Première partie

La Bienheureuse
Élisabeth
de la Trinité
et la Sainte Trinité

Présentation

Élisabeth de la Trinité n'écrivit pas son autobiographie comme cela fut demandé parfois à d'autres futurs saints. Elle n'écrivit pas de journal comme le firent de nombreux mystiques. Elle ne rédigea ni cours, ni discours, ni dissertation. C'est seulement dans sa correspondance, adressée à sa famille et à des amis, dans quelques notes intimes retrouvées après sa mort et dans les quatre petits "traités" rédigés à la demande de sa prieure, trois mois avant sa mort, que l'on arrive à découvrir l'intimité existant entre la Sainte Trinité et l'humble carmélite.

La vie spirituelle d'Élisabeth de la Trinité est caractérisée par trois grandes tendances qui seront de plus en plus liées entre elles au fur et à mesure de l'évolution de sa maturité. La première grande tendance, présente dès sa plus tendre enfance, est l'amour de Jésus. Dès son adolescence, à quatorze ans, Élisabeth, fait vœu de virginité. Puis, émue par la Passion de Jésus, elle s'offre à Lui comme "victime". Dès lors, la deuxième grande tendance qui conduit la vie d'Élisabeth est l'amour de Jésus et un grand désir de la souffrance, pour le salut des âmes. Enfin, la Sainte Trinité prendra de plus en plus de place dans la spiritualité d'Élisabeth. Mais il faut bien comprendre que ces trois grandes tendances sont inséparables et que la vie d'Élisabeth de la Trinité évoluera tout en conservant une unité remarquable: vivre d'amour pour et avec Jésus, l'Époux à qui elle s'est offerte, en conformité avec la vie douloureuse du Christ, Sauveur du monde, et cela au sein de la Sainte Trinité, avec  "ses Trois".

Les réflexions qui suivent seront essentiellement consacrées à la troisième grande orientation de la vie d'Élisabeth: la Sainte Trinité. Et c'est en suivant Élisabeth tout au cours de sa vie mortelle que nous découvrirons la richesse de sa perception de Dieu unique, mais UN en Trois personnes.

L'amour de Dieu est infini. Dans sa miséricorde pour les hommes, "le Père envoie son Fils parmi nous. Jésus perpétue son œuvre, sa présence, son amour humain dans l'Église, en particulier dans l'Eucharistie. Ils nous envoient l'Esprit."[1] Il est remarquable que, d'une manière générale, Élisabeth aborde la Très Sainte Trinité via Jésus-Christ, qu'elle aime particulièrement, et à qui elle s'est livrée dès son adolescence.

Car c'est toujours le Christ qui nous conduit au Père et à l'Esprit-Saint

1
Évolution de la dévotion
d'Élisabeth à la Sainte Trinité

1-1-Avant son entrée dans la vie religieuse

On peut affirmer qu'Élisabeth de la Trinité connut, dès avant son entrée au Carmel, une véritable dévotion envers la Très Sainte Trinité. Nombreuses sont ses lettres, adressées à des amis ou à des prêtres qui mentionnent l'intimité qui était la sienne avec la Sainte Trinité. Nous donnerons ci-dessous quelques exemples. En juin 1901, soit deux mois avant son entrée au Carmel, elle écrit à Marguerite Gollot qui désirait, elle aussi, devenir carmélite: "Je ne sais quand je vous verrai, mais nos âmes se perdront en Lui, en cette Trinité éternelle, en ce Dieu tout Amour."

Et encore: "Chère petite sœur, perdons-nous en cette Trinité sainte, en ce Dieu tout Amour, laissons-nous emporter en ces régions où il n'y a plus que Lui, Lui seul... Demeurons toujours unies au pied de la Croix, restons silencieuses auprès du divin Crucifié et écoutons-Le. Tous ses secrets, Il nous les dira, c'est Lui qui nous conduira au Père, à Celui qui nous a tant aimées qu'Il nous a donné son Fils unique... Qu'en nos âmes se consomme l'UN avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit!"

Dans une lettre de la même époque, adressée au chanoine Anglès, Élisabeth confie: "Vous ai-je jamais dit mon nom au Carmel: 'Marie-Élisabeth de la Trinité'. Il me semble que ce nom indique une vocation particulière... J'aime tant ce mystère de la Sainte Trinité, c'est un abîme dans lequel je me perds."

