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Plus on se détache, plus on est disponible…
Avant de parler
de la Veuve dont il est question dans l'Évangile et dans la
première lecture, arrêtons-nous sur l'épître aux Hébreux,
l'épître sacerdotale par excellence.
On pourrait
trouver une difficulté à comprendre ce que veut vraiment
dire son auteur : d'un côté Jésus s'est offert une seule
fois en sacrifice, et ce sacrifice est unique et définitif ;
de l'autre côté, l'habitude s'est tôt installée dans
l'Église de célébrer fréquemment le Mystère eucharistique :
au moins le dimanche, puis chaque jour de la semaine.
Pourquoi cette répétition d'un Sacrifice qui, étant parfait,
n'a pas besoin d'être répété ?
Faisons une
distinction, et tout s'éclairera de soi-même. Ce qui n'a pas
besoin d'être répété est le Sacrifice lui-même de Jésus, qui
est mort et ressuscité une seule fois. Jésus ne reviendra
pas sur terre pour mourir et ressusciter une deuxième fois
(et Il n'ira pas non plus s'incarner une deuxième fois sur
une autre planète, pour aller sauver d'hypothétiques êtres
qui habiteraient quelque part ailleurs dans on ne sait
quelle galaxie ; c'est bien là la preuve à avancer pour
détruire les hypothèses d'autres êtres vivants en-dehors de
la terre).
Le Sacrifice du
Christ est bien définitif, unique dans l'histoire et dans le
cosmos.
C'est cette
sublimité du Saint Sacrifice qu'il faut envisager ici. Avant
de mourir, Jésus veut que les Siens puissent goûter à leur
tour, et faire goûter ensuite à toute l'Église, à tous les
siècles, la sublimité de Son Sacrifice ; c'est pourquoi Il
leur dit : Faites ceci en mémoire de moi. Ce corps qui va
s'offrir à l'agonie, aux coups, à la croix, au sacrifice
total, et qui va ressusciter, il va d'abord habiter ce Pain
eucharistique ; et chaque fois que l'Église commémorera la
Mort et la Résurrection du Christ, ce Pain sera à nouveau
habité par le Corps et le Sang de Jésus Sauveur.
Ainsi, nos yeux
de chair ne peuvent pas voir le Corps de Jésus sur la Croix
avec toutes ses plaies, mais la sublimité de ce Sacrifice s'actue
à l'autel sous nos yeux, pour raviver à chaque fois notre
vie intérieure, nous éblouir par la solennité de la
Résurrection, nous combler de grâces en présence du
Christ-Pain eucharistique.
C'est un prêtre
qui vous écrit ceci en ce moment. Et ce prêtre vous dit
aussi : on ne peut expliquer ce qui se passe sur l'autel, à
chaque Sacrifice eucharistique. Mais ce qui est bien réel,
c'est que le Prêtre prononce les paroles-mêmes de
Jésus-Christ pour bien en actuer la présence : Ceci est mon
Corps. Ceci est mon Sang. Faites ceci en mémoire de moi !
Le prêtre ne dit pas : Ceci est le corps du Christ, mais
bien : Ceci est mon Corps. À ce moment-là, le prêtre n'est
plus lui-même ; c'est le Christ qui parle en lui. Il n'y a
pas de mots pour expliquer cette métamorphose sacrée, mais
c'est la réalité.
Oh, combien de
Chrétiens essaient-ils de s'introduire dans ce Mystère
eucharistique, dans cet Amour de Dieu ?... Comme Dieu serait
honoré et consolé, si tous les fidèles s'approchaient de
l'Eucharistie pour la fêter, pour la vénérer, pour la
célébrer, la chanter, la recevoir ! Ne jugeons pas, pour
autant, ne condamnons pas, car seul Dieu connaît le secret
des âmes.
C'est ainsi
aussi pour cette pauvre veuve qui met dans le tronc du
Temple « tout ce qu'elle avait pour vivre », deux
piécettes. En somme : deux centimes ou vingt centimes. Elle
ne joue pas au Loto, ni au Tiercé, elle ne connaît pas ces
frivolités et ces jeux de hasard ; simplement, elle donne à
Dieu ce qu'elle a. Elle pourrait être aussi prise de
scrupule, de honte, pour donner « si peu », par rapport aux
autres donateurs ; mais là aussi elle ne s'occupe pas du
qu'en-dira-t-on : elle ne sait même pas si d'autres donnent
plus ou moins qu'elle ; elle donne.
On pourra
suggérer : mais n'est-elle pas imprudente ? Jésus ne parle
pas de cela ; la prudence est une vertu fondamentale, c'est
certain, mais cette veuve a sans doute déjà réfléchi à sa
situation : si elle est veuve, âgée, elle n'a plus de
famille à nourrir, elle se contente de peu et donne ce
qu'elle a.
Comme son geste
est sublime devant Dieu ! Seul Dieu en estime la valeur. Les
hommes regardent les chiffres, mais Dieu ne compte pas comme
les hommes. Un psaume est là-dessus très éloquent :
« L'homme verra les sages en train de mourir ; l'insensé
autant que le sot périront, et laisseront à des étrangers
leurs richesses. Leurs sépulcres seront leurs maisons pour
l'éternité ; leurs tentes de génération en génération, même
s'ils ont donné leurs noms à leurs terres » (Ps. 48:).
Le prophète
Elie veut ainsi aider la veuve à comprendre combien sera
récompensée sa générosité. L'ordre qu'il lui donne est
étonnant et semble égoïste : fais d'abord un petit pain pour
moi, après pour toi ! Mais justement, en mettant à l'épreuve
la veuve, il veut lui montrer le fruit de son obéissance à
la parole de Dieu.
On pourrait
citer dans la vie des Saints d'autres exemples de cette
générosité. Un moine du désert gagnait sa vie en tressant
des paniers qu'il vendait ; quand il avait de quoi manger,
il donnait le reste aux pauvres. Saint
Giuseppe Cottolengo à
Turin avait organisé une véritable ville pour soigner toutes
sortes de malades ; il ne recevait que des aumônes, ne
faisait aucun compte, et jetait par la fenêtre ce qui
restait le soir des aumônes de la journée ! Plus récemment
encore, dans une prison communiste, un mourant qui avait
reçu en cachette un morceau de sucre pour se remonter un
peu, le fit donner à son voisin « qui en avait plus
besoin », et le sucre fit ainsi le tour de la chambre
pendant très longtemps : on peut dire que le miracle eut
lieu, car ce mourant ne mourut pas, survécut, retrouva la
liberté et passa encore de longues années en Occident, où il
fit encore de nombreux témoignages de ses « prisons avec le
Christ », comme il disait et écrivait.
Plus on se
détache, plus on est disponible pour écouter ce que Dieu
nous suggère.
Comme toujours
à cet endroit, je relis la Prière du jour, à la lumière de
ce que les lectures nous ont enseigné. Aujourd’hui cette
prière a cette expression en apparence banale, mais qui
prend maintenant toute sa valeur : « Que nous soyons libres
pour accomplir Ta volonté ».
Abbé Charles
Marie de Roussy |