SAINT AIGULPHE, ABBÉ DE LÉRINS
ET SES COMPAGNONS, EN L'ANNÉE 675.
Si l'on en juge par les
actes des Saints qu'on lit dans l'assemblée des fidèles, il est
évident qu'on doit accorder le titre de martyrs non seulement à ceux
qui ont eu à combattre pour la foi du Christ, mais encore à ceux qui
ont courageusement répandu leur sang pour le maintien des droits de
la Justice et de la Vérité, qui est Dieu même, à l'exemple de ces
prophètes de l'Ancien Testament, qui ont eu à endurer, dit l'Apôtre,
de sanglantes railleries et des coups, qui ont été mis en pièces,
soumis à toutes sortes d'épreuves, et sont morts frappés par le
glaive. Dans le Nouveau Testament, nous trouvons également des
saints en grand nombre qui ont été torturés de diverses façons, non
pas précisément à cause de la confession de leur foi, mais à cause
de leur amour de la justice et de la vérité. Nous en avons un
exemple manifeste dans saint Jean-Baptiste, qu'aucun des fils de
femmes n'a surpassé, et qui fut décapité par le cruel Hérode, à
cause de son attachement inébranlable à la justice et à la vérité,
ainsi que nous l'apprenons par le récit sacré de l'Evangile. «
Hérode en effet, y lisons-nous, redoutait Jean, car il le savait
homme juste et saint ; il veillait à sa conservation, et le
consultait en nombreuses circonstances. Mais il finit par lui faire
trancher la tête, parce que Jean le réprimandait au sujet de la
femme de son frère que le roi avait épousée du vivant même de son
mari.
Aussi le Seigneur
dit-il à ses fidèles : Bienheureux ceux qui endurent persécution
pour la justice. Et pour que les futurs pasteurs de son Eglise ne
vinssent à trembler en présence de l'ennemi, il les encourage par la
vue de son propre exemple, leur disant : « Je suis le bon pasteur ;
le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » C'est donc à bon
droit que nous vénérons les pasteurs, qui, consumés par le feu de la
charité, n'ont pas craint les coups des bourreaux, mais qui se sont
offerts comme une hostie vivante et agréable à Dieu, et se sont
immolés au Seigneur par un sacrifice de suave odeur.
Il faut compter parmi
ces pasteurs généreux et considérer comme ayant droit aux devoirs de
notre piété le martyr Aigulphe, abbé du monastère de Lérins, qui,
dévoré de zèle pour la vérité, consumé par le feu de la charité,
aima mieux subir la mort que de commettre le mal: il succomba pour
l'Eglise du Christ, c'est-à-dire pour le salut des âmes qu'il
voulait à tout prix arracher aux abîmes de l'enfer. Nous allons,
avec l'aide de Dieu, rapporter ici son histoire toute remplie de
vertus et vraiment digne d'éloges, telle que nous la trouvons dans
certains documents du monastère de Lérins, qu'il gouverna. Nous
commencerons d'abord, à l'exemple des anciens historiens, par faire
connaître la famille du saint, son pays natal, les circonstances qui
l'amenèrent en ce lieu, et nous terminerons en disant comment il
répandit courageusement son sang pour l'amour du Christ.
A l'époque où par la
grâce de Dieu, régnait dans les Gaules le roi Dagobert Ier, vivaient
en la ville de Blois les parents du Bienheureux Aigulphe. Ils ne
possédaient pas beaucoup de ces richesses qui sont considérées dans
le monde comme le principal relief des familles, mais ils brillaient
entre tous par la pureté de leurs mœurs et la sainteté de leur vie.
Ayant été quelque temps sans pouvoir recueillir le fruit de leur
mariage, ils supplièrent le Seigneur de daigner exaucer leurs vœux,
et de leur envoyer un fils, moins pour leur avantage personnel que
pour avoir la consolation de le consacrer au service divin. Dieu
exauça leurs prières et leur accorda un enfant d'une beauté
remarquable. Ils mirent tous leurs soins à le bien élever, afin
qu'il brillât un jour par ses vertus devant Dieu et devant les
hommes.
