VISITATION DE MARIE
à sainte Élisabeth
31 mai

L’évangéliste Luc consacre son premier chapitre à la naissance de Jean-Baptiste : son père Zacharie, qui a douté un moment, n’aura plus la parole jusqu’à la naissance du Précurseur de Jésus ; au sixième mois de cette conception et intimement liée à celle-ci, voici la conception virginale de Jésus, délicatement annoncée par l’Ange Gabriel lequel, pour confirmer ses propos à Marie, lui révèle que Elisabeth, cette sainte femme âgée, en est à son sixième mois, car rien n’est impossible à Dieu.

Tout n’est pas écrit dans ce récit évangélique. Luc ne nous dit que ce qui se rapporte directement à la Bonne Nouvelle, à l’accomplissement des promesses divines. Quelques éléments davantage historiques pourraient quand même nous intéresser, dont parlent certains mystiques ou certains apocryphes, mais qui aussi peuvent se déduire logiquement du texte de l’Evangile.

Ainsi le récit de Luc ne nous parle pas de Joseph, le chaste époux de Marie et père nourricier de Jésus. Luc ne l’a peut-être pas connu personnellement, mais aussi Marie, dont il a reçu beaucoup d’informations, lui aura demandé de respecter la profonde discrétion de Joseph : celui-ci avait été choisi par Dieu justement pour sa discrétion totale, sa sainte humilité et en même temps sa disponibilité à accepter la mission hautement divine qui lui était confiée.

Une sainte tradition, reçue par l’Eglise, nous dit que Marie fut toute jeune conduite au Temple pour y recevoir son éducation et sa formation1 . Or, si Luc écrit qu’elle était fiancée à un homme du nom de Joseph (1:27), c’est que Marie ne vivait plus dans le Temple à ce moment-là et qu’on venait de célébrer ces “fiançailles” : Luc répétera plus tard que Marie est la “fiancée” de Joseph (2:5), pour bien souligner que la naissance de Jésus arriva en-dehors des lois habituelles de la nature, et que l’union de Joseph et de Marie avait été à la fois réelle et en même temps marquée par la plus totale chasteté, ce que l’on appelle théologiquement un mariage mystique.

Le récit évangélique nous dit aussi que Marie habitait à Nazareth, donc loin de Jérusalem. La toute jeune fille que pouvait être Marie au moment de l’Annonciation, n’a probablement pas fait seule le voyage de Nazareth à Jérusalem, environ cent-cinquante kilomètres : même si la terre palestinienne ne connaissait pas les horreurs d’aujourd’hui, elle était déjà le théâtre d’épisodes guerriers, et les chemins n’étaient pas totalement sûrs (Jésus aura justement cette parabole de l’homme tombé aux mains des brigands entre Jérusalem et Jéricho, Lc 10:30sq). Qui donc pouvait accompagner Marie dans son voyage ? Certainement, et pourquoi pas ? Joseph, le chaste époux de la Vierge sainte.

Quoi qu’il en soit de ces conjectures, la rencontre de Marie et Elisabeth est un des moments les plus importants de l’Histoire du Salut, des plus significatifs et pour nous des plus émouvants. En effet, c’est là, dans ce petit village identifié avec l’actuel Aïn Karim, que les deux Testaments se rencontrent : l’Ancien, qui aboutit au prophète Jean-Baptiste, le Nouveau qui commence avec Jésus. Ce Messie attendu depuis des siècles, annoncé par les prophètes, objet de la prière et des pénitences persévérantes de tant de pieux personnages d’Israël, voici qu’Il se manifeste silencieusement au moment où ces deux Mères se rencontrent : Marie, la plus jeune, salue la première ; Elisabeth, divinement informée, ressent dans son ventre la joie de son enfant qui tressaille d’allégresse.

Comprenons bien la joie profonde et sincère d’Elisabeth. Une femme de cet âge pouvait facilement éprouver quelque jalousie en constatant que ce n’était pas elle-même, mais cette jeune Marie qui serait la mère du Sauveur. Rien de cela dans l’âme de la mère du Précurseur Jean-Baptiste : elle est au contraire heureuse à plus d’un titre, d’abord parce qu’elle participe à la joie de son fils, qui allait être lié si intimement à la vie du Sauveur, ensuite parce que, tandis que son mari Zacharie était frappé de mutisme pour avoir douté un instant, elle proclame bienheureuse, celle qui a cru, Marie. Zacharie l’ancien se tait, tandis que Marie exsulte : l’Ancien Testament est en train de s’achever, le Nouveau commence de s’exprimer. Zacharie devait écrire sur des tablettes ce qu’il voulait dire, Marie exsulte et magnifie la puissance de Dieu.

Joseph était-il présent à cette rencontre ? Si Zacharie ne l’était pas, Joseph ne pouvait pas non plus assister à cette rencontre des deux futures mères, les laissant pudiquement échanger leurs joies, préférant là encore rester discrètement dans l’ombre.

Aux paroles que Gabriel adressa à Marie en la saluant (Salut, comblée de grâces, le Seigneur est avec toi, Lc 1:28), s’ajoutent maintenant celles d’Elisabeth à sa jeune cousine : Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein, Lc 1:42. Ainsi se forme, au tout début de l’Histoire de notre salut, la prière mariale que nous aimons tant répéter à notre tour, depuis vingt siècles, pour honorer et prier la Mère de Dieu, Mère de l’Eglise et notre Mère à chacun.

C’est alors que Marie exprime la louange que l’Esprit lui inspire, ce chant que reprendront toutes les générations, le Magnificat, cette hymne de louange et d’action de grâce à la bonté de Dieu, que l’Eglise chante chaque jour dans l’office des Vêpres. Marie reprend plusieurs expressions de l’Ancien Testament, qu’elle connaît certainement par-cœur, ayant eu le temps d’approfondir avec une assidue avidité le Texte Sacré pendant ses longues années de présence au Temple, et percevant maintenant le sens profond de ces expressions au moment où se réalisent en elle les promesses bibliques.

