CHAPITRE VI

AUSTERITE DE LA PÉNITENCE DE CATHERINE, PERSECUTION QU’ELLE SOUFFRE POUR CETTE CAUSE DE LA PART DE SA PROPRE MÈRE.

(Le lecteur ne doit pas oublier que, dans la pratique de ses austérités, sainte Catherine obéissait à une inspiration spéciale de l’Esprit-Saint, qui voulait en faire un prodige de pénitence. Voici au reste ce que la sainte dit des mortifications corporelles, dans son Dialogue, au commencement du Traité de la Discrétion. " Les saintes et douces œuvres que je demande à mes serviteurs sont les vertus intérieures et éprouvées de l’âme, comme je l’ai dit, et non pas seulement celles qui ont pour instrument le corps et pour effet des actes extérieure, des pénitences de différentes sortes. Ce sont là les instrumente de la vertu, mais non la vertu. Si même ces actes ne sont pas accompagnés des vertus intérieures citées plus haut, ils me seront peu agréables. Quelquefois même, si l’âme ne fait pas discrètement pénitence, c’est-à-dire si elle met surtout son affection dans la pénitence qu’elle entreprend, elle pose un obstacle à sa perfection. Elle doit s’attacher surtout à mon Amour, à une sainte haine d’elle-même, à une vraie humilité, à une parfaite patience et aux autres vertus intérieures de l’âme, jointes à la faim et au désir de mon honneur et du salut des âmes. Voilà les œuvres qui montrent une volonté morte à la sensualité qu’elle tue continuellement par amour de la vertu. C’est avec cette discrétion que l’âme doit faire pénitence, c’est-à-dire qu’elle doit aimer surtout la vertu plus que la pénitence et se servir de la pénitence comme d’un instrument pour augmenter la vertu, selon qu’il en est besoin, et qu’elle croit pouvoir le faire dans la mesure de ses forces. ")

Après avoir reçu cette large liberté de servir Dieu, notre vierge, qui lui était entièrement dévouée, commença d’ordonner admirablement toute sa vie à ce service. Elle demanda et obtint une petite chambre séparée des autres, où elle pût s’occuper de Dieu, dans la solitude, et affliger son corps selon ses désirs. Ce que fut alors la rigueur de la pénitence avec laquelle elle tourmenta son corps, ce que fut l’avidité de l’amour avec lequel elle chercha le visage de son Epoux, nulle langue ne saurait le dire.

Mais, puisqu’à ce moment nous avons à parler de l’austérité inouïe de Catherine, je crois faire œuvre utile, cher lecteur, en laissant un instant la suite du récit, pour vous faire la peinture de cette austérité. Avant de parcourir en détail tout l’enclos de cette sainte vie, vous goûterez ainsi de ses premiers et de ses derniers fruits. Cela ne m’empêchera pas, quand nous arriverons au lieu de leur production, de vous en offrir à nouveau quelques-uns, selon que l’ordre de notre récit nous en donnera l’occasion, et si la grâce du Très-Haut nous le permet. Ce que je vais dire ici doit simplement vous habituer et vous préparer à considérer les fruits de vertu de notre sainte. Sachez donc que, dans cette cellule ou petite chambre, se sont renouvelées les œuvres les plus anciennes des Pères du désert, œuvres d’autant plus admirables que Catherine les accomplissait en dehors de tout enseignement, de tout exemple, de tout entraînement venant du dehors.

Commençons par son abstinence de nourriture et de boisson. Dès son enfance, ainsi que nous en avons dit un mot, elle prenait rarement de la viande; cette fois elle supprima complètement cette nourriture. L’habitude de cette abstinence totale devint telle que la sainte ne pouvait plus supporter, sans souffrances physiques, la seule odeur de la viande, ainsi qu’elle me l’a secrètement confessé. Pour ne pas trop vous étonner de cette affirmation, aimable lecteur, écoutez ce fait: Un jour que je voyais le corps de Catherine faible et presque défaillant, parce qu’elle ne prenait, comme nourriture et boisson, rien de ce qui réconforte habituellement les faibles, j’imaginai de mettre du sucre dans l’eau froide qu’elle buvait. Quand je l’en eus avertie, elle se tourna vers moi, et me répondit : " Vous voulez donc, à ce que je vois, éteindre complètement le peu de vie qui me reste. " Je lui demandai la raison de cette parole et, à sa réponse, je compris qu’elle était tellement accoutumée, comme je l’ai dit, aux nourritures amères et aux boissons insipides que tout ce qui était doux nuisait à son corps, à cause de cette disposition générale devenue pour elle une habitude. Ainsi en avait-elle agi vis-à-vis de la viande, comme nous l’avons rapporté.

