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Jésus nous invite à la
conversion
Ce troisième dimanche “ordinaire” de l’année B illustre le troisième des
Mystères Lumineux que Jean-Paul II a institués dans sa Lettre Apostolique Rosarium
Virginis Mariæ (ch.2, n.21) :
l’annonce du Royaume et l’invitation à la conversion.
Jésus nous invite à la conversion, et commence tout de suite à appeler ; il
appelle Simon et André, Jacques et Jean. On remarquera que l’épisode
d’aujourd’hui, en saint Marc, n’est pas le même que celui de dimanche dernier en
saint Jean.
Dimanche dernier, nous étions près de Jérusalem, à Béthanie, où Jean-Baptiste
recevait les foules : là il baptisa Jésus et là il dit à André et à un autre :
Voici l’Agneau de Dieu. Ces deux disciples restèrent alors avec Jésus toute la
journée, et Lui amenèrent ensuite Simon-Pierre.
Aujourd’hui, Jésus est en Galilée. André et Simon travaillent à leurs filets,
ainsi que Jacques et Jean. Il s’est passé un certain temps depuis l’épisode
précédent, et les futurs apôtres étaient retournés à leur travail. Quand Jésus
les appelle, cette fois-ci, c’est “pour de bon” : invités à Le suivre, ils
laissent tout, travail et famille, et suivent désormais Jésus-Christ qui va les
préparer à leur mission apostolique, au sacerdoce.
Ne pensons pas qu’André et Simon, Jacques et Jean, aient simplement abandonné
leur famille et leur travail ; ils ont mis à profit le temps qui est passé entre
la première rencontre et cet appel de Jésus pour expliquer à tous leur
conviction et prendre les dispositions nécessaires. Désormais, ils suivraient
Jésus dans l’obéissance, dans la pauvreté et dans la chasteté.
Les “trois vœux” de religion, en particulier celui du célibat sacerdotal, ne
sont pas une invention tardive de l’Église, comme on le répète stupidement à
tue-tête aujourd’hui : Jésus en a donné l’exemple, et les Apôtres L’ont suivi
sur cette voie. Un concile du 4e siècle dit expressément qu’ “il convient que
les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites, observent une
continence parfaite… ; ce qu’enseignèrent les apôtres, et ce que l’antiquité
elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder” (Concile de
Carthage en 390, dans “Origines Apostoliques du Célibat Sacerdotal”, par C.
Cochini, Lethielleux, 1981, pp.25 et suiv.). Cet argument pourra aussi faire
l’objet d’un article plus complet dans nos colonnes.
Jésus appelle, les premiers apôtres répondent “oui”. Chacun est appelé par
Jésus, chacun de nous a une “mission”. Où qu’il soit, le chrétien doit se
montrer fidèle à l’Évangile de Jésus-Christ, chacun selon cette mission : l’un
sera prêtre, l’autre sera religieux ou cloîtré(e), tel sera professeur, tel
autre banquier, ou plombier, ou technicien de surface. Dans chaque situation, il
y a la place pour un témoignage d’authenticité chrétienne. A la base, la
démarche fondamentale du chrétien est un mouvement de conversion authentique,
d’adhésion à Dieu sans partage.
La lecture du prophète Jonas est un cas saisissant de conversion.
L’épisode se situerait vers le IVe siècle avant notre ère, Ninive est une grande
ville païenne, mais les habitants ont l’humilité d’écouter l’avertissement du
prophète. Ils font pénitence, ils se convertissent “du plus grand au plus
petit”. Quels changements dans leur vie quotidienne ! S’il fallait “trois jours
pour la traverser”, cette ville pouvait s’étendre sur des dizaines de kilomètres
et être peuplée, même à l’époque, de centaines de milliers d’habitants.
Imaginons le spectacle de cette foule faisant pénitence, priant, chantant,
changeant radicalement de vie, d’une façon aussi unanime ! Pendant quelque temps
au moins, ce fut certainement, avant la lettre, une communauté comme celle des
premiers chrétiens à Jérusalem : “Tous ceux qui croyaient étaient dans le même
lieu, et ils avaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs
biens, et ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de
chacun. Ils étaient chaque jour tous ensemble assidus au temple, ils rompaient
le pain dans les maisons, et prenaient leur nourriture avec joie et simplicité
de cœur, louant Dieu, et trouvant grâce auprès de tout le peuple” (Ac 2:44-47).
