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Claude la Colombière
(1641-1682) Fête le 25 février
Le serviteur fidèle
et parfait ami de Jésus
Sacré Cœur de Jésus, apprenez-moi le parfait oubli de
moi-même.
Claude La Colombière, troisième enfant d’une famille de
sept, dont cinq seulement survivront, est né le 2 février
1641,
à Saint Symphorien-d’Ozon, dans le diocèse de Lyon. Son père exerçait la
charge de notaire royal. Claude fit ses études à Lyon, d’abord au
collège des jésuites, de 1650 à 1653, puis, pendant les cinq années
suivantes, au Collège de la Trinité. A l’âge de 17 ans il est admis au
noviciat de la Compagnie de Jésus. Le 20 octobre 1660, à Avignon, il
prononçait ses vœux. En 1666, il assista à la canonisation de Saint
François de Sales, puis fut envoyé à Paris poursuivre ses études de
théologie. Il sera ordonné prêtre en 1669.
L’atmosphère de la vie parisienne est alors celle du
Grand Siècle, et Claude aura inévitablement entendu parler de Vincent de
Paul, de Bérulle, de Jean-Jacques Olier, de Marie de l’Incarnation; et
encore de Racine, de Molière, Descartes, Bossuet, etc... Sans oublier la
querelle janséniste. Tout ce foisonnement de vie ne pouvait laisser
indifférent le jeune religieux nommé précepteur des fils de Colbert.
[1]
Claude La Colombière fut ensuite nommé professeur à Lyon,
au Collège de la Trinité pendant trois ans. Puis, toujours à Lyon, il
accomplira son “troisième an” en 1674. C’est durant sa grande retraite qui
prépare le travail de ce troisième an que Claude prendra les orientations
qui animeront toute sa vie:
– désir de “la véritable sainteté, la sainteté sans illusion, sans mensonge;
désir de répondre à l’appel d’amour dont Dieu a investi son âme.”
– méditations sur “les sentiments intérieurs des trois personnes divines”,
sur “l’anéantissement du Verbe” et “l’intérieur de Jésus.”
– découverte que la “véritable voie de sainteté” repose sur la
fidélité, et que “la sainteté de l’homme passe par les voies par lesquelles
a passé le Christ pour sauver le monde.”
– enfin Claude comprend que lui, tout seul, est impuissant: “Dieu seul peut
opérer en lui les transformations.” Rapidement il situe ses relations
avec Dieu sur le plan du cœur, et c’est dans ce contexte qu’il se lie à
Dieu par un vœu de “fidélité sans réserve.”
Désormais, méditant la Passion, il se place au niveau des
mouvements du Cœur du Christ et du cœur de la Vierge Marie, et “veut que
son cœur ne soit désormais que dans Celui de Jésus et de Marie, ou que
Celui de Jésus et de Marie soit dans le sien.”
[2]
Et l’amour lui apparaît véritablement comme “la conformité à la volonté de
Dieu.”
[3]
(Notons ici “Celui”: le Cœur, au singulier. En effet, pour Claude La
Colombière, comme pour Saint Jean Eudes, le Cœur de Jésus et le cœur de
Marie n’en font qu’un) Désormais, c’est dans la fidélité à toutes les
règles de son Ordre que Claude va trouver la liberté et la joie de son âme.
Son âme éprise de Dieu ne cherche plus qu’à se détacher d’elle-même pour
trouver Dieu même.
Le Père Claude a maintenant conscience d’une action
particulière de Dieu sur sa personne et dans sa vie. Déjà, quelques jours
plus tôt, la Sainte Vierge l’avait, lui semble-t-il, “présenté à son Fils,
lequel l’avait envisagé, (sic) et lui avait ouvert son sein comme s’il avait
été le plus innocent des hommes.”
Claude la Colombière a aussi comme des prémonitions sur
sa vie future: “Tout à coup il s’est fait un grand jour dans mon esprit; il
me semblait me voir couvert de fers et de chaînes, et traîné dans une
prison, accusé, condamné, parce que j’avais prêché Jésus Crucifié et
déshonoré par les pécheurs...” [4]
C’est d’ailleurs ce qui lui arrivera à Londres.
