sainte
Françoise Romaine
1384-1440
veuve, fondatrice des Oblates

Traité de l’enfer

1

 

 

 

INTRODUCTION

Pour être née dans l'opulence, une femme du monde n'est pas moins obligée de suivre les maximes de l’Évangile : sainte Françoise.

Nous verrons, dans la vie de cette illustre veuve, le portrait de cette femme forte dont parle le Sage, et dont il fait de si grands éloges. Elle naquit l'an de grâce 1384. Son père se nommait Paul Bussa, et sa mère Jacqueline Roffredeschi, l'un et l'autre des premières familles de Rome. Elle fit paraître, dès le berceau, une telle aversion pour tout ce qui est contraire à la pureté, qu'elle ne pouvait souffrir qu'aucun homme, pas même son père, usât des caresses et des libertés que la nature autorise envers un enfant. A l'âge de douze ans, elle eût bien désiré s'enfermer dans un cloître pour y servir le reste de ses jours le seul Époux des vierges ; elle fit même tous ses efforts pour cela : mais ses parents, sans consulter ses inclinations, l'obligèrent d'épouser, en 1396, malgré toutes ses répugnances, Laurent Ponziani, jeune seigneur romain, dont la fortune égalait la naissance : il y eut peu de mariages aussi heureux, parce qu'il y en a peu d'aussi saints ; l'estime, le respect et l'amour furent mutuels, la paix et l'union inaltérables; ces époux vécurent ensemble quarante années sans la moindre mésintelligence, sans une ombre de froideur.

Cependant à peine Françoise eut-elle changé de condition, qu'elle tomba dangereusement malade; ce qui fit connaître le déplaisir qu'elle avait eu à s'engager dans le mariage. Néanmoins, sa maladie ne dura pas longtemps, car saint Alexis, lui apparaissant la nuit, lui rendit en un instant une santé parfaite. Sa maison fut une véritable école de vertu : elle regardait ses domestiques, non pas comme ses serviteurs et ses servantes, mais comme ses frères et ses sœurs en Jésus-Christ, sans néanmoins que cette douceur lui fit rien relâcher du zèle et de la justice, quand il y allait de l'offense de Dieu ; car elle ne pouvait souffrir que l'on fît rien contre les intérêts de Sa gloire. Son premier soin fut d'étudier le naturel de son mari, et d'éviter scrupuleusement tout ce qui aurait pu lui déplaire. Elle le considérait comme son maître, et comme celui qui tenait près d'elle la place de Dieu sur la terre ; elle lui était si soumise, si obéissante, que, lors même qu'elle était occupée à la prière, ou à quelque pratique de piété, elle laissait tout pour le satisfaire et vaquer aux obligations de son état : ce qui doit faire le principal objet de la dévotion d'une femme engagée dans le mariage. Aussi Dieu fit-il paraître, par une merveille, combien cette obéissance lui était agréable. Notre Sainte, récitant un jour l'office de Notre-Dame, fut tellement pressée de l'interrompre, pour satisfaire à quelque devoir de sa maison, qu'elle quitta par quatre fois un même verset ; mais l'affaire faite, retournant à sa dévotion, elle trouva le verset écrit en lettres d'or, quoiqu'auparavant il ne fût écrit qu'en caractères communs. Quelque temps après, l'apôtre saint Paul lui apparaissant en une extase, lui dit que son bon ange avait tracé lui-même ces nouveaux caractères, pour lui faire connaître le mérite de l'obéissance.

Le sacrement de mariage ayant été établi de Dieu pour peupler le ciel par la naissance des enfants sur la terre, cette fidèle épouse pria Notre-Seigneur de lui en vouloir donner. Elle eut, entre autres, un fils qui, par un heureux présage, eut pour patron Jean l'Évangéliste, à la différence de son aîné appelé Jean-Baptiste. Il ne vécut que neuf ans ; mais en ce peu de temps il fit connaître qu'il était né plutôt pour le ciel que pour la terre : car il fut doué du don de prophétie, et prédit à son père qu'il recevrait un coup dangereux en un endroit du corps qu'il lui marqua, et à un religieux mendiant, qu'il changerait bientôt d'habit : ces prédictions se vérifièrent ; Laurent Ponziani fut blessé en une guerre survenue, l'an 1406, entre les Romains et les Napolitains, et le religieux fut fait évêque. Ce saint enfant fut frappé de la peste, lorsqu'elle affligea la ville de Rome, au commencement du XVe siècle. Prévoyant sa mort, il en avertit sa bonne mère et la supplia de lui donner un confesseur, parce qu'il voyait saint Antoine et saint Onuphre, à qui il portait une particulière dévotion, s'avancer vers lui pour le conduire au ciel : ce qui arriva le même jour ; et il fut enterré dans l'église de sainte Cécile, au-delà du Tibre. Un an après, la Sainte, priant dans son oratoire, aperçut son petit Jean tout brillant de lumière et assisté d'un autre encore plus éclatant que lui ; il lui découvrit l'état de sa gloire dans le ciel : il était dans le second chœur de la première hiérarchie, et l'ange qui l'accompagnait, paraissait plus beau, parce qu'il était dans un plus haut degré de gloire que lui. Il ajouta qu'il venait chercher sa sœur Agnès, âgée seulement de cinq ans, pour être placée avec lui parmi les anges. Enfin, en s'en allant, il lui laissa, pour gardien, cet archange qui, depuis, demeura toujours avec elle et elle avoua à son confesseur que, quand elle jetait les yeux sur cet esprit céleste, il lui arrivait la même chose qu'à une personne qui re-garde fixement le soleil, et ne peut supporter l'éclat de sa lumière.

