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Cette pénible maladie traduisait en réalité une grave faute contre Dieu
Les textes d’aujourd’hui nous parlent de la lèpre. Dans la tradition
mosaïque, cette pénible maladie traduisait en réalité une grave faute
contre Dieu, un éloignement de la Loi, une sorte d’hérésie. C’était le
prêtre qui devait constater le mal, et déterminer s’il y avait lieu
d’exclure ou non la personne atteinte. C’était de nouveau au prêtre de
constater si le mal avait disparu et si la personne était de nouveau
“pure” (Lv 12 et 13).
Qui était “officiellement” lépreux était déclaré impur et exclu
(première lecture). On pourrait se demander pourquoi Dieu imposa une
telle sévérité à l’égard de ces malades, qui n’avaient rien fait pour
être ainsi contaminés. Il faut dire que cette maladie se manifeste
effectivement un peu comme une déviation spirituelle : on ne la
contracte que par suite d’un voisinage prolongé avec quelqu’un déjà
malade, et non par simple contact passager comme pour d’autres maladies,
de même qu’on ne tombe pas dans l’erreur d’un autre simplement en le
croisant mais en le fréquentant assidûment. Également, la lèpre cesse
vite d’être contagieuse dès qu’elle est soignée - même si elle semble
encore apparente, comme pour une personne tombée dans l’erreur, qui est
déjà soulagée dès qu’elle comprend et combat son erreur, et ne risque
plus d’y entraîner les autres, même si elle n’en est pas totalement
sortie.
Ainsi, la lèpre finissait par être le “signe” incontestable d’une
maladie intérieure et spirituelle. C’est pourquoi la personne malade
était exclue du camp, pendant un certain temps au moins, tant que durait
cette “impureté” que seul le prêtre était habilité à reconnaître.
Ces longues considérations nous amènent à mieux comprendre l’attitude du
pauvre lépreux qui “vient trouver Jésus” ; se sentant dans l’erreur, il
dit “Tu peux me purifier” à Celui qu’il reconnaît comme seul habilité à
remettre les péchés, à Dieu. Et il tombe à genoux, l’attitude par
excellence de l’adoration, qu’on ne doit qu’à Dieu, montrant ainsi à
Jésus et sa foi, et son repentir sincère, et sa conversion profonde. Il
y a là tous les premiers éléments de notre sacrement de Réconciliation ;
il n’y manque plus que l’élément sacerdotal, que Jésus ne manque pas
d’accomplir en prononçant la Parole de purification, et en touchant de
Sa main cet homme converti. Ce geste n’est pas actuellement requis pour
le sacrement, mais beaucoup de prêtres élèvent leur main sur le
pénitent, au moment de prononcer la prière de l’absolution.
Il est bon de rappeler ici que le sacrement de Réconciliation n’est
effectif que par ce rapport direct et unique entre le prêtre et le
pénitent. L’absolution que prononce le prêtre au début de la Messe, par
exemple, ne remplace pas le sacrement : en remettant les fautes légères
aux personnes présentes, le prêtre leur permet d’accéder à l’Eucharistie
avec un cœur “purifié”, soulagé ; en revanche, il n’y a de sacrement de
Réconciliation que lorsque les péchés sont humblement reconnus et
exprimés auprès du prêtre et que ce dernier prononce l’absolution
sacramentelle spécifiquement pour ces péchés.
Les prêtres seuls savent quelle joie ils ont de remettre les péchés aux
pénitents ; et ceux qui vont confesser leurs péchés au prêtre peuvent
dire quel soulagement ils ressentent en se relevant, absous.
Le troisième élément de la Réconciliation — la réparation, est aussi
présent dans le récit d’aujourd’hui, car Jésus donne au guéri l’ordre
précis d’accomplir l’offrande selon la loi de Moïse, car Jésus n’est pas
venu pour abolir, mais pour accomplir, et si ce lépreux est guéri
vraiment, intérieurement et extérieurement, il n’est pas dispensé de
réparer son mal par quelque offrande, comme le prescrivait Moïse au nom
de Dieu. Par cette offrande, le malade guéri reprenait effectivement sa
place dans l’Assemblée, il participait à la prière, signe concret de sa
conversion totale. Dans la praxis actuelle de l’Église, la “pénitence”
proposée au chrétien est en réalité une œuvre spirituelle qui exprimera
sa volonté sincère de conversion, soit une prière de cœur, soit une
œuvre charitable, soit un acte précis de réconciliation, en un mot une
démarche intérieurement vécue et assumée. La deuxième antienne de
Communion illustre cette réconciliation, rappelant que “celui qui croit
en Lui ne périra pas, mais obtiendra la vie éternelle”.
Mais Jésus demande d’abord quelque chose de bien particulier à ce cher
Converti : ne rien dire à personne ! Comment ne rien dire, quand on est
guéri de la lèpre ? Oui, Jésus demande la discrétion, car le bruit
extérieur, les nouvelles à sensation qu’on colporte, tout ce qui est
clamé en gros titre dans la presse quotidienne ― ne favorisent pas la
vraie conversion du cœur, la vraie conversion que Dieu attend de nous.
Le psaume 101 est un cri du cœur de l’homme qui se sent pécheur et loin
de Dieu, appelant au secours pour que Dieu le guérisse : “entends ma
prière” ― “ne me cache pas Ta face” ; et Dieu effectivement “se penche
de son sanctuaire”, Il “regarde la terre”. Comme le dit la première
antienne de Communion : “Ils mangèrent et furent rassasiés, leur attente
ne fut pas trompée”.
L’évangile ne dit pas que le lépreux ait été de quelque façon “puni”
d’avoir parlé, mais Jésus se trouve désormais dans l’impossibilité de
parler vraiment au cœur des hommes qu’il rencontre, car il est assailli
par toute une foule hurlante et délirante qui crie et gesticule, genre
de manifestation populaire bien en vogue déjà à l’époque de Jésus, et
qui ne favorise guère un climat spirituel de prière.
Il n’y a pas de lien direct entre tout ceci et la deuxième lecture ; ces
temps-ci l’Eglise nous donne à explorer divers passages aux Corinthiens.
Après avoir clairement reproché à la communauté certains péchés contre
le saint mariage et fait l’éloge de la Chasteté, l’apôtre a montré sa
joie dans l’Évangélisation et ― aujourd’hui ― conclut son chapitre par
ce suprême conseil : tout ce que vous faites, faites-le pour la gloire
de Dieu. Oui, on peut manger, boire, courir, étudier, travailler, laver
sa voiture, “pour la gloire de Dieu”, en cherchant à faire toutes ces
actions de façons qu’elles plaisent à Dieu, qu’elles soient vraiment
utiles pour soi et pour les autres. Jésus Christ l’a fait, s. Paul l’a
fait, à nous de le faire aussi.
Nous retrouvons cette direction de pensée dans la dernière Prière :
“Fais que nous ayons toujours soif des sources de la vraie vie”, tant il
est vrai qu’il est si facile de se laisser prendre par le courant des
plaisirs faciles et de la fausse vie. La vraie vie, la vie en Dieu, la
vie qui conduit à l’éternité, celle qui fit dire à sainte Thérèse : Je
ne meurs pas, j’entre dans la Vie.
Abbé Charles
Marie de Roussy |