On comprend maintenant comment le Seigneur préparait
celui qui était prédestiné à diriger Sœur Marguerite-Marie Alacoque et à
prêcher le message du Cœur de Jésus. Le 2 février 1675 il faisait sa
profession solennelle et était nommé supérieur de la maison des jésuites de
Paray-le-Monial. Il y demeurera dix-huit mois avant d’être nommé prédicateur
de la Duchesse d’York, à la cour d’Angleterre où il arrivera en octobre
1676.
A Paray-le-Monial, au monastère de la Visitation,
Marguerite-Marie, persécutée, était même abandonnée par ses confesseurs qui
ne comprenaient rien à ce qui se passait en elle. Il fallait, sur place, un
homme excessivement prudent, et doté d’une expérience spirituelle
exceptionnelle des conduites de Dieu sur les âmes. Claude La Colombière
était celui que Jésus avait promis à Marguerite-Marie, “le serviteur fidèle
et parfait ami qui lui apprendrait à Le connaître et à s’abandonner à Lui.”
Bien avant d’arriver à Paray, Claude avait bénéficié des
écrits de Sainte Gertrude, de Saint Bonaventure et de Saint Bernard, et il
avait déjà pénétré les trésors du Cœur de Jésus. Et, depuis longtemps il
avait goûté dans l’oraison, les sentiments de ce divin Cœur, soit à l’égard
du Père, soit envers sa Mère, soit envers nous. Il avait écrit, dans ses
notes de retraite: “Soyez donc, aimable Jésus, mon père, mon ami, mon
maître, mon tout; puisque Vous voulez bien être content de mon cœur, ne
serait-il pas déraisonnable s’il n’était pas content du Vôtre.” [5]
Cette tendance à s’adresser au Cœur de Jésus, il l’avait peut-être acquise,
durant ses études à Paris, auprès du Père Jacques Nouet, qui, dans un livre
paru en 1674, “L’homme d’oraison”, consacrait trente pages au
Sacré-Cœur et
pressait les âmes d’oraison à unir leur cœur à Celui de Jésus.
Les trois cœurs
Dès le premier contact avec la
Sœur Alacoque, l’avis du
Père Claude fut formel: ce qui se passait en elle venait de Dieu. De plus,
Jésus voulait associer son fidèle serviteur à la mission qu’Il confiait à sa
servante car, pendant le temps pascal qui suivit leurs premières rencontres,
eut lieu, pendant la messe célébrée par le Père Claude, la vision des trois
cœurs: le Sacré Cœur de Jésus, ardente fournaise dans laquelle les deux
autres cœurs allaient s’unir et s’abîmer.
Un peu plus tard, Marguerite-Marie ne sachant pas comment
réaliser une demande de Notre Seigneur, ce dernier lui dit: “Adresse-toi à
mon serviteur, le Père La Colombière et dis-lui de ma part, de faire son
possible pour établir cette dévotion et donner ce plaisir à mon divin Cœur ;
qu’il ne se décourage point pour les difficultés qu’il y rencontrera, car il
n’en manquera pas; mais il doit savoir que celui-là est tout-puissant qui se
défie entièrement de soi-même pour se confier uniquement à Moi.”
[6]
Le Père la Colombière, comme Marguerite-Marie, mais
chacun à sa place, devaient révéler au monde les richesses infinies du Cœur
de Jésus.
Le message, nouveau, de Paray était la nécessité
d’orienter les âmes sur le Cœur de chair de Jésus, “Coeur couronné d’épines
et surmonté de la Croix.”
[7]
et de “manifester, avec insistance, son amour passionné payé d’ingratitude,
méconnu et outragé...”
Les deux thèmes principaux de cette révélation sont
nettement orientés vers la réparation à cause de nos péchés et la
miséricorde infinie du Cœur de Jésus, thèmes qui seront longuement repris
plus tard dans l’encyclique Miserentissimus Redemptor de Pie XI.
