NON ENCORE RECONNUES

Tilly-sur-Seulles

 

RAPPORT LU AU CONGRÈS MARIAL DE FRIBOURG
Le 19 août 1902 par LE R. P. LESSERTEUR professeur de théologie

Monseigneur, Mesdames, Messieurs,

Je demande à vous entretenir d'un sujet autour duquel plane une atmosphère de préventions et de défaveur, dont on a réussi à l'envelopper, et qui constitue peut-être la plus belle manifestation de la Très Sainte Vierge à l'égard de la France dans le XIXe siècle, si favorisé pourtant sous ce rapport.

[Ce rapport fut, sur ordre de Mgr Deruaz, incorporé dans la publication du compte rendu général. Ce compte rendu fut publié en 1903, revêtu de l'imprimatur de l'évêque de Blois.]

Le temps dont je dispose ne pouvant suffire pour exposer, même sommairement, les faits dont il s'agit, et pour développer, comme il conviendrait, les preuves sur lesquelles est basée la conviction des personnes sérieuses qui s'en sont occupées — et dont je ne suis que l'interprète de bonne volonté et sans mandat —, que l'on veuille bien me faire le crédit de me croire provisoirement sur parole, et d'accepter avec confiance mes affirmations, sous réserve, bien entendu, d'en apporter la justification en temps et lieu opportuns. Cela n'engage d'ailleurs en rien la responsabilité du Congrès, puisque la seule conclusion de ce rapport sera d'exprimer le désir de lui voir émettre le vœu qu'une enquête sérieuse et officielle de ces faits soit ouverte par l'autorité ecclésiastique compétente.

C'est des événements merveilleux qui se sont passés, de 1896 à 1899, à Tilly-sur-Seulles, dans le diocèse de Bayeux, que je veux parler.

Après avoir suivi et examiné ces événements de très près, je suis demeuré convaincu qu'à côté de quelques manifestations d'ordre diabolique ou suspect, il y a là une magnifique efflorescence de surnaturel divin, qui, au point de vue théologique et doctrinal, s'impose avec tous les caractères d'incontestabilité qui peuvent être exigés, et qui, au point de vue de la piété et de la mystique, s'affirme avec une dignité parfaite, un éclat incomparable, et une abondance de grâces de premier ordre.

Permettez-moi donc de dérouler succinctement devant vous le remarquable enchaînement de ces faveurs divines, et la corrélation admirable qui existe entre elles et les principaux actes du Pontificat de Léon XIII, concernant le culte chrétien; relatifs surtout au Rosaire, à la Sainte Famille, et au Sacré-Cœur.

1 - Les premiers faits merveilleux ont eu pour théâtre une école libre, dirigée par des Sœurs du Sacré-Cœur, et eurent pour témoins trois religieuses et une soixantaine d'enfants, dont six seulement avaient fait leur première Communion, sans compter quelques personnes étrangères qui se trouvèrent accidentellement présentes.

Le 18 mars 1896, jour de ta fête de Saint Gabriel, tandis que les élèves récitaient la prière du soir, vers quatre heures de l'après-midi, une Vierge, rayonnante de clarté, dans l'attitude de l'Immaculée Conception, apparut tout à coup dans les airs, à leurs yeux ravis, à une distance de 1200 mètres environ.

Très distincte dans ses contours, la Vierge paraissait de grandeur naturelle, et était perçue comme si elle n'eût été éloignée que de 40 à 50 mètres.

Elle est vêtue d'une robe blanche que serre à la taille une large ceinture blanche (ou d'un bleu si pâle qu'il paraît blanc par 1e rayonnement), nouée par devant, et dont les extrémités retombent librement. Un voile enveloppe sa tête, mais en laissant le front à découvert, et descend tout le long du corps, dans un gracieux plissement, laissant les bras libres depuis les coudes.

— Un nuage lumineux, et teinté du rose adouci de l'aurore, l'entoure et s'étend sous ses pieds.

On récite le chapelet. Tout ce petit monde ravi, enthousiasmé, effeuille avec une ferveur émue les roses mystiques du Rosaire.

Les Ave s'égrènent: les dizaines succèdent aux dizaines, sans lassitude, durant cinq quarts d'heure, et, pendant ce long espace de temps, on vit de faibles enfants de cinq à sept ans, rester à genoux sur les tables, sans ressentir la moindre fatigue, quand, en temps ordinaire, elles n'eussent pu y demeurer dix minutes seulement.

Pendant les cinq jours qui suivirent, par ordre du très prudent pasteur de paroisse — aux vertus sacerdotales et aux éminentes qualités d'esprit et de cœur auxquelles je suis heureux de rendre publiquement hommage — il fut sévèrement interdit aux enfants de regarder par les fenêtres.

Ce n'est même plus à genoux sur les bancs qu'on prie, ou qu'on récite le chapelet, mais sur les dalles de la classe, avec le grand mur de la haute fenêtre pour horizon.

La cour d'entrée, d'où l'on aperçoit le 1ieu de l'apparition, est condamnée pendant le temps des récréations; on joue de l'autre côté de l'école.

Le 24 mars, veille de la fête de l'Annonciation de Marie, anniversaire du jour béni où, des lèvres angéliques, tomba le premier Ave Maria, la défense est levée, et à 4 h 30 on commence 1a récitation du chapelet, à genoux sur les bancs, comme on avait coutume de le faire auparavant.

La première dizaine était à peine achevée que l'apparition, toute éblouissante de clarté, se manifeste tout à coup.