Le ciel répandait sur elle ces douceurs d'un autre monde, qui sont l'avant-goût des joies divines ; mais il lui réservait une croix, et une croix terrible. Rome ayant été prise par le roi de Naples, Ladislas, Françoise vit sa maison pillée, ses biens confisqués, son mari banni : elle supporta ces revers avec une constance admirable. La tempête l'agitait au dehors, mais le calme était dans son âme et la sérénité sur son visage. L'orage passa ; son mari fut rappelé de l'exil, ses biens lui furent restitués ; la paix rentra dans sa famille. La vertueuse dame profita de ces malheurs pour persuader à son époux de vivre ensemble dans une parfaite continence. Cet époux sanctifié par les vertus célestes de son épouse tendrement aimée, lui accorda tout ce qu'elle voulut. Dès lors, elle ne mangea plus qu'une fois par jour, ne se nourrit que de pain et d'eau, et, au plus, de quelques légumes insipides qu'elle prenait une seule fois le jour. Elle s'interdit pour jamais et jusqu'à la mort l'usage du linge fin, et ne se vêtit plus, dessous ses habits de serge, que d'un âpre cilice et d'une ceinture faite de crin de cheval ; elle portait, en outre, un autre cercle de fer qui lui perçait la peau. Non contente de cet instrument de pénitence, qu'elle ne dépouillait jamais ni jour ni nuit, elle y ajoutait, à diverses reprises, une discipline faite de chaînons de fer avec des pointes aiguës : la seule obéissance, qu'elle préférait à tous ses sentiments lui fit quelquefois diminuer ces rigueurs, lorsque son confesseur se croyait obligé d'y apporter de la modération. Elle joignait à cette austérité la pratique des œuvres de miséricorde, en assistant les pauvres qu'elle regardait comme les images de son Sauveur crucifié. Pour le faire avec plus d'avantage et de liberté, elle se joignit à sa belle-sœur Vannosa, âme très vertueuse : elles allaient ensemble, de porte en porte par les rues de Rome, quêter des aumônes pour les nécessiteux. Dieu agréa si fort cette conduite qu'Il fit souvent des miracles en leur faveur, multipliant le pain et le vin qu'elles donnaient pour Son amour.

Elle se confessait ordinairement tous les mercredis et les samedis, et communiait au moins une fois par semaine ; elle fréquentait beaucoup l'église de Saint-Pierre, au Vatican ; celle de Saint-Paul, hors de la ville ; celle de Notre-Dame d'Ara-Cœli ; celle de Sainte-Marie-la-Neuve et celle de Sainte-Marie, au-delà du Tibre, toujours en la compagnie de sa belle-sœur. On raconte qu'un jour elles allèrent à l'église de Sainte-Cécile pour y faire leurs dévotions : un prêtre, qui n'approuvait pas que des femmes mariées communiassent si souvent, leur donna à l'une et à l'autre des hosties non consacrées ; mais Françoise s'en aperçut aussitôt, ne ressentant pas la présence de son Époux, comme elle avait coutume de faire quand elle recevait la sainte communion ; elle s'en plaignit au père Antoine de Monte-Sabellio, son confesseur, qui vint trouver le prêtre : ce dernier lui confessa la vérité de la chose, et fit pénitence de sa faute.

Le démon, qui ne voyait qu'à regret la vertu de notre Sainte, résolut de la combattre. Employant tous ses efforts pour la perdre, il se présenta à elle en mille postures épouvantables, avec des gestes ridicules et immodestes. Il l'attaquait souvent durant ses prières, la roulait le visage contre terre, la traînait par les cheveux, la battait et la fouettait cruellement. Une nuit, comme elle prenait un peu de repos, après un rude combat, il transporta le corps d'un homme mort dans sa chambre, et la tint sur ce cadavre un long espace de temps : cela lui fit une telle impression, que, depuis cet accident, il lui semblait que cet objet était toujours proche d'elle, sans qu'elle pût se délivrer de l'odeur qu'il exhalait : que dis-je ? la seule vue des hommes lui était un supplice, sentant à leur abord un frémissement universel dans tous ses membres. Il serait impossible de rapporter ici toutes les persécutions que le démon lui a faites, et les victoires qu'elle a remportées sur lui. Elle a triomphé de sa malice, non seulement quand il l'a employée contre elle, mais encore quand il l'a employée contre les autres : tantôt elle convertissait des femmes abandonnées au vice, tantôt elle les chassait de Rome, ou des autres asiles où elles se retiraient, pour les empêcher de pervertir l’innocence.

Elle obtint, par ses prières, que son confesseur fût délivré d'un malin esprit qui le poussait à la colère. Elle prévoyait les tentations de plusieurs âmes et les préservait d'y tomber par ses bons avis. Une fois, le démon précipita Vannosa du haut d'une montée, en bas, et lui brisa presque tout le corps ; mais Françoise, par ses prières, la rétablit aussitôt en parfaite santé. Ainsi, le démon demeurait vaincu de tous côtés.

