qui les engloutissent. Il n'y a de sauvés du naufrage que
ceux dont l'âme prend l'essor, et n'est point retenue par des
affections terrestres et désordonnées.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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