Lorsqu’Aigulphe eut
atteint l'âge de l'adolescence et sentit en ses membres les
aiguillons de la luxure, il s’efforça de remédier à cette maladie
mortelle de l'âme en se soumettant à des jeûnes rigoureux. En même
temps on le voyait fréquenter assidûment l'église et assister avec
dévotion aux offices divins, dans l'espérance que Dieu daignerait
l'éclairer sur la voie qu'il devait choisir. Enfin, il se sentit
frappé par ces paroles du Psalmiste : Le sacrifice de louange
m'honorera ; et c'est là le chemin par où je lui manifesterai le
salut de Dieu.
A cette époque,
Leodebundus, de bienheureuse mémoire, gouvernait le monastère de
Saint-Aignan, situé en la ville d'Orléans. Ce Père vénérable, digne
émule de la sainteté de son très saint Père Maur, et des vertus
admirables qu'il avait laissées en testament à ses successeurs de la
Gaule, était rempli d'une ardeur divine et travaillait à propager,
autant qu'il était en son pouvoir, l'ordre monastique.
Tandis qu'il cherchait
un endroit convenable où il pourrait réunir des âmes pour le service
divin, il découvrit une vallée extrêmement paisible, dont la vaste
superficie était des plus fertiles. Il se rendit alors auprès de
Clovis II, fils du roi Dagobert, et le pria de lui octroyer, pour y
construire un monastère, ce champ que les habitants du lieu
appelaient Fleury. Le roi accorda à Leodebundus ce qu'il demandait,
et ajouta en outre une forte somme d'argent pour la construction de
ce monastère qui porte actuellement le nom de Fleury. Dès que le
bâtiment fut achevé, on vit accourir de tous côtés vers le serviteur
de Dieu des hommes qui ambitionnaient de militer pour le Seigneur
sous sa conduite. La sainteté de ces fervents religieux devint si
grande, que de ce monastère de Fleury sortirent en quantité des
fleurs et des fruits dont l'odeur suave embauma la Gaule tout
entière. La renommée de cette communauté parvint jusqu'aux oreilles
du Bienheureux Aigulphe, qui avait alors perdu ses parents. Désireux
de se dégager de toutes les entraves du siècle pour se livrer tout
entier au Christ, le saint jeune homme commença, pour rendre sa
marche plus expéditive, par vendre tous ses biens, dont il distribua
le prix aux pauvres, puis il s'engagea résolument, ainsi dépouillé
de tout, dans la voie de la croix.
L'austérité de ses
jeûnes était si grande, son assiduité aux prières et aux veilles si
continue, que tout le monde considérait sa vie comme un vrai
prodige. Au bout de quelques années, la renommée de sainteté du
Bienheureux devint universelle. Mais lui, ne pouvant supporter les
éloges de la multitude, se soustrayait, autant qu'il était en son
pouvoir, aux relations avec les hommes : car il craignait que le
Christ ne le considérât comme ayant été payé en ce monde de ses
mérites par la faveur populaire.
Mais le Seigneur voulut
placer sur le chandelier ce flambeau ardent, et confier le
gouvernement de sa famille à ce fidèle serviteur, pour qu'il lui
distribuât en temps opportun la mesure de froment En effet, les
parfums de la sainteté de Leodebundus s'étant répandus jusqu'aux
confins du pays, les moines de Lérins, pleins d'admiration pour sa
vie zélée et son exacte observance dans le service divin, décidèrent
à l'unanimité d'envoyer vers le bienheureux des messagers, pour le
conjurer de daigner leur servir de père et réunir par ses
enseignements de pauvres moines qui erraient au hasard sans pasteur.
