La vierge dévouée à Dieu vit
bien que son Epoux voulait absolument qu'elle eût quelque rapport avec
le monde. Elle résolut dès lors de mener parmi les hommes
une
vie qui ne leur fût pas inutile et qui pût même porter à la vertu ceux
qui en étaient les témoins. Elle s'appliqua donc tout d'abord à des
actions tout humbles, puis peu à peu à des oeuvres de charité qui
devaient édifier ses proches. Elle ne renonça pas pour autant à ses
dévotes et continuelles oraisons et à l'incomparable pénitence qui les
accompagnait. Humblement, elle se mit avec grande application à tous les
travaux que demandait le service de la maison; elle exerça d'un cœur
joyeux l'office de servante, balayant, lavant tout ce qui servait à la
table ou à la cuisine et s'occupant aux emplois les plus vils. Elle le
faisait en particulier quand la servante de la maison souffrait de
quelque indisposition. Catherine doublait alors son service ordinaire;
elle pourvoyait à tous les besoins de la servante malade et, en même
temps, la remplaçait dans toutes ses charges à la maison sans abandonner
pour autant, chose admirable à dire, les consolations qu'elle trouvait
auprès de l'éternel Époux. L'inclination qu'elle avait à s'unir
mentalement à Lui, à toute heure et en tout temps, paraissait si
naturelle que nul acte extérieur, nulle occupation corporelle n'était
jamais un obstacle à ces chastes embrassements. Le feu tend
naturellement à s'élever, de même l'âme de Catherine, toute brûlante de
l'amour divin, manifestement entraînée par une habitude qui était
devenue comme une seconde nature, tendait continuellement à ces régions
supérieures où le Christ est assis à la droite de Dieu. Aussi son corps
tombait-il souvent, très souvent dans cet état extraordinaire qu'on
appelle extase, et je puis dire que nous l'avons mille fois vu et
constaté moi et les Frères qu'elle a engendrés spirituellement dans le
Seigneur par le Verbe de Vie.
Aussitôt que cette sainte
âme était un peu plus vivement pénétrée du souvenir de son Époux
céleste, elle s’arrachait autant qu'elle le pouvait aux sens corporels.
Les extrémités du corps, c'est-à-dire les mains et les pieds, se
contractaient. Cette contraction prenait d'abord les doigts, puis les
membres tout entiers qui adhéraient alors si fort aux lieux qu'ils
touchaient, qu'on les eût rompus et brisés avant d'avoir pu les en
arracher. Les yeux se fermaient complètement, le cou prenait une
rigidité cadavérique telle qu'il y avait danger, pour la santé de la
sainte, à le toucher à ce moment. Souvent Lapa, qui ne comprenait rien à
ces extases, et voyait sa fille inerte et raidie, voulut t'amener à son
état normal le cou un peu incliné. Mais aux cris de la compagne de
Catherine, qui savait le résultat de pareil essai, elle y renonçait. En
effet, quand la vie rentrait dans les sens de la vierge, le cou était
alors aussi douloureusement affecté que si on l'avait frappé très
violemment et à coups redoublés. La sainte m'a même assuré, un jour
qu'on racontait ce fait en sa présence, que si sa mère avait pu faire
quelques efforts de plus, pour lui redresser le cou, elle le lui aurait
infailliblement rompu. Tandis que Catherine était emportée au ciel, dans
ces ravissements d'esprit, comme une seconde Marie-Madeleine, son corps
était, lui aussi, élevé de terre avec l'âme, afin qu'on vît bien quelle
était la force qui attirait l'esprit. Mais plus tard nous nous étendrons
davantage sur ce sujet avec l'aide du Seigneur. Parlons pour le moment
d'un miracle qui arriva au commencement de ces extases.