Quelque grande que soit l'émotion, le chapelet se continue sans interruption jusqu'à la fin. Le chapelet terminé, les enfants demandent elles-mêmes à prier encore, dans la crainte de voir disparaître trop tôt la céleste visiteuse.

Elles se souviennent, en effet, de ce qui s'est passé lors de la première apparition. Quand elles cessèrent de prier, et se communiquèrent leurs impressions, quelque chose comme un voile blanc avait semblé s'étendre sur la Vierge, et alors, elles s'étaient écriées avec inquiétude: “Ah ! Elle nous quitte!” — “Ce n'est pas étonnant, avait dit la Sœur, on ne prie plus.” Vite on s'était remis à prier, et la vision avait de nouveau apparu dans tout son éclat.

Ce jour-là, la ferveur des enfants ne se ralentit pas un seul instant, durant une heure entière, que la vision resta devant elles.

Le lendemain, jour de l'Annonciation, à peine le chapelet est-il commencé que la Vierge apparaît, plus radieuse encore que les jours précédents.

Les prières des enfants étaient ardentes et pleines d'entrain. Elles le devinrent encore davantage lorsqu'elles virent l'apparition joindre les mains, comme pour prier avec elles. Plus on priait, plus elle paraissait belle et rayonnante.

Ce jour-là, on constata un phénomène extraordinaire, qui ne reparut plus les jours suivants. Non seulement les rayons de l'apparition se reflétaient sur les murs et les fenêtres de la classe, mais on apercevait l'image de la Vierge elle-même, comme peinte sur les carreaux, au milieu d'un flot de lumière.

Le 27 du même mois, fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs, la Vierge se montre avec une tache rouge, comme une tache de sang, du côté du cœur. - Les 28, 29, 30 et 31 mars furent marqués, chaque jour, par une vision, du genre des précédentes.

Le 31 mars, la vision dura cinq quarts d'heure. Pendant ce temps, l'une des Sœurs, avec plusieurs des grandes élèves, alla explorer le plateau, au-dessus duquel on voyait planer la Vierge, dans l'espoir de la voir de près, de pouvoir lui parler et de recevoir ses ordres. On était convenu qu'un morceau d'étoffe blanche, attaché à l'extrémité d'une perche, servirait de télégraphe.

Les autres Sœurs devaient, de 1'école, agiter leurs mouchoirs, lorsque ce fanion d'un nouveau genre serait sous la vision.

Après bien des pas inutiles, des marches et des contremarches, la Sœur voit enfin s'agiter les mouchoirs. Elle devait être à l'endroit même où se trouvait l'apparition pour les voyantes, mais ni elle ni ses petites compagnes ne l'aperçurent. Cet endroit était situé à quelques mètres, à droite, d'un ormeau qui poussait au milieu d'une haie séparant un champ d'un herbage.

Détail à noter : A l'entrée de ce champ, qui appartenait à M. Lepetit, chrétien de forte trempe et fondateur de l'école libre des Sœurs, était planté depuis longtemps un écriteau, unique peut-être en son genre, sur lequel on lisait, écrits en gros caractères, ces mots: On ne blasphème pas ici.

Pendant le mois d'avril, la Vierge apparut neuf fois: les 1er, 3, 6, 9, 10, 12, 18, 19 et 28.

Le 9, outre la vision ordinaire, on aperçut aussi, pendant quelques instants, la flèche brillante d'un clocher en belles pierres blanches.

Le 19, qui était un dimanche, de nombreux étrangers visitèrent le champ de l'apparition. Or, à un certain moment, les Religieuses virent la Vierge étendre les mains, comme pour bénir cette foule répandue autour d'elle, et qui ne la voyait pas. A ce spectacle, les voyantes furent émues jusqu'aux larmes, et elles se mirent à sangloter, non de tristesse, mais de bonheur, d'enthousiasme et de reconnaissance. Le mois de mai ne fut favorisé que de trois visions: les 1er, 2 et 27.

Les visions deviennent encore plus rares pendant le mois de juin, qui n'en compte que deux: la première, le 11, veille de la fête du Sacré-Cœur, qui dure 2 heures et demie, et la seconde, beaucoup plus courte, le 30. Arrive enfin le mois de juillet, qui devait voir se clore le premier cycle mystérieux de ces faveurs divines.

Le 2, fête de la Visitation, une enfant, qui avait été mise en pension chez les Sœurs, mais qui, sous plusieurs rapports, laissait à désirer, eut une extase de quelques minutes, sur le talus de la grand-route qui passe devant l'école. Quelques personnes eurent aussi, à ce même endroit, une vision d'ordre suspect.

Pendant ce temps, les Religieuses et leurs élèves jouirent de leur vision habituelle, mais pendant une très courte durée.

Le 3 jui1let, pendant deux grandes heures, la Vierge plana, à diverses reprises, au-dessus du champ Lepetit pour ses voyantes de l'école.

Pendant ce temps, dans la cour même, la fillette qui avait eu la veille une extase sur le talus de la grand-route, en eut de nouveau une très longue, d'un caractère singulier et troublant, au milieu d'une foule de visiteurs, que la curiosité avait attirés.

Les Religieuses en furent profondément attristées, et se demandèrent s'il ne vaudrait pas mieux, pour leur tranquillité, faire le sacrifice de leur incomparable vision, pour ne pas se voir exposées davantage à de pareilles scènes.