Depuis qu'elle s'était associée avec la pieuse Vannosa, sa belle-sœur, elle ne faisait rien que de concert avec elle. Un jour Dieu voulut montrer, par une merveille, combien leur sainte union lui était agréable : comme elles s'étaient retirées à l'écart d'un côté du jardin, à l'ombre d'un arbre, pour délibérer ensemble sur les moyens de quitter le monde, des poires extrêmement belles et de bon goût tombèrent à leurs pieds, quoique ce fût au printemps. Ces deux saintes femmes portèrent ces fruits à leurs maris, afin de les affermir, par ce prodige, dans la volonté de servir Dieu, et de leur donner à elles  une entière liberté, de le faire.

L'an 1425, notre Sainte entreprit d'ériger une congrégation de filles et de veuves, qui s'adonnassent parfaitement à la piété et à la dévotion, sous la règle de Saint-Benoît. Elle fut affermie en ce pieux dessein par plusieurs visions célestes où lui apparurent les apôtres saint Pierre et saint Paul, saint Benoît et sainte Madeleine, qui lui prescrivirent des règles pour ses religieuses. Il lui sembla voir un jour que saint Pierre, après l'avoir voilée et bénite solennellement, l'offrait à Notre-Dame, pour être reçue sous sa protection et sa sauvegarde spéciale ; ce fut alors qu'étant revenue à elle, elle rédigea par écrit les règles qui ont été observées, depuis, dans son monastère, telles qu'elles lui avaient été dictées en ces admirables visions et, les ayant communiquées à son père spirituel, elle les fit approuver par le pape Eugène IV.

La bienheureuse Françoise avait alors environ quarante-trois ans ; elle en avait passé déjà vingt-huit dans le mariage. Dans les douze qu'elle y passa depuis, Dieu fit éclater sa sainteté par plusieurs merveilles et guérisons miraculeuses ; mais son humilité les lui faisait déguiser par l'application des remèdes sur la partie blessée, quoique ces remèdes fussent tout contraires au mal. Nous ne disons rien de l'assistance particulière que les anges lui ont rendue. Nous avons déjà vu qu'outre son ange gardien, Dieu lui en donna un second, qui l'accompagnait visiblement : s'il arrivait que le démon empruntât la figure d'un ange de lumière pour la tromper, ce fidèle gardien ne manquait point de lui découvrir l’artifice de son ennemi, et son âme était incontinent remplie d'une odeur si agréable, qu'elle en était admirablement consolée. Si, lorsqu'elle était en compagnie, il lui échappait une action ou une parole moins nécessaires, ou si elle se laissait emporter à des pensées superflues touchant son ménage, ou d'autres sujets, cet esprit céleste, témoin continuel de toute sa vie, se dérobait à ses yeux, et, par son absence, l'obligeait de rentrer en elle-même, et de se reconnaître. De là vient que l'on dépeint cette sainte ayant à son côté un ange qui lui sert de guide et de gouverneur.

La mort, qui n’épargne personne, lui ayant ôté son mari, l'an 1436, elle régla en peu de temps toutes ses affaires, et, abandonnant ses biens aux enfants qu’elle avait encore au monde, elle se rendit au monastère qu'elle avait fondé ; là, se prosternant contre terre, la corde au cou et les yeux baignés de larmes, elle supplia très humblement les filles, dont elle était la mère en Jésus-Christ, de la recevoir dans le monastère en qualité de petite servante ; ce qu'elles firent avec toute la joie imaginable. Bientôt après, elles l'élurent pour leur supérieure, nonobstant toutes ses répugnances.

Ces religieuses sont appelées oblates, parce qu’en se consacrant à Dieu elles se servent du mot oblation et non de celui de profession : au lieu de dire comme les autres, je fais profession, elles disent je m'offre ; elles ne font point de vœux ; elle promettent simplement d'obéir à la mère présidente. Elles ont des pensions, héritent de leurs parents et peuvent sortir avec la permission de leur supérieure. Il y a dans le couvent qu'elles ont à Rome plusieurs dames de la première qualité.

Voilà donc sainte Françoise absolument mère de la pieuse congrégation qu’elle avait elle-même établie. Elle la porta depuis à une telle perfection, qu'on peut dire qu'elle y a laissé l'idée la plus parfaite de la vie religieuse. Elles étaient d'abord peu commodément logées : c'est pourquoi elles firent acquisition d'une autre maison plus propre et mieux située, au pied du Capitole, où elles se rendirent solennellement après avoir toutes communié ; cette maison fut appelée la Tour du Miroir, à cause d'une tour qui est au même lieu, et qu’on a ornée, sur la surface, de quelques reliefs semblables à des miroirs.

Dieu continua, et même augmenta les faveurs qu'il faisait à notre Sainte, et fit par elle beaucoup de miracles, que l'on peut voir en la bulle de sa canonisation. Elle délivra du mal caduc un enfant de cinq ans, en lui mettant la main sur la tète. Par le même moyen, elle en guérit un autre d'une rupture ; elle rendit la santé à plusieurs autres malades par la seule imposition de ses mains. Une femme, nommée Angèle, qui était percluse d'un bras par la violence de la goutte, ayant rencontré la Sainte par le chemin, implora son secours, et reçut d'elle, à l'heure même, une parfaite santé. Elle donna un jour très abondamment à dîner à quinze religieuses avec quelques morceaux de pain, qui eussent à peine pu suffire pour trois, et cependant il en resta encore plein un panier. Une autre fois, quelques religieuses l'ayant suivie pour couper du bois hors de la ville, comme elles souffraient de la soif, Dieu fit pousser dans une vigne autant de grappes de raisins qu’elles étaient de filles avec elle, quoique ce fût au mois de janvier. Nous passons sous silence le reste de ses miracles, pour dire un mot de ses vertus, particulièrement de son humilité, par laquelle elle s'est élevée à la véritable grandeur.