C’est dans cette perspective que s’inscrit
“L’Offrande au
Cœur Sacré de Jésus” dont le texte clôt la retraite du Père Claude de 1677.
Cette offrande a deux buts: honorer et réparer. Claude écrit:
– “Cette offrande se fait pour honorer ce divin Cœur, le siège de toutes
les vertus, la source de toutes les bénédictions, et la retraite de toutes
les âmes saintes.”
– Elle se fait aussi “en réparation de tant d’outrages... Pour cela, ô très
adorable Cœur de mon aimable Jésus, je vous offre mon cœur, avec tous les
mouvements dont il est capable; je proteste que je désire m’oublier moi-même
et tout ce qui peut avoir du rapport avec moi. J’offre à ce Cœur tout le
mérite, toute la satisfaction de toutes les messes, de toutes les prières,
de toutes les actions de mortification, de toutes les pratiques religieuses,
de toutes les actions de zèle, d’humilité, d’obéissance, et de toutes les
autres œuvres que je pratiquerai jusqu’au dernier moment de ma vie. Non
seulement cela sera pour honorer le Cœur de Jésus, mais encore je Le prie
d’accepter la donation entière que je lui en fais, d’en disposer de la
manière qu’Il lui plaira.”
L’offrande se termine par une prière d’une rare élévation
dont voici l’essentiel: “Sacré Cœur de Jésus, apprenez-moi le parfait oubli
de moi-même, puisque c’est la seule voie par où l’on peut entrer en
Vous...Enseignez-moi ce que je dois faire pour parvenir à la pureté de votre
Amour, duquel vous m’avez inspiré le désir... Faites en moi votre volonté,
Seigneur; je m’y oppose, je le sens bien, mais je voudrais bien, ce me
semble, ne pas m’y opposer. C’est à Vous à tout faire, divin Cœur de
Jésus-Christ; Vous seul aurez toute la gloire de ma sanctification si je me
fais saint... Amen!”
[8]
Chaque fois que ce sera possible, le Père Claude fait
connaître le Sacré-Cœur et ne cache pas son “cœur à Cœur ” permanent avec le
Christ.
Claude La Colombière est maintenant mûr pour la Croix.
Avant qu’il ne parte pour Londres où il vient d’être nommé, Marguerite-Marie
lui demanda de lui suggérer, pour elle, une résolution. Voici ce qu’il lui
écrivit: “Il faut vous souvenir que Dieu demande tout de vous et qu’Il ne
demande rien. Il demande tout parce qu’Il veut régner sur vous et dans vous,
comme dans un fond qui est à Lui en toutes manières, de sorte qu’Il dispose
de tout, que rien ne Lui résiste, que tout plie, tout obéisse au moindre
signe de sa volonté. Il ne demande rien de vous, parce qu’Il veut tout faire
en vous, sans que vous vous mêliez de rien, vous contentant d’être le sujet
sur qui, en qui Il agit, afin que toute gloire soit à Lui et que seul Lui,
soit connu, loué et aimé éternellement.”
[9]
De son côté, Marguerite-Marie lui fait parvenir le
mémoire suivant, au moment où il quittait Paray-le-Monial:
“1° Le talent du P. La Colombière est d’amener les âmes à
Dieu: c’est pourquoi les démons feront leurs efforts contre lui; même les
personnes consacrées à Dieu lui feront de la peine et n’approuveront pas ce
qu’il dira dans ses sermons pour les y conduire.
“2° Il doit avoir une douceur compatissante pour les
pécheurs, et ne se servir de la force que lorsque Dieu le lui fera
connaître.
“3° Qu’il ait un grand soin de ne jamais tirer le bien de
sa source. Cette parole est courte, mais contient beaucoup de choses, dont
Dieu lui donnera l’intelligence selon l’application qu’il y fera.”