Le 25 mai 1902, après la fête de la Sainte Trinité, elle écrit à sa sœur Guite: "Oh! oui, ma Guite, cette fête des Trois est bien la mienne, pour moi il n'en est pas une de semblable... Je t'ai donnée aux Trois, ma Guite, tu vois comme je dispose de toi. Oui, c'est dans ce grand mystère que je te donne rendez-vous..."

Et le 30 mai 1902: "Continue de communier aux Trois, à travers tout, c'est là le centre où nous nous retrouvons... Vois-tu, Il est mon Infini, en Lui j'aime, je suis aimée et j'ai tout." 

Le 20 août 1903, Élisabeth écrit à son amie Germaine de Gemeaux; elle parle du sanctuaire intime dans lequel on vit seul avec Dieu: "Là, ma petite Germaine, reposez-le en vous reposant vous-même en Lui; écoutez tout ce qui se chante en son Âme, en son Cœur: c'est l'Amour, cet Amour infini qui nous enveloppe et veut nous associer dès ici-bas à toutes ses béatitudes? C'est toute la Trinité qui repose en nous, tout ce mystère qui sera notre vision dans le Ciel... Élisabeth de la Trinité, c'est Élisabeth disparaissant, se perdant, se laissant envahir par les Trois..."

Il convient de remarquer ici que, durant toute sa vie, Élisabeth a été attentive à l’anniversaire de son baptême. Lorsqu'elle l'évoquera vers la fin de sa vie, en 1906, elle dira, s'adressant à ses sœurs carmélites, comment le baptême nous marque du sceau de la Trinité: "Oui, nous sommes devenues siennes par le baptême, c'est ce que saint Paul veut dire par ces paroles: 'Il les a appelées'; oui, appelées à recevoir le sceau de la Sainte Trinité; en même temps que nous avons été faites selon le langage de saint Pierre 'participantes de la nature divine', nous avons reçu 'un commencement de son être…' Puis, Il nous a justifiées par ses sacrements, par ses 'attouchements' directs dans le recueillement au fond de notre âme; justifiées aussi par la foi et selon la mesure de notre foi dans la rédemption que Jésus-Christ nous a acquise." (Le Ciel dans la foi - Huitième jour)

1-2-Les débuts dans la vie religieuse

Le 25 mai 1902, après la fête de la Sainte Trinité, Élisabeth écrit à sa sœur Guite: "Oh! oui, ma Guite, cette fête des Trois est bien la mienne, pour moi il n'en est pas une de semblable... Je t'ai donnée aux Trois, ma Guite, tu vois comme je dispose de toi. Oui, c'est dans ce grand mystère que je te donne rendez-vous..." Et le 30 mai 1902: "Continue de communier aux Trois, à travers tout, c'est là le centre où nous nous retrouvons... Vois-tu, Il est mon Infini, en Lui j'aime, je suis aimée et j'ai tout."

Par ailleurs, et comme couronnement de sa dévotion à la Sainte Trinité, la jeune carmélite comprit très vite qu'elle devait être Laudem gloriæ, une louange de gloire adressée à Dieu. Dès lors, elle vécut la louange du Père, du Verbe et de l'Esprit-Saint; elle voulait aussi vivre dans la Communauté de l'Amour trinitaire, dans l'union des Trois Personnes divines qui dépasse toute intelligence humaine.

Pourtant, c'est dans la pure foi qu'Élisabeth, le 11 janvier 1903, dimanche de l'Épiphanie[2], fera sa profession dans l'intimité de la communauté. Ses lettres ne montrent qu'une joie immense; pourtant, sa retraite préparatoire, commencée dans une joie profonde, se termine dans une incertitude crucifiante. Mère Germaine écrit: "Commencée dans la joie, cette retraite se poursuivit dans une recrudescence de tortures intimes telles que, la veille du grand jour, la pauvre novice était au comble de l'angoisse." Mais, après avoir été pleinement rassurée, la novice s'engagera. Le 21 janvier 1903, Sœur Élisabeth de la Trinité reçut le voile noir, en présence de sa famille et de ses nombreux amis et musiciens.

1-3-La vie religieuse

1-3-1-La louange de gloire

Dorénavant Élisabeth se laissa transformer par la lumière de la Parole de Dieu reçue à travers St Paul, pour devenir "une louange de gloire". Élisabeth précisera plus tard ce qu'elle entend par "Louange de gloire", lorsque, tout à la fin de sa vie, elle rédigera, à l'attention de sa sœur Guite, un petit traité intitulé "Le Ciel dans la foi".

