Saint Amat,
vulgairement appelé saint Amé, sortait d'une famille où les
richesses se trouvaient réunies à la piété. Aussi puisa-t-il dès le
berceau l'amour de la vertu dans les exemples et les instructions de
ceux dont il avait reçu le jour. La vivacité de son esprit et la
solidité de son jugement, lui firent faire de rapides progrès dans
ses études. Il suivit, par rapport aux sciences profanes, la maxime
de saint Jérôme, qu'il ne faut point apprendre ce que l'on ne peut
savoir sans danger. Il ne négligea point, à l'exemple de ceux de son
âge, la plus précieuse comme la plus utile de toutes les
connaissances, celle de Dieu et de soi-même. Il s'exerçait aussi
avec ardeur dans la pratique de l'humilité et de la divine charité.
Ses parents de leur côté travaillèrent à le prémunir contre les
vices si ordinaires à la jeunesse. Ils éloignaient de lui tout ce
qui eût été capable de lui inspirer l'amour du monde, ou de souiller
la pureté de son âme. Ils l'excitaient non-seulement à la
persévérance, mais encore à la perfection, persuadés que la moindre
infidélité à la grâce, peut avoir les suites les plus funestes.
Amé, formé
d'après ces principes, fut de bonne heure un chrétien parfait.
Lorsqu'il fut en âge de prendre un état
de vie, il pria Dieu avec ferveur de lui faire connaître sa volonté.
Se croyant appelé d'une manière spéciale à la sainteté, il entra
dans le clergé, du consentement et de l'avis de ceux que la prudence
et le devoir l'obligeaient d'écouter. La prière, l'étude de la
religion, et la pratique de la charité devinrent son unique
occupation. Il s'estimait heureux de se voir affranchi de tous les
assujettissements du monde, qui, quoique compatibles avec la piété
lorsqu'on les rapporte à Dieu, sont cependant toujours dangereux, et
absorbent une partie considérable d'un temps que nous devrions
employer tout entier pour l'éternité. On ne le trouvait donc jamais
dans ces assemblées profanes où il est si facile de perdre l'esprit
ecclésiastique et dans lesquelles le monde lui-même croit les
ministres de Jésus-Christ déplacés. Il vivait dans la retraite la
plus exacte, et s'y préparait à l'exercice des fondions sublimes
auxquelles il était destiné. Animé du désir d'une plus haute
perfection, il se retira dans le monastère d'Agaune, que l'amour des
saintes lettres et de la régularité avait rendu célèbre. Il obtint
de son abbé la permission de demeurer dans une petite cellule
taillée dans le roc, auprès de laquelle il y avait un oratoire, et
que l'on appelle aujourd'hui Notre-Dame du Roc. Quelque temps
après, on le tira de sa solitude pour l'employer au service de
l'église, et on le plaça vers l'an 669, sur le siège épiscopal de
Sion, en Valais. Cette dignité,
en faisant briller sa vertu d'un nouvel éclat, lui donnait en même
temps plus d'autorité. Il répandait dans le sein des pauvres des
aumônes abondantes ; il instruisait avec une ardeur infatigable ; il
proportionnait aux circonstances les secours spirituels et temporels
; en un mot, il remplissait avec la plus parfaite exactitude tous
les devoirs d'un pasteur accompli. Il y avait cinq ans qu'il
gouvernait son diocèse en paix, lorsqu'il plut à Dieu de l'éprouver
par des tribulations.