Un jour où, comme je l'ai
dit, notre sainte s'occupait des services les plus bas de sa maison,
elle était assise près du foyer plein de charbons ardents, et tournait
des viandes rôtissant à la broche, ainsi que le font les dernières des
servantes. Mais cette occupation extérieure ne diminuait en rien le feu
de l'Esprit-Saint, qui brûlait intérieurement son âme. Elle pensait au
Bien-Aimé de son coeur, et, lui parlant mentalement, elle tomba en
extase et cessa tout mouvement extérieur. Sa belle-soeur Lysa, qui en
rend encore témoignage, s'en aperçut. Connaissant les habitudes de la
sainte, elle tourna la broche à sa place et la laissa jouir des baisers
de l'Époux céleste. La viande acheva de cuire, toute la famille prit son
repas; l'extase durait toujours. Lysa fit tout l'ouvrage que faisait
habituellement Catherine, et la laissa se délecter tout à son aise dans
ses divines consolations. Elle se rendit ensuite dans les appartements
plus intérieurs de la maison pour y servir, comme de coutume, son mari
et ses enfants. Quand, par ses soins, tous eurent commencé de reposer
dans leurs lits, elle voulut veiller jusqu'à ce que la sainte revînt à
elle, afin de voir ainsi la fin de cette extase. Après un bon moment,
elle sortit de son appartement et vint au lieu où elle avait laissé en
ravissement la sainte vierge du Seigneur. Elle trouva alors le corps de
Catherine complètement affaissé sur les charbons ardents; et le feu dans
cette maison était toujours alimenté d'une grande quantité de braise,
car on consumait beaucoup de bois pour cuire les couleurs. A ce
spectacle, Lysa s'écria en se lamentant : " Hélas! Catherine est toute
brûlée! " Elle s'approcha bien vite, retira la sainte du feu, et
s'aperçut que la flamme avait laissé absolument intacts le corps et les
vêtements; pas de trace, pas d'odeur de brûlure. Bien plus, on ne voyait
pas même de cendres sur les habits. Et cependant, d’après le calcul
soigneusement fait après cet accident, la sainte avait dû rester
plusieurs heures sur ce foyer. Comprenez-vous, lecteur, quelle devait
être la vertu du feu intérieur caché dans l'âme de cette vierge, pour
qu'il pût annihiler complètement la vertu naturelle du feu extérieur. Ne
vous semble-t-il pas que le miracle des trois enfants dans la fournaise
se trouve comme révélé ici? Et ce miracle du feu n'est pas seulement
arrivé une fois pour Catherine, mais il s'est répété souvent.
Un autre jour, elle était
dans l'église des Frères Prêcheurs de Sienne, sa tête reposait, inclinée
sur la base d'une colonne, où étaient de saintes images. Un cierge de
cire, que quelqu'un avait allumé là en l'honneur d'un saint, tomba sur
la tête de la vierge en prière, avant que la cire eût été complètement
consumée. O merveille, tout à fait étonnante pour notre temps! Le
cierge, tombant sur le voile de la vierge, continua d'y brûler, tant
qu'il y eut de la cire pour alimenter la flamme, sans faire le moindre
mal à la tête et au voile sacré de Catherine, sans laisser sur ce voile
aucune trace. Quand toute la cire eut été consumée, le cierge s'éteignit
de lui-même, comme s'il fût tombé sur du fer ou de la pierre dure. J'ai
pour témoins de ce fait plusieurs compagnes de Catherine qui l'ont vu et
me l'ont raconté; l'une de ces compagnes est Lysa, déjà citée; une autre
s'appelait Alexia,la troisième, Françoise. La première vit encore, les
deux autres ont suivi de près, dans la mort, leur maîtresse.
De plus, voici ce qui est
arrivé souvent et en différents lieux, surtout quand notre sainte, ou
plutôt la grâce de Dieu par elle, faisait d'extraordinaires conversions.
