Les citations, en italique, des paroles de Dieu à Angèle de Foligno, sont
celles
qui ont été consignées par un de ses disciples, et qui constituent le “Livre
d’Angèle”.[1]
Angèle de Foligno est une des grandes mystiques du Moyen-âge (XIIIe
siècle), contemporaine de Gertrude d’Helfta. Elle est née en 1248, vingt ans
après la mort de Saint François, à Foligno, petite ville commerçante de
l’Ombrie, située à environ dix-sept kilomètres d’Assise.
Elle s’est mariée à vingt ans, et eut plusieurs fils. D’ascendance probablement
noble, riche et fière, elle fut longtemps amie de la vie facile. C’est à l’âge
de 40 ans, semble-t-il, alors que tous les membres de sa famille (père, mère,
mari, enfants) étaient morts, qu’eut lieu sa conversion. Dès lors, Angèle entre
résolument dans la voie de la pénitence, pour expier ses fautes. Enflammée par
l’amour du Christ qui se révèle à travers des visions dramatiques et intenses de
sa Passion, Angèle n’a plus qu’un désir: en réponse d’amour, accorder sa vie à
celle du Christ.
En 1291, Angèle fut admise dans le Tiers Ordre de Saint François.
Angèle de Foligno et
le cœur de Jésus
Comme un feu de doux
Amour
Dieu incréé aime totalement
et veut être aimé totalement.
Si l’âme Lui donne tout son cœur, Il l’accepte totalement.
Angèle de Foligno n’a que très rarement employé, le terme de
Cœur de Jésus, et
chaque fois qu’elle relate son aventure amoureuse avec le Christ, c’est presque
toujours en des termes d’amour passionné pour le Crucifié qu’elle nomme le
Dieu-homme ou le Dieu-homme de douleur. Totalement transformée en
amour elle comprend la nécessité de partager la compagnie du Christ,
c’est-à-dire sa pauvreté, sa douleur, son état méprisé et son obéissance
véritable.
L’influence d’Angèle s’exerça d’abord sur le petit groupe de ses disciples. Mais
il semble certain qu’elle a inspiré plusieurs des écrits de Sainte Thérèse
d’Avila. Saint François de Sales, Saint Alphonse de Liguori, J. J. Olier font
également référence à Angèle de Foligno.
Les “vingt premiers pas” d’Angèle sont l’exposé de sa conversion. Viennent
ensuite les extases et les révélations sur la Passion et l’amour de Dieu pour
l’humanité. Angèle entendit soudain: “Ma fille... mon temple, mon délice, le
Cœur de Dieu tout-puissant se tient maintenant sur ton cœur.” Dieu dit
encore: “Il est si grand l’Amour que j’ai pour l’âme qui m’aime sans
malice... Vois s’il est en Moi autre chose que de l’Amour.”
Totalement transformée en amour, Angèle peut pénétrer dans les abîmes de l’Amour
divin et de sa propre incapacité. Elle peut sentir la présence du Christ dans
son âme, présence “qui embrase l’âme d’un feu ardent... mais d’un feu de doux
amour.”
Jésus, au cours de sa vie publique avait dit de Lui: “Apprenez de moi,.. car Je
suis doux et humble de cœur.” Jésus, en effet, a véritablement posé l’humilité
de cœur et la douceur de corps pour fondement et racine de toutes les vertus.
Jésus dit: “Regarde maintenant l’humilité.” Et Angèle vit la
profondeur de l’humilité de Dieu à l’égard des hommes. Plus tard elle apprendra
que “Ni abstinence, ni austérité, ni pauvreté extérieure,... ni miracles ne
sont quelque chose sans l’humilité de cœur. Mais l’abstinence sera bénie,...
l’austérité,... les œuvres seront bénies et vivantes si elles sont fondées sur
l’humilité.”