[10]
Ce mémoire, dont les termes du point 3 sont un peu
obscurs, fut mis en pratique par Claude en Angleterre. Il écrivit, lors
d’une retraite qu’il fit en Angleterre: “Tirer le bien de sa source: j’ai
souvent examiné ce mot sans le pouvoir pénétrer... mais, tout d’un coup il
s’est fait comme un grand jour en mon esprit, à la faveur duquel j’ai vu
clairement que c’était la résolution d’un doute... J’ai compris que cette
parole contient beaucoup, parce qu’elle porte à la perfection de la
pauvreté, à un grand détachement de toute vaine gloire, à la parfaite
observation des règles, et qu’elle est la source d’une grande paix
intérieure et extérieure, et de plusieurs actions très édifiantes...”
[11]
Tout à fait à la fin de sa vie, le Père La Colombière
rassure encore une fois Marguerite-Marie de nouveau sujette au doute: “...
Non! encore une fois, vous n’êtes nullement trompée; il n’y a point
d’illusion dans les faveurs que vous recevez de la Miséricorde du Seigneur;
je n’ai nul sujet de vous soupçonner de dissimulation, ni d’hypocrisie. Et
quoi qu’il ait lieu de s’étonner que le souverain Maître s’abaisse jusqu’à
des créatures si viles et si imparfaites, ce serait un blasphème de penser
que sa bonté ne puisse aller jusque là et qu’elle soit capable d’être
surmontée par nos infidélités.” [12]
Trois mois plus tard, le Père Claude La Colombière
décèdera et sera inhumé à Paray-le-Monial, dans la petite chapelle du
collège où il s’était consacré au Sacré-Cœur.
Claude La Colombière et le
Cœur
de Jésus
Autant qu’Il est grand, Dieu est bon et miséricordieux.
C’est un abîme de grandeur, il est vrai; mais aussi, c’est un abîme de
Miséricorde.
Que le Cœur de Jésus soit notre école, et conformons-y le nôtre.
Dans ses écrits comme dans ses prédications le Père
Claude cite peu le Sacré-Cœur de Jésus. Les révélations étaient beaucoup
trop récentes, et inachevées; des hostilités se manifestaient, et la voyante
vivait encore. Aussi Claude se montre-t-il relativement prudent. Mais le
Cœur de Jésus, c’est “son intérieur”, c’est la manifestation sensible de son
amour pour nous; aussi serait-il dommage de ne pas citer quelques phrases
des écrits de Claude La Colombière exprimant l’amour de Jésus pour nous et
la réponse de Claude pour Dieu, et pour son Fils en particulier.
Claude La Colombière a une vénération pour l’Eucharistie.
Après avoir médité sur le Saint Sacrement il écrit: “Dès que j’ai envisagé
ce mystère, je me suis senti tout pénétré de doux mouvements d’admiration et
de reconnaissance pour la bonté que Dieu nous a témoignée en ce mystère. Il
est vrai que j’y ai reçu de si grandes grâces et que j’ai ressenti si
sensiblement les effets de ce pain des anges, que je ne saurais y penser
sans être en même temps touché d’une très grande gratitude.”
[13]
Mais le Père Claude estime que les grâces extraordinaires
ne sont pas bonnes pour lui, aussi écrira-t-il: “Je demande à Dieu une
oraison solide, simple, qui Le glorifie et qui ne m’enfle pas.”
[14]
Méditant sur l’amour de Dieu, il écrit:
“...Dieu est dans
toutes ses créatures; il est tout ce qu’il y a de bon en elles; il nous fait
tout le bien que nous recevons d’elles... Qui suis-je, ô mon Dieu pour être
ainsi servi par vous en tout temps... Ce qui est le plus admirable, c’est
que Dieu fait cela pour tous les hommes, quoique presque personne n’y pense,
si ce n’est quelque âme choisie, quelque âme sainte. Il faut du moins que
j’y pense, que j’en sois reconnaissant... Je ne demande à Dieu que son amour
et sa grâce, et un amour qui ait plus de solidité que d’éclat et de
douceur...”
