LIVRE VI
De même que Notre-Seigneur
Jésus-Christ est le vrai Fils de Dieu, non par grâce, comme les hommes, mais en
tant que Fils né de la substance du Père, ainsi c'est sa vraie chair que nous
recevons, comme il l'a dit, et c'est son vrai sang qui est un breuvage.
Cependant tu pourrais peut-être dire (ce que dirent en ce temps-là les disciples
du Christ qui l'entendaient dire : Quiconque ne mange pas ma chair et ne boit
pas mon sang ne restera pas en moi et n'aura pas la vie éternelle), tu pourrais
peut-être dire : « Comment est-ce sa vraie chair ? Je vois certes l'image du
sang, je n'en vois pas la réalité. »
En tout premier lieu je t'ai dit, à
propos de la parole du Christ qui agit, comment elle peut changer et transformer
les lois générales de la nature. De plus, quand les disciples ne supportèrent
pas les paroles du Christ, l'entendant dire qu'il leur donnerait sa chair à
manger et son sang à boire, ils se retiraient. Seul pourtant Pierre dit : « Tu
as les paroles de la vie éternelle, comment te quitterais-je ?» De peur donc
qu'un plus grand nombre ne tienne le même langage, sous prétexte d'une certaine
répugnance du sang qui coule, mais pour garder la grâce de la rédemption, tu
reçois le sacrement symboliquement, mais tu reçois la grâce et la vertu de ce
qu'il est réellement.
« Je suis, dit-il, le pain vivant
qui suis descendu du ciel.» Cependant la chair n'est pas descendue du ciel,
c'est-à-dire qu'il a pris chair d'une vierge sur terre. Comment donc le pain
est-il descendu du ciel, et le pain vivant ? Parce que Notre-Seigneur
Jésus-Christ a part à la fois à la divinité et au corps et que toi, qui reçois
son corps, tu participes à sa nature divine par cet aliment.
Tu as donc pris part aux
sacrements, tu as une pleine connaissance de tout, puisque tu as été baptisé au
nom de la Trinité. En tout ce que nous avons fait, on a respecté le mystère de
la Trinité. Partout se sont trouvés le Père, le Fils et le Saint-Esprit, une
seule opération, une seule action sanctificatrice, bien qu'il y ait,
semble-t-il, quelques traits distinctifs. Comment ? C'est Dieu qui t'a oint et
le Seigneur qui t'a marqué d'un signe et a mis l'Esprit-Saint dans ton cœur. Tu
as donc reçu l'Esprit-Saint dans ton cœur. Voici un autre point : de même que
l'Esprit-Saint est dans ton cœur, ainsi le Christ est aussi dans ton cœur.
Comment ? Tu trouves cela dans le Cantique des cantiques. Le Christ dit à
l'Église : « Place-moi comme un signe dans ton cœur, comme un signe dans tes
bras. »
Dieu t'a donc oint, le Christ t'a
marqué d'un signe. Comment ? Tu as été marqué du signe de sa croix, du signe de
sa passion. Tu as reçu ce signe pour lui ressembler, afin que tu ressuscites à
son image, que tu vives à l'exemple de celui-là même qui a été crucifié au péché
et vit pour Dieu. Et le vieil homme que tu étais, noyé dans la fontaine, a été
crucifié au péché, mais il est ressuscité pour Dieu.
Tu trouves ensuite ailleurs ceci de
particulier : c'est Dieu qui t'a appelé, tandis qu'au baptême c'est avec le
Christ que tu as été crucifié d'une manière spéciale, et ensuite, quand tu
reçois d'une manière spéciale le signe spirituel, tu vois qu'il y a distinction
de personnes, mais que tout le mystère de la Trinité s'y enchaîne.
Que t'a dit ensuite l'apôtre, comme
on l'a lu avant-hier ? « Il y a diversité de grâces, mais c'est le même Esprit ;
il y a diversité de services, mais c'est le même Seigneur ; il y a diversité
d'opérations, mais c'est le même Dieu qui opère tout en tous. » C'est Dieu,
dit-il, qui opère tout. Mais on a lu aussi à propos de l'Esprit de Dieu : «
C'est un seul et même Esprit qui donne en partage à chacun comme il le veut. »
Écoute l'Écriture qui dit que l'Esprit donne en partage volontairement et non
par obéissance. L'Esprit vous a donc donné la grâce en partage comme il le veut,
non comme il en a reçu l'ordre. Et surtout l'Esprit de Dieu est l'Esprit du
Christ. Retenez ceci : il est l'Esprit-Saint, il est l'Esprit de Dieu, il est
l'Esprit du Christ, il est l'Esprit Paraclet. Les ariens croient rabaisser
l'Esprit-Saint en l'appelant Esprit Paraclet. Qu'est en fait le Paraclet, sinon
le consolateur ? Comme si on n'avait pas lu aussi du Père qu'il est le Dieu de
consolation ? Tu vois qu'ils veulent rabaisser l'Esprit-Saint par ce qui sert à
proclamer, avec un sentiment de tendresse, la puissance du Père éternel.