Quant au vin, du jour où elle eut sa chambre, elle y mêla tant d’eau qu’il en perdait toute saveur, toute odeur, et ne gardait qu’un peu de la couleur très riche des vins du pays. Vers l’âge de quinze ans, elle abandonna complètement le vin et ne but plus que de l’eau. Elle diminuait chaque jour progressivement la quantité d’aliments cuits qu’elle prenait en dehors du pain et bientôt elle se réduisit à manger simplement du pain et des herbes crues. Vers l’âge de vingt ans ou à peu près, si je ne me trompe, elle se priva même de pain et ne se permit plus que l’usage des herbes.

Enfin, et ceci n’était plus le fruit de l’exercice ou de la nature, mais l’effet d’un miracle divin, comme nous le verrons plus loin avec la grâce de Dieu, Catherine en arriva à un état si élevé que son faible corps, bien qu’accablé d’infirmités et du poids d’autres fatigues intolérables, ne consommait plus rien de ce qui peut soutenir la vie. Son estomac ne digérait plus et ne pouvait plus digérer. Et, cependant, cette privation complète de nourriture et de boisson ne diminuait en rien les forces corporelles de la sainte, dont la vie était ainsi un vrai miracle, comme je l’ai dit souvent. Aucune force naturelle n’eût pu accomplir ce que nous voyions de nos yeux. Plusieurs médecins, que j’ai conduits vers notre vierge, l’ont reconnu sans hésitation. Mais, avec l’aide de Dieu, nous parlerons plus clairement et plus pleinement de tout cela plus loin. Je conclus ce sujet de l’abstinence, Ô lecteur, en vous disant qu’au temps où j’ai mérité d’être le témoin de sa vie, Catherine vivait sans le secours d’aucun aliment et d’aucune boisson. Ainsi privée de tout ce qui pouvait la soutenir naturellement, elle supportait, avec un visage toujours joyeux, des douleurs et des fatigues qui, pour d’autres, eussent été intolérables.

Je ne veux pas vous laisser penser que quelque industrie naturelle, l’exercice ou l’habitude, aient jamais pu la conduire à un tel état. Ne croyez pas que personne puisse soutenir une telle supposition. Ces choses sont trop extraordinaires, et elles ont bien plus leur cause dans la plénitude de l’esprit que dans n’importe quel exercice ou habitude d’abstinence. Vous savez bien que la plénitude de l’esprit a son rejaillissement dans le corps. Quand l’esprit se nourrit, le corps supporte plus facilement le tourment de la faim. Quel chrétien pourrait en douter? Est-ce que les saints martyrs n’avaient pas une force surnaturelle pour supporter joyeusement et la faim et les autres tourments du corps. D’où leur venait cette force, si ce n’est de la surabondance de l’esprit? J’en ai fait moi-même l’expérience, et je crois que n’importe qui peut la faire de même. Un homme occupé de Dieu jeûne facilement; mettez ensuite ce même homme aux œuvres extérieures, il lui devient très dur et même impossible de jeûner comme auparavant. Pourquoi cela? si ce n’est parce que la pleine vie de l’esprit fortifie le corps qui lui est uni substantiellement. Ce don est au-dessus de la nature, mais il est naturel que le corps et l’âme se communiquent l’un à l’autre leurs biens et leurs maux. Je ne nie pas cependant que certains jeûnent plus facilement que d’autres; mais garder en cette vie et pendant longtemps une abstinence complète, voilà qui me paraît impossible à notre nature.

Que cela suffise pour le moment à vous donner une notion sommaire de l’abstinence de la sainte; mais ne croyez pas, cher lecteur, que ce fut la seule façon dont Catherine affligeât sa chair, et lisez attentivement ce qui suit.