Il était arrivé, en
effet, que, après que le bienheureux Honorat, aussi estimé de Dieu
que cher aux hommes, eut passé de ce monde au royaume céleste, le
monastère de Lérins avait été pillé et presque ruiné par les
barbares ; les moines, abandonnant cette île dépeuplée, vivaient
sans pasteur au gré de leurs désirs. Le bienheureux Aigulphe reçut
avec bonté les messagers, et lorsqu'ils lui eurent fait connaître et
les dévastations produites par les ennemis et le genre de vie actuel
des moines, il leur répondit en ces termes : « Mes frères, il est
préférable que vous choisissiez parmi vous un des anciens et que
vous vous soumettiez à son autorité et à son gouvernement, car
j'estime qu'il n'y a pas d'accommodement possible entre mon genre de
vie et le vôtre. A cette époque, en effet, la discipline régulière,
que le courageux serviteur du Christ, saint Maur, avait instituée
dans les monastères de Gaule, était en pleine efflorescence. Les
moines de Lérins ne se laissèrent pas décourager par ce refus du
bienheureux d'acquiescer à leurs désirs, mais ils revinrent
plusieurs fois à la charge, et conjurèrent le saint, par les prières
les plus instantes, de ne pas les laisser retourner seuls chez eux.
Leodebundus se laissa
enfin toucher par leurs prières, et c cédant aux sollicitations de
la charité, qui est Dieu même, il fit ses adieux à ses frères, aux
magistrats du lieu qui le tenaient en grande estime à cause de sa
vertu, au roi qui l'aimait tendrement, et qui, après avoir consulté
son conseil, lui permit de s'éloigner ; puis il se mit en route pour
aller rétablir la communauté de Lérins. Il reçut paternellement,
dans l'amour du Christ, tous les fils que Dieu lui confiait, et il
s'employa immédiatement à relever les bâtiments en ruines, afin que
tous les frères dispersés pussent s'y réunir. Tous se réjouissaient
d'entrer en part de ses bénédictions. Beaucoup d'hommes d'illustre
naissance, prenant en dégoût la vie voluptueuse de ce monde, vinrent
se mettre sous sa conduite, après avoir distribué aux pauvres
châteaux, villages, possessions de tous genres, et s'être ainsi
dégagés des liens du siècle, pour servir le Christ avec plus
d'assurance.
Le saint abbé,
semblable à un sage médecin, appliquait aux âmes et aux corps les
remèdes que réclamait leur état, ne se contentant pas de guérir les
maladies présentes, mais prenant en outre les moyens propres à
écarter les maladies futures. Il commençait d'abord par arracher
radicalement du cœur de ses fils les ronces qu'y avaient fait
croître leurs désordres antérieurs ; puis il s'appliquait à semer,
en la place, la semence précieuse de l'amour de Dieu et de l'amour
du prochain. Il leur enseignait en outre à détester cette fausse
douceur du monder dont parle l'apôtre saint Jean, lorsqu'il dit :
Mes chers enfants, gardez-vous bien d'aimer le monde, ni quoi que ce
soit du monde; car en celui qui aime le monde la charité du Père ne
peut habiter. Aussi arriva-t-il promptement que, tous les frères
menant sur cette terre une vie tout angélique, la communauté de
Lérins recouvra l'antique observance qui avait fait autrefois sa
gloire.
Le bienheureux Aigulphe
était heureux de voir ses chères brebis oublier ainsi tout ce qui
est transitoire pour ne soupirer qu'après les biens éternels, et il
en rendait à Dieu d'immenses actions de grâces. La bonne odeur
qu'exhalait la sainte vie de ces premiers disciples se répandait
dans les pays circonvoisins et gagnait en grand nombre des hommes
illustres qui venaient avec bonheur se soumettre au joug du Christ.
Oh! qu'elle était heureuse l'île de Lérins, rehaussée par l'éclat de
ce vaillant champion du Christ, Aigulphe, en qui resplendissait la
charité la plus ardente, et l'innocence la plus pure ! Il gouvernait
sa communauté au milieu du calme le plus profond ; car il avait un
pouvoir souverain pour mettre en fuite tous les démons. Une pureté
mêlée de douceur, une sévérité qui faisait le charme de tous les
bons religieux, le rendait aimable à tous ceux qui cherchaient Dieu
en vérité.
