VI dimanche du Temps commun
— A —

 

Lecture du livre de Ben Sirac le Sage

Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle.

Le Seigneur a mis devant toi l'eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères.

La vie et la mort sont proposées aux hommes, l'une ou l'autre leur est donnée selon leur choix.

Car la sagesse du Seigneur est grande, il est tout-puissant et il voit tout.

Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes.

Il n'a commandé à personne d'être impie, il n'a permis à personne de pécher.

 

Psaume : 118, 1-2, 4-5, 17-18, 33-34

Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la loi du Seigneur !
 
Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout coeur !


Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
 
Puissent mes voies s'affermir
à observer tes commandements !


Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j'observerai ta parole.
Ouvre mes yeux,
que je contemple les merveilles de ta loi.

Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ;
à les garder, j'aurai ma récompense.
Montre-moi comment garder ta loi,
que je l'observe de tout cœur.

 

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre
aux Corinthiens 
(1 Co 2, 6-10)

Frères, 
c'est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi, mais ce n'est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent.

Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire.

Aucun de ceux qui dominent ce monde ne l'a connue, car, s'ils l'avaient connue, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.

Mais ce que nous proclamons, c'est, comme dit l'Écriture : ce que personne n'avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l'homme n'avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu.

Et c'est à nous que Dieu, par l'Esprit, a révélé cette sagesse. Car l'Esprit voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu.

 

Évangile de notre Seigneur Jésus Christ
selon saint Matthieu
(Mt 5, 17-37)

Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait: 
« Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu'à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu'un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu'un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu'un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.  Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n'en sortiras pas avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou.

Vous avez appris qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur. Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne s'en aille pas dans la géhenne.

Il a été dit encore : Si quelqu'un renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de répudiation. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d'union illégitime, la pousse à l'adultère ; et si quelqu'un épouse une femme renvoyée, il est adultère.

Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t'acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi. Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Quand vous dites 'oui', que ce soit un 'oui', quand vous dites 'non', que ce soit un 'non'. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »

 

Jésus expose à ses disciples comment accomplir vraiment la Loi

Ecoutons fidèlement l’enseignement de Jésus, comme si c’était la première fois, comme si nous le rencontrions en Palestine après son Baptême, après qu’il ait appelé les premiers apôtres et opéré ses premiers miracles. En un mot : écoutons notre Maître avec des oreilles nouvelles, avec un cœur nouveau, sans laisser notre esprit à l’illusion du “déjà entendu”.

Avant de parler de ce Discours sur la Montagne, nous entendons en ce jour un petit extrait très important du Siracide (la Vulgate l’appelle Ecclésiastique), un livre qui ne fait pas partie du canon juif, mais qui fut connu et cité par les rabbins.

Le verset qui précède immédiatement l’extrait d’aujourd’hui est une référence fondamentale pour la doctrine de la liberté : C’est (le Seigneur) qui au commencement a fait l’homme et l’a laissé à son conseil.

En créant l’homme à son image, Dieu l’a fait participer de la Liberté divine, de cet état ontologique d’adhérence au Bien. Dieu ne peut faire le mal, parce qu’Il est fondamentalement libre. Dans son état initial, créé à l’image et la ressemblance de Dieu, l’homme était naturellement libre et porté vers le Bien. Dieu n’a commandé à personne d’être impie, il n’a permis à personne de pécher. Quand l’homme fut tenté et hésita entre obéir ou désobéir, il perdit sa liberté ; abusant de sa liberté, il la perdit et sombra dans le péché. C’est depuis lors qu’il est sans cesse dépendant de son libre arbitre, du choix qu’il doit faire entre telle ou telle action.

Un enseignant de théologie, et non des moindres, disait à ses élèves que, si Adam a péché, la responsabilité première en revenait à Dieu, qui l’avait laissé libre… Etrange doctrine.

L’extrait du psaume 118 mérite son petit commentaire aujourd’hui. Le psaume 118 est le psaume le plus long des cent cinquante psaumes de l’Ecriture, en majorité attribués à David. Ce psaume est dit “alphabétique”, car les huit vers de chaque strophe commencent par l’une des vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu. Les cent soixante-seize versets de ce monument à la fois mystique, poétique et littéraire constituent ainsi vingt-deux strophes réparties sur chaque jour de la prière hebdomadaire de la Liturgie des Heures. Les versets que nous relisons aujourd’hui à la Messe sont pris aux strophes 1, 3 et 5.

Chacun de ces versets contient tour à tour l’un de ces mots fondamentaux qui désignent la Loi : témoignage, précepte, volonté, commandement, promesse, parole, jugement, voie. Le mot loi et tous ces synonymes sont à prendre ici dans le sens le plus large d’enseignement révélé, tel que l’ont transmis les prophètes.

Plus particulièrement, quand David demande au Seigneur d’être bon pour ton serviteur, et je vivrai, il entend par cette vie la plénitude de l’épanouissement dans la joie divine, un émerveillement mystique devant l’immensité divine, quelque chose qui doit ressembler à l’extase, mais que seuls de grands Saints ont pu connaître.

Sans arriver jusqu’à ce degré d’union intime avec Dieu, nous sommes sans cesse appelés à en recevoir la Sagesse, une grâce divine qu’on énumère dans les Dons du Saint-Esprit. Pour recevoir cette grâce, il faut réellement se démarquer de la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent, nous dit l’Apôtre ; qui ajoute plus loin qu’Aucun de ceux qui dominent ce monde n’a connu (la sagesse de Dieu).