Écoutez maintenant comment nous
devons prier. La prière a beaucoup de qualités. Il n'est pas sans importance de
savoir où tu dois prier, et ce n'est pas une question sans importance. L'apôtre
dit : « Je veux que les hommes prient en tout lieu en élevant des mains pures,
sans colère et sans querelle. » Et le Seigneur dit dans l'évangile : « Toi,
quand tu pries, entre dans ta chambre et, porte close, prie ton Père. » Ne te
semble-t-il pas qu'il y ait contradiction ? L'apôtre dit : « Prie en tout lieu,
» tandis que le Seigneur dit : « Prie à l'intérieur de ta chambre. » Mais il n'y
a pas de contradiction. Achevons d'abord cela, puis de quelle manière tu dois
commencer, la prière, en quel ordre la diviser, ce que tu dois exposer, ce que
tu dois alléguer, comment conclure la prière, et ensuite pour qui tu dois prier.
Instruisons-nous de tout cela. En premier lieu, où dois-tu prier ? Paul,
semble-t-il, dit une chose, le Seigneur une autre. Est-ce que Paul a pu donner
un enseignement contraire aux préceptes du Christ ? Non, certes. Pour quelle
raison ? Parce qu'il n'est pas l'adversaire, mais l'interprète du Christ : «
Soyez mes imitateurs, dit-il, comme je suis celui du Christ. » Quoi donc ? Tu
peux prier partout et prier toujours dans ta chambre. Tu as ta chambre partout.
Même si tu es placé parmi les païens, parmi les Juifs, tu as partout ton secret.
Ta chambre, c'est ton esprit. Même si tu es placé au milieu du peuple, tu as
cependant dans l'homme intérieur ta chambre close et secrète.»
« Toi, quand tu pries, entre dans
ta chambre. » Il a raison de dire : « Entre », de peur que tu ne pries comme les
Juifs, à qui il est dit : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est
loin de moi ». Que ta prière ne sorte donc pas seulement de tes lèvres. Mets-y
toute ton attention, entre dans la retraite de ton cœur, pénètres-y tout entier.
Que celui à qui tu désires plaire ne te trouve pas négligent. Qu'il voie que tu
pries de tout ton cœur, pour qu'il daigne t'écouter quand tu pries de tout ton
cœur. « Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre. » Tu trouves cela encore
ailleurs : « Va, mon peuple, et entre dans la retraite, ferme la porte,
cache-toi un peu, jusqu'à ce que passe la colère du Seigneur. » C'est ce qu'a
dit le Seigneur par le prophète. Mais dans l'évangile, il a dit : « Toi, quand
tu pries, entre dans ta chambre, et, porte close, prie ton Père. »
Qu'est-ce que « porte close ? »
Apprends que tu as une porte que tu dois fermer quand tu pries. Plût à Dieu que
les femmes le comprissent ! Tu l'as appris déjà, le saint David te l'a enseigné
en disant : « Place Seigneur, une garde à ma bouche et une porte pour fermer mes
lèvres. » Il y a ailleurs une porte dont parle l'apôtre Paul quand il dit : «
Afin que s'ouvre pour moi la porte de la parole, pour parler des mystères du
Christ . C'est-à-dire, quand tu pries, n'élève pas la voix en criant,
n'éparpille pas ta prière, et ne pose pas dans la foule. Prie secrètement en
toi-même, sûr que celui qui voit et entend tout peut t'entendre en secret, et
prie ton Père en cachette Car celui qui voit ce qui est caché entend ta prière.
