CHAPITRE II

ADMIRABLES EXTASES DE CATHERINE MIRACLES ARRIVES AU TEMPS OU ELLE COMMENÇA DE REPRENDRE SES RELATIONS AVEC LE MONDE.

La vierge dévouée à Dieu vit bien que son Epoux voulait absolument qu'elle eût quelque rapport avec le monde. Elle résolut dès lors de mener parmi les hommes une vie qui ne leur fût pas inutile et qui pût même porter à la vertu ceux qui en étaient les témoins. Elle s'appliqua donc tout d'abord à des actions tout humbles, puis peu à peu à des oeuvres de charité qui devaient édifier ses proches. Elle ne renonça pas pour autant à ses dévotes et continuelles oraisons et à l'incomparable pénitence qui les accompagnait. Humblement, elle se mit avec grande application à tous les travaux que demandait le service de la maison; elle exerça d'un cœur joyeux l'office de servante, balayant, lavant tout ce qui servait à la table ou à la cuisine et s'occupant aux emplois les plus vils. Elle le faisait en particulier quand la servante de la maison souffrait de quelque indisposition. Catherine doublait alors son service ordinaire; elle pourvoyait à tous les besoins de la servante malade et, en même temps, la remplaçait dans toutes ses charges à la maison sans abandonner pour autant, chose admirable à dire, les consolations qu'elle trouvait auprès de l'éternel Époux. L'inclination qu'elle avait à s'unir mentalement à Lui, à toute heure et en tout temps, paraissait si naturelle que nul acte extérieur, nulle occupation corporelle n'était jamais un obstacle à ces chastes embrassements. Le feu tend naturellement à s'élever, de même l'âme de Catherine, toute brûlante de l'amour divin, manifestement entraînée par une habitude qui était devenue comme une seconde nature, tendait continuellement à ces régions supérieures où le Christ est assis à la droite de Dieu. Aussi son corps tombait-il souvent, très souvent dans cet état extraordinaire qu'on appelle extase, et je puis dire que nous l'avons mille fois vu et constaté moi et les Frères qu'elle a engendrés spirituellement dans le Seigneur par le Verbe de Vie.

Aussitôt que cette sainte âme était un peu plus vivement pénétrée du souvenir de son Époux céleste, elle s’arrachait autant qu'elle le pouvait aux sens corporels. Les extrémités du corps, c'est-à-dire les mains et les pieds, se contractaient. Cette contraction prenait d'abord les doigts, puis les membres tout entiers qui adhéraient alors si fort aux lieux qu'ils touchaient, qu'on les eût rompus et brisés avant d'avoir pu les en arracher. Les yeux se fermaient complètement, le cou prenait une rigidité cadavérique telle qu'il y avait danger, pour la santé de la sainte, à le toucher à ce moment. Souvent Lapa, qui ne comprenait rien à ces extases, et voyait sa fille inerte et raidie, voulut t'amener à son état normal le cou un peu incliné. Mais aux cris de la compagne de Catherine, qui savait le résultat de pareil essai, elle y renonçait. En effet, quand la vie rentrait dans les sens de la vierge, le cou était alors aussi douloureusement affecté que si on l'avait frappé très violemment et à coups redoublés. La sainte m'a même assuré, un jour qu'on racontait ce fait en sa présence, que si sa mère avait pu faire quelques efforts de plus, pour lui redresser le cou, elle le lui aurait infailliblement rompu. Tandis que Catherine était emportée au ciel, dans ces ravissements d'esprit, comme une seconde Marie-Madeleine, son corps était, lui aussi, élevé de terre avec l'âme, afin qu'on vît bien quelle était la force qui attirait l'esprit. Mais plus tard nous nous étendrons davantage sur ce sujet avec l'aide du Seigneur. Parlons pour le moment d'un miracle qui arriva au commencement de ces extases.