Jamais elle n'a souffert, ni dans le cloître, ni dans la maison de son mari, qu'on la servît, quoiqu'elle fût la maîtresse et la supérieure ; mais, pratiquant à la lettre la parole de Notre-Seigneur, elle aimait mieux servir les autres et être traitée en servante : elle se plaisait même singulièrement à être estimée la moindre de toutes, et, si on l'eût crue, on ne lui aurait point donné de titres plus honorables que celui de "pécheresse, de vaisseau d'impureté, et de femme très vile et très misérable". Cette humilité parut plus encore dans ses actions que dans ses paroles : car on l'a vue revenir de sa vigne, qui était hors des faubourgs, avec un faisceau de sarments sur sa tête, et conduisant devant elle un âne chargé, qu'elle employait pour le service des pauvres ; elle faisait voir par là que rien n'est difficile à la charité ; et que, quand cette vertu nous fait agir, on foule aux pieds le respect humain, même celui qui paraît le plus raisonnable. Dans les souffrances, sa patience était invincible : lorsque son mari fut envoyé en exil, que ses biens furent confisqués et toute sa maison ruinée (durant les troubles qui suivirent l'invasion de Rome par Ladislas, roi de Naples, et pendant le grand schisme qui déchira l'Eglise, sous le pontificat de Jean XXIII, l'an 1413), jamais elle ne dit rien autre chose que ces belles paroles de Job : «Le Seigneur me les a donnés, le Seigneur me les a ôtés ; que Son saint Nom soit béni !» Elle avait une grande dévotion envers le saint Sacrement de l'autel ; en sa présence elle s'élevait à Dieu avec tant de ferveur, qu'elle demeurait quelquefois longtemps immobile et toute ravie en esprit. Pour la Passion de Notre-Seigneur, elle la méditait avec une si grande tendresse, qu’elle en versait d'abondantes larmes, et éprouvait même réellement des douleurs aiguës aux endroits de son corps où Jésus-Christ avait souffert dans le sien, comme le dit expressément la bulle de sa canonisation. Enfin, Dieu voulut terminer une si sainte vie par une heureuse mort.

Jean-Baptiste, son fils aîné, étant tombé dans une maladie très dangereuse, Françoise se crut obligée de lui prodiguer ses soins, puisqu'elle ne les refusait pas aux étrangers. Son confesseur lui commanda d'y passer la nuit, parce qu'il y avait trop loin pour retourner à son monastère, au-delà du Tibre ; mais elle fut elle-même saisie cette nuit d'une fièvre adente, qui s’augmenta si fort, que, n'étant point en état de pouvoir sortir de ce lieu, elle fut obligée de se disposer à la mort par la réception des sacrements. Dieu lui ayant fait connaître que le septième jour de sa maladie serait le dernier de sa vie, elle en donna avis, quatre jours auparavant, disant : «Dieu soit béni ! jeudi au plus tard je passerai de cette vie à une meilleure». L'événement vérifia cette prédiction ; en effet, le mercredi suivant, 9 mars 1440, elle rendit son esprit à celui qui l'avait créé, avec une tranquillité admirable, et sans aucun signe de douleur. Elle était âgée de cinquante-six ans elle en avait passé douze en la maison de son père, quarante en son mariage et quatre en religion.

Son corps fut porté à l'église de Sainte-Marie-la-Neuve, où il demeura trois jours exposé à la vue de tout le peuple, qui y courait en foule afin d'y admirer les merveilles de Dieu. Il s'exhalait de ce précieux trésor une odeur si agréable, que l'on eût dit que toute l'église était remplie de jasmins, d’œillets et de roses. Plusieurs miracles furent faits à son sépulcre par l'attouchement des choses qui lui avaient appartenu ; surtout en faveur des personnes affligées de la peste. Un parfumeur, appelé Jérôme, étant à l'article de la mort, en fut retiré pour avoir touché l'habit de notre Sainte ; et une femme, nommée Madeleine de Clarelle, en fut préservée par la seule invocation de son nom. Une foule de malades furent guéris par le mérite de ses prières. Un turc, nommé Béli, était si endurci qu'on n'avait jamais rien pu gagner sur son esprit ; tout ce qu'on put tirer de lui fut qu'il dirait ces paroles : «Françoise, servante de Dieu, souvenez-vous de moi». Il se convertit.

Toutes ces merveilles ont souvent fait presser les souverains Pontifes de procéder à la canonisation de cette illustre Romaine. Eugène IV, Nicolas V et Clément VIII y travaillèrent ; Paul V acheva cette sainte affaire le 29 mai 1608. Innocent X a commandé d'en célébrer la fête, avec office double, ce qui se fait le 9 mars. Le corps de sainte Françoise demeura en terre plus de deux cents ans. Il fut exhumé en 1638, et enfermé dans une belle châsse, de cuivre doré.

La fête de sainte Françoise est chômée dans Rome, comme l'était à Paris celle de saint Roch avant la révolution, c'est-à-dire que sans être de précepte, elle est l'occasion d'une grande solennité.

On représente quelquefois la Sainte poussant un âne devant elle. D'autres fois, on place près d'elle un petit ange, ordinairement vêtu en manière de diacre et rayonnant de lumière. On sait que son ange gardien lui apparaissait presque tous les jours, et selon le plus ou moins d'éclat qu'il répandait, la sainte avait appris à comprendre si Dieu était content d'elle, ou si elle avait quelque chose à se reprocher. La clarté que l'ange répandait autour de lui était parfois telle que la sainte pouvait lire la nuit sans autre lumière. On la représente aussi recevant l'Enfant Jésus des mains de Notre-Dame qui le lui remit un jour qu'elle venait de visiter l'église de Saint-Étienne, pour qu'elle le portât jusqu'à l'église voisine. On la voit encore portant au bras un panier de légumes pour montrer qu'elle remplissait avec joie les bas offices de la communauté.

VISIONS DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE

Sainte Françoise a laissé quatre-vingt-treize visions qu'elle a dictées elle-même à son confesseur. Le traité de l'enfer, en particulier, est fort remarquable.

Dans la vision treizième, elle voit la Sainte Vierge dont la tête est ornée de trois Couronnes : celle de sa virginité, celle de son humilité et celle de sa gloire.

Dans la vision quatorzième, elle raconte le ciel : celui-ci est divisé en ciel étoilé, ciel cristallin et ciel empyrée. Le ciel des astres est très lumineux ; le cristallin l'est encore davantage, mais ces lumières ne sont rien en comparaison de celles qui éclairent le ciel empyrée : ce sont les plaies de Jésus qui illuminent ce troisième ciel.

Dans la dix-septième vision, Dieu lui montre sa divinité : elle vit comme un grand cercle qui n'avait d'autre soutien que lui-même, et jetait un éclat si vif que la Sainte ne pouvait le regarder en face : elle lut au milieu les paroles suivantes : "Principe sans principe et fin sans fin". Elle vit ensuite comment se fit la création des anges : ils furent tous créés à la fois, et la puissance de Dieu les laissa tomber comme des flocons de neige que les nuées versent sur les montagnes pendant la saison d'hiver. Ceux qui ont perdu la gloire du ciel à jamais, forment le tiers de l'immense multitude de ces esprits.

Le 13 février 1432, c'est la vingt et unième vision, le chœur des vierges, conduit par sainte Madeleine et sainte Agnès, lui fit entendre le cantique suivant :

« Si quelqu'un désire entrer dans le cœur de Jésus, il doit se dépouiller de toutes choses tant intérieures qu’extérieures ; se mépriser et se juger digne du mépris éternel ; agir en toute simplicité, n'affecter rien qui ne soit conforme à ses sentiments, ne point chercher à paraître meilleur qu'on n'est aux yeux de Dieu ; ne jamais revenir sur ses sacrifices ; se renoncer à soi-même et connaître sa misère au point de ne plus oser lever les yeux pour regarder son Dieu ; se haïr soi-même au point de demander vengeance au Seigneur ; rendre au Très-Haut les dons qu'on en a reçus : mémoire, entendement, volonté ; regarder les louanges comme un supplice et un châtiment ; s'il arrive qu'on vous témoigne de l'aversion, regarder cette peine comme un bain d'eau de rose dans lequel il faut se plonger avec une vraie humilité ; les injures doivent résonner aux oreilles de l'âme qui tend à la perfection comme des sons agréables ; il faut recevoir les injures, les mauvais traitements comme des caresses : ce n'est pas assez, il faut en rendre grâces à Dieu, il faut en remercier ceux de qui on les reçoit ; l'homme parfait doit se faire si petit qu'on ne doit pas plus l'apercevoir qu'un grain de millet jeté au fond d'une rivière profonde ».

Il lui fut dit ensuite qu'une seule âme s'était trouvée au monde ornée de toutes les vertus dans un degré suprême : celle de Marie.

Dans la quarante-troisième vision, elle tint Jésus sur ses genoux : Il avait la forme d'un petit agneau. Elle vit ensuite un autel magnifiquement orné sur lequel était un agneau portant les stigmates des cinq plaies. Au pied de l'autel étaient un grand nombre de riches chandeliers arrangés dans un bel ordre. Au premier rang, c'était le plus éloigné, il y en avait sept qui signifiaient les vertus principales ; au second rang, il y en avait douze qui signifiaient les douze articles du symbole ; au troisième, il y en avait sept qui signifiaient les sept dons du Saint-Esprit ; au quatrième, il y en avait sept autres qui re-présentaient les sept sacrements de l'Eglise. Cette vision, qui eut lieu un jour de la Toussaint, dura treize heures. Elle vit encore les principaux ordres de saints qui s'avançaient sous leurs étendards. Les patriarches étaient conduits par saint Jean-Baptiste ; les apôtres par saint Pierre et saint Paul ; les évangélistes par saint Jean et saint Marc ; les martyrs par saint Laurent et saint Étienne ; les docteurs par saint Grégoire et saint Jérôme ; les religieux par saint Benoît, saint Bernard, saint Dominique et saint François ; les ermites par saint Paul et saint Antoine ; les vierges par sainte Marie-Madeleine et sainte Agnès ; les veuves par sainte Anne et sainte Sabine ; et les femmes mariées par sainte Cécile.

Le traité de l'enfer, avons-nous dit, est le plus remarquable des écrits qu'a dictés sainte Françoise.

TRAITE DE L’ENFER

CHAPITRE I

Du lieu de l’enfer, de son prince, de l'entrée des âmes dans ce lieu d'horreur, et des peines qui leur sont communes.