Lorsque le mois de juillet fut à moitié passé, e1les commencèrent une neuvaine à sainte Anne, pour demander à la Mère de la Très Sainte Vierge, par le Sacré-Cœur de Jésus, d'intercéder auprès de sa Fille bien-aimée, afin qu'elle daignât manifester le dessein pour lequel Elle avait apparu avec tant d'éclat et de bonté, et qu'en retour elles feraient le sacrifice de ne pas jouir davantage du bienfait de sa si douce présence.

Le 25 juillet, veille de la fête de Sainte Anne, tandis que les enfants et 1es Sœurs terminaient les prières de la classe, l'apparition se montra au lieu accoutumé, mais plus un nuage, comme d'habitude, mais pendant quelques minutes seulement.

Elle avait ce jour-là, sous les pieds, non plus un nuage, comme d'habitude, mais un large piédestal, qui ne s'effaça que lentement, après la disparition complète de la Vierge.

Cette courte vision devait être le dernier adieu de la Mère à ses enfants, car c'était fini! Elle ne devait plus se montrer à leurs yeux sur la terre, mais ce n'était pas encore la réponse désirée. Le lendemain, dimanche, fête de Sainte Anne, devait être ce grand jour.

Ce jour-là, on célébra à Tilly, avec une grande solennité, l'affiliation de la paroisse à l'Adoration perpétuelle de Montmartre. Toutes les personnes pieuses de Tilly et les étrangers présents dans la localité s'étaient unis aux Religieuses et aux élèves, pour faire la neuvaine, et s'approchèrent tous ensemble de la sainte table, dans un même élan de foi, de confiance et d'amour.

Or, dans la soirée, après les Vêpres, une dame étrangère s'était assise dans un coin du préau de l'école, pour prier plus à l'aise.

Sa prière terminée, elle ferme son livre, lève les yeux vers la colline, et pousse un cri d'admiration.

De son côté, la Sœur Supérieure s'était sentie poussée à sortir, et à peine arrivée près du petit mur qui sépare les deux cours, elle jette aussi un cri d'admiration et les deux voyantes se posent en même temps la même question :

— Vous voyez ?

Vite les deux autres Sœurs et des enfants présentes s'ont appelées. Toutes ont la même vision et demeurent ravies.

Au lieu même des apparitions, à droite de 1'ormeau, mais en arrière, se dressait une basilique resplendissante, d'un blanc éclatant, ressortant avec vigueur sur le fond du ciel, très chargé et très noir en ce moment. Il faisait en effet un très mauvais temps ; la pluie était tombée en abondance, et le ciel était encore très nuageux.

C'était un composé de tours, de tourelles, de clochetons, gracieux et majestueux à l'infini, que les heureuses voyantes ne pouvaient se lasser de contempler, mais qu'elles se déclarèrent ensuite incapables de reproduire.

Pendant l'espace d'une heure, la vision disparaît et reparaît une douzaine de fois, persistant parfois le temps de réciter deux dizaines de chapelet.

Il n'y avait pas moyen de se méprendre sur la signification de l'objet représenté.

A la Salette et à Lourdes, la Vierge avait fait connaître ses volontés, en disant ce qu'elle voulait. — A Pontmain, elle l'avait fait non par des paroles, mais par des inscriptions. — A Tilly, elle le fait par un signe tellement expressif, qu'il n'est pas possible de lui donner une signification autre que celle-ci :

Je veux que l'on me construise ici, sur ce plateau, un sanctuaire grandiose.

2 - Lors même que la céleste manifestation eut dû se terminer là, l'importance numérique et objective des apparitions, d'une part, et de l'autre, le nombre considérable des témoins, offrant les garanties les plus indiscutables de sincérité, en raison de la situation sociale, de l'intelligence, de la piété, de l'âge, etc., et sur la foi desquels pouvait s'établir une certitude morale de premier ordre, auraient suffi pour la classer dans une catégorie hors pair, au milieu de toutes les manifestations analogues consignées dans l'histoire de l'Église.

Mais ce n'était encore qu'un prélude - magnifique et grandiose il est vrai - qui serait resté en grande partie incompris, s'il n'eût reçu une interprétation authentique.

Cette interprétation devait être donnée, et elle fait partie d'une nouvelle série de prodiges encore plus éclatants, qui constitue comme le deuxième acte de ce drame divin, incomparable.

La Vierge, en continuant jusqu'au bout à apparaître aux voyantes de l'école, sans se rapprocher d'elles, leur avait suffisamment fait comprendre qu'Elle ne leur parlerait pas autrement que par la vue d'un symbole ou d'un signe. Leur mission à elles était finie...

Mais la persistance à se montrer toujours au-dessus d'un même lieu, semblait indiquer que là, devait se réaliser le dessein, dont l'intention venait d'être manifestée.

C'est effectivement dans ce lieu que nous allons entrer dans la période, que j'appellerai d'affirmation du surnaturel et de confirmation par le ciel, qui se prolonge; d'abord pendant trois années entières, par les visions, par les extases, et les grâces de tout genre, et se poursuit jusqu'à l'heure actuelle, surtout par des grâces de conversion, et par des guérisons de caractère miraculeux, qui ne cessent d'être accordées.

Dès la fin du mois de mars 1896, les foules commencèrent à affluer sur le plateau favorisé, entraînées par cette attraction, instinctive dans tout cœur chrétien, que fait éprouver le mystérieux divin dont on soupçonne la présence.

Ce fut surtout à ces premiers moments que se produisirent des phénomènes plus ou moins étranges, et que l'on signala des visions très mêlées, dont quelques-unes, troublantes et probablement d'ordre inférieur. Ces manifestations n'occupent qu'une place restreinte et fort secondaire dans la série complète des événements merveilleux, dont le champ Lepetit fut le théâtre, et il serait déraisonnable d'y attacher une grande importance.

D'ailleurs, pour peu que l'on ait étudié les annales de la Mystique divine, on arrive vite à se convaincre que partout où se manifeste le surnaturel divin, le surnaturel diabolique ne tarde pas à apparaître. A Lourdes, nombreuses furent les contrefaçons du divin, et vingt ans après la douce et suave apparition de l'Immaculée Conception, un enquêteur sérieux trouva encore plus de trente visionnaires, qui avaient été trompés par le singe de Dieu. Du reste, en quel temps et en quel lieu vit-on jamais plus de possédés du démon qu'en Palestine, du vivant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, alors que le divin thaumaturge semait à pleines mains les miracles autour de lui ? Sans m'attarder davantage à ces manifestations, j'aborde de suite le récit des principaux événements surnaturels, qui se succédèrent de 1896 à 1899.

Au-dessus de tous les autres voyants et voyantes, que je serai obligé de laisser dans l'ombre, quoique quelques-uns soient certainement de très bonne marque, il est une jeune fille qui occupe une place à part. Depuis six ans qu'elle est sous l'action spéciale de l'Esprit divin, et qu'elle est travaillée par Lui d'une façon extraordinaire, cette voyante est arrivée à un degré de piété, de vertu, je dirai même de sainteté qui, pour ceux qui l'ont suivie attentivement depuis le début, offre, relativement à ses visions et à ses extases, la garantie d'une contre-épreuve de valeur hors ligne.

Cette voyante s'appelle Marie Martel, et est originaire du village de Cristot, éloigné de Tilly de 5 kilomètres. En 1896, elle avait vingt-quatre ans et travaillait comme couturière à la journée. Elle avait toujours été pieuse et pure, mais sans rien qui la distinguait extérieurement de ses autres compagnes. Ce n'est que plus tard que l'on apprit qu'elle avait été favorisée, avant sa Première Communion, d'une apparition de la Sainte Vierge.

A peine a-t-elle entendu parler des visions de l'école, qu'un immense désir de voir, elle aussi, Celle que son cœur a deviné, s'empare de son âme, et, sous le charme de cet attrait divin, elle se rend un beau soir, sa journée terminée, au champ de l'apparition. Là, elle fait comme tout le monde: elle récite le chapelet et chante des cantiques.

Vingt-huit jours de suite, sans se mettre en peine du mauvais temps, fréquent à cette époque de l'année, elle fait tous les soirs, avec sa mère ou avec une voisine, les dix kilomètres représentant, pour l'aller et le retour, la distance qui sépare Cristot de Tilly. Ce long trajet, dans la nuit noire, après la fatigue d'une journée de travail, ne l'effrayait point. Elle subissait un entraînement, dont elle ne se rendait pas compte.

Le 25 avril 1896, elle eut la première vision qui fut de courte durée, mais qui la ravit au-delà de toute expression. La Vierge, d'une beauté toute céleste, était vêtue de blanc, avec une ceinture bleue, un voile sur sa tête, et des roses d'or sur ses pieds nus. A ses pieds, sur une banderole blanche, ces mots étaient écrits en lettres d'or: Je suis l'Immaculée.

Trois jours après, la voyante a une nouvelle vision et, depuis lors, elle est souvent favorisée du même bonheur.

A partir des premières apparitions, la voyante commence à avoir sa part, non seulement de Thabor, mais encore de Calvaire : les persécutions, les calomnies, les tracasseries de tout genre l'assaillent de toute part.

Au mois de mai, sa santé devient déplorable; sa vie n'est bientôt plus qu'une longue suite de souffrances. Elle en arrive au point de ne pourvoir plus marcher qu'avec la plus grande peine; cela ne l'empêche pas de se traîner, comme elle peut, au champ de l'apparition.

Touchée de compassion pour son état, et dans le but de lui épargner la fatigue excessive du voyage de Cristot à Tilly, une excellente dame de ce bourg la recueille chez elle, à titre de servante, ou plutôt de fille adoptive. C'était le 15 juin 1896.

Après les premières visions, qui eurent lieu sans extase, 1'état extatique ne tarda pas à se manifester. L 'impression que ces extases produisirent sur toutes les personnes qui en furent témoins, ne peut se décrire.

Voici comment s'exprimait à ce sujet un ancien officier, très instruit et très observateur : " J'aurai toujours le souvenir de ses inexprimables élans de prière, alors que, ne pouvant se mettre à genoux, debout, les bras tendus vers La blanche Vierge, elle clamait ses invocations. Je verrai toujours ses entrées subites dans le ravissement; celle d'une belle statue, immobilisée dans la contemplation, et dont le visage exprimait la joie et le bonheur le plus intense; "

“Je n'ai jamais rien contemplé de plus beau, disait un touriste passablement sceptique ; le spectacle que voit cette jeune fille doit être merveilleux de splendeur.” Dès de mois d'août 1896, on constate pendant les extases, dans les yeux de la voyante, un phénomène étrange, qui se reproduisit bien des fois dans la suite. De nombreux témoins y aperçoivent l'image d'une Vierge très lumineuse, vêtue d'une robe blanche, serrée à la taille par une ceinture bleu céleste, et enveloppée d'un voile léger. Des rayons s'échappaient de ses mains.

Ce dédoublement de vision, si l'on peut s'exprimer ainsi, n'était pas perçu par tous les spectateurs. La reproduction de l'image de la Vierge sur les carreaux des fenêtres de l'école des Sœurs, le 25 mars, avait été un prodige du même genre. A part l'effet produit par la vue des extases et la vision de l'image de la Vierge dans les yeux de l'extatique, qui étaient de nature, l'une et l'autre, à accréditer dans le public la confiance au surnaturel divin, presque toutes les visions ou extases de Marie Martel, pendant l'année 1896, paraissent être d'ordre privé, et tendre surtout à l'éducation mystique et au perfectionnement spirituel de celle que la Reine du Ciel avait choisie pour être son ambassadrice.

Vers la fin de septembre et bien souvent depuis, cette Vierge bénie fait entendre à sa voyante le mot: Pénitence! Cela lui annonce qu'elle va avoir tout spécialement à souffrir pour les pécheurs, pour la réparation des blasphèmes, des sacrilèges, etc.

Lorsque l'apparition prononce ce mot plusieurs fois de suite - jusqu'à six ou sept fois - on peut s 'attendre a un véritable martyre qu'elle devra supporter; et de fait, ces jours-là, après les quelques heures de réconfort qui suivent les extases, la pauvre victime endure des tortures épouvantables.

Dès le commencement de 1897, les extases deviennent plus longues, et, surtout à partir du 2 février, ce n'est plus simplement le chapelet que récite la voyante, mais le rosaire tout entier, et cela, souvent, durant l'extase, en présence de l'apparition qui tient elle-même, dans ses mains, un riche rosaire, aux perles précieuses montées sur chaîne d'or. Les grains glissent sous ses doigts, et la voyante, se guidant sur ce mouvement, compte ses Ave sur le Rosaire céleste.

Ici commence à se dessiner la mission de la jeune fille, Après l'avoir préparée insensiblement, sa divine éducatrice la conduit petit à petit vers le but qu'Elle a en vue; et nous allons voir se développer successivement, sous sa direction, la mise à exécution et la consécration officielle des instructions et des ordres de Léon XIII, concernant la récitation du rosaire, surtout pendant le mois d'octobre. Pendant la récitation du rosaire, par exemple, entre les dizaines, la voyante entremêlait quelquefois des invocations, entre autres celle de Notre-Dame du Très Saint Rosaire, priez pour nous. Or, le jour de Pâques, le 18 avril 1897, deux des Anges, qui étaient agenouillés aux pieds de la Vierge, déroulèrent tout à coup devant elle une banderole, sur laquelle étaient inscrits ces mots: Reine du très Saint Rosaire... Quoique cette invocation, insérée par Léon XIII dans les Litanies de la Sainte Vierge, ne fût pas obligatoire en dehors de la récitation de cette prière, l'apparition faisait comprendre de la sorte que, même à titre d'oraison jaculatoire, elle avait plus de prix à ses yeux, à cause de l'introduction qui en avait été faite dans la liturgie, par le représentant de son divin Fils sur la terre.

Pendant le mois de septembre 1897, les extases deviennent de plus en plus émotionnantes. On comprend qu'il va se passer quelque chose de très important, surtout lorsqu'on apprend que la Vierge a demandé à sa voyante de monter au champ, pour réciter le Rosaire, en sa présence, tous les jours du mois d'octobre, à 4 heures du soir.

Depuis 1883, Léon XIII n'avait cessé de recommander au monde chrétien la dévotion du Rosaire, avec une insistance que jamais Pape n'avait mise pour accréditer une autre dévotion. D'abord, il avait invité à réciter, cette année-1à (1883), le chapelet en commun, pendant le mois d'octobre, parce qu'il a, assure-t-il, “la certitude que c'est le moyen efficace pour obtenir, par le secours de Marie, la cessation des grands maux qui désolent l'Église”.

L'année suivante, 1884, dans une nouvelle Encyclique, l'auguste Pontife constate avec bonheur l'entrain avec lequel on a répondu à son appel, et réitère son invitation pour cette année-là encore. En 1885, il décrète que le mois d'octobre sera désormais consacré au Rosaire, d'une manière permanente, tant que la condition de l'Église ne sera pas notablement améliorée. Ensuite, d'année en année, il redouble ses insistances et proclame qu'Il ne cessera pas de convoquer le peuple chrétien à la récitation du Rosaire.

En 1897, année à laquelle nous sommes arrivés, Léon XIII fait de nouveau un rappel des plus pressants de toutes ses encycliques précédentes, sur le Rosaire et sur le mois qu'il a consacré à cette dévotion.

Juste à ce moment, 1a Vierge, à Tilly, vient en aide au Pontife infatigable, pour faire écho à sa voix et pour lui prouver en même temps, par son intervention directe, qu'il n'a pas tort de mettre sa confiance dans l'arme du Rosaire, et qu'il peut être assuré que le succès final sera attaché à la persévérance.

Écoutez, Messieurs, ce qui se passa alors: Jusque là, on avait récité, au champ des apparitions, des centaines et des milliers de chapelets, mais sans y joindre la méditation des mystères, comme il est plus conforme à l'esprit de l'Église de le faire, surtout depuis que Léon XIII en a recommandé la pratique.

Or, vers la fin du mois de septembre, la Vierge fait apparaître un jour, aux yeux de la voyante, une banderole tenue par deux Anges, sur laquelle sont inscrits, à la suite, ces mots: — Mystères joyeux - Mystères douloureux — Mystères glorieux — puis, elle lui annonce que désormais, en récitant le Rosaire, elle devra méditer les mystères, ce à quoi la jeune fille répond qu'elle ne les connaît pas. Alors cette bonne Mère pousse la condescendance jusqu'à se faire elle-même l'institutrice de son enfant.

Le 30 septembre, elle commence par lui montrer - mais seulement pendant quelques instants - une longue bande blanche, sur laquelle est inscrite, de haut en bas, toute la suite des mystères. Le lendemain, 1er octobre, la Vierge se montre de nouveau, tenant entre les derniers doigts de ses mains la même inscription, écrite en caractères cursifs. La série des mystères et des grâces à demander commence en haut, tout près des doigts de La Vierge. Au fur et à mesure qu'une dizaine est achevée, la bande s'enroule jusqu'au mystère suivant, que la voyante lit à haute voix, puis elle continue à réciter les Pater et les Ave, en se fixant sur les grains du Rosaire qui glisse entre les doigts de la Vierge.

Le texte de ces mystères continuera à être montré à la voyante, jusqu'à ce qu'elle les eut appris de mémoire et put les réciter sans se tromper.

Il serait trop long de donner ici le texte de ces formules. Qu'il me suffise de dire que l'ordre de la distribution des mystères y est conforme à l'ordre traditionnel. L'énoncé du mystère et de la grâce à demander est net, précis, sans longueur. Au point de vue doctrinal, non seulement il répond aux données de la plus saine théologie, mais il offre un résumé admirable, théorique et pratique de la vie et des vertus chrétiennes.

Voici comment les appréciait: en octobre de l'année dernière, un évêque de France, s'adressant à un de ses prêtres qui les lui avait fait connaître, assez longtemps auparavant: “Nulle part — et je connais beaucoup de ces formules de mystères du Rosaire — nulle part je n'ai trouvé rien d'aussi beau, d'aussi élevé, et en même temps d'aussi pratique pour tout le monde ; c'est simple, mais c'est très profond pour ceux qui veulent réfléchir... Vous ne pouvez trouver mieux, à mon avis; je voudrais qu'il fût possible de les réciter partout”.

Tous les jours du mois d'octobre, la voyante récita donc le rosaire tout entier, en extase, à l'endroit que lui avait indiqué la Vierge quelques mois auparavant.

Rien ne saurait donner une idée du grand effet produit sur les assistants par ce Rosaire, ainsi récité par une jeune fille en extase, à genoux, les mains élevées vers le ciel, le corps attiré en avant par une force mystérieuse, et demeurant dans cette attitude excessivement fatigante, et d'une dignité parfaite, pendant une heure entière et plus.

Ce n'était pas une récitation ordinaire, même aussi fervente qu'on puisse le supposer; c'était une prière parlée, avec un élan et une expression de vie impossibles à décrire.

La voyante n'entendait pas alors ce qui se passait autour d'elle. Quoique les personnes présentes se joignissent à sa prière, en récitant la dernière partie des Ave, elle n'en tenait aucun compte et récitait elle-même tout complètement, sans faire attention si l'on 'avait fini avant elle ou non.

L'impression produite était immense, et il est impossible que ceux qui ont assisté une seule fois à cette récitation puissent jamais l'oublier.

Une autre partie de la mission de la voyante concerne le plan et les détails de la basilique du Rosaire, entrevue et admirée pair les voyantes de l'école. Il avait été donné de bonne heure à Marie Martel de la contempler, mais pour ainsi dire accidentellement. Dans le courant de l'année 1897, elle la revoit dans des circonstances véritablement exceptionnelles.

Le 22 mai 1897, à peine en extase, elle tombe à genoux, et marche ainsi l'espace de quelques mètres, dans la direction de la clôture qui sépare le champ d'un herbage situé derrière l'ormeau. Après quelques invocations à fa Sainte Vierge, elle se relève, toujours en extase, et s'approche de la barrière en planches. Son regard devient très brillant. “Ah! que c'est beau! s'écrie-t-elle, que c' est beau! On ne pourra jamais construire rien d'aussi beau!” A ce moment, on distingue nettement, dans ses yeux, l'image de la basilique.

Le 24, elle est entraînée de nouveau, et marche à genoux vers la barrière.

Le 25, il en est encore de même, et la Sainte Vierge Lui commande de passer désormais dans l'herbage qui se trouve de l'autre côté de la barrière.

Le 26, elle entre dans cette pâture, se dirige d'un pas ferme vers un point qu'elle ne perd pas de vue, et tombe à genoux à une centaine de mètres de la haie. C'est l'endroit où lui apparaîtra, jusqu'à la fin, sa vision; c'est le point central du dôme de la future basilique.

Le 15 août 1897, à 8 heures du soir, par un temps affreux et une nuit noire, la voyante en extase se retourne tout à coup, et, les yeux au Ciel, les bras levés dans un geste de supplication ardente, se dirige du côté de la haie, suivie des personnes présentes — une centaine environ — portant des cierges qui ne s'éteignent pas malgré la pluie. C'est l'intérieur de la basilique qu'il lui est donné de parcourir.

Le 8 septembre suivant, après deux journées de souffrances atroces, Marie Martel se rend à la pâture à 6 h 30 du soir. Elle fait, de nouveau en extase, le tour de la basilique à l'intérieur, en détaille les merveilles, décrit les chapelles, etc. L'extase dure cinquante-cinq minutes. Pendant tout ce temps la pluie ne cesse de tomber, et l'on remarque avec surprise que les vêtements de la voyante restent absolument secs, et que ses chaussures d'étoffe ne sont même pas mouillées.

Enfin, le 8 septembre 1898, elle a, à 5 h 30 du matin, une extase pendant laquelle il lui est donné, pour la dernière fois, de faire le tour de la basilique à l'extérieur.

A la suite de cette vision, elle est inspirée de fixer elle-même sur le papier le dessin de ce qu'elle a vu. Elle, qui jusqu'alors n'avait réussi, dans les essais qu'elle avait tentés, qu'à tracer des croquis enfantins, dresse tout à coup. sans effort, un plan sur assez grande échelle, qui, en son genre, est une petite merveille. C'est un dessin naïf, primesautier, qui ne se réclame pas des règles de l'art, mais qui exprime bien l'objet tel qu'il a été vu; désormais il sera facile à un homme de métier de le mettre au point, et d'en faire un superbe croquis.

Voici, en quelques mots, la description de cette basilique :

Elle est orientée liturgiquement de l'ouest à l'est, et forme un vaste rectangle de 120 mètres environ de longueur sur 30 à 32 de largeur.

Les quatre angles sont surmontés de quatre clochers, ornés de filets d'or.

En avant du chœur, un immense dôme, à triple rangée de quinze clochetons, s'élève au-dessus du transept et le couvre tout entier.

A partir du transept, la basilique se compose d'une nef principale et de deux bas-côtés.

De chaque côté, il y a quinze fenêtres, avec autant de clochetons. - Les gros piliers de l'intérieur sont formés d'une colonne centrale entourée de quatorze colonnettes.

Il y a quinze marches pour arriver à la plate-forme sur laquelle repose l'édifice; et une bordure en pierres sculptées court tout le long de la toiture, avec des roses, comme motif principal de décoration.

Enfin, pour compléter ce symbolisme, qui rappelle toujours l'idée du Rosaire, il y a, en tout, quinze autels qui se distribuent comme suit :

Au-delà de la coupole, se trouve le maître-autel, surmonté par derrière - au fond du chœur - par une belle statue de la Vierge, que domine un grand Christ, qui pend de la voûte.

Aux côtés de l'autel, se dressent les statues de saint Joseph, du côté de l'Épître, et de saint Michel, du côté de l'Évangile : le premier, époux et gardien fidèle de la Vierge sur la Terre, et maintenant patron de l'Église universelle; le second, Ange tutélaire de l'Église du Christ et protecteur spécial de la France.

A noter que lorsque le prêtre bénit l'encens, après l'Offertoire de la messe solennelle, il le fait Per intercessionem beati Michaelis Archangeli, stantis a dextris altaris incensi.

La statue de ce grand Archange, que Léon XIII fait invoquer par tous les prêtres du monde, après leur messe, à l'effet de refouler tous les démons au fond de l'enfer, se trouve encore placée à l'extérieur, sur le porche de fa façade principale, et commande pour ainsi dire l'entrée.

Du côté de l'Épître, sous le dôme, un grand autel, derrière lequel la statue du Sacré-Cœur. En face, du côté de l'Évangile, un autre grand autel, avec la statue de sainte Anne.

Ces autels qui, avec leurs chapelles, sont, par rapport au reste de l'Église, comme les deux bras gigantesques de l'Orante mystique, sont dédiés aux intermédiaires, à l'intercession desquels eurent recours les Religieuses, pour obtenir de la Très Sainte Vierge la réponse à leur question ; car on se rappelle qu'elles firent une neuvaine à sainte Anne, pour lui demander, par le Sacré-Cœur de Jésus, d'intercéder auprès de la Sainte Vierge, afin qu'elle daignât leur faire savoir ce qu'E1le désirait; et ce fut le jour de la fête de sainte Anne qu'elles furent exaucées.

Les six petits autels, dressés le long du mur, du côté de l'Épître, sont dédiés, à partir de la coupole, à saint Joachim, époux de sainte Anne, père de la Sainte Vierge, et patron de Léon XIII, à saint Jean-Baptiste, à saint Paul, à saint Jean l'Évangéliste, à saint Gabriel et à saint Pierre.

Il n'est pas étonnant de rencontrer ici Saint Jean-Baptiste et saint Paul ; on sait le rôle de premier ordre que leur attribue la liturgie la plus ancienne, comme on peut le constater dans la prière que le prêtre récite à la messe, après l'Offertoire : Suscipe Sancta Trinitas, ou ils font cortège à la Sainte Vierge: In honorem beatae mariae semper virginis, et beati Joannis Baptistae, et Sanctorum Apostolorum Petri et Pauli... Comme aussi dans le Confiteor, auxquels est adjoint en outre saint Michel.

Quant à saint Jean l'Évangéliste, ne fait-il pas partie, lui aussi, de la famille de la Sainte Vierge, puisqu'au Calvaire, par institution divine, il est devenu son fils, et qu'ensuite Elle ne s'est plus séparée de lui ?

Quant à saint Gabriel, c'est l'Ange de Marie par excellence, et c'est le jour de sa fête, le 18 mars, qu'eut lieu la première apparition.