Cependant recherchons à quoi cela sert, pour quelle raison nous devons prier en
secret, plutôt qu'en élevant la voix. Écoute, prenons exemple de l'habitude des
hommes. Si tu sollicites quelqu'un qui a l'oreille prompte, tu ne crois pas
nécessaire de crier tu le sollicites doucement, d'un ton modéré. Si tu
sollicites un sourd, est-ce que tu ne commences pas à élever la voix pour qu'il
puisse t'entendre ? Celui donc qui crie, croit que Dieu ne peut entendre que
s'il crie, et en le sollicitant, il rabaisse sa puissance. Celui qui au
contraire, prie en silence fait preuve de foi et reconnaît que Dieu scrute les
reins et les cœurs et qu'il entend ta prière avant qu'elle ne sorte de ta
bouche.
Examinons donc : « Je veux que les
hommes prient en tout lieu. » Pour quelle raison a-t-il parlé des hommes ?
Évidemment la prière est commune aux femmes et aux hommes. Je ne trouve rien,
sinon que peut-être le saint apôtre a parlé des hommes de peur que les femmes
n'en fassent usage, en comprenant mal « en tout lieu », et ne se mettent à crier
partout, alors que nous ne pouvons les supporter à l'église.
« Je veux que les hommes »,
c'est-à-dire ceux qui sont capables de garder ce précepte, « prient en tout
lieu, en élevant des mains pures. » Que signifie « en élevant des mains pures »
? Est-ce que tu dois, pendant ta prière, montrer aux païens la croix du Seigneur
? C'est sans doute un signe qui doit produire le courage et non la honte. Il y a
pourtant moyen que tu pries sans faire de gestes, mais en élevant tes actes. Si
tu veux faire ce que tu as à faire, tu élèves des mains pures par l'innocence.
Tu ne les élèves pas tous les jours : tu les a élevées une fois, il n'est pas
nécessaire que tu les élèves de nouveau. « Je veux que les hommes prient en tout
lieu en élevant des mains pures, sans colère et sans querelle. » Rien de plus
vrai. « La colère, dit-on, perd même les sages. » Aussi en toute circonstance,
autant que cela se peut faire, le chrétien doit-il modérer sa colère, et surtout
quand il se dispose à prier, de peur que l'indignation ne trouble ton âme, de
peur que l'emportement de la colère n'empêche ta prière. Dispose-toi plutôt à
prier quand ton cœur est apaisé. Pourquoi t'irriter ? Ton serviteur a commis une
faute ? Tu te disposes à prier pour que tes propres manquements soient
pardonnés, et tu t'indignes contre un autre ! C'est donc cela « sans colère ».
Voyons maintenant ce qui regarde les querelles. La plupart du temps, c'est en
homme d'affaire qu'on va prier : l'avare pense à son argent, un autre à son
profit, un autre aux honneurs, un autre à sa passion, et chacun pense que Dieu
peut l'exaucer. Aussi, quand tu pries, convient-il que tu fasses passer les
choses de Dieu avant les affaires humaines. « Je veux, dit-il, que les femmes
prient de même, sans se pavaner avec leurs atours et leurs bijoux. » C'est ce
que dit l'apôtre Paul. Mais l'apôtre Pierre lui aussi : « La grâce de la femme,
dit-il, a beaucoup d'importance, pour que la bonne conduite de la femme fasse
changer les sentiments de son mari et que l'incroyant se soumette à la grâce du
Christ. » Voilà l'influence du sérieux, de la pureté et de la bonne conduite
d'une femme : elle appelle son mari à la foi et à la ferveur, effet produit
souvent par la parole d'un homme prudent. « Ainsi, dit-il, que la femme ne mette
pas sa fierté dans sa coiffure, ni dans ses boucles, mais dans la prière qui
sort d'un cœur pur, où se trouve l'homme caché de son cœur qui est toujours
riche auprès de Dieu. » Tu as donc de quoi être riche. Tes richesses dans le
Christ sont la pudeur et la chasteté, tes parures la foi, la ferveur et la
miséricorde. Ce sont les trésors de la justice, comme l'a rappelé le prophète.
Ensuite, par où dois-tu commencer ?
Dis-moi, si tu veux solliciter quelqu'un et que tu commences ainsi : « Donne-moi
ceci, voici ce que je te demande, » est-ce que ta prière ne paraît pas arrogante
? Aussi la prière doit-elle commencer par la louange de Dieu, en sorte que tu
pries le Dieu tout-puissant à qui tout est possible, qui a la volonté
d'accorder. Puis vient la supplication, comme l'a enseigné l'apôtre quand il a
dit : « Je vous prie qu'on fasse tout d'abord des prières, des supplications,
des demandes, des actions de grâces. » La première partie de la prière doit donc
contenir la louange de Dieu, la seconde la supplication, la troisième la
demande, la quatrième l'action de grâces. Tu ne dois pas commencer comme un
affamé qui parle de nourriture pour en avoir, mais tout d'abord par les louanges
de Dieu.