Plus tard, alors que les communautés religieuses de France traversaient une longue période de persécutions, elle avait déjà écrit à sa sœur, durant l'hiver 1905: "Il nous faut répondre à notre vocation, et devenir parfaites Louanges de Gloire de la Très Sainte Trinité."

Dans la dernière oraison du petit traité "Le ciel dans la foi", Élisabeth de la Trinité explique la signification du nom qu'elle s'est choisi: "Louange de Gloire". Elle écrit: "Nous avons été prédestinés par un décret de Celui qui opère toutes choses selon le conseil de sa volonté, afin que nous soyons la louange de sa gloire... Au Ciel chaque âme est une louange de gloire au Père, au Verbe, à l'Esprit Saint, parce que chaque âme est fixée dans le pur amour et ne vit plus de sa vie propre, mais de la vie de Dieu...

1-3-2-Vivre dans le Christ, c'est vivre dans la Trinité

Le 24 février 1903, Élisabeth pouvait écrire à l'abbé Chevignard[3]:

"... Qu'importe ce qui passe sur l'âme puisqu'elle a foi en Celui qu'elle aime et qui demeure en elle. Pendant ce carême, je voudrais, comme dit saint Paul 'm'ensevelir en Dieu avec le Christ', me perdre en cette Trinité qui sera un jour notre vision, et sous ces clartés divines, m'enfoncer dans la profondeur du mystère..."

Enfin être prise pour épouse, épouse mystique, c'est avoir ravi son Cœur[4] au point qu'oubliant toute distance, le Verbe s'épanche dans l'âme comme au sein du Père avec la même extase d'infini amour! C'est le Père, le Verbe et l'Esprit envahissant l'âme, la déifiant, la consommant en l'Un par l'amour. C'est le mariage, l'état fixe, parce que c'est l'union indissoluble des volontés et des cœurs...

Le 20 août 1903, Élisabeth écrit à son amie Germaine de Gemeaux; elle parle du sanctuaire intime dans lequel on vit seul avec Dieu: "Là, ma petite Germaine, reposez-le en vous reposant vous-même en Lui; écoutez tout ce qui se chante en son Âme, en son Cœur: c'est l'Amour cet Amour infini qui nous enveloppe et veut nous associer dès ici-bas à toutes ses béatitudes? C'est toute la Trinité qui repose en nous, tout ce mystère qui sera notre vision dans le Ciel... Élisabeth de la Trinité, c'est Élisabeth disparaissant, se perdant, se laissant envahir par les Trois..."

Le 28 novembre 1903, c'est presque un cours sur la Trinité qu'elle adresse à l'abbé Chevignard. Nous n'en citerons que quelques phrases: "... mon âme est emportée sous la grande vision du Mystère des mystères, en cette Trinité qui dès ici-bas est notre cloître, notre demeure, l'Infini en lequel nous pouvons nous mouvoir à travers tout... Oh! je comprends les silences, les recueillements des saints qui ne pouvaient plus sortir de leur contemplation..." Et de poursuivre, se référant à saint Jean de la Croix: "Notre bienheureux Père dit qu'alors l'Esprit Saint l'élève à une hauteur si admirable qu'Il la rend capable de produire en Dieu la même aspiration d'amour que le Père produit avec le Fils, et le Fils avec le Père, aspiration que n'est autre que l'Esprit-Saint Lui-même... Je voudrais répondre à ce mystère de charité en passant sur la terre comme la Sainte Vierge, 'gardant toutes ces choses en mon cœur', m'ensevelissant pour ainsi dire dans le fond de mon âme afin de me perdre en la Trinité qui y demeure, pour me transformer en elle...."

1-3-3-Vivre dans la Trinité

Dans les Souvenirs, de Mère Germaine, on peut lire une phrase d'Élisabeth qui révélait sa vie au sein de la Très Sainte Trinité: "Je suis Élisabeth de la Trinité, c'est-à-dire Élisabeth disparaissant, se laissant envahir par les Trois."