Mais le diable, cet
antique ennemi du genre humain, celui par la misérable envie duquel
la mort était entrée en ce monde, était jaloux de voir la gloire du
Seigneur s'étendre et se dilater dans cette bienheureuse île : il
souffrait de se voir arracher successivement ceux qu'il retenait
autrefois en esclavage. Il parvint à se servir comme d'agents de
deux moines, Arcadius et Columbus, dont le cœur était rempli
d'amertume, et qui avaient toujours eu en horreur la voie étroite
qui conduit à la vie. Il leur persuada de songer aux consolations de
la vie présente, qu'il n'était plus loisible de se procurer sous la
direction du Bienheureux. Le diable leur fit concevoir, comme
autrefois à Judas, le dessein de livrer leur maître, dans l'espoir
que, le pasteur une fois mis en fuite, il serait facile de disperser
les brebis privées de leur gardien.
La rage des méchants,
excitée par ces deux tisons d'enfer, s'accrut promptement, et le
nombre des ennemis du saint surpassa celui des amis qui lui
restèrent fidèles. Toujours en effet on a compté plus de fous que de
sages. Cependant ces misérables, ne pouvant arriver à satisfaire
leur volonté perverse, jetèrent dans la communauté des semences de
discorde, et s'efforcèrent de détourner de leurs saintes résolutions
tous ceux que le saint Père avait solidement établis dans le service
de Dieu. Le bienheureux Aigulphe ne tarda pas à découvrir où
tendaient les efforts des méchants, et pour sauvegarder la
discipline régulière, il aborda, en se tenant lui-même ferme dans
l'observance, comme une colonne immobile, il aborda ces moines
séditieux, et le visage joyeux, l'âme tranquille, il s'efforça par
ses paroles de calmer la fureur qui agitait leurs cœurs : « Mes doux
enfants, mes fils que j'aime à l’excès, pourquoi vous efforcez-vous
de rompre le lien sacré qui vous unit en cette île, après que la
vocation divine vous y a amenés des diverses parties du monde?
Consentez à renoncer à vos jalousies, et obéissez à la parole du
Christ qui vous dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de
cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Exercez-vous à
l'humilité qui est l'amie de toutes les vertus, et appliquez-vous
uniquement à la posséder. » Ces paroles suppliantes du Bienheureux
réussirent à calmer pour un moment la fureur des misérables, qui
firent humblement l'aveu de leur faute.
Mais l'année suivante,
elle se réveilla plus violente que jamais, Arcadius et Columbus
remuèrent de nouveau la tourbe des méchants toujours prêts à tramer
la perte des bons; les scélérats se ruèrent sur ceux qui entendaient
rester fidèles à leur saint abbé, et qui n'eurent que le temps de se
réfugier en l'église de Saint-Jean-Baptiste, pour mettre leurs,
corps et leurs âmes sous la protection du Seigneur. Les moines
révoltés les ayant poursuivis jusqu'en ce saint asile, le
bienheureux Aigulphe s'avança à leur rencontre, et leur adressa la
parole avec douceur : « Je vous en conjure, mes frères,
dépouillez-vous de cette misérable haine que vous inspire votre
jalousie, et conservez le lien de la charité entre vous et vos
frères. Vous savez bien que je suis venu en cette île uniquement
pour condescendre à vos supplications. Si donc vous pensez que je
sois la cause des discordes qui règnent parmi vous, traitez-moi
comme Jonas, sacrifiez-moi; car il m'est bien préférable de
m'éloigner de vous que d'endurer ici un supplice perpétuel par le
spectacle de vos mœurs relâchées. »
Le saint, qui prévoyait
les extrémités auxquelles allaient se porter les insurgés,
redoublait auprès d'eux ses sages avertissements et priait Dieu avec
ferveur pour ces malheureux. Mais ceux-ci, qui semblaient avoir
hérité de la rage aveugle de l'antique Pharaon, ne se laissèrent
point toucher par les douces paroles du vieillard, ils n'en
devinrent même que plus acharnés, et, se précipitant sur le
bienheureux Aigulphe et ses compagnons, ils les accablèrent de coups
et d'outrages. Ils les affublèrent de sales vêtements pour les
rendre ridicules et les condamnèrent à quitter l'île sur-le-champ.
Pour exécuter cette sentence, ils réunirent une petite troupe de
soldats que leur avait fournie le gouverneur de la cité d'Unserie,
de connivence avec les révoltés, l'exécrable Mummole, ils montèrent
sur un navire avec les saints moines, et allèrent déporter ces
derniers dans l'île Caprasia.