Thierri III, fils
de Clovis II, qui réunit en sa personne toute la monarchie
française, fut pendant plusieurs années livré au vice, et maîtrisé
par des ministres corrompus. Il est le premier de nos Rois qui aient
gouverné par les maires du palais, et auxquels on donne le titre de
fainéants, Ebroïn, qui exerçait cet emploi, était un des plus
méchants hommes qui aient jamais été chargés de l'administration du
royaume de France. Il suffit, pour se former une idée de lui, de se
rappeler qu'il fut le meurtrier de saint Léger ; qu'il persécuta et
fit condamner à l'exil un grand nombre de Saints et d'évêques
recommandables par leur vertu. Les ennemis de saint Amé profitèrent
des dispositions d'un tel Roi et d'un tel ministre pour le perdre ;
ils l'accusèrent de divers crimes dont il était innocent. Thierri,
sans examiner si l'accusation était fondée, et sans permettre à
l'évêque de Sion de se justifier, l'exila dans le monastère de
Saint-Fursy à Péronne. Saint Ultan, qui en était abbé, traita le
Saint avec beaucoup de vénération. Amé souffrit avec joie cette
disgrâce ; il la regarda comme un moyen que Dieu lui
fournissait de goûter les douceurs de la retraite, et de suivre son
attrait pour les austérités de la pénitence. Jamais il ne fit
entendre de plaintes, quoiqu'on eût violé à son égard toutes les
lois de la justice. Une seule chose l'affligeait, c'était de voir
son troupeau livré à un intrus, qui cachait la méchanceté d'un loup
sous l'habit d'un pasteur.
Après la mort de
saint Ultan, saint Mauront fut chargé du soin de garder l'évêque de
Sion. L'ayant pris quelque temps avec lui dans le monastère de
Hamaye, il le conduisit ensuite à celui de Breuil ou de Merville,
qu'il venait de fonder. Il se félicitait tous les jours de posséder
le serviteur de Dieu, et il se démit en sa faveur du gouvernement de
son abbaye. Saint Amé, encore plus par ses exemples que par ses
discours, portait ses moines à la perfection. Lorsqu'il vit la
régularité parfaitement établie, il s'enferma dans une petite
cellule attenante à l'église, où il mourut vers l'an 690.
Ebroïn, ce cruel
persécuteur de tant de Saints, subit dès cette vie la peine due à
ses crimes ; il fut massacré en 679. Le Roi Thierri mourut en 691 ;
mais il était rentré en lui-même depuis quelques années. Il se
reprocha jusqu'à sa mort l'injuste traitement qu'il avait fait
souffrir à S- Amé ; et ce fut dans l'intention d'expier ce crime,
qu'il fit plusieurs donations à l'abbaye de Breuil. Cette maison,
suivant Gramaye, n'était qu'une communauté de prêtres séculiers.
Mais il est certain que cet auteur se trompe, puisqu'en creusant la
terre, on y a trouvé des corps anciennement enterrés avec des habits
de moine.
Durant les
incursions des Normands, les moines de Breuil emportèrent avec eux
les reliques de saint Aîné, et se retirèrent d'abord à Soissons,
puis à Douai. Cette translation se fit le premier Mai 870, par le
ministère d'Eruannic, abbé de Breuil, et de saint Bain, cinquième
évêque de Térouenne. Les moines obtinrent la permission de se fixer
à Douai. Le monastère qu'ils y établirent fut sécularisé et changé
en collégiale en 940. Il y a eu longtemps un prieuré et une chapelle
à Breuil, dans l'endroit où saint Mauront avait reçu saint Amé, et
où ils avaient mené ensemble la vie anachorétique. La terre de
Breuil appartient encore aujourd'hui à l'église de saint Amé
de Douai. En 1485, on transféra de Marchiennes, dans cette église
les reliques de saint Mauront.
On trouve dans le
martyrologe romain, sous le même jour, un autre saint Amé
vulgairement appelé saint Amet. Il sortait d'une famille
distinguée, établie dans le territoire de Grenoble. Il se retira,
étant encore fort jeune, dans le monastère d'Agaune, dont il fut
l'exemple par la pratique des plus sublimes vertus. Il alla depuis à
Luxeuil avec saint Romaric. On l'en tira en 620, pour le faire abbé
de Remiremont, dignité qu'il n'accepta que par obéissance. Sa
fidélité à la grâce, et son zèle pour la perfection avaient quelque
chose d'admirable. L'uniformité de la vie religieuse ne devenait
point pour lui un principe de relâchement; sa ferveur au contraire
croissait de jour en jour, ce qui donnait un nouveau degré de mérite
à tous ses exercices. Il alla jouir de l'éternité bienheureuse vers
l'an 627. On garde ses reliques à Remiremont, dans le diocèse de
Toul. |