Le 25 janvier 1904, elle demandera à l'abbé Chevignard, beau-frère de sa sœur Guite: "Union, Amour! Demandez que j'en vive pleinement et pour cela que je demeure tout ensevelie en la Sainte Trinité..." À Madame de Sourdon elle écrit le 20 janvier 1905: "Dès ici-bas Dieu nous permet de vivre en son intimité, et nous commençons en quelque sorte notre éternité, vivant en société avec les trois Personnes divines. Quel mystère! C'est là que je me perds pour vous retrouver, chère Madame..."

Et au chanoine Anglès, le 8 mars 1905: "Priez pour votre enfant, consacrez-la avec la Sainte Hostie, afin qu'il ne reste plus rien de la pauvre Élisabeth, mais qu'elle soit toute de la Trinité." Puis le 7 avril 1905 à l'abbé Chevignard: "Je demande à l'Esprit d'amour qui pénètre tout, même les profondeurs de Dieu, de se donner abondamment à vous et d'irradier votre âme afin que, sous la grande lumière, elle aille recevoir l'onction du Saint[5] dont parle le disciple de l'amour."

Elle dira de même le 1er juin 1905, au chanoine Anglès: "Le programme de ma retraite sera donc de me tenir par la foi et l'amour sous l'ombre du Saint (Jésus) dont parle saint Jean, puisqu'il est le seul qui pénètre les profondeurs de Dieu."

Mais il n'y a pas que les consacrés qui peuvent vivre dans la Trinité. En mars 1904, Élisabeth écrit à sa sœur Guite, après la naissance de son premier enfant: "Et puis, vois-tu, je me sens toute pénétrée de respect en face de ce petit temple de la Sainte Trinité..." Et à ses tantes, en avril 1904, parlant de ce petit bébé: "Je me réjouis d'adorer la Sainte Trinité en cette petite âme devenue son temple par le baptême. Quel mystère!"

À Madame de Sourdon elle écrit le 20 janvier 1905: "Dès ici-bas Dieu nous permet de vivre en son intimité, et nous commençons en quelque sorte notre éternité, vivant en société avec les trois Personnes divines. Quel mystère! C'est là que je me perds pour vous retrouver, chère Madame..." Dans les  Souvenirs, de Mère Germaine, on peut lire: "Je suis Élisabeth de la Trinité, c'est-à-dire Élisabeth disparaissant, se laissant envahir par les Trois." Et au chanoine Anglès, le 8 mars 1905: "Priez pour votre enfant, consacrez-la avec la Sainte Hostie, afin qu'il ne reste plus rien de la pauvre Élisabeth, mais qu'elle soit toute de la Trinité."

En 1905, à sa sœur Guite, elle conseillera: "À travers tout, tandis que tu es toute aux petits anges[6], tu peux te retirer en cette solitude pour te livrer à l'Esprit Saint, afin qu'Il te transforme en Dieu, qu'Il imprime en ton âme l'image de la Beauté suprême; afin que le Père, en se penchant sur toi ne voie plus que son Christ, et qu'Il puisse dire: 'celle-ci est ma fille bien-aimée'..."

Tout à la fin de sa vie, elle écrira à sa mère: "Saint Jean, dans ses épîtres, souhaite que nous ayons société[7] avec la Sainte Trinité : ce mot est si doux, et c'est si simple ! Il suffit, saint Paul le dit, il suffit de croire. Dieu est esprit[8], et c'est par la foi que nous nous approchons de Lui. Pense que ton âme est le temple de Dieu, c'est encore saint Paul qui l'enseigne ; à tout instant du jour et de la nuit, les trois Personnes divines y demeurent; tu ne possèdes pas la sainte Humanité comme quand tu communies, mais la divinité, cette essence que les Bienheureux adorent dans le ciel, elle est en ton âme ; quand on sait cela, une intimité tout adorable s'établit : on n'est plus jamais seul."

Et à sa sœur Guite: "Je te laisse ma dévotion pour  'les Trois' ; vis au-dedans avec eux dans le ciel de ton âme ; le Père te couvrira de son ombre, mettant comme une nuée entre toi et les choses de la terre, pour te garder toute sienne ; Il te communiquera sa puissance pour que tu l'aimes d'un amour fort comme la mort. Le Verbe imprimera en ton âme, ainsi qu'en un cristal, l'image de sa propre beauté, afin que tu sois pure de sa pureté, lumineuse de sa lumière. L'Esprit Saint te transformera en une lyre mystique ; le silence, sous sa touche divine, produira un magnifique cantique à l'Amour ; alors tu seras la louange de sa gloire, ce que j'avais rêvé d'être sur la terre ; c'est toi qui me remplaceras quand je serai Laudem gloriae devant le trône de l'Agneau, et toi Laudem gloriae au centre de ton âme: ce sera éternellement l'Un entre nous. Crois toujours à l'amour ; si tu as à souffrir, c'est que tu es plus aimée encore, aime et chante toujours merci. Apprends aux petites à vivre sous le regard de Dieu : j'aimerais qu'Elisabeth[9] eût ma dévotion à la Sainte Trinité. Je serai à leur première communion ; je t'aiderai à les préparer."

