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Posant son regard sur Jésus...
L’évangéliste saint Jean ne
parle pas du baptême de Jésus-Christ, déjà raconté par les autres évangélistes :
nous avons lu cet épisode en saint Marc dimanche dernier.
Aujourd’hui, nous lisons en saint Jean le témoignage qu’il rapporte de
Jean-Baptiste, un témoignage “théologique” et messianique s’il en fut.
Jean-Baptiste voit arriver
Jésus. Humainement parlant, il aurait pu recevