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“La vérité vous rendra libres”
Dans cet extrait de l'Evangile,
nous sommes loin de la parabole du “bon Samaritain” et même de l'entretien de
Jésus avec la Samaritaine (Jésus avait demandé à boire à une Samaritaine, tout
étonnée de cette gentillesse inhabituelle pour un Juif, Jn 4). Aujourd'hui,
quand Jésus arrive en Samarie, on ne veut pas le recevoir “parce
qu'il va à Jérusalem”.
Ignorance ? Racisme ? On ne reçoit
pas Jésus à cause de ses liens avec Jérusalem : il est Juif ! Ceux qu'on appelle
les “Fils du Tonnerre”, Jacques et Jean, réagissent : que la vengeance du ciel
vienne mettre le feu à ce village ! Ils suivent Jésus depuis déjà quelque temps,
mais n'ont pas encore la “bonne” réaction, celle qui pardonne, et Jésus les
réprimande : pas de rancune, pas de vengeance ! et puis aussi, sans doute : On
ne va pas "punir" ces gens pour une porte qui se ferme ! Luc, l'évangéliste du
pardon, qui nous parlera bientôt du Fils prodigue et du Bon Larron, insiste sur
cet enseignement du Seigneur sur le pardon : “Faites
du bien à ceux qui vous haïssent” (6,27) ;
ici, dit Luc, Jésus les “réprimande” ; une addition fort intéressante ajoute
aussi : Vous ne savez pas de quel
esprit vous êtes. Car le Fils de l'homme n'est pas venu perdre les âmes, mais
les sauver. Patience, douceur,
pardon ; ce n'est plus l'implacable loi “Œil
pour œil, dent pour dent”.
Ironie de la situation : on vient
de mettre à la porte Jésus, et quelqu'un vient lui dire : je te suivrai, où que
tu habites. En réalité, Jésus devait sans doute lire dans l'âme de ce garçon
qu'il n'était pas prêt : il ne l'invite pas (pas encore, disons) ; dans le
deuxième cas, Jésus appelle : Suis-moi ! A cet homme qui veut d'abord “enterrer
son père”, Jésus donne cette réponse assez énigmatique : “Laisse les morts
enterrer les morts”. Essayons de comprendre.
Qui n'a jamais connu de conflits
entre héritiers, après le décès d'un proche ? Eh bien, reconnaissons que ces
héritiers cupides sont beaucoup plus “morts” intérieurement, que la personne
défunte elle-même. Celui qui dans l'évangile d'aujourd'hui, voulait “enterrer
son père”, n'était sans doute pas totalement libre quant à l'héritage paternel,
et Jésus lui donne ce conseil : Ne t'occupe pas des biens terrestres, tu seras
bien plus heureux d'annoncer le Royaume de Dieu.
Troisième cas de figure :
J'arrive, Seigneur… mais pas tout de suite ! Cette attitude semble bien être
déjà celle d'Elisée : Attends que j'embrasse les parents, et je suis à toi. Mais
il y a une grande différence entre les deux. Dans l'évangile, l'appelé répond
“présent” tout en regardant en arrière : il n'est pas (encore) libre. Elisée,
lui, qui devait être d'une famille richissime, pour pouvoir labourer avec
douze (!) paires de bœufs, laisse tout cela, immole une paire de bœufs, qu'il
fait cuire en brûlant sa charrue, de sorte que, de son état de laboureur, il ne
reste rien : il appartient désormais à Elie, qui l'a appelé ― et à Dieu.
Il faut une réelle liberté
intérieure pour suivre Jésus. Sans aller aujourd'hui au fond de la problématique
de l'épître aux Galates, retenons de saint Paul son enseignement sur la liberté
intérieure. Souvent notre réponse à l'appel de Jésus est ralentie par notre
attachement à des réalités terrestres : biens matériels (l'argent, la mode, ma
voiture ou ma moto, ma collection de timbres, ma pipe…), des liens affectifs,
parfois aussi des ambitions ; à d'autres moments, c'est notre propre “moi”,
notre rancune comme celle de Jacques et Jean, notre difficulté à pardonner du
fond du cœur.
Toutefois, même si Jésus se montre
exigeant - et Il a raison de l'être, il ne condamne pas ses protagonistes, il
les avertit seulement, comme s'il disait : Oui, embrasse tes parents, mais ne
t'attarde pas, viens vite ! Il leur montre leur erreur, simplement ; personne ne
nous dit qu'ils n'aient pas effectivement renoncé, plus tard, à ce qui faisait
obstacle à leur décision.
S. François de Sales laissa un
jour entrer au monastère une demoiselle qui, malgré son désir réel d'être
consacrée, n'arrivait pas à enlever ses boucles d'oreilles : dans sa joie d'être
“épouse du Christ”, elle comprit bien vite et se dépouilla spontanément de ses
“ornements” !
Chacun a avec lui des “ornements”,
des obstacles à une réponse totale à Dieu. C'est l'amour réel de Dieu et du
prochain qui en viendra à bout ; parfois, comme Elisée, certains ont la force
d'âme de tout brûler d'un coup ; parfois, cette décision n'arrive que par
étapes ; cela ne doit ni nous étonner ni nous décourager.
Qu'on soit déjà disciple de Christ
comme Jacques et Jean, ou qu'on entende un jour son appel, chacun de nous a un
chemin différent des autres, que Dieu seul connaît. L'important est de
“s'engager” de façon toujours plus totale, par amour de la Vérité : “Si
vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, vous connaîtrez
la Vérité et la Vérité vous rendra libres” (Jean
8,31-32).
Abbé Charles Marie de Roussy
Commentaire pour le Treizième Dimanche du Temps Commun -
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