Elle s’était fait un lit de planches que rien ne recouvrait. Elle s’y asseyait pour méditer, s’y prosternait pour prier, et, quand le temps était venu, elle y étendait son corps pour dormir, sans enlever aucun de ses vêtements, qui tous étaient de laine. Elle se servit quelque temps d’un cilice. Mais, si pure intérieurement, elle avait aussi en horreur les moindres causes d’impureté extérieure, et elle changea son cilice pour une chaîne de fer. Elle portait donc sous ses vêtements une chaîne de fer qui entourait et serrait si fortement son corps que, pénétrant dans les chairs, elle avait comme brûlé la peau tout autour. Ainsi me l’ont rapporté ses filles spirituelles et ses compagnes, souvent obligées de lui changer ses vêtements, pour essuyer les sueurs très abondantes amenées par ses infirmités croissantes. Aussi vers la fin de sa vie, son mal augmentant, l’ai-je obligée à quitter cette chaîne, bien que cela lui coûtât beaucoup.

En outre, dès le début, elle prolongea ses veilles jusqu’à l’heure de Matines, ainsi que nous le dirons plus loin avec la grâce de Dieu. Dans la suite, elle arriva peu à peu à triompher si bien du sommeil que, pour deux jours, elle dormait à peine une demi-heure. Elle m’a dit une fois qu’en aucune lutte la victoire ne lui avait autant coûté que dans cette lutte contre le sommeil. C’est la difficulté la plus grande qu’elle ait rencontrée.

Au temps où je l’ai connue, nul doute que, s’entretenant avec des gens qui l’aient comprise, elle n’ait pu parler de Dieu pendant cent jours et cent nuits, sans manger ni boire. A cela, pour elle, point de fatigue; bien plus, elle y trouvait toujours une gaieté et des forces nouvelles. Elle m’a souvent révélé qu’elle n’avait pas dans cette vie de délassement comparable à celui de s’entretenir de Dieu avec des âmes intelligentes; et nous, qui vivions avec elle, nous le voyions par expérience. Il nous était facile de constater qu’aux jours où elle avait le temps de parler de Dieu et d’exposer les sentiments qui se pressaient dans le secret de son cœur, on voyait apparaître en son corps un renouveau de force et de gaieté. Quand, au contraire, cette consolation ne lui était pas accordée, elle redevenait faible et presque sans vie. C’est à l’honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ son éternel Epoux, à ’éloge de la sainte et à ma confusion que je vais rapporter ce qui suit. Souvent, lorsqu’elle me parlait de Dieu et dissertait avec profondeur des plus sublimes mystères, elle s’étendait en assez longs discours; et moi qui avais l’esprit bien au-dessous des hauteurs du sien, et qui sentais peser lourdement le poids de la chair, j’étais pris de sommeil. Tout en parlant, elle s’absorbait complètement en Dieu et continuait longtemps ainsi, avant de remarquer mon sommeil. Quand, après quelque temps, elle s’en apercevait, elle m’éveillait d’une voix forte en disant : " Comment pouvez-vous sacrifier au sommeil le profit de votre âme. Est-ce au mur ou à vous que je dis les paroles de Dieu? "

Ajoutez à tout cela, que, voulant imiter le saint Patriarche qui lui était apparu, c’est-à-dire le bienheureux Dominique, elle se donnait trois fois le jour la discipline avec une chaîne de fer, la première fois pour elle-même, la seconde pour les vivants, la troisième pour les défunts. On lit en effet, dans la Vie du bienheureux Dominique, que c’était là une pratique habituelle de ce glorieux Patriarche. Elle l’imita pendant assez longtemps, jusqu’à ce que le poids de ses nombreuses infirmités ne lui permît plus de continuer. Je m’enquis un jour secrètement auprès d’elle de la façon dont elle pratiquait cette pénitence. Elle m’avoua, tout en rougissant, que chaque discipline durait une heure et demie, et qu’il n’était pas rare que le sang coulât des épaules jusqu’aux pieds. Voyez-vous, lecteur, quelle était la perfection de cette âme, qui, trois fois par jour, s’ouvrait les veines afin de rendre au Sauveur sang pour sang? Comprenez-vous ce qu’il lui fallait de vertu pour accomplir de pareils actes au foyer paternel, en dehors de toute instruction, direction ou exemple venant de ses semblables?