La citation que fait Paul de l’Ecriture (Ce que personne n’avait vu de ses yeux…) est une combinaison très réussie de deux extraits des prophètes Isaïe et Jérémie (Is 64:3 ; Jr 3:16). On prétend parfois que la pensée de Paul est incompréhensible ; en réalité elle est difficile, certes, surtout si l’on est encore trop tributaire de la “sagesse du monde”. Ce qu’on a dit précédemment n’a rien de très difficile à comprendre : ce qui est difficile est plutôt de faire passer dans notre quotidien cette Sagesse divine qui nous manque si souvent. La Sagesse de Dieu est une grâce qu’il faut demander avec persévérance, à l’image du jeune Salomon (cf. Sg 9).

Ecoutons maintenant la Sagesse incarnée, Jésus, donner son premier enseignement à ses disciples sur la Montagne (une des collines proches de Capharnaüm). Il faut essayer de se mettre parmi eux et imaginer ce que pourrait être leur état d’esprit, dans ces premiers pas qu’ils font avec le Sauveur. Ils ont d’abord suivi Jean-Baptiste, puis trouvé cet Homme qui les a fascinés par son Verbe, par son attitude, sa bonté inaltérable, ses premiers miracles aussi : pour eux cet Homme est une sorte de leader, quelqu’un qu’on écoute volontiers parce qu’il leur parle d’une façon nouvelle, et dont ils attendent évidemment qu’il apporte un réel changement à leurs conditions de vie, sociale et politique.

Alors Jésus les met immédiatement au diapason : il ne va rien changer à la Loi et aux Prophètes ! rien abolir ! Il va accomplir ! Stupeur, étonnement des auditeurs : ils sont habitués à entendre chaque Sabbat les versets, les préceptes de la Loi qu’on leur lit et qu’on leur rappelle inlassablement ; ils pensent désormais les connaître par-cœur et voilà que Jésus prétend les porter à leur accomplissement… Avec quelle curiosité vont-ils maintenant écouter ce qui va suivre, en retenant leur souffle.

C’est là que commencent les Béatitudes que nous avons lues il y a quinze jours, puis l’appel, dimanche dernier, à être le Sel et la Lumière du monde. Aujourd’hui donc, Jésus nous donne un ample enseignement sur ce que doit être notre vie intérieure, en évitant de nous contenter de pratiques extérieures et de rites habituels. Il est sans doute inutile de redire ce que Jésus dit si clairement. Mais ne passons pas trop vite sur certains versets que nous croyons avoir déjà entendus cent fois et que nous survolons trop rapidement pour nous en souvenir dans notre vie.

Nous voyons que Jésus assimile la colère à un meurtre. Les gens se mettent très souvent en colère : les protestations et les rébellions de tout genre portent la marque de la colère et nous y sommes presque habitués., au point que nous avons oublié que la colère est un des péchés les plus graves et qu’on appelle un vice. [1] C’est que la colère est un très grave manquement à la charité ; Dieu est Charité, dit saint Jean (1Jn 7:8), et pécher contre la Charité est pécher directement contre Dieu, auteur de la Vie ; c’est un acte de mort.

Des dix Commandements de Dieu, les trois premiers concernent directement le culte envers Dieu, et le quatrième le respect envers les parents, notre première autorité dans la vie. Le cinquième Commandement concerne justement la vie : Tu ne tueras pas. Maudire et calomnier, sont des attitudes meurtrières, parce que contraires à l’Amour : “Un coup de langue est parfois plus mauvais qu’un coup de lance”.

Jésus parle ensuite de l’adultère, se référant ici au sixième Commandement de Dieu : Tu ne commettras pas l’adultère. La banalité qu’est devenue l’adultère à toutes les époques et plus encore aujourd’hui, pourrait nous faire oublier l’extrême gravité de ce péché, un péché si grave aux yeux de Dieu, qu’Il n’a pas de comparaison plus forte pour exprimer par la bouche du prophète Osée l’abandon d’Israël. Osons le dire fortement : l’adultère est une infidélité, la rupture d’un serment solennel, une trahison.

Enfin, le Divin Maître parle des serments et de la sincérité, se référant au huitième Commandement. Quand Il condamne les serments, il n’interdit pas les promesses solennelles, mais Il nous avertit que notre parole ne doit dire que des choses justes et vraies. Plus tard, Jésus sera encore plus incisif en nous disant : Toute parole vaine (verbum otiosum) qu’on aura dite, on en rendra compte au jour du jugement (Mt 12:36). Ce n’est pas par hasard que le Fils de Dieu a été appelé le Verbe, étant l’expression-même de la Vérité (cf. Jn 1). A notre tour, notre verbe doit refléter toujours cette Vérité.

Puisqu’on a rapproché les Commandements de Dieu de l’enseignement du Christ sur la Montagne, on pourra demander pourquoi il a “sauté” une référence au septième Commandement, concernant le vol. Peut-être parce que le vol, plus que tout autre péché, est très fortement ressenti dans notre conscience. Mais aussi, plus simplement, parce que notre Sauveur n’a pas explicitement choisi de commenter les dix Commandements de Dieu, lesquels d’ailleurs ne se trouvent pas tels quels dans l’Ecriture, mais en sont un condensé pratique à l’usage des fidèles[2].

Jésus donc, dans le Discours sur la Montagne, expose à ses disciples comment accomplir vraiment la Loi, en la vivant profondément dans notre cœur, dans un amour toujours plus grand de Dieu et du prochain. C’est une grâce à demander à Dieu, non pas parce qu’Il ne nous l’accordera que si nous la Lui demandons, mais parce qu’en la demandant, nous ouvrons déjà notre cœur pour la recevoir mieux.

Relisons la Prière du jour : “Dieu, qui veux habiter les cœurs droits et sincères, donne-nous de vivre selon ta grâce…” - Amen.


[1] Voir Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1866-1867.
[2] Voir l’Abrégé du même Catéchisme, pp. 172-175.

 

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