La
famille dont sortait
Alexandre Sauli
était une des plus illustres de la Lombardie. Elle a produit
plusieurs grands hommes, entre autres des évêques et des cardinaux
qui se sont distingués par leurs talents et leur piété; on en voit
encore les armes sur des hôpitaux et des églises magnifiques.
Alexandre
naquit à Milan
le 15 février 1534, l'année même que fut fondée la
congrégation des clercs réguliers, dits Barnabites. Il parut,
dès son enfance, prévenu des plus abondantes bénédictions du ciel.
Ses parents lui donnèrent des maîtres habiles, sous la conduite
desquels il fit de rapides progrès. Il étudia surtout la science des
Saints à l'école de l'esprit de Dieu, dont il écoutait les leçons
avec une grande docilité.
Il
se sentit de bonne heure pénétré d'une grande horreur pour les
divertissements profanes du siècle. Un jour que le peuple était
assemblé autour d'une troupe de comédiens, il s'avança un crucifix à
la main, et fit un discours si pathétique, que les comédiens prirent
la fuite. Le peuple entra dans les sentiments d'une vive
componction, et se retira les larmes aux yeux.
Quelque temps après, il se consacra sans réserve au service de Dieu
dans la congrégation des Barnabites. Il endurcit son corps à la
fatigue par les travaux et les veilles, se livrant avec zèle au
ministère de la parole et de la réconciliation. Il avait un talent
singulier pour toucher et convertir les pécheurs. Il continua
d'exercer les mêmes fonctions, même lorsqu'il eut été chargé
d'enseigner la philosophie et la théologie dans l'université de
Pavie. On vit des communautés entières se mettre sous sa conduite,
afin d'apprendre de lui les moyens de parvenir à la perfection de
leur état. Ayant été invité à prêcher dans la cathédrale de Milan,
ses sermons produisirent des fruits merveilleux. Saint Charles
Borromée félicita l'Eglise d'avoir un pareil ministre, et versa des
larmes de joie à la vue des succès de son zèle apostolique.
Alexandre
n'avait encore que trente-deux ans lorsqu'il fut élu
supérieur général de son ordre. Il remplit cette place avec une
capacité qui donna un nouvel éclat à sa congrégation : mais Dieu ne
l'avait pas destiné à vivre renfermé dans la retraite ; l'île de
Corse était le théâtre où devaient briller ses éminentes vertus.
Cette
île avait été anciennement convertie à la foi par des missionnaires
venus de Rome. L'église d'Aléria paraît être une des plus anciennes
de celles qui y furent fondées. On connaît principalement un de ses
évêques, nommé Pierre. Il vivait du temps de saint
Grégoire-le-Grand, qui lui écrivit des lettres. Mais cette église
était depuis longtemps réduite dans l'état le plus déplorable ; il
n'y avait plus de piété ni de discipline quand
Alexandre
Sauli
en fut nommé évêque, en 1571, par le saint Pape
Pie V.
Le
nouvel évêque ayant été sacré par saint Charles Borromée, partit
sans délai avec trois prêtres de son ordre. La situation
attendrissante de son illustre père, qui touchait au dernier moment
de sa vie, ne fut point capable de le retenir ; il n'entendait que
les gémissements de son église désolée. Il ne fut point non plus
arrêté par la vue de l'esclavage qu'il avait à craindre de la part
des corsaires mahométans, qui infestaient toutes les côtes de l'Ile
de Corse; il s'embarqua plein de confiance en Dieu, et la navigation
fut heureuse. Il ressentit une vive douleur en voyant que Dieu était
partout méconnu. Aléria n'était plus que le titre d'une église. A
peine y avait-il dans toute l'étendue du diocèse un lieu où l'on pût
faire décemment l'office divin. Les bourgades, à l'exception de
trois ou quatre, étaient inhabitées. Les peuples étaient dispersés
dans les bois et sur les montagnes. Plongés dans une grossière
ignorance, ils ne savaient pas les premiers éléments de la religion.
Le clergé n'avait pas moins besoin d'être instruit que le peuple.