Un jour où, comme je l'ai dit, notre sainte s'occupait des services les plus bas de sa maison, elle était assise près du foyer plein de charbons ardents, et tournait des viandes rôtissant à la broche, ainsi que le font les dernières des servantes. Mais cette occupation extérieure ne diminuait en rien le feu de l'Esprit-Saint, qui brûlait intérieurement son âme. Elle pensait au Bien-Aimé de son coeur, et, lui parlant mentalement, elle tomba en extase et cessa tout mouvement extérieur. Sa belle-soeur Lysa, qui en rend encore témoignage, s'en aperçut. Connaissant les habitudes de la sainte, elle tourna la broche à sa place et la laissa jouir des baisers de l'Époux céleste. La viande acheva de cuire, toute la famille prit son repas; l'extase durait toujours. Lysa fit tout l'ouvrage que faisait habituellement Catherine, et la laissa se délecter tout à son aise dans ses divines consolations. Elle se rendit ensuite dans les appartements plus intérieurs de la maison pour y servir, comme de coutume, son mari et ses enfants. Quand, par ses soins, tous eurent commencé de reposer dans leurs lits, elle voulut veiller jusqu'à ce que la sainte revînt à elle, afin de voir ainsi la fin de cette extase. Après un bon moment, elle sortit de son appartement et vint au lieu où elle avait laissé en ravissement la sainte vierge du Seigneur. Elle trouva alors le corps de Catherine complètement affaissé sur les charbons ardents; et le feu dans cette maison était toujours alimenté d'une grande quantité de braise, car on consumait beaucoup de bois pour cuire les couleurs. A ce spectacle, Lysa s'écria en se lamentant : " Hélas! Catherine est toute brûlée! " Elle s'approcha bien vite, retira la sainte du feu, et s'aperçut que la flamme avait laissé absolument intacts le corps et les vêtements; pas de trace, pas d'odeur de brûlure. Bien plus, on ne voyait pas même de cendres sur les habits. Et cependant, d’après le calcul soigneusement fait après cet accident, la sainte avait dû rester plusieurs heures sur ce foyer. Comprenez-vous, lecteur, quelle devait être la vertu du feu intérieur caché dans l'âme de cette vierge, pour qu'il pût annihiler complètement la vertu naturelle du feu extérieur. Ne vous semble-t-il pas que le miracle des trois enfants dans la fournaise se trouve comme révélé ici? Et ce miracle du feu n'est pas seulement arrivé une fois pour Catherine, mais il s'est répété souvent.

Un autre jour, elle était dans l'église des Frères Prêcheurs de Sienne, sa tête reposait, inclinée sur la base d'une colonne, où étaient de saintes images. Un cierge de cire, que quelqu'un avait allumé là en l'honneur d'un saint, tomba sur la tête de la vierge en prière, avant que la cire eût été complètement consumée. O merveille, tout à fait étonnante pour notre temps! Le cierge, tombant sur le voile de la vierge, continua d'y brûler, tant qu'il y eut de la cire pour alimenter la flamme, sans faire le moindre mal à la tête et au voile sacré de Catherine, sans laisser sur ce voile aucune trace. Quand toute la cire eut été consumée, le cierge s'éteignit de lui-même, comme s'il fût tombé sur du fer ou de la pierre dure. J'ai pour témoins de ce fait plusieurs compagnes de Catherine qui l'ont vu et me l'ont raconté; l'une de ces compagnes est Lysa, déjà citée; une autre s'appelait Alexia,la troisième, Françoise. La première vit encore, les deux autres ont suivi de près, dans la mort, leur maîtresse.

