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Jésus expose à ses disciples
comment accomplir vraiment la Loi
Ecoutons
fidèlement l’enseignement de Jésus, comme si c’était la
première fois, comme si nous le rencontrions en Palestine
après son Baptême, après qu’il ait appelé les premiers
apôtres et opéré ses premiers miracles. En un mot : écoutons
notre Maître avec des oreilles nouvelles, avec un cœur
nouveau, sans laisser notre esprit à l’illusion du “déjà
entendu”.
Avant de parler
de ce Discours sur la Montagne, nous entendons en ce jour un
petit extrait très important du Siracide (la Vulgate
l’appelle Ecclésiastique), un livre qui ne fait pas
partie du canon juif, mais qui fut connu et cité par les
rabbins.
Le verset qui
précède immédiatement l’extrait d’aujourd’hui est une
référence fondamentale pour la doctrine de la liberté : C’est
(le Seigneur) qui au commencement a fait l’homme et l’a
laissé à son conseil.
En créant
l’homme à son image, Dieu l’a fait participer de la Liberté
divine, de cet état ontologique d’adhérence au Bien. Dieu ne
peut faire le mal, parce qu’Il est fondamentalement libre.
Dans son état initial, créé à l’image et la ressemblance de
Dieu, l’homme était naturellement libre et porté vers le
Bien. Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a
permis à personne de pécher. Quand l’homme fut tenté et
hésita entre obéir ou désobéir, il perdit sa liberté ;
abusant de sa liberté, il la perdit et sombra dans le péché.
C’est depuis lors qu’il est sans cesse dépendant de son
libre arbitre, du choix qu’il doit faire entre telle ou
telle action.
Un enseignant
de théologie, et non des moindres, disait à ses élèves que,
si Adam a péché, la responsabilité première en revenait à
Dieu, qui l’avait laissé libre… Etrange doctrine.
L’extrait du
psaume 118 mérite son petit commentaire aujourd’hui. Le
psaume 118 est le psaume le plus long des cent cinquante
psaumes de l’Ecriture, en majorité attribués à David. Ce
psaume est dit “alphabétique”, car les huit vers de chaque
strophe commencent par l’une des vingt-deux lettres de
l’alphabet hébreu. Les cent soixante-seize versets de ce
monument à la fois mystique, poétique et littéraire
constituent ainsi vingt-deux strophes réparties sur chaque
jour de la prière hebdomadaire de la Liturgie des Heures.
Les versets que nous relisons aujourd’hui à la Messe sont
pris aux strophes 1, 3 et 5.
Chacun de ces
versets contient tour à tour l’un de ces mots fondamentaux
qui désignent la Loi : témoignage, précepte, volonté,
commandement, promesse, parole, jugement, voie. Le mot loi et
tous ces synonymes sont à prendre ici dans le sens le plus
large d’enseignement révélé, tel que l’ont transmis les
prophètes.
Plus
particulièrement, quand David demande au Seigneur d’être bon
pour ton serviteur, et je vivrai, il entend par cette vie la
plénitude de l’épanouissement dans la joie divine, un
émerveillement mystique devant l’immensité divine, quelque
chose qui doit ressembler à l’extase, mais que seuls de
grands Saints ont pu connaître.
Sans arriver
jusqu’à ce degré d’union intime avec Dieu, nous sommes sans
cesse appelés à en recevoir la Sagesse, une grâce divine
qu’on énumère dans les Dons du Saint-Esprit. Pour recevoir
cette grâce, il faut réellement se démarquer de la sagesse de
ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent, nous
dit l’Apôtre ; qui ajoute plus loin qu’Aucun de ceux qui
dominent ce monde n’a connu (la sagesse de Dieu).
La citation que
fait Paul de l’Ecriture (Ce que personne n’avait vu de
ses yeux…) est une combinaison très réussie de deux
extraits des prophètes Isaïe et Jérémie (Is 64:3 ; Jr 3:16).
On prétend parfois que la pensée de Paul est
incompréhensible ; en réalité elle est difficile, certes,
surtout si l’on est encore trop tributaire de la “sagesse du
monde”. Ce qu’on a dit précédemment n’a rien de très
difficile à comprendre : ce qui est difficile est plutôt de
faire passer dans notre quotidien cette Sagesse divine qui
nous manque si souvent. La Sagesse de Dieu est une grâce
qu’il faut demander avec persévérance, à l’image du jeune
Salomon (cf. Sg 9).
Ecoutons
maintenant la Sagesse incarnée, Jésus, donner son premier
enseignement à ses disciples sur la Montagne (une des
collines proches de Capharnaüm). Il faut essayer de se
mettre parmi eux et imaginer ce que pourrait être leur état
d’esprit, dans ces premiers pas qu’ils font avec le Sauveur.