Le
saint évêque, sans église et même sans maison, fixa d'abord sa
demeure à Talone. C'était une espèce de bourgade située à quatre
lieues des ruines d'Aléria. Il y tint un synode sur le modèle de
ceux qui se tenaient à Milan sous saint Charles Borromée, et y fit
de sages règlements pour commencer à remédier aux abus ; il
entreprit ensuite la visite de tout son diocèse. Il alla dans les
hameaux les plus écartés, et pénétra jusqu'aux endroits les plus
inaccessibles. La vue d'un pasteur si charitable attendrissait les
plus sauvages ; ils venaient tous se jeter à ses pieds, bien résolus
de lui obéir, même avant de l'avoir entendu. Ses paroles portaient
la lumière de la foi dans les esprits, et le feu de la charité dans
les cœurs. Partout il lui fallut réformer d'anciens abus, abolir des
coutumes scandaleuses, fonder des églises, ou relever celles qui
étaient ruinées, et pourvoir à la décence dû culte du Seigneur. Il
établit des collèges et des séminaires où l'on pût former la
jeunesse.
Les
coopérateurs qu'il avait amenés avec lui étant morts de fatigue sous
ses yeux, il se trouva dans un très-grand embarras : il ne se
découragea cependant point ; il redoubla ses travaux sans
craindre d'épuiser sa santé. La continuité de ses occupations ne
l'empêcha point non plus de s'assujettir à des jeûnes continuels et
à une rigoureuse abstinence. Quoiqu'il eût très-peu de revenu, il ne
laissait pas de faire des aumônes abondantes. Les déprédations des
corsaires l'obligèrent souvent de changer de demeure. On le vit
transporter son séminaire et sont clergé de Talone, situé sur la
côte orientale de l'île, à Algagliola, qui était sur la côte
occidentale, et de cette ville à Corte, dans le centre de l'île,
puis à Cervione. Ce fut dans cette dernière ville qu'il bâtit sa
cathédrale, et qu'il fonda un chapitre de chanoines. Il avait un
rare talent pour réunir les esprits et les cœurs divisés ; aussi lui
donna-t-on dans toute la Corse le surnom d'Ange de paix.
Le
bienheureux
Alexandre Sauli
adressa de sages avertissements à son clergé. Il s'y
proposait d'instruire les ministres, tant sur la conduite qu'ils
devaient tenir, que sur la manière dont ils devaient diriger les
âmes confiées à. leurs soins ; il composa aussi des entretiens,
dans lesquels il expliqua la doctrine de l'Eglise avec beaucoup
de précision et de netteté. Saint François de Sales estimait
singulièrement cet ouvrage, et disait que la matière y était
épuisée.
Le saint prélat allait de temps en temps à
Rome, ainsi que les autres évêques d'Italie ; mais il y allait comme
au centre de l'apostolat, et avec tant de dévotion, qu'il y
éprouvait en lui-même ce que dit saint Chrysostome, que l'esprit
apostolique y vit toujours, et que des tombeaux des apôtres, et de
leurs cendres tout inanimées qu'elles sont, sortent encore des
étincelles du feu sacré dont ils embrasèrent la terre. Tous ses
voyages furent comme autant de missions, par les grands fruits que
produisirent partout ses prédications, ses conseils et ses exemples.
C'est de quoi les villes de Gênes, de Milan et de Rome ont plusieurs
fois fourni des témoignages qui ont été confirmés par quatre
Souverains-Pontifes. Grégoire XIII, l'un d’eux, fut extrêmement
frappé lorsqu'il l'entendit prêcher. Saint Philippe de Néri
l'honorait aussi beaucoup ë. cause de ses talents et de son éminente
sainteté. Les ennemis de la religion eux-mêmes ne pouvaient résister
à la force et à l'onction de ses discours. Ayant eu une conférence
avec un calviniste de Genève, qui était venu dogmatiser en Corse, il
lui fit ouvrir les yeux à la vérité, et le ramena dans le sein de
l'Eglise. A Rome, un seul de ses sermons enleva à la synagogue des
juifs quatre de ses plus fermes soutiens.
La
vénération où était le saint apôtre de la Corse porta les villes de
Tortone et de Gênes à le demander pour pasteur ; mais il ne voulut
point quitter sa première épouse, à laquelle il était tendrement
attaché. Ce ne fut que par obéissance aux ordres du Pape Grégoire
XIV, qu'il accepta l'évêché de Pavie en 1591. Il ne fut pas plus tôt
arrivé dans son nouveau diocèse, qu'il entreprit d'en faire la
visite. Toutes les fêtes solennelles il revenait à Pavie. Etant à
Calozzo, dans le comté d'Asti, il fut attaqué de la maladie qui
l'enleva de ce monde. Il mourut le 23 Avril 1592. Sa sainteté fut
attestée par plusieurs miracles. La cérémonie de sa béatification se
fit à Rome en 1742 et fut canonisé par saint Pie X le 11 décembre
1904.
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