L'antique serpent, dans l'excès de sa rage contre Catherine, usant de la
permission du Seigneur, la précipita tout entière dans le feu, en
présence de plusieurs de ses fils et de ses filles dans le Christ. Tous
ceux qui se trouvaient là jetaient les hauts cris et se hâtaient de la
retirer. Quant à elle, elle sortait des flammes avec un visage gai et
souriant, sans que sa personne ou ses vêtements en eussent souffert la
moindre atteinte. Elle disait alors aux siens n Ne craignez rien! c'est
Mala Tascha. " Ainsi appelait-elle le diable, parce qu'il est comme le
mauvais sac qui emprisonne les âmes car, dans ce pays, Tascha est le nom
vulgaire d'un petit sac. Néri Landocci de Sienne, un des fils spirituels
de Catherine, m'a assuré qu'il avait vu ce fait deux fois de ses propres
yeux, et qu'avec lui se trouvaient alors plusieurs autres personnes de
l'un et l'autre sexe. Ce Néri est de vie intègre; c'est presque un
anachorète, je l'ai connu longtemps, aussi ai-je une foi entière en ses
paroles.
Un certain Gabriel de
Piccolomini de Sienne m'a attesté la même chose, me disant que lui aussi
était présent; il a même cité cet autre fait. Un jour, on avait mis
devant le lit de la sainte, alors couchée, un grand vase de terre, plein
de charbons ardents. Elle fut précipitée par l'antique ennemi de telle
façon et avec une telle violence que sa tête, en frappant sur les
charbons, fit éclater le vase en plusieurs morceaux. Et cependant, ni la
tête, ni son voile, n'eurent à souffrir quelque dommage du feu ou de
cette chute violente. Catherine se releva en souriant, sans aucun mal,
et se moqua de son persécuteur, en répétant à plusieurs reprises: " Mala
Tascha." On lit de semblables choses d'Euphrasie (Sainte Euphrasie,
fêtée au 12 mars, sortit sans aucun mal d’une chaudière d’huile
bouillante.) dans les Vies des Pères. Rien d'étonnant à ce que Dieu
laisse ainsi traiter ses épouses, alors qu'il a permis que le Fils
unique de son cœur soit transporté par ce même esprit mauvais sur le
pinacle du Temple et sur une montagne élevée (Mt 4).
J'avoue qu'ici, lecteur
bien-aimé, j'ai passé des premiers aux derniers actes de notre sainte.
La ressemblance des sujets m'y a obligé. Si je n'ai pas tenu compte des
dates, c'était pour n'avoir pas à répéter dans la suite le récit des
miracles que Notre-Seigneur accomplit par Catherine sur l'élément du
feu.
Grâce à l'enseignement, et
plus encore à la divine motion du souverain Docteur, notre sainte
apprenait chaque jour davantage à jouir de l'intimité de l'Epoux céleste
en son lit de fleurs, tout en descendant dans la vallée des lis pour y
recevoir une fécondité nouvelle (Ct 1,15 ; 2,1). Elle savait si
bien allier ces deux mouvements de la vie surnaturelle qu'aucun ne
supprimait ou ne diminuait l'autre, ce qui est souveraine perfection et
dépasse même la perfection ordinaire de la charité sur cette terre.
Cependant, comme toutes ses actions avaient l'amour pour racine et pour
cause, il s'ensuit que ses œuvres de charité pour le prochain sont les
plus abondantes. Ces œuvres étaient de deux sortes, puisque notre
prochain, nous le savons, est tout à la fois substance spirituelle et
corporelle et comme il est naturel, en matière d'enseignement, de
s'élever de l'imparfait au parfait, nous parlerons d'abord des oeuvres
de charité que Catherine a faites pour les corps de ses frères, puis de
celles qu'elle a faites pour leurs âmes, si toutefois il est possible de
raconter exactement les oeuvres de cette seconde catégorie, ce que je ne
croîs pas.
Quant aux premières,
l'excellence des actes accomplis nous oblige à partager le récit que
nous en ferons, entre les soins donnés aux corps des malades et les
secours apportés aux indigences du prochain, œuvres bien remarquables,
et dont chaque genre offre à notre vénération quelque miracle divin. Le
chapitre qui suit immédiatement traitera donc des merveilles accomplies
dans le soulagement des besoins matériels du prochain; nous parlerons
dans un autre de l'admirable charité que montra Catherine envers les
corps des infirmes.
Je termine ici le présent
chapitre, dont le contenu a pour témoins ceux que j'ai cités plus haut;
aussi n'ai-je pas cru devoir les nommer encore une fois.