De plus, voici ce qui est arrivé souvent et en différents lieux, surtout quand notre sainte, ou plutôt la grâce de Dieu par elle, faisait d'extraordinaires conversions. L'antique serpent, dans l'excès de sa rage contre Catherine, usant de la permission du Seigneur, la précipita tout entière dans le feu, en présence de plusieurs de ses fils et de ses filles dans le Christ. Tous ceux qui se trouvaient là jetaient les hauts cris et se hâtaient de la retirer. Quant à elle, elle sortait des flammes avec un visage gai et souriant, sans que sa personne ou ses vêtements en eussent souffert la moindre atteinte. Elle disait alors aux siens n Ne craignez rien! c'est Mala Tascha. " Ainsi appelait-elle le diable, parce qu'il est comme le mauvais sac qui emprisonne les âmes car, dans ce pays, Tascha est le nom vulgaire d'un petit sac. Néri Landocci de Sienne, un des fils spirituels de Catherine, m'a assuré qu'il avait vu ce fait deux fois de ses propres yeux, et qu'avec lui se trouvaient alors plusieurs autres personnes de l'un et l'autre sexe. Ce Néri est de vie intègre; c'est presque un anachorète, je l'ai connu longtemps, aussi ai-je une foi entière en ses paroles.

Un certain Gabriel de Piccolomini de Sienne m'a attesté la même chose, me disant que lui aussi était présent; il a même cité cet autre fait. Un jour, on avait mis devant le lit de la sainte, alors couchée, un grand vase de terre, plein de charbons ardents. Elle fut précipitée par l'antique ennemi de telle façon et avec une telle violence que sa tête, en frappant sur les charbons, fit éclater le vase en plusieurs morceaux. Et cependant, ni la tête, ni son voile, n'eurent à souffrir quelque dommage du feu ou de cette chute violente. Catherine se releva en souriant, sans aucun mal, et se moqua de son persécuteur, en répétant à plusieurs reprises: " Mala Tascha." On lit de semblables choses d'Euphrasie (Sainte Euphrasie, fêtée au 12 mars, sortit sans aucun mal d’une chaudière d’huile bouillante.) dans les Vies des Pères. Rien d'étonnant à ce que Dieu laisse ainsi traiter ses épouses, alors qu'il a permis que le Fils unique de son cœur soit transporté par ce même esprit mauvais sur le pinacle du Temple et sur une montagne élevée (Mt 4).

J'avoue qu'ici, lecteur bien-aimé, j'ai passé des premiers aux derniers actes de notre sainte. La ressemblance des sujets m'y a obligé. Si je n'ai pas tenu compte des dates, c'était pour n'avoir pas à répéter dans la suite le récit des miracles que Notre-Seigneur accomplit par Catherine sur l'élément du feu.

Grâce à l'enseignement, et plus encore à la divine motion du souverain Docteur, notre sainte apprenait chaque jour davantage à jouir de l'intimité de l'Epoux céleste en son lit de fleurs, tout en descendant dans la vallée des lis pour y recevoir une fécondité nouvelle (Ct 1,15 ; 2,1). Elle savait si bien allier ces deux mouvements de la vie surnaturelle qu'aucun ne supprimait ou ne diminuait l'autre, ce qui est souveraine perfection et dépasse même la perfection ordinaire de la charité sur cette terre. Cependant, comme toutes ses actions avaient l'amour pour racine et pour cause, il s'ensuit que ses œuvres de charité pour le prochain sont les plus abondantes. Ces œuvres étaient de deux sortes, puisque notre prochain, nous le savons, est tout à la fois substance spirituelle et corporelle et comme il est naturel, en matière d'enseignement, de s'élever de l'imparfait au parfait, nous parlerons d'abord des oeuvres de charité que Catherine a faites pour les corps de ses frères, puis de celles qu'elle a faites pour leurs âmes, si toutefois il est possible de raconter exactement les oeuvres de cette seconde catégorie, ce que je ne croîs pas.

Quant aux premières, l'excellence des actes accomplis nous oblige à partager le récit que nous en ferons, entre les soins donnés aux corps des malades et les secours apportés aux indigences du prochain, œuvres bien remarquables, et dont chaque genre offre à notre vénération quelque miracle divin. Le chapitre qui suit immédiatement traitera donc des merveilles accomplies dans le soulagement des besoins matériels du prochain; nous parlerons dans un autre de l'admirable charité que montra Catherine envers les corps des infirmes.

Je termine ici le présent chapitre, dont le contenu a pour témoins ceux que j'ai cités plus haut; aussi n'ai-je pas cru devoir les nommer encore une fois.

   

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