“O mes fils,
dit Angèle aux membres de sa
petite communauté, comment une créature pourrait-elle trouver le repos et la
paix, sinon en Celui qui est le repos souverain, la paix souveraine et la
tranquillité souveraine des âmes? Aucune âme ne pourra parvenir à Lui, Jésus, si
elle n’est fondée sur cette humilité... Cette humilité de cœur que le
Dieu-homme a voulu que nous apprenions de Lui, est une lumière claire et
vivifiante qui conduit l’intelligence de l’âme à reconnaître sa bassesse et son
néant, et l’immensité de la bonté divine.”
Ou encore:
“Plus la grâce divine plonge l’âme dans
l’humilité, plus cet approfondissement de l’humilité fait grandir la grâce
divine.”
Cette grâce, c’est l’amour de
Jésus: ”Plus nous voyons Jésus-Christ, Dieu et homme, plus nous sommes
transformés par Lui en amour... et nous sommes ainsi transformés dans la douleur
que l’âme voit en Jésus-Christ.” Car, pour Angèle, l’amour de Jésus et
l’amour pour Jésus, est indissociable de la souffrance. “Ceux qui sont
affligés et éprouvés intérieurement et extérieurement, c’est le signe qu’ils
sont aimés de l’Aimé... La Croix du Christ... il n’est pas réservé d’autre voie
aux fils de Dieu, sinon la voie et la vie de ce Dieu-homme de douleur.”
L’âme transformée
par l’Amour “est incendiée d’un feu divin... elle est transformée dans le
Dieu-homme lui-même... “ Et Angèle conseille:
"Que
ton soutien soit ce Dieu-homme de douleur, du Dieu-homme qui a souffert la
Passion.”
“Transformez-vous de tout
votre être en ce Dieu-homme de douleur qui vous a tant aimés... C’est uniquement
pour toi qu’Il s’est tellement abaissé Lui-même, pour t’exalter... par amour
pour toi.”
Jésus multiplia,
à l’adresse d’Angèle, les tendres paroles d’amour:
“Je suis
plus
intime à ton âme qu’elle ne l’est à elle-même... Qui voudrait parler avec Moi,
c’est avec la plus grande joie que Je parlerai avec lui... “
Est-ce pour cela
qu’Angèle demande que l’on médite comment “ le doux Cœur de Jésus fut plein
de ces choses (les dons qui transforment l’âme)
en surabondance... Le signe du véritable amour:
celui qui aime se transforme totalement en l’être aimé.”
L’Amour ineffable de ce
Dieu-homme, l’amour presque viscéral de Jésus pour les hommes, se manifeste
surtout dans l’Eucharistie, Sacrement de l’Amour par lequel Il peut demeurer
tout entier avec nous et pour toujours. L’âme doit donc contempler le Saint
Sacrifice, car “le regard que le Dieu-homme portait sur le genre humain était
si bienveillant qu’il est bon de remarquer cet ineffable amour quand Il décidait
de s’abandonner tout entier à nous dans ce très Saint Sacrifice... Quelle âme
serait à ce point cruelle qu’elle pourrait voir le regard filial si amoureux
sans être aussitôt toute transformée en amour?...”
Dans
l’Eucharistie l’âme découvre Dieu incréé, “elle découvre le Christ avec son
âme, sa chair et son sang, et avec tous les membres de son très saint Corps...”
L’âme découvre le sommet de la bonté divine et le sommet de la charité
humaine: “Elle découvre dans cet abîme
humain et divin non seulement l’infinie bonté divine, mais aussi la suprême et
inouïe charité humaine de la part du Christ... pour la plus grande consolation
de toute âme fidèle, et pour le réconfort et l’aide, dans cette vie présente, de
toute l’Église militante.”
De cette
merveille on ne peut approcher que si l’on est très pur,
“avec grande crainte et avec grand amour... l’âme
doit avancer toute lavée et parée, car elle approche de Celui et de ce qui est
la béatitude parfaite, la vie éternelle, la beauté, la hauteur, la douceur, tout
l’Amour et la douceur de l’Amour.”