Je me contente d'énumérer, sans réflexions, les chapelles du côté de l'Évangile, à partir du dôme :

Notre-Dame des Sept-Douleurs ; Notre-Dame de Graçay; Notre-Dame du Mont-Carmel ; Notre-Dame des Armées ; Saint Antoine de Padoue ; Notre-Dame du Rosaire.

Après celle-ci, près de la porte d'entrée, était encore une chapelle vide, où se trouvait seulement un piédestal sans statue, et comme la voyante en témoignait son étonnement, la Sainte Vierge lui fit comprendre que c'était la statue de Jeanne d'Arc, qui devait y être placée, lorsqu'elle serait honorée d'un culte public.

Il y avait encore, sous le dôme très riche, et très resplendissant, d'autres statues en grand nombre.

Enfin, à l'extérieur, sur ce dôme formé d'une triple rangée de couronnes superposées, domine une statue colossale du Christ Rédempteur, les bras ouverts et largement étendus, avec un cœur de flammes brillant sur la poitrine. Le dôme, en forme de tiare, qui lui sert de grandiose piédestal, n'est-il pas l'emblème symbolique de sa royauté sur le monde, proclamée par Léon XIII, au déclin du siècle qui vient de disparaître ?

Nous pourrions nous arrêter là; mais pour être complet, il convient de voir encore comment la série des apparitions de la Vierge du Rosaire a été close.

C'est le 25 avril 1899, trois ans jour pour jour après la première apparition dont Marie Martel avait été favorisée au champ, que cela se produisit.

Elle avait été prévenue longtemps à l'avance du jour où la Vierge bénie lui apparaîtrait pour la dernière fois; aussi, était-ce avec la plus vive appréhension qu'elle voyait arriver cette date redoutable.

Immense fut la douleur qu'elle ressentit, ce jour-là, lorsqu'à la fin de son extase elle eut conscience que c'était fini, et qu'elle ne reverrait plus, en ce lieu, Celle qui lui avait procuré un bonheur si intense, dont elle aurait consenti à payer la prolongation, au prix de souffrances encore mille fois plus grandes que celles qu'elle avait eues à supporter !

Avant de disparaître pour toujours, la Vierge lui accorda, comme dernière faveur, de contempler un tableau de la sainte Famille, d'une conception absolument remarquable.

En établissant l'Association universelle de la sainte Famille, Léon XIII avait prescrit de conserver dans chaque maison une image représentant ce sujet, et de prier devant, tous les jours. Mais comme il n'y a pas, dans l'Église, de type traditionnel et uniforme pour représenter la sainte Famille - les uns la représentent pendant la fuite en Egypte ou en voyage, les autres dans l'atelier de Nazareth, etc. - Léon XIII mit ce sujet au concours, à l'occasion de l'Exposition de Turin, en 1898, avec l'intention d'adopter officiellement le modèle qui serait jugé répondre le mieux à l'idée-mère de la dévotion, qui sert de base à l'Association susdite. En définitive, aucun des nombreux projets présentés ne fut approuvé.

Au contraire, lorsqu'en 1900 on mit sous les yeux du Souverain Pontife une toile représentant la sainte Famille, telle qu'elle avait été vue par Marie Martel, Léon XIII en fut aussitôt émerveillé, et manifesta le désir de garder ce tableau pour ses appartements particuliers.

Ce tableau représente la sainte Famille, non point en voyage ou au travail, mais en prière. L'Enfant Jésus est debout, au milieu, le regard en haut, les bras élevés verticalement vers le ciel, la paume des mains en dehors. Il semble dire à son Père: “Hostiam et oblationem noluisti, corpus autem, aptasti mihi...”, et il remplit ainsi l'office de médiateur et d'intercesseur. Lui, le Maître, quoique revêtu de la livrée du serviteur, il prie debout.

La Sainte Vierge est assise, soutenant de la main droite le bras gauche de son divin Fils, comme autrefois Aaron et Hur soutenaient les bras de Moïse priant sur la montagne ; ses yeux sont fixés, non sur Jésus, mais dans la même direction du Ciel que les siens. Ce rôle d'auxiliaire dans l'œuvre de la méditation divine convient admirablement à Celle que l'on a justement qualifiée de Corédemptrice et de Omnipotentia supplex.

Saint Joseph est dans l'attitude qui convient à la créature qui prie son Créateur, il est à genoux. Mais comme il est le gardien et protecteur de la famille, il est appuyé sur son bâton. Il tourne son regard du côté de l'Enfant divin, laissant entendre par là qu'il met toute sa confiance, pour l'efficacité de sa propre prière, dans l'union avec celle de Jésus.

Messieurs, nous aimons à espérer que ce déploiement de surnaturel de la part de Marie, à l'égard de la France, est l'annonce et le gage d'une nouvelle ère de grâce et de miséricorde divine. Mais pour que ces efforts du ciel aboutissent, il faut qu'ils reçoivent d'abord la sanction de l'Église. En attendant que Rome prononce la décision suprême, c'est à l'autorité épiscopale qu'il appartient d'intervenir.

Si le rapporteur a été assez heureux pour vous faire partager ses convictions et ses espérances, il vous demande d'émettre le vœu : que l'autorité compétente veuille bien faire faire une enquête officielle, pour s'assurer des faits, et définir leur caractère.

Le vœu qui sert de conclusion à ce rapport, fut adopté sans restriction.

NOTA: Le site dont provient ce document n'existe plus.

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