Durant tout le trajet,
les saints de Dieu furent accablés de tortures, de coups et
d'outrages par les moines révoltés ; on leur coupa la langue, on
leur creva les yeux, enfin on les fit souffrir dans tous leurs
membres. Mais, chose merveilleuse t quand leurs langues eurent été
coupées, on les entendit chanter au Seigneur : Seigneur, vous
ouvrirez mes lèvres, et ma bouche fera retentir votre louange. Dieu,
qui leur avait ainsi rendu miraculeusement l'usage de la parole,
leur accorda même une éloquence plus persuasive que celle qu'ils
possédaient antérieurement; et le bienheureux martyr du Christ
Aigulphe en profita pour consoler ses compagnons enchaînés : «
Souvenez-vous, mes enfants, leur disait-il, que c'est à travers des
tribulations multiples que nous devons aller au ciel.
Le bienheureux Aigulphe
supporta courageusement et joyeusement tous les supplices qu'il eut
à endurer dans la prison avec ses compagnons. Le souvenir de la
passion de Notre-Seigneur leur donnait la force de demeurer fermes
au milieu des tortures. Tous chantaient en chœur au Seigneur : Que
vous rendrons-nous, Seigneur Jésus-Christ, pour les souffrances,
infiniment plus cuisantes que les nôtres, que vous avez endurées par
amour pour nous? Nous prendrons généreusement le calice du salut et
nous invoquerons votre 'nom. Seigneur, cet à cause de vous qu'on
nous fait mourir tout le jour; ne repoussez pas vos serviteurs, car
c'est de notre plein gré que nous nous laissons immoler pour
l'honneur de votre nom, comme des brebis destinées à la boucherie.
Seigneur, nous avons placé en vous notre espérance, ne trompez pas
notre attente.
Lorsqu'ils eurent cessé
de prier, l'archange saint Michel descendit dans la prison au milieu
des ténèbres de la nuit et dit aux courageux confesseurs : «
Courage, petit troupeau ; ne craignez point ; car il plaît à votre
père de vous procurer le royaume de Dieu par le moyen du saint
martyre. » Les prisonniers rendirent d'ardentes actions de grâces à
Dieu, qui daignait ainsi les soutenir.
Cependant un des
gardes, touché de pitié à la vue des souffrances des martyrs du
Christ, les engageait à prendre la fuite. Mais le bienheureux
Aigulphe lui répondit : « Si nous demeurons en vie, c'est pour le
Seigneur que nous vivons; si l'on nous fait mourir, c'est également
pour le Seigneur que nous mourrons : que la volonté du Seigneur
s'accomplisse en nous. » Puis les saints moines se mirent de nouveau
à chanter au Seigneur : C'est vers vous, Seigneur, que nous levons
les yeux. Enfin, on exécuta les martyrs en cette même île de
Caprasia; on leur amputa d'abord les bras, puis on leur trancha la
tête. Mais, avant de recevoir la mort, ils avaient obtenu des
bourreaux un moment de répit pour se recommander à Dieu; et comme on
voulait, selon la coutume, leur voiler le visage, ils répondirent :
« Laissez-nous voir le ciel, afin que notre esprit se dirige plus
facilement vers le Seigneur qui nous a créés. » Après avoir
recommandé leur âme au Seigneur, ils se livrèrent avec fermeté et
allégresse entre les mains des bourreaux, et rendirent à Dieu leur
esprit en récitant les prières et en louant le Seigneur.
Dieu permit qu'un des
compagnons d'Aigulphe, qui avait réussi à s'échapper, pût revenir à
Lérins, et rapporter tout le récit du martyre des saints moines.
Tous éclatèrent alors en sanglots, et envoyèrent immédiatement à
l'île Caprasia quelques-uns d'entre eux pour en rapporter les corps
sacrés des martyrs. Les envoyés recueillirent pieusement dans des
corbeilles des reliques vénérables, qui exhalaient une odeur si
suave qu'on eût cru le vaisseau chargé d'aromates ou de roses.
Lorsqu'ils furent de retour à Lérins, le bienheureux Pigromo,
successeur de l'abbé Aigulphe, ensevelit honorablement les ossements
sacrés. |