Un jour que la servante de Dieu était très souffrante, elle s'enferma dans sa cellule, pour se livrer en toute liberté à l'exercice de la contemplation, où elle trouvait sa consolation et toutes ses délices. Il était environ quatre heures après midi : elle fut aussitôt ravie en extase, et l'archange Raphaël, qu’elle ne vit pas alors, vint la prendre, et la conduisit à la vision de l'enfer. Arrivée, à la porte de ce royaume effroyable, elle lut ces paroles écrites en caractères de feu : «Ce lieu est l'enfer, où il n'y a ni repos, ni consolation, ni espérance». Cette porte étant ouverte, elle regarda et vit un abîme si profond et si épouvantable, que depuis elle n'en pouvait parler sans que son sang se glaçât d'effroi. De cet abîme sortaient des cris affreux et des exhalaisons insupportables ; alors elle fut saisie d'une horreur extrême ; mais elle entendit la voix de son conducteur invisible, qui lui disait d'avoir bon courage, parce qu'il ne lui arriverait aucun mal. Un peu rassurée par cette voix amie, elle observa plus attentivement cette porte, et vit que déjà fort large à son entrée, elle allait en s'élargissant toujours davantage dans son épaisseur ; mais dans cet affreux corridor régnaient des ténèbres inimaginables ; cependant il se fit pour elle une lumière, et elle vit que l'enfer était composé de trois régions : l'une supérieure, l'autre inférieure, et l'autre intermédiaire. Dans la région supérieure, tout annonçait de graves tourments ; dans celle du milieu, l'appareil des tortures était encore plus effrayant ; mais, dans la plus basse région, la souffrance était incompréhensible. Ces trois régions étaient séparées par de longs espaces, où les ténèbres étaient épaisses, et les instruments de tortures en nombre prodigieux et extraordinairement variés.

Dans cet abîme effroyable, vivait un immense dragon qui en occupait toute la longueur : il avait sa queue dans l'enfer inférieur, son corps dans l’enfer intermédiaire et sa tête dans l'enfer supérieur. Sa gueule était béante dans l'ouverture de la porte qu'il remplissait tout entière ; sa langue sortait d'une longueur démesurée ; ses yeux et ses oreilles lançaient des flammes sans clarté, mais d'une chaleur insupportable ; sa gorge vomissait une lave brûlante et d'une odeur empestée. Françoise entendit dans cet abîme un bruit effroyable : c'étaient des cris, des hurlements, des blasphèmes, des lamentations déchirantes, et tout cela mêlé à une chaleur étouffante, et à une odeur insoutenable, lui faisait un tel mal, qu'elle crut que sa vie allait s'anéantir ; cependant son guide invisible la rassura par ses inspirations, et lui rendit un peu de courage : elle en avait besoin pour soutenir la vision dont nous allons parler.

Elle aperçut Satan sous la forme la plus terrifiante qu'il soit possible d'imaginer. Il était assis sur un siège qui ressemblait à une longue poutre, dans l'enfer du milieu, et cependant sa tête atteignait le haut de l'abîme, et ses pieds descendaient jusqu'au fond ; il tenait ses jambes écartées, et ses bras étendus, mais non en forme de croix. Une de ses mains menaçait le ciel, et l'autre semblait indiquer le fond du précipice. Deux immenses cornes de cerf couronnaient son front; elles étaient fort rameuses, et les innombrables petites cornes qui en sortaient, comme autant de rameaux, semblaient autant de cheminées par où s'échappaient des colonnes de flammes et de fumée. Son visage était d'une laideur repoussante et d'un aspect terrible. Sa bouche, comme celle du dragon, vomissait un fleuve de feu très ardent ; mais sans clarté et d'une puanteur affreuse. Il portait au cou un carcan de fer rouge. Une chaîne brûlante le liait par le milieu du corps, et ses pieds et ses mains étaient également enchaînés. Les fers de ses mains étaient fortement cramponnés dans la voûte de l'abîme ; ceux de ses pieds tenaient à un anneau fixé au fond du gouffre, et la chaîne qui lui liait les reins, liait aussi le dragon dont nous avons parlé.

A cette vision en succéda une autre. La servante de Dieu aperçut de tous côtes des âmes que les esprits qui les avaient tentées ramenaient dans cette affreuse demeure : elles portaient leurs péchés écrits sur leurs fronts en caractères si intelligibles, que la sainte comprenait pour quels crimes chacune d'elles était damnée. Ces lettres, du reste, n'étaient que pour elle seule ; car ces âmes malheureuses ne connaissaient réciproquement leurs péchés que par la pensée. Les démons qui les conduisaient, les accablaient de plaisanteries, de reproches amers et de mauvais traitements, qu'il serait difficile de raconter, tant la rage de ces monstres était inventive. A mesure que ces âmes arrivaient à l'entrée du gouffre, les démons les renversaient et les précipitaient, la tête la première, dans la gueule toujours ouverte du dragon. Ainsi englouties, elles glissaient rapidement dans ses entrailles, et à l'ouverture inférieure, elles étaient reçues par d'autres démons qui les conduisaient aussitôt à leur prince, ce monstre enchaîné, dont nous venons de parler. Il les jugeait sur-le-champ, et après avoir assigné le lieu qu'elles devaient occuper selon leurs crimes, il les livrait à dés démons qui lui servaient de satellites pour les y conduire. La sainte remarqua que cette translation ne se faisait pas de la même manière que celle des âmes qui passent du purgatoire au paradis. Quoique la distance que ces dernières ont à parcourir soit incomparablement plus grande que celle d'un enfer à l'autre, puisqu'il leur faut traverser la terre, le ciel des astres et le cristallin, pour arriver à l'empyrée ; cependant ce voyage se fait dans un clin d'œil. La marche des âmes que Françoise voyait emporter par les gardes du tyran infernal, était au contraire fort lente, tant à cause des ténèbres épaisses, qu'il leur fallait traverser avec une sorte de violence, que des tortures qu'ils leur faisaient souffrir dans les espaces intermédiaires dont nous avons parlé. Ce n'était donc qu'après un certain temps que les démons finissaient par les déposer au fond de l'abîme.

