Nous arrivons à la conclusion de
l’année liturgique, où les textes nous font méditer sur le retour du Seigneur.
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L’éloge de la femme vaillante du Livre des
Proverbes peut nous poser problème, si nous le rapprochons du Sermon sur la
Montagne, dans lequel le Christ nous recommande : Ne
vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps
de quoi vous le vêtirez (Mt 5:25).
S’il est bon de s’abandonner à la Providence comme l’ont fait les ermites et
tant de saints moines, la Providence ne nous a pas interdit d’être prudents
(c’est-à-dire prévoyants), lorsque nous avons la responsabilité de nourrir une
famille, d’entretenir une école ou une cantine.
Tout l’extrait que nous lisons ici peut très bien se comprendre au sens littéral
de l’épouse fidèle et travailleuse, sur laquelle s’appuie son mari qui, lui,
travaille à des occupations plus lourdes pour apporter le salaire nécessaire à
entretenir toute la famille. On imagine volontiers que ce fut le cas de Joseph
et Marie à Nazareth.
Saurons-nous comprendre le verset de la fin : Décevante
est la grâce, et vaine la beauté ? N’est-il pas habituel et nécessaire pour
une femme de s’arranger avec soin ? Oui, il le faut, tout en pensant toujours
que cette beauté humaine finira, tandis que la vraie beauté d’une personne
réside dans ses qualités, dans les bonnes intentions qu’elle nourrit dans son
cœur.
Mais transposons maintenant cet extrait à un niveau plus mystique. Quelle est
cette Épouse merveilleuse, ce Mari qui
a totalement confiance en elle ? L’Épouse qui travaille inlassablement au bien
de la maisonnée, c’est l’Église, l’Épouse mystique du Christ. La mission de
l’Église est en effet de pourvoir au bien de chaque âme, de lui fournir la
nourriture solide de l’Eucharistie, le vêtement chaud des vertus, à l’exemple de
tous les Saints qui nous en ont donné l’exemple.
Nous sommes tous appelés à devenir des Saints, chacun à notre mesure, chacun
selon la réponse que nous donnons à l’appel de Dieu et à la façon dont nous
recevons la grâce divine.
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Cet Époux et cette Épousé se retrouvent aussi dans le psaume 127. Jésus a chanté
ce psaume, et Il pensait à l’Enlise qu’Il était en train de fonder, et à Sa Mère
aussi, à Marie, notre Mère à tous.
S’il n’est pas déplacé d’imaginer la table familiale, avec les
fils autour de la table, il est encore moins déplacé d’imaginer ici la Table
Eucharistique.
Ce psaume 127 est l’un des quinze Cantiques
des montées, qui étaient la prière des pèlerins en route vers Jérusalem. Le
but de leur route était la Maison du Seigneur, où toute la famille des Croyants
allait se retrouver réunie.
Depuis Jésus-Christ, le Temple véritable est l’Église, qui accueille tous les
fils de Dieu, les fils de tes fils, c’est-à-dire
toutes les générations. La comparaison de ces fils qui sont comme
des plants d’olivier convient aussi à la pérennité de l’Église, quand on
sait combien les oliviers vivent longtemps.
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La nécessité de transposer ces versets à un niveau spirituel, mystique,
eschatologique est soulignée aussi par les avertissements de l’apôtre Paul aux
Thessaloniciens.
Nous ne devons pas nous fier à nos points de repère terrestres : ils sont
fallacieux. Le vrai but de notre vie est de la quitter pour passer à la Vraie
Vie, qui ne finira pas.
Cette catastrophe imminente ne sera pas
forcément un cataclysme ravageur ou un déluge de quarante jours : elle pourrait
bien n’être que le jour de notre mort, que nous ne pouvons jamais prévoir, et
qui nous attend au détour de chaque moment de notre existence : une maladie, un
accident… c’est si vite arrivé !
C’est en nous imprégnant profondément de cette certitude, que nous sortirons de
nos ténèbres, et que nous ne serons pas surpris, comme
les vierges sages dont nous entendions la parabole dimanche dernier.
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L’huile des vierges sages, au contraire, ce sont tous les mérites que les
fidèles auront su accumuler en prévision de la Vie éternelle.
La parabole des talents nous est assez familière. Cette parabole aussi n’est pas
un traité historique et social : il faut essayer de comprendre le symbole des
termes utilisés par le Seigneur.
Le Maître, évidemment, est Dieu le Père, notre Créateur, qui confie à chacun de
nous certains talents, pas les mêmes et pas en quantité identique pour chacun,
de la même façon qu’on ne met pas autant d’eau dans des vases de capacité
différente, ni qu’on donne autant d’eau à toutes les plantes ; mais chacun
reçoit la quantité d’eau fraîche dont il a besoin.