[15]
Claude écrit encore dans son ‘Journal Spirituel’ :
“Autant qu’Il est grand, Dieu est bon et miséricordieux. C’est un abîme de
grandeur, il est vrai; mais aussi, c’est un abîme de Miséricorde. Voilà ce
qui me ranime à espérer, à oser m’approcher de Lui pour parler à Lui. Sans
cette vue, il me semble que je n’oserais pas même penser à Dieu...[16]
Dieu est parfait en tout sens... Il est sage, prudent, fidèle, bon, libéral,
beau, doux, ne méprisant rien de tout ce qu’Il a créé, faisant cas de nous,
nous gouvernant avec douceur et même avec respect, patient... Il a tout ce
que nous aimons dans les créatures; tout est réuni en Lui, et pour
toujours... D’où vient donc que nous ne L’aimons pas uniquement ?... Dieu
est non seulement parfait, mais encore Il est la source de toute perfection.
Ce n’est qu’en lui qu’on la peut puiser...”
[17]
Claude est stupéfait devant le contraste existant entre
“l’amour sans limite témoigné par Dieu à l’humanité, et l’ingratitude sans
borne dont l’homme s’obstine à payer un si grand amour.”
[18]
L’intimité quotidienne de Claude avec le Cœur de Jésus transparaît dans sa
prédication et sa direction. Se souvenant des plaintes de Jésus à
Marguerite-Marie, il insiste beaucoup sur l’idée de réparation, surtout
pendant les périodes de carnaval: “Que vous êtes heureux, vous qui choisissez
ces jours funestes pour consoler votre bon Maître de la perfidie de ses
autres serviteurs, qui vous punissez de leurs désordres et faites pénitence
de leur endurcissement.”
Peu de temps avant son arrestation à Londres, à un frère
mineur venu chercher la force et le conseil du Cœur de Jésus, le Père de la
Colombière déclare:
“Personne ne peut pénétrer les mystères de ce Cœur sans
goûter au calice d’amertume où Jésus s’abreuva si pleinement à Gethsémani.
Oh! si je pouvais aussi recueillir cette grâce précieuse que vos prêtres
anglais sont en train de moissonner dans ce pays des croix.”
[19]
Prêchant sur la Passion, le Père La Colombière va
directement au Cœur de Jésus. En effet, on ne peut comprendre les
souffrances de Jésus sans pénétrer dans son Cœur, car: “Il n’y eut jamais de
douleur pareille, à cause du nombre des péchés, à cause qu’Il en connaissait
l’énormité, l’injustice, et parce qu’Il aime infiniment Dieu et les hommes.”
Le Cœur de Jésus nous fait aussi découvrir la Charité de Jésus souffrant
qu’il faut imiter: “Prenons les sentiments de ce Cœur tendre et généreux;
faisons résolution d’aimer les pauvres, de retrancher quelque chose de nos
plaisirs. Si les riches faisaient cela, tout le monde dînerait, personne ne
manquerait de pain, on ne mettrait pas de très honnêtes personnes en prison
faute d’avoir de quoi payer le lit où elles se couchent; car Messieurs, il y
a des misères de toutes ces manières...”
Dans ses méditations Claude contemple la Patience de
Jésus: “Entrons dans le Cœur du Fils de Dieu, et voyons quelle est sa
disposition à l’égard de ses ennemis:
1° Il les excuse. Ce
cœur plein de bonté s’attache
plutôt à ce qui diminue le péché qu’à ce qui les rend coupables...
2° Il est touché de compassion.
3°Il est touché d’amour à leur égard, il prie pour eux...
Que le Cœur de Jésus soit donc notre école, et
conformons-y le nôtre... Oui divin Jésus, je veux me loger dans votre Cœur,
verser tout mon fiel dans ce Cœur; il l’aura bientôt consumé. Dans ce Cœur
je m’exercerai au silence, à la résignation à votre divine volonté, à une
constance invincible...” Je vous demande vos prières, ô doux Jésus. Vous les
avez offertes pour vos ennemis, ne me les refusez pas, à moi qui souhaite de
(sic) vous aimer, d’aimer même la croix et mes ennemis pour l’amour de
vous.”
