La chrétien ne se
plaint pas
Dans le livre du prophète Isaïe, il y a quatre Chants
du Serviteur de Yahwé, aux
chapitres 42, 49, 50 et 52-53, dans lesquels Isaïe aperçoit
avec huit siècles d’avance la mission, les souffrances du
Messie. La première lecture d’aujourd’hui reprend le
troisième de ces Chants.
A chaque
verset d’Isaïe on peut faire correspondre un verset de
l’Évangile :
Le Seigneur m’a ouvert l’oreille :
Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais
la volonté de Celui qui m’a envoyé (Jn
6:38) ;
Je ne me suis pas révolté :
S’il est possible que cette coupe passe loin de moi !
Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux (Mt
26:39) ;
Je ne me suis pas dérobé :
Si c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là partir (Jn
18:8) ;
J’ai présenté mon dos :
Pilate ordonna de prendre Jésus et de le flageller (Jn
19:1) ;
Je n’ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats :
…ils le giflaient (Jn
19:3b) ; crachant
sur lui… (Mt
27:30) ;
Dans la prophétie, le
Seigneur Dieu vient à mon secours, tandis
que dans l’Évangile, les Pharisiens raillent le Christ : Il
a compté sur Dieu ; que Dieu le délivre maintenant (Mt
27:43) et Jésus lui-même meurt en appelant : Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Mt
27:46 ; cf. Ps 21:1). N’y voyons pas une opposition. La
raillerie des Pharisiens obstinés accomplit un autre verset
du même psaume (Ps 21:9), tandis que ce psaume 21 s’achève
par un véritable cri de victoire, où la Victime chante la
victoire de Dieu : Le
règne appartient au Seigneur, et c’est lui qui dominera les
nations. Lui seul, l’adoreront tous ceux qui dorment dans la
terre (Ps
21:29-30) ;
J’ai rendu mon visage dur comme pierre :
Sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de
l’Enfer ne tiendront pas contre elle (Mt
16:18).
Qui donc me condamnera ? :
Qui condamnera ? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que
dis-je ? ressuscité… (Ro
8:34).
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A ces versets répond le psaume 114, qui évoque à son tour la
passion, mais aussi la résurrection sur
la terre des vivants ;
à celui qui s’est fait petit et faible, Dieu montre sa justice et
sa pitié, sa tendresse, son
salut, en un mot : la Vie.
Ce psaume 114 est une longue action de grâces. On lui
adjoint dans certaines versions le psaume 115, qui le
complète heureusement et logiquement. C’est dans ce double
psaume qu’on trouve aussi le verset sacerdotal : J’élèverai
la coupe du salut et
cet autre aussi, souvent mal compris : Elle
est précieuse, aux yeux du Seigneur, la mort de ses Saints, qui
ouvre une perspective directe sur la résurrection des
justes, selon cette autre promesse du Sauveur : Celui
qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle (Jn
12:25).
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Mais ne
faut-il penser qu’à la mort durant notre vie ? N’y a-t-il
pas quelque chose d’autre ou de plus à envisager ?
Justement, la
lettre de Jacques nous dit comment.
Avoir
(vraiment) la Foi ne peut être seulement une démarche
intellectuelle, qui ne conduise pas à des témoignages
concrets de cette Foi. Ma Foi doit me relier vraiment à
Dieu, à l’Église ; elle doit me conduire vers le Prêtre,
vers le Prochain, vers la Communauté : suivant ce que Dieu
attend de moi, je trouverai l’occasion de témoigner de la
Vérité par ma parole, mon exemple, mes démarches, mes choix,
qui témoigneront de mon attachement au Christ.
Avoir la Foi
comporte d’une part que nous donnions à Dieu du temps pour
prier, pour approfondir notre connaissance de la Vérité. ;
d’autre part aussi, à l’école du Christ, que nous devenions
doux et patients avec les autres ; humbles et respectueux ;
honnêtes et généreux ; que nous sachions prendre sur notre
temps libre pour aider, pour soigner, pour consoler.
Il y aurait
une grave erreur à s’enfermer dans une sorte de tour
d’ivoire pour se livrer à de pieuses méditations, sans
penser à ceux qui ont sans doute besoin de nous ; il y en
aurait une autre à délaisser totalement la prière pour ne
s’occuper que d’activités “caritatives”. Pour donner, il
faut avoir ; pour avoir, il faut recevoir de Dieu ce qui est
nécessaire pour nous-mêmes et pour en donner aux autres.
C’est ainsi que nous lisons dans les Actes des Apôtres, que les
Douze… dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions
la parole de Dieu pour servir aux tables (Ac
6:2). Les Apôtres ne pouvaient plus à la fois prier et
enseigner la Bonne Nouvelle, et encore rendre d’autres
services ; les diacres qui furent alors institués eurent
cette charge, mais ils devaient d’abord aussi être des
hommes de prière, même en donnant à celle-ci un peu moins de
temps que les Apôtres.
Nombreuses
sont les familles religieuses ; toutes ont leur vocation
particulière, certaines sont davantage “contemplatives”,
d’autre plus “actives”, mais toutes observent une
harmonieuse alternance de moments de prière et de méditation
avec d’autres moments d’occupations plus pratiques. Nous
devons tous harmoniser notre vie quotidienne à cette
enseigne.
Au soir de
notre vie, dit s. Jean de la Croix, nous serons jugés sur
l’amour. Dieu en effet, ne nous demandera pas (seulement) si
nous avons gardé la Foi, mais si nous l’avons pratiquée dans
l’Amour.
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Dans
l’évangile d’aujourd’hui, Pierre montre que sa Foi est
encore trop intellectuelle : il sait proclamer que Jésus est
le Messie, mais il ne comprend pas encore que la mission du
Messie comporte le don de soi jusqu’à la mort.
Il pense
vraisemblablement que croire aux miracles du Christ est
facile et suffit pour Le suivre. Pourtant, il connaît
l’Écriture, il connaît le «Chant du Serviteur».
C’est pour le
“réveiller” que Jésus ne mâche pas ses mots : “Satan !”,
dit-il à Pierre. Et de lui (et nous) rappeler que suivre
Jésus comporte la Croix, inévitablement. Non pas forcément
la Croix pour mourir en croix comme Jésus ou Pierre, mais la
Croix comme épreuve, comme souffrance, acceptée avec
générosité quand Dieu nous la propose.
Il n’est pas
nécessaire de nous imposer des croix : elles arrivent
d’elles-mêmes. Prenons l’habitude de ne pas nous en
plaindre. Le Chrétien ne se plaint pas.
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Voilà pourquoi la Prière du jour nous fait demander à Dieu
de nous aider à Le servir
avec un cœur sans partage.
C’est là la
pleine imitation de Jésus-Christ.
Abbé Charles Marie de Roussy |