Lisez les actes des saints, fouillez les vies des Pères du désert, n’oubliez même pas de consulter les saintes Ecritures, et voyez si vous trouverez nulle part quelque chose de semblable. Vous trouverez que Paul, le premier ermite, a vécu longtemps seul dans les déserts, mais un corbeau lui apportait chaque jour la moitié d’un pain. Vous lirez que le fameux Antoine s’est imposé et a souffert d’admirables austérités; mais remarquez qu’il allait visiter divers anachorètes et demander à chacun l’exemple de quelque vertu, de sorte qu’on peut le comparer à ceux qui composent un bouquet de fleurs. Au témoignage de saint Jérôme, Hilarion, encore enfant, est allé d’abord trouver Antoine, et c’est après avoir été formé par lui qu’il a gagné les déserts, et qu’il a triomphé dans une lutte courageuse. Et les deux Macaires! Et Arsène! Et les autres, qu’il serait trop long d’énumérer ici! tous ont eu un ou plusieurs maîtres et docteurs pour les conduire, par la parole ou par l’exemple, dans les voies du Seigneur. Tous habitaient dans des déserts ou dans des monastères très bien réglés et ordonnés. Mais voyez maintenant, lecteur, cette vraie fille d’Abraham. Elle n’est point dans un monastère, ni dans un désert, mais dans la propre maison de son père. Elle n’a l’exemple ou le secours d’aucun homme encore vivant en ce monde. Elle est plus ou moins gênée par le grand nombre de personnes qui habitent la maison, et cependant elle atteint un degré de perfection, dans l’abstinence, qu’aucun des saints précités n’a pu atteindre. Que dire de cela? Ecoutez-moi, je vous prie, encore un peu. Moïse a observé deux fois un jeûne absolu pendant quarante jours complets, et Eue l’a fait une fois, ainsi que le rapporte la sainte Ecriture. L’Evangile nous raconte la même chose du Sauveur lui-même. Mais jusqu’ici, nous n’avons pas trouvé de jeûne durant plusieurs années. Jean-Baptiste, conduit par l’Esprit de Dieu, s’en est allé au désert et y a habité, mais on lit qu’il y mangeait du miel sauvage, des sauterelles et des racines d’herbes; il n’est pas écrit qu’il ait gardé un jeûne absolu. Je ne trouve que Madeleine qui, retirée sur son rocher, ait observé pareil jeûne pendant trente-trois ans. Encore, ce ne sont pas les saintes Ecritures qui nous l’attestent, mais son histoire, et la disposition du lieu de sa retraite, qu’on voit encore. C’est pour cette raison, je pense, que le Seigneur lui-même et sa glorieuse Mère donnèrent à notre vierge Madeleine pour maîtresse et pour mère, ainsi que nous le verrons plus loin, si Dieu nous l’accorde. Et maintenant que conclure? Rien ne nous empêche de voir manifestement dans cette abstinence une grâce tout à fait particulière, un don qui jusque-là n’avait été fait à personne à un si haut degré, grâce et don que notre sainte reçut du Seigneur lui-même. Nous l’exposerons plus au long tout à l’heure, si toutefois ce même Seigneur veut bien nous en faire la grâce. Je ne veux cependant pas vous laisser croire, bien-aimé lecteur, que j’ai voulu, par tout ce que je viens de dire, mettre la sainteté de notre vierge au-dessus de celle des saints dont nous avons parlé, et établir ainsi entre les bienheureux d’odieuses comparaisons. Je ne suis pas si insensé, ô bon lecteur. Parmi les noms cités, j’ai donné celui du Sauveur, et lui comparer quelque saint, serait, je le sais bien, un blasphème. Je n’ai pas eu davantage l’intention d’établir un parallèle avec les autres personnages que j’ai nommés. J’ai voulu tout d’abord vous permettre de mieux comprendre combien grande est la magnificence de notre Dieu qui, dans ses inépuisables largesses, ne cesse de trouver chaque jour de nouveaux dons, pour parfaire et orner ses saints. J’ai voulu ensuite vous faire remarquer plus particulièrement et noter avec plus de soin l’excellence de notre sainte. Sachez que, sans injure pour les autres, l’Église chante en toute vérité de chaque saint : "On n’a pas trouvé son semblable (Antienne des Laudes d’un confesseur pontife (Bréviaire romain) " Tout cela procède de l’infinie puissance et aussi de la libéralité de Celui qui sanctifie, et qui veut et peul faire rayonner, en chacun de ses saints, la gloire d’un don tout particulier.