Elisabeth et Marie n’en restent pas là cependant, leur mission continue. Elisabeth enfantera bientôt, elle doit être très fatiguée, et Marie demeure là, environ trois mois, pour entourer sa parente de ses soins et de ses attentions. A la joie d’avoir porté la Bonne Nouvelle à Elisabeth, Marie ajoute la charité de l’assister jusqu’à la naissance de Jean-Baptiste. Marie est parfaitement contemplative dans l’amour de Dieu et parfaitement active dans la charité fraternelle.

L’Eglise a reporté2 cette fête de la Visitation à une date intermédiaire entre l’Annonciation (25 mars) et la naissance de Jean-Baptiste (24 juin). Elle aurait pu l’établir quelques jours après l’Annonciation, mais on sait qu’en mars, on évite les célébrations pour donner la priorité à la période du Carême. C’est donc en ce 31 mai, dernier jour du mois de Marie, que nous fêtons la Visitation, origine de nos prières préférées : l’Ave Maria et le Magnificat.

On a fait remarquer aussi que ces heureux commencements de la Rédemption donnent à la Femme son rôle éminent, dans la fonction fondamentale qu’elle a d’apporter la Vie. Elisabeth et Marie sont les deux protagonistes de ces débuts, tandis que leurs époux sont l’un condamné au silence, l’autre respectueusement effacé.

Elisabeth, par sa vieillesse, figure la Loi finissante ; Marie, dans la fleur de sa jeunesse, représente l’éternelle vigueur de l’Eglise. Elisabeth symbolise aussi la Synagogue par sa stérilité ; Marie incarne l’Eglise par sa féconde virginité. Comment ne pas évoquer également l’antithèse primitive ? Eve avait offert à l’homme le fruit de la malédiction, tandis que Marie apporte à l’humanité le fruit béni de son sein. L’ère de Marie, la Femme par excellence, s’ouvre donc avec celle du Christ ; la Mère est inséparable de son Fils. Jésus, le Fils par excellence, agit en fils parfait à l’égard de sa mère. Le Christ vient aux hommes par Marie, et c’est par elle qu’il remplit sa mission de Sauveur.

L’Evangéliste Jean avait compris cette réalité de la Femme par excellence, de la Femme qui avait retrouvé toute sa dignité, perdue en Eve. Rien de péjoratif, donc, quand Jésus à Cana donne à sa Mère l’appellatif de Femme (Jn 2:4), qu’il répétera encore quelques secondes avant d’expirer sur la Croix : Femme, voici ton fils. (Jn 19:26).

La Visitation est le mystère par lequel Jésus inaugure cette conduite. Là, il veut délivrer Jean-Baptiste du péché originel, et se donner, par Marie, à son Précurseur. C’est la première application sensible de la vertu sanctificatrice du Sauveur, la première mission publique du Saint-Esprit, type de toutes les autres, par laquelle Jésus montre qu’il entend faire de sa divine Mère la médiatrice de ses grâces.

A partir de l’Annonciation, Marie est le premier Tabernacle de l’Eucharistie, de Dieu fait Homme. Et Elisabeth, avec Jean-Baptiste qui tressaille en elle, en sont les premiers adorateurs. Marie est la véritable arche d’alliance en laquelle le Dieu Sauveur vient faire sa première visitation à l’humanité déchue, figurée par Jean-Baptiste. Les sens de Marie sont les treillis, dont parle le Cantique des cantiques, par lesquels l’Epoux et l’Ami de l’Epoux communient l’un à l’autre ; par la voix de Marie, ils se parlent et se comprennent : l’âme de Jean-Baptiste s’éveille en pleine extase. Marie a donc part à la naissance spirituelle de saint Jean-Baptiste. Et comme celui-ci représente tous les élus, puisqu’il est dit de lui qu’il a été envoyé de Dieu afin que tous croient par lui (Jn 1:7), Jésus-Christ nous montre ainsi que la Sainte Vierge coopère, par sa charité, à la naissance spirituelle de toute l’Eglise, ayant déjà assumé la maternité corporelle de son Chef au jour de l’Annonciation.

Quand Marie chante Le Puissant a fait pour moi de grandes choses, puis Il a déployé la force de son bras, elle exprime l’excellence du Très Saint Sacrement, qui est en effet la plus grande des merveilles de Dieu.

Une très ancienne tradition déjà établie au Ve siècle désigne le village d’Aïn-Karim comme le lieu de cette rencontre historique et mystique, là où actuellement une grotte indique la crypte de l’ancien sanctuaire qui y fut édifié, et qui fut malencontreusement profané par les Arabes envahisseurs. La chapelle actuelle est du XIXe siècle.

Dans le village lui-même d’Aïn-Karim se trouve un autre sanctuaire, l’église de saint Jean-Baptiste, là où Zacharie possédait une maison de campagne (cf. Lc 1:24), et où serait né le Précurseur du Christ.

Des lieux bénis, où les pélerins peuvent revivre avec une profonde joie les moments de cette rencontre de Marie et Elisabeth. Soyons nous aussi des pèlerins dans l’âme, et transportons-nous par la pensée auprès de ces deux Femmes par qui nous a été apporté le Salut.


1 Cette tradition est à l’origine de la fête de la Présentation de Marie au Temple, le 21 novembre.
2 “reporté”, car elle était précédemment établie au 2 juillet, huit jours après la naissance de Jean-Baptiste, donc jour de sa circoncision, après lequel Marie avait dû regagner sa maison de Nazareth.

 

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