Le psaume 24 est un cri de confiance en la miséricorde de Dieu, de la part de
celui qui veut se convertir : “Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse”
(un peu plus loin, le texte répète encore : “À cause de ton nom, Seigneur,
pardonne mon péché, car il est grand”).
La péricope de saint Paul aux Corinthiens est un peu plus difficile à
comprendre, car comment ceux qui sont mariés peuvent-ils vivre “comme s’ils ne
l’étaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui sont
heureux comme s’ils ne l’étaient pas, ceux qui achètent comme s’ils n’achetaient
pas” ? Ne doit-on pas se marier, être heureux, acheter des victuailles ? La
réponse est délicate, mais pas mystérieuse.
N’oublions pas que saint Paul vient de rappeler à l’ordre sévèrement les
Chrétiens de Corinthe pour l’inconduite morale de certains ; dans le chapitre 7,
il parle longuement et simultanément de la sainteté du mariage et de la
virginité. Ici, il touche à sa façon le problème de la consécration totale à
Dieu. Contrairement à ce qu’on dit souvent aujourd’hui, le bonheur n’est pas
forcément dans une liaison matrimoniale, quand on n’y est pas appelé.
D’ailleurs, même ceux qui y sont appelés connaissent des moments de grandes
difficultés, certainement pas enviables. Le mariage étant un état où deux époux
cherchent, ensemble, à se sanctifier et à donner la vie à des enfants, il est
nécessaire que chacun examine s’il est vraiment appelé à cet état, et s’il n’est
pas plutôt appelé à un autre état, dans la consécration de sa personne, pour
être plus totalement au service de Dieu et de l’Église, pour prêcher la Vérité
ou venir en aide à ceux qui sont dans le besoin.
En face d’un monde qui s’effrite chaque jour ― et pas seulement au temps de
saint Paul ― dans les guerres, les conflits, les famines et les catastrophes de
tous genres, l’Apôtre invite chacun de nous à organiser plus spirituellement sa
propre vie, sachant renoncer à ce qui est éphémère ou inutile, et s’accorder à
ce qui est fondamental.
Quand on s’attache à Jésus-Christ, on comprend vite, par exemple, qu’il est
beaucoup plus urgent de se réconcilier avec son frère, que de lui prouver qu’il
a tort. Ceci est important au moment où nous prions pour l’unité des Chrétiens
: certes, rester attachés à la Vérité, mais considérer toujours l’Autre avec le
sourire aimant du Christ.
L’être qui s’attache à Dieu comprend vite que ce qu’il possède ne lui apporte
jamais un bonheur définitif : il faut s’en servir pour la nécessité de la vie,
mais ne pas s’y attacher. Être pauvre ne signifie pas ne rien avoir, mais savoir
posséder avec esprit de détachement. Être obéissant ne signifie pas être esclave
d’un autre humain, mais savoir reconnaître qu’un autre peut être plus
expérimenté et avoir raison d’imposer un ordre. Être chaste ne signifie pas
qu’il faille renoncer à fonder une famille, mais vraiment la fonder selon la loi
de Dieu, si l’on y est appelé, ou alors à s’en abstenir, mais toujours pour la
gloire de Dieu et pas par égoïsme.
On le voit, cette école spirituelle est une ascèse difficile vers la Sainteté.
Cette ascension vers la Perfection est exigeante, et a besoin de la grâce de
Dieu. Faisons bien nôtre la Prière du jour en demandant que notre vie soit
dirigée “selon (Son) amour”, ou celle de conclusion qui évoque “la grâce d’une
nouvelle vie” que nous venons de recevoir dans l’Eucharistie.
Ne nous décourageons jamais devant nos chutes. Dans son infinie miséricorde,
Dieu ne regarde pas ces chutes : comme pour les Ninivites, Il récompense
largement tous les efforts que nous faisons pour nous acheminer vers Lui.
Abbé Charles Marie de Roussy |