[20]
A Gethsémani, Jésus était terrassé par les crimes des
hommes, “par tous les péchés qui avaient été commis contre Dieu et tous ceux
qui devaient être commis jusqu’à la fin du monde... je suis persuadé que
cette mortelle frayeur, cette sueur sanglante, cette agonie... n’exprime
qu’une petite et très infime petite partie de l’affliction de son Cœur...
Peines secrètes si cruelles que les souffrances extérieures étaient un
remède ou du moins un soulagement pour son Cœur brisé de componction. Ô
douleur inconcevable! ô incroyable amertume du Cœur de Jésus qui le rend
insensible à de si grands maux, qui trouve même dans ces maux une espèce
d’adoucissement... L’affliction de votre Cœur, ô Jésus, est un océan
d’affliction dont la seule vue m’effraie et m’accable de tristesse... Mon
Dieu, c’est à ce Cœur affligé que je veux donner toute ma tendresse.”
[21]
Le séjour à la cour d’Angleterre et la mort de Saint Claude la
Colombière
Au moment où Claude La Colombière arrive à Londres, la
situation est très délicate pour les catholiques, peu nombreux et soumis
constamment aux persécutions anti-papistes. En septembre 1678 éclate la
“terreur papiste”, explosion de haine durant laquelle de nombreux
catholiques, prêtres ou laïcs, furent condamnés, soit à la prison, soit au
gibet. Vingt trois jésuites furent condamnés à mort et exécutés. Bien qu’il
se soit tenu à l’écart de la politique le prédicateur de la duchesse d’York
fut, lui aussi atteint par la persécution. Trahi par un “ami” alléché par la
prime offerte pour la tête d’un jésuite, le Père Claude fut arrêté dans la
nuit du 13 au 14 novembre 1678, et incarcéré dans la prison de King’s Bench
particulièrement insalubre. Aucune charge ne pouvant être retenue contre
lui, malgré les calomnies, il fut libéré en décembre suivant, mais banni du
Royaume d’Angleterre. Cependant le climat humide de la Grande Bretagne et le
séjour en prison dans un froid terrible, furent fatals au Français qui
durant trois ans mènera ensuite une vie de très grand malade avant de mourir
le 15 février 1682.

Claude se réjouissait de mourir martyr en témoignant de
sa foi: il mourra peu glorieusement, d’un martyre bien caché, à Paray, en
crachant “des flots de sang.” “Dieu agit ainsi avec les âmes qui se sont
offertes à Lui en toute générosité. Il accepte leur sacrifice mais Il les
prive, comme Il en priva son Fils à Gethsémani, du réconfort de se sentir
généreux: Il les veut pleinement “démis” d’eux-mêmes, anéantis, afin que sa
gloire éclate, pure, en eux.”
[22]
Méditation
avec Saint Claude La Colombière
Il est incontestable que Claude la Colombière a vécu,
surtout à Londres, puis durant les dernières années de sa vie, l’agonie de
Jésus. Pour conclure, ne pourrait-on pas imaginer une méditation de Claude
La Colombière à Gethsémani ?
Claude La Colombière contemple Jésus et parle à son Cœur :
Je Vous contemple Jésus, dans votre Agonie si difficile à
comprendre. L’infini de votre souffrance me dépasse, l’horreur de votre
détresse m’épouvante. L’abandon et le dégoût du Père pour Celui qui répare
nos erreurs et nos fautes, les péchés dont Il est innocent, l’abandon et le
dégoût du Père me terrifient, m’épouvantent. Soudain j’étouffe. Jésus! Je
Vous contemple, comme devenu muet, sans pensée, sans sentiment. Avec Vous je
deviens douleur, une douleur inexprimable qui m’envahit, me submerge, et
pourtant ne m’empêche pas de continuer à vivre...
Je Vous contemple Jésus : il n’y a pas de révolte en
Vous, juste un acquiescement extraordinaire à la volonté du Père et à votre
désir de réaliser la Rédemption de tous les hommes. Jésus, même là, dans
votre terrible Agonie Vous êtes toujours Amour. Maintenant, Jésus! il me
faut garder le silence. Tout cela me dépasse, m’écrase...