Mais ne nous écartons pas trop de notre sujet. Ce que nous avons dit permet à tous d’imaginer à quel degré de faiblesse devait être réduit ce corps dompté par tant et de si dures austérités, livré à l’esclavage de l’esprit, par de continuelles afflictions. Lapa, encore aujourd’hui vivante, m’a raconté que sa fille, avant qu’elle s’infligeât de si grandes pénitences, avait un corps très fort et très vigoureux. C’est ainsi qu’elle soulevait sans difficulté la charge d’un mulet ou d’un âne, déposée devant la porte. Prenant cette charge sur ses épaules, elle montait agilement les marches nombreuses de deux escaliers, jusqu’à l’étage supérieur de la maison. On m’a dit que le poids et les dimensions de son corps étaient alors le double de ce qu’ils furent à l’âge de vingt-huit ans. Une telle diminution n’est pas étonnante; ce qui parait et ce qui est étonnant, ce qui me semble impossible sans miracle, c’est que cette pénitence ne l’ait pas complètement consumée. Au temps où je l’ai connue, il était facile à tous de constater que sa vigueur était bien épuisée, et qu’il en restait bien peu. Quand l’esprit va croissant, la chair nécessairement défaille, vaincue par l’esprit. Et cependant, malgré cette faiblesse, malgré plusieurs maladies dont elle souffrait sans relâche, notre sainte travaillait allègrement, surtout au salut des âmes. On eût dit une autre Catherine, différente de celle qu’épuisait la souffrance. C’était l’esprit qui travaillait; cet esprit, abondamment nourri et fort, soutenait et fortifiait la chair débilitée.

Mais reprenons le cours de notre récit où nous l’avions laissé en commençant cet exposé. Catherine avait obtenu une cellule et toute liberté de s’occuper de Dieu. C’est alors qu’elle commença de monter vers son Époux avec cette ferveur que nous avons dite. Mais l’antique serpent, bien que vaincu, ne renonça pas pour autant à de nouvelles persécutions. Il s’adressa à cette fille d’Ève qu’était Lapa, mère de notre sainte, et se servît de l’amour charnel avec lequel cette mère aimait plus le corps que l’âme de sa fille, pour la décider à mettre obstacle à une pareille pénitence. Quand Lapa entendait Catherine se frapper avec la chaîne de fer, elle élevait bien haut sa voix et ses pleurs, et s’écriait en gémissant: " Ma fille! ma fille je te vois déjà morte, certainement tu te tueras ! Malheur à moi! Qui donc m’a ravi ma fille? Qui donc m’a apporté tous ces maux? " La vieille continuait sur ce ton, puis elle ajoutait à ses cris des gémissements et parfois des actes de colère, se déchirant elle-même, s’arrachant les cheveux de la tête, comme si elle eût en devant elle sa fille déjà morte. Ces cris mettaient souvent en émoi tout le voisinage, de sorte que tous accouraient pour voir quelle nouvelle infortune avait frappé la vieille Lapa.

Quand elle s’apercevait que sa fille dormait sur la planche nue, elle l’entraînait par force dans sa propre chambre et l’obligeait à partager son lit. Sous l’influence des lumières abondantes de l’Esprit de sagesse, Catherine se mettait alors à genoux devant sa mère, l’apaisait par de douces et humbles paroles, la suppliait de laisser toute colère, de reprendre son calme et lui promettait d’obtempérer à ses désirs et de coucher avec elle dans son lit. Pour la satisfaire, elle étendait un moment son corps sur le bord du lit tout en poursuivant sa méditation; puis, quand sa mère était endormie, elle se levait sans bruit et revenait à ses saints exercices. Mais Lapa s’en apercevait bientôt, aiguillonnée par l’ennemi du genre humain, jaloux de ces bienheureuses actions. Voici de quelle artifice Catherine se servit alors pour ne pas contrister davantage sa mère. Elle prenait en secret une ou deux planches et les glissait sous tes draps du lit dans lequel elle devait dormir, de serte qu’une fois couchée elle en sentît la dureté et restât ainsi fidèle à sa sainte habitude. Au bout de quelques jours, Lapa découvrit encore cette ruse: "Je vois bien, dit-elle alors, que mes efforts sont inutiles; ta résolution est, paraît-il, inébranlable; mieux vaut pour moi fermer les yeux et te laisser faire, dors où tu as l’habitude de dormir. " C’est ainsi qu’ayant vu la constance de sa fille elle lui permit de vivre selon les inspirations du Tout-Puissant.

Ici se termine notre chapitre. Voici les sources ou j’ai puisé ce qu’il contient. La sainte m’a dit elle-même ses abstinences, ses autres austérités et la façon dont elle les pratiquait. Lapa et d’autres femmes habituées de la maison m’ont donné les autres renseignements. Enfin j’ai vu et. vérifié moi-même une partie de ces faits et spécialement ce qui concerne le don si particulier d’abstinence qu’avait reçu Catherine.

   

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