Voilà pourquoi ces orateurs habiles
ont cette méthode pour se rendre le juge favorable : ils commencent par ses
louanges, pour en faire un arbitre bienveillant. Puis peu à peu on se met à
prier le juge qu'il daigne écouter avec patience. On ose en troisième lieu
exprimer l'objet de sa demande, énoncer sa prière. Quatrièmement, de même qu'on
a commencé par les louanges de Dieu, il faut finir par les louanges de Dieu. Tu
trouves cela dans l'oraison dominicale : « Notre Père, qui es aux cieux. » C'est
une louange de Dieu qu'il soit proclamé Père ; il y a en lui la gloire de
l'amour paternel. C'est une louange qu'il habite aux cieux, non sur la terre. «
Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié. » C'est-à-dire, qu'il
sanctifie ses serviteurs. Car son nom est sanctifié en nous quand les hommes
sont proclamés chrétiens. « Que ton nom soit sanctifié » est donc l'expression
d'un souhait. « Que ton règne arrive. » C'est la demande : que le règne du
Christ soit en nous. Si Dieu règne en nous, l'ennemi ne peut y avoir place. La
faute ne règne pas, le péché ne règne pas, mais la vertu règne, la pudeur règne,
la ferveur règne. Ensuite : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au
ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » Cette demande est la plus
grande de celles qu'on fait. « Et remets-nous nos dettes, dit-il, comme nous les
remettons à nos débiteurs. » Reçois chaque jour, afin de demander chaque jour
pardon pour ta dette. « Et ne nous laisse pas induire en tentation, mais
délivre-nous du mal. » Qu'est-ce qui vient ensuite ? Écoute ce que dit le prêtre
: « Par notre Seigneur Jésus-Christ, en qui tu possèdes, avec qui tu possèdes
honneur, louange, gloire, majesté, puissance avec l'Esprit-Saint, depuis
toujours, maintenant et à jamais et dans tous les siècles des siècles. Amen. »
Autre point. Bien qu'il n'y ait qu'un livre des Psaumes de David, qui a toutes
les qualités de la prière que nous avons dites plus haut, cependant la plupart
du temps toutes ces parties de la prière se trouvent en un seul psaume, comme
nous le trouvons dans le Psaume. En effet il commence ainsi : « Seigneur, notre
Maître, que ton nom est admirable sur toute la terre. » C'est la première
partie, la prière. Puis, la supplication : « Je verrai les cieux, œuvres de tes
doigts. » C'est-à-dire, je verrai les cieux, la lune et les étoiles que tu as
fixées. Il ne dit pas : « Je verrai le ciel, » mais : « Je verrai les cieux, »
où la grâce commence à blanchir sous la splendeur céleste. Ces cieux, le
prophète se promettait qu'ils seraient donnés à ceux qui mériteraient du
Seigneur la grâce céleste. « La lune et les étoiles que tu as fixées. » La lune,
c'est l'Église, les étoiles, les âmes qui brillent de la lumière de la grâce
céleste. Vois ensuite sa demande : « Qu'est l'homme que tu te souviennes de lui
ou le fils de l'homme que tu le visites ? Tu l'as mis un peu au-dessous des
anges, tu l'as couronné de gloire et d'honneur, et tu l'as établi sur les œuvres
de tes mains. » Et une autre action de grâces : « Tu as tout mis sous ses pieds,
les brebis et tous les bœufs et, de plus, toutes les bêtes des champs. »
Nous vous avons enseigné, pour
autant que nous le comprenons, ce que nous n'avons peut-être pas appris et nous
l'avons exposé comme nous l'avons pu. Que Votre Sainteté, instruite par les
enseignements sacerdotaux, s'efforce de retenir ce qu'elle a reçu, afin que
votre prière soit agréée de Dieu, que votre offrande soit comme une hostie pure
et qu'il reconnaisse toujours en vous son signe, pour que vous puissiez, vous
aussi, parvenir à la grâce et à la récompense des vertus, par Notre-Seigneur
Jésus-Christ, qui possède gloire, honneur, louange, éternité, depuis toujours,
maintenant et à jamais et dans tous les siècles des siècles. Amen.
SOURCE : http://jesusmarie.free.fr |