Pour certains baptisés, comme une plante sous l’action de l’eau et du soleil,
ces talents mûrissent, grandissent, et rapportent, ce sont les Chrétiens qui
veulent correspondre à la grâce de Dieu, cherchant volontairement à se
sanctifier, sans cesse, par la prière, par les Sacrements, lisant l’Écriture,
les textes importants de l’Église, soulageant le Prochain. Ce sont tous les
Saints que nous fêtons chaque jour ou ces nombreuses personnes qui agissent dans
la discrétion, semant partout bonté et douceur.
Avant d’être saints, les Saints ont été des pécheurs, des hommes et des femmes
faibles, et nous le sommes tous. Mais ils ont combattu ! On remarquera que le
Maître ne récompense pas moins que les autres ceux qui n’avaient que deux
talents ; cela va dans le même sens que la récompense des ouvriers de la
dernière heure dans l’autre parabole (voir 25e dimanche
ordinaire) : c’est l’effort que Dieu récompense, et non le résultat.
Avec le serviteur “paresseux”, les choses changent ! Qu’il considère - à tort -
le Maître comme un homme dur et qui récolte ce qu’il n’a pas semé, est une
grossière erreur humaine : et il est vrai qu’on entend souvent dire que notre
Créateur divin est «trop sévère»… mais ce Maître, sans vraiment lui donner
raison, va lui répondre en respectant pleinement son choix : le peu de mérites
qu’il pouvait avoir, il n’en sera plus tenu compte, ils seront effacés, et
l’individu sera exclu, pour toujours dehors
dans les ténèbres. Encore une allusion du Sauveur à l’enfer éternel.
Tu savais que je moissonne où je n’ai pas
semé… alors, il fallait placer mon argent à la banque ! Ici, Jésus taquine
un peu le paresseux de sa parabole : si Dieu moissonne ce qu’il n’a pas semé, si
l’homme ne croit pas en Dieu, parce qu’il ne le voit pas, qu’il se confie alors
à la Banque divine, qu’il peut voir, à l’Église du Christ ! L’Église est ce
Corps mystique dépositaire du trésor des mérites accumulés par chacun ; qu’elle
offre à Dieu pour en obtenir les “intérêts”, c’est-à-dire des grâces abondantes
pour toutes les âmes qui en ont besoin.
Le Corps Mystique du Christ est tellement Un, qu’aucune des cellules qui le
composent n’est indépendante des autres, et que toutes concourent au bien des
autres (de même aussi que chaque “erreur” d’une cellule se répercute toujours
sur l’équilibre des autres cellules qui, à leur tour, “souffrent” pour cette
erreur dont elles ne sont pas responsables).
La parabole de Jésus veut nous donner ici un enseignement très consolateur et
très encourageant. Même si notre foi est vacillante, même si, pratiquants, nous
nous sentons d’indignes pécheurs, nous concourons quand même au bien de tous,
dans la mesure où nous nous efforçons de faire du bien à notre niveau,
honnêtement, là où nous le pouvons.
Notre serviteur “paresseux” ne ressent même pas un peu d’émulation à essayer de
ressembler plus aux autres. De toutes façons, il ne s’intéresse pas aux autres.
Paresse, égoïsme, indifférence, ces défauts sont de tous les temps, hélas. Ce
serviteur a mis “en terre” son talent, c’est-à-dire qu’il ne s’est préoccupé que
de la terre, que de choses qui ne peuvent pas faire fructifier les dons
célestes. Notre siècle matérialiste est dangereusement préoccupé de la “terre”,
et nous en sommes tous un peu victimes un jour ou l’autre.
Ainsi donc l’Église est dépositaire, en premier lieu, de tous les mérites du
Christ, et puis aussi de toutes les bonnes choses de chacun ; c’est la
“richesse” de l’Église, dont elle dispose pour aider chacun de nous ; elle s’en
sert pour consolider encore plus la Santé de toutes les cellules du Corps
Mystique ; ainsi pouvons-nous à chaque instant demander à Dieu des grâces “par
les mérites de Jésus-Christ” ou de tel Saint.
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Pourra-t-on encore dire que le Maître moissonne
ce qu’il n’a pas semé ? Non, bien sûr, car cette Banque, c’est nous tous,
c’est la Famille de Dieu, et la moisson du Maître, c’est nous-mêmes. En
rapportant au Maître le fruit de notre travail quotidien, c’est nous-mêmes qui
nous enrichissons, parce que nous recevons finalement la vraie joie, le vrai
bonheur.
La Prière nous le fait dire : …trouver notre
joie dans notre fidélité : car c’est un bonheur durable et profond de servir
constamment le Créateur de tout bien.
Voilà le Règne de Dieu dont il sera question dimanche prochain.
Abbé Charles Marie
de Roussy |