Françoise vit aussi arriver d'autres âmes moins coupables que les premières, et cependant réprouvées ; elles étaient précipitées dans la gueule du dragon, présentées à Lucifer, jugées et transférées par les démons, comme les autres ; mais, au lieu de descendre au fond du gouffre, elles montaient dans l'enfer supérieur, avec la même lenteur néanmoins, et en subissant des tourments proportionnés à leurs péchés. Arrivées dans leur prison, elles y trouvaient une multitude de démons en forme de serpents et de bêtes féroces, dont la vue les terrorisait. Les regards de Satan les épouvantaient encore davantage, et, sans parler de l'incendie général dans lequel elles étaient enveloppées, le feu qui sortait du prince des ténèbres leur faisait cruellement sentir son ardeur dévorante. Autour d'elles régnait une nuit éternelle ; en sorte que rien ne pouvait faire diversion aux peines qu'elles enduraient. Là, comme dans les autres parties de l'enfer, chacune des âmes réprouvées était livrée à deux démons principaux, exécuteurs des arrêts de la justice divine. La fonction du premier était de la frapper, de la déchirer et de la tourmenter sans cesse ; celle du second était de se moquer de son malheur, en lui reprochant de se l'être attiré par sa faute ; de lui rappeler continuellement le souvenir de ses péchés, mais de la manière la plus accablante, en lui demandant comment elle avait pu céder aux tentations, et consentir à offenser son Créateur ; de lui reprocher enfin, tous les moyens qu'elle avait eus de se sauver, et toutes les occasions de faire le bien, qu'elle avait perdues par sa faute. De là des remords déchirants, qui, joints aux tourments que l'autre bourreau lui faisait éprouver, la mettaient dans un état de rage et de désespoir, qu'elle exprimait par des hurlements et des blasphèmes. La charge confiée à ces deux démons n'était pourtant pas exclusive : tous les autres avaient également droit de l'insulter et de la tourmenter, et ils ne manquaient pas d'en user. La servante de Dieu ayant désiré savoir quelle différence il y avait entre les habitants des trois provinces de ce royaume effroyable, il lui fut dit que, dans la région inférieure, étaient placés les plus grands criminels ; dans celle du milieu les criminels médiocres et dans la région supérieure les moins coupables des réprouvés. Les âmes que vous voyez dans ce lieu le plus haut, ajouta la voix qui l'instruisait, sont celles des Juifs qui, à leur opiniâtreté près, vécurent exempts de grands crimes, celles des chrétiens qui négligèrent la confession pendant la vie, et en furent privés à la mort, etc. Tout ce que la bienheureuse voyait et entendait la remplissait d'épouvante ; mais son guide avait grand soin de la rassurer et de la fortifier.

CHAPITRE II

Tourments particuliers exercés sur neuf sortes de coupables.

1° Supplices de ceux qui outragèrent la nature par leurs impuretés.

Françoise aperçut dans la partie la plus basse et la plus horrible de l'enfer des hommes et des femmes qui enduraient des tortures effroyables. Les démons qui leur servaient de bourreaux les faisaient asseoir sur des barres de fer rougies au feu, qui pénétraient le corps dans toute sa longueur, et sortaient par le sommet de la tête, et pendant que l'un d'entr’eux retirait cette barre, et la renfonçait de nouveau, les autres, avec des tenailles ardentes, leur déchiraient les chairs depuis la tète jusqu'aux pieds. Or ces tourments étaient continuels et cela sans exclusion des peines générales je veux dire, du feu, du froid glacial, des épaisses ténèbres, des blasphèmes et des grincements de dents.

2° Supplices des usuriers.

Non loin du cachot des premiers, Françoise en vit un autre où les criminels étaient torturés d'une manière différente, et il lui fut dit que c'étaient les usuriers. Or, ces malheureux étaient couchés et cloués sur une table de feu, les bras éten-dus, mais non en forme de croix, et le guide de Françoise lui dit à ce sujet, que tout signe de la croix était banni de ces demeures infernales. Chacun d’eux avait un cercle de fer rouge sur la tête. Les démons prenaient dans des chaudières de l'or et de l'argent fondus qu'ils versaient dans leurs bouches ; ils en faisaient couler aussi dans une ouverture qu’ils avaient pratiquée à l'endroit du cœur, en disant : souvenez-vous, âmes misérables de l’affection que vous aviez pour ces métaux pendant la vie ; c'est elle qui, vous a conduites où vous êtes. Ils les plongeaient ensuite dans une cuve pleine d'or et d'argent liquéfiés ; en sorte, qu'elles ne faisaient que passer d'un tourment à un autre, sans obtenir un moment de repos. Elles souffraient en outre, les peines communes à toutes les autres âmes réprouvées ; ce qui les réduisait à un affreux désespoir : aussi ne cessaient-elles de blasphémer le nom sacré de Celui qui exerçait sur elles ses justes vengeances.