Ils ont d’abord suivi Jean-Baptiste, puis trouvé cet Homme
qui les a fascinés par son Verbe, par son attitude, sa bonté
inaltérable, ses premiers miracles aussi : pour eux cet
Homme est une sorte de leader, quelqu’un qu’on écoute
volontiers parce qu’il leur parle d’une façon nouvelle, et
dont ils attendent évidemment qu’il apporte un réel
changement à leurs conditions de vie, sociale et politique.
Alors Jésus les
met immédiatement au diapason : il ne va rien changer à la
Loi et aux Prophètes ! rien abolir ! Il va accomplir !
Stupeur, étonnement des auditeurs : ils sont habitués à
entendre chaque Sabbat les versets, les préceptes de la Loi
qu’on leur lit et qu’on leur rappelle inlassablement ; ils
pensent désormais les connaître par-cœur et voilà que Jésus
prétend les porter à leur accomplissement… Avec quelle
curiosité vont-ils maintenant écouter ce qui va suivre, en
retenant leur souffle.
C’est là que
commencent les Béatitudes que nous avons lues il y a
quinze jours, puis l’appel, dimanche dernier, à être le Sel
et la Lumière du monde. Aujourd’hui donc, Jésus nous donne
un ample enseignement sur ce que doit être notre vie
intérieure, en évitant de nous contenter de pratiques
extérieures et de rites habituels. Il est sans doute inutile
de redire ce que Jésus dit si clairement. Mais ne passons
pas trop vite sur certains versets que nous croyons avoir
déjà entendus cent fois et que nous survolons trop
rapidement pour nous en souvenir dans notre vie.
Nous voyons que
Jésus assimile la colère à un meurtre. Les gens se mettent
très souvent en colère : les protestations et les rébellions
de tout genre portent la marque de la colère et nous y
sommes presque habitués., au point que nous avons oublié que
la colère est un des péchés les plus graves et qu’on appelle
un vice. C’est
que la colère est un très grave manquement à la charité ; Dieu
est Charité, dit saint Jean (1Jn 7:8), et pécher contre
la Charité est pécher directement contre Dieu, auteur de la
Vie ; c’est un acte de mort.
Des dix
Commandements de Dieu, les trois premiers concernent
directement le culte envers Dieu, et le quatrième le respect
envers les parents, notre première autorité dans la vie. Le
cinquième Commandement concerne justement la vie : Tu ne
tueras pas. Maudire et calomnier, sont des attitudes
meurtrières, parce que contraires à l’Amour : “Un coup de
langue est parfois plus mauvais qu’un coup de lance”.
Jésus parle
ensuite de l’adultère, se référant ici au sixième
Commandement de Dieu : Tu ne commettras pas l’adultère. La
banalité qu’est devenue l’adultère à toutes les époques et
plus encore aujourd’hui, pourrait nous faire oublier
l’extrême gravité de ce péché, un péché si grave aux yeux de
Dieu, qu’Il n’a pas de comparaison plus forte pour exprimer
par la bouche du prophète Osée l’abandon d’Israël. Osons le
dire fortement : l’adultère est une infidélité, la rupture
d’un serment solennel, une trahison.
Enfin, le Divin
Maître parle des serments et de la sincérité, se référant au
huitième Commandement. Quand Il condamne les serments, il
n’interdit pas les promesses solennelles, mais Il nous
avertit que notre parole ne doit dire que des choses justes
et vraies. Plus tard, Jésus sera encore plus incisif en nous
disant : Toute parole vaine (verbum otiosum) qu’on aura
dite, on en rendra compte au jour du jugement (Mt
12:36). Ce n’est pas par hasard que le Fils de Dieu a été
appelé le Verbe, étant l’expression-même de la Vérité
(cf. Jn 1). A notre tour, notre verbe doit refléter toujours
cette Vérité.
Puisqu’on a
rapproché les Commandements de Dieu de l’enseignement du
Christ sur la Montagne, on pourra demander pourquoi il a
“sauté” une référence au septième Commandement, concernant
le vol. Peut-être parce que le vol, plus que tout autre
péché, est très fortement ressenti dans notre conscience.
Mais aussi, plus simplement, parce que notre Sauveur n’a pas
explicitement choisi de commenter les dix Commandements de
Dieu, lesquels d’ailleurs ne se trouvent pas tels quels dans
l’Ecriture, mais en sont un condensé pratique à l’usage des
fidèles.
Jésus donc,
dans le Discours sur la Montagne, expose à ses disciples
comment accomplir vraiment la Loi, en la vivant profondément
dans notre cœur, dans un amour toujours plus grand de Dieu
et du prochain. C’est une grâce à demander à Dieu, non pas
parce qu’Il ne nous l’accordera que si nous la Lui
demandons, mais parce qu’en la demandant, nous ouvrons déjà
notre cœur pour la recevoir mieux.
Relisons la
Prière du jour : “Dieu, qui veux habiter les cœurs droits
et sincères, donne-nous de vivre selon ta grâce…” -
Amen.
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