Jésus ! Vous auriez pu, au moins, Vous éviter l’angoisse
mortelle de votre agonie. Non, il Vous fallait aller jusqu’au bout de
l’horrible, subir l’atroce et ultime tentation, et constater l’apparente
inutilité de votre Sacrifice. Inutilité seulement “apparente” car j’ignore
de tout ce qui remplissait votre Cœur. Peut-être que, comme moi, pensant à
votre chemin de la Croix si proche, durant lequel le Père se cacherait,
semblerait Vous abandonner, et ne Vous révélerait pas l’immense efficacité
de votre Sacrifice, Vous, comme moi aujourd’hui, Vous pensiez peut-être à
l’inutilité de votre Passion.
Jésus, Vous avez voulu connaître toutes nos souffrances.
Cela, je le savais. Mais ce que je ne savais pas, c’est que Vous avez voulu
aussi prendre toutes nos misères spirituelles: Vous avez voulu connaître nos
sécheresses et nos aridités, Vous avez voulu connaître la détresse des
cœurs qui ne trouvent plus Dieu, parce que Dieu se cache, parce que Dieu se
tait.
Et Vous voulez m’apprendre l’humilité en me faisant
connaître mes impuissances, mes impossibilités de prier Dieu autrement qu’en
acceptant sa Volonté, même quand je n’en voudrais pas. Pour cela, il Vous
fallait vivre, Vous aussi Jésus, la détresse infinie du Cœur le plus
parfait puisqu’Il est Cœur de Dieu et cœur d’Homme, il Vous fallait
connaître la détresse infinie du Cœur quand le Père se tait.
Jésus, Vous êtes à Gethsémani. Il n’y a que deux ou trois
heures que Vous venez d’inventer l’Eucharistie et de Vous livrer totalement,
chair, sang et âme à vos apôtres. Pour la première fois, ils ont goûté
l’ineffable bonheur de Vous posséder en eux, dans leur cœur. Mais pour
l’instant, fatigués et inquiets, ils dorment, car c’est l’heure de la
Puissance des ténèbres. Et même, dans quelques instants, ils fuiront,
complètement déboussolés... Même Pierre Vous reniera! Cela, Jésus, Vous le
savez, Vous le voyez. Mais vous voyez aussi bien d’autres défections, tant
d’autres reniements... Vous voyez tous les siècles du monde, les siècles à
venir, Jésus Vous les voyez, Vous les vivez, et ce n’est pas très beau.
C’est même terrible! Comme si votre Sacrifice n’avait pas eu lieu. Vous me
voyez aussi, Jésus, Vous voyez votre enfant malade et douloureux, votre
enfant malade et impuissant qui parfois se révolte tant sa souffrance est
vive.
L’amour est douleur, l’Amour porte la Croix, l’Amour
pleure de n’être pas aimé. Ton Amour, ô mon Dieu est un Amour de joie
souvent baigné de larmes. Ton Amour, ô Jésus, est bonheur et douleur. Il est
paix dans les peines et les bourrasques. Il est ma joie et il est ma
tristesse. Il est calme dans les tempêtes. Mon cœur saigne, ô Seigneur,
dans l’Amour de votre Cœur car Vous n’êtes pas aimé. Car Vous êtes
incompris des hommes trop pécheurs, des hommes désespérés qui ont perdu
l’espoir, qui ne peuvent plus accepter l’espérance, l’espérance que Vous
apportez tandis que votre cri de détresse traverse les siècles et les
mondes: “Père! pourquoi m’as-Tu abandonné ?...”
Vous êtes là, Jésus, et Vous suez le sang, et Vous
appelez le Père qui déjà se tait. Le Père se tait, mais Il a tellement pitié
de son Fils qu’Il adoucit un peu sa rigueur, une rigueur nécessaire car elle
est rédemptrice, et Il Vous fait envoyer la Coupe de consolation...
[22]
“Écrits spirituels” de Claude La Colombière, édités par
Desclée de Brouwer Bellarmin, page 61.
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