3° Supplices des blasphémateurs.

Françoise vit, dans la même région, les profanateurs obstinés de Dieu, de la sainte Vierge et des saints. Or, ils étaient soumis à des tortures effroyables. Les démons, armés de pinces brûlantes, tiraient leurs langues, et les appliquaient sur des charbons embrasés, ou bien ils prenaient de ces charbons, et les leur mettaient dans la bouche ; ensuite ils les plongeaient dans des chaudières d'huile bouillante, ou bien ils leur en faisaient avaler, en disant : «Comment osiez-vous blasphémer ce que les cieux révèrent, âmes maudites et désespérées? Non loin de ceux-ci étaient les lâches qui renoncèrent Jésus-Christ par la crainte des supplices ; mais leurs tourments n'étaient pas aussi rigoureux, Dieu ayant égard à la faiblesse humaine qui les fit succomber.

4° Supplices des traîtres.

Françoise vit dans le même quartier, les tortures qu’exerçaient les démons impitoyables sur les hommes infidèles à leurs maîtres, et surtout sur les chrétiens qui ne prirent des engagements sur les fonts sacrés du baptême que pour les profaner. Ces cruels bourreaux leur arrachaient le cœur avec des tenailles ardentes, et le leur rendaient ensuite pour l'arracher de nouveau. Ils les descendaient aussi de temps en temps dans des cuves pleines de poix bouillante, et leur disaient en les y tenant submergés : «Âmes fausses et perfides, sans cœur et sans fidélité, non contents de trahir vos maîtres temporels, vous avez osé trahir votre Dieu Lui-même ; car vous prîtes sur les fonts du baptême, l'engagement solennel de renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, et vous avez fait tout l'opposé. N'oubliez pas ces promesses, et recevez le châtiment que leur violation vous a mérité». A ces reproches amers succédaient les hurlements des victimes ; elles blasphémaient aussi les sacrements, surtout le saint baptême et maudissaient leur divin auteur.

5° Supplices des homicides.

Un peu plus loin elle vit des hommes à figures féroces, plongés dans une immense chaudière remplie de sang en ébullition. Or, les démons venaient les prendre dans cette chaudière bouillante et les jetaient dans une autre pleine d'eau à moitié glacée ; puis les retiraient de celle-ci pour les submerger dans la première. Mais ce n'était pas là leur unique tourment, d'autres démons armés de poignards enflammés leur perçaient le cœur et ne retiraient le fer de la plaie que pour l'y plonger encore. Auprès de ces hommes sanguinaires, étaient placées ces mères qui se dénaturèrent au point d'ôter la vie à leurs propres enfants, et leurs tortures étaient à peu près les mêmes.

6° Supplices des apostats qui abandonnèrent la foi catholique non par faiblesse mais par corruption.

Les démons les sciaient par le milieu du corps, avec des scies de fer rouge, trempées dans du plomb fondu. Or, la re-prise des chairs s'opérait subitement après l'opération, et permettait aux bourreaux de recommencer sans cesse.

7° Supplice des incestueux.

Il y eut dans tous les temps des hommes et des femmes qui, emportés par une passion aveugle, commirent des impuretés avec des personnes qui leur étaient unies par les liens du sang ou par des liens spirituels Or, la Servante de Dieu les vit dans un cachot voisin de celui des habitants de Sodome. Or, les démons les plongeaient dans une fosse pleine de matières infectes en ébullition ; puis les retirant de là, ils les coupaient par quartiers, et lorsque ces quartiers s'étaient réunis, ce qui se faisait aussitôt, ils les replongeaient dans le cloaque brûlant et fétide.

8° Supplices des magiciens.

Dans l'enfer du milieu, la bienheureuse vit ceux qui, pendant leur vie, étaient en commerce avec le démon, et ceux qui les consultaient et leur donnaient confiance. Ils étaient enveloppés dans des ténèbres effroyables, et les bourreaux les lapidaient avec des pavés de fer rougis au feu. Il y avait là un gril carré, au milieu duquel, brûlait un feu terrible. Or, de temps en temps les démons couchaient leurs victimes sur ce gril, et les y tenaient fortement enchaînés; puis ils les retiraient de là pour les lapider encore.

9° Supplices des excommuniés.

La servante de Dieu remarqua que toutes les âmes précipitées dans la gueule du démon ne sortaient pas de son corps. Ayant eu le désir de savoir quelles étaient les âmes qu'elle ne voyait pas reparaître, il lui fut dit que c'étaient les âmes de ceux qui étaient morts dans l'excommunication. Elles descendent ajouta la voix qui l'instruisait, dans la queue du dragon, qui se prolonge jusqu'au fond de l'abîme, et est un vaste foyer où brûle un feu dévorant. Elles étaient donc renfermées dans cette affreuse prison, et les démons qui rôdaient autour, leur criaient d'une voix insultante : «C'est donc vous» qui, aveuglées par vos passions et hébétées par la sensualité, avez méprisé les foudres de l'Église ? Eh bien ! bouillez maintenant dans la queue du dragon. Hélas ! hélas ! répondaient du dedans des voix plaintives, quelle infortune est la nôtre, et quels maux affreux nous endurons !»

pour toute suggestion ou demande d'informations