Angèle, à la fin
de sa vie, pouvait, par expérience, parler des degrés de l’amour et des dons
spéciaux de la bonté divine, dont le plus grand est l’Amour.”Dieu
incréé aime totalement et veut être aimé totalement... si l’âme Lui donne tout
son cœur, Il l’accepte totalement...”
“Connaître Dieu en vérité,
c’est Le connaître en Lui-même, en comprenant sa valeur, sa beauté,... et sa
bonté, ce bien suprême dans le Bien suprême...”
“Alors la vertu de l’Amour
transforme l’amante en l’Aimé et l’Aimé en l’amante, c’est-à-dire que l’âme,
embrasée de l’Amour divin, se transforme par la vertu de l’Amour en Dieu, son
Bien-Aimé... Comme le fer embrasé prend la forme du feu... comme il se donne
totalement et pas en partie, et qu’il accepte d’être embrasé tout en demeurant
substantiellement en lui-même, ainsi l’âme, unie à Dieu et avec Dieu par le feu
parfait de l’Amour divin, se donne pour ainsi dire totalement et se jette en
Dieu. Transformée en Dieu, sans que sa substance propre soit changée, elle se
transforme dans sa vie, totalement dans le Dieu Amour, et par amour devient pour
ainsi dire toute divine.”
Angèle peut
parler du Don suprême de l’Être suprême qui est l’Amour:
“Bien suprême qui a daigné nous faire le connaître
et nous fait aimer un tel Amour...”
Mais Dieu permet parfois aux
tempêtes de venir pendant que Lui semble
dormir.
C’est ainsi que durant deux années, de 1294 à 1296, Angèle, qui connaîtra des
périodes de grande union intime avec Dieu, ressentira aussi des moments de
désespoir intense, ou des sentiments de total abandon. Dieu en effet, permet
parfois qu’une personne qu’Il aime particulièrement, soit totalement broyée et
piétinée avant de faire finir ces tempêtes et de l’unir à Lui. Il le fait
surtout pour ses fils les plus aimés...
En effet, le signe du
véritable amour c’est “que celui qui aime se transforme non en partie, mais
totalement en l’être aimé...” Et ici, l’être aimé, c’est Jésus-Christ
Lui-même, et Jésus-Christ crucifié...
Mais cette
transformation n’est pas continue et l’âme,
“est prise par le désir de chercher tous les modes
possibles de se transformer dans la volonté de l’Aimé afin de le retrouver, et
elle cherche ce qu’a aimé celui qu’elle aime. Dieu le Père nous a ouvert une
voie par l’Aimé, c’est-à-dire par son Fils qu’Il fit Fils de la pauvreté, de la
douleur, du mépris et de l’obéissance véritable.”
Il faut donc
s’efforcer de méditer comment le Seigneur Jésus a agi afin de pouvoir devenir
Lui: “Que cette parfaite transformation
soit toute la joie de cette vie. Que l’on s’efforce de s’élever jusqu’à méditer
comment le Cœur du très doux Jésus fut plein de ces choses en surabondance,
infiniment plus qu’il ne l’a montré dans son corps.”
Pour imiter Jésus et se
transformer en Lui, il faut sans cesse se souvenir que le Seigneur Jésus a
toujours agi dans la plus entière obéissance à son Père. D’où le conseil
d’Angèle: “Garde-toi de ceux qui disent avoir l’esprit de liberté. Ils sont
ouvertement contraires à la vie du Christ, car Dieu le Père voulut que son Fils,
qui n’était pas soumis à la loi, mais bien plutôt au-dessus comme législateur de
la loi, devienne sujet de la loi; lui qui était libre devint esclave. C’est
pourquoi ceux qui veulent servir le Christ doivent se conformer à la vie du
Christ, non pas en cherchant la liberté dans la destruction de la loi et des
préceptes divins comme font beaucoup, mais en se soumettant à la loi, aux
préceptes, et même aux conseils divins.”
C’est ce que fit
Angèle pour conformer son cœur “au Cœur
du très doux Jésus.”
[1] Le
Livre d’Angèle. Les Éditions Jérôme Millon. Traduction de
Jean-François Godet.
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