1-3-4-S'écouler dans la Trinité

Et de nouveau au chanoine Anglès: "Le 18[10], j'aurai 26 ans : je ne sais si cette année s'achèvera dans le temps ou dans l'éternité, et je vous demande encore, comme une enfant à son Père, de vouloir bien, à la sainte Messe, me consacrer pour être hostie de louange à la gloire de Dieu. Oh ! consacrez-moi si bien que je ne sois plus moi, mais Lui, Jésus ! et que le Père, en me regardant, puisse le reconnaître. Que je sois 'conforme à sa mort'[11], que je souffre en moi ce qui manque à sa Passion, et puis, baignez-moi dans le sang du Christ, pour que je sois forte de sa force à Lui ; je me sens si petite, si faible ! À Dieu, cher Monsieur le Chanoine, je vous demande de me bénir au nom de cette Trinité sainte à laquelle je suis spécialement dédiée. Voulez-vous aussi me consacrer à la Sainte Vierge ; c'est elle, l'Immaculée, qui m'a donné l'habit du Carmel, et je lui demande de me revêtir de cette robe de fin lin[12] dont l'épouse se pare pour se rendre au souper des noces de l'Agneau.

Mère Germaine raconte encore: "C'était le jour de l'Ascension, la Mère Prieure, retardée dans sa visite matinale à l'infirmerie, en exprimait le regret à sa chère enfant, non sans remarquer l'expression de sa physionomie toute transfigurée.

— Ô ma Mère, répondit la petite malade, n'ayez aucune peine à mon sujet ; le bon Dieu m'a fait une telle grâce que j'ai perdu la notion du temps. Dans la matinée, cette parole me fut dite au fond de l'âme: 'Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera ; nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure'[13]. Et au même instant, j'ai vu combien c'était vrai. Je ne saurais dire comment les Trois divines Personnes se sont révélées ; mais pourtant je les voyais, tenant en moi leur conseil d'amour, et il me semble que je les vois encore ainsi. Oh ! que Dieu est grand et que nous sommes aimés !

Peu de jours avant sa mort elle écrivait au Chanoine Anglès: "La perspective d'aller voir bientôt, en son ineffable beauté, Celui que j'aime, et de m'abîmer en la Trinité sainte, me met une jouissance immense dans l'âme. Oh ! qu'il m'en coûterait de revenir sur la terre, elle me paraît si vilaine en sortant de mon beau rêve ; il n'y a qu'en Dieu que tout est pur et saint ; heureusement, dès l'exil, nous pouvons déjà demeurer en Lui ! Pourtant le bonheur de mon Maître suffit pour faire le mien, et je me livre à Lui pour qu'Il fasse en moi tout ce qu'Il désire." Et à sa sœur Guite: "Quand le voile tombera, avec quel bonheur je m'écoulerai jusque dans le secret de sa Face. C'est là que je passerai mon éternité, au sein de cette Trinité qui est déjà ma demeure ici-bas...


[1] Conrad de Meester.
[2] Mère Germaine écrit: "La sainte Eglise célébrait encore, en ce dimanche de l'Épiphanie, la manifestation de la Sainte Trinité dans le baptême de Jésus-Christ. Sœur Élisabeth, qui par sa profession scellait une alliance particulière avec les trois divines Personnes, n'était venue au Carmel que pour écouter Celui en qui le Père met toutes ses complaisances.
[3] Beau-frère de sa sœur Marguerite.
[4] Le Cœur du christ.
[5] Jean parle de Jésus (1 Jean 2, 20).
[6] Les petites filles de Guite.
[7] Id., i, 3.
[8] Id., iv, 24.
[9] la première fille de Guite.
[10] 18 juillet 1906.
[11] Philip III, 10.
[12] Apoc xix, 8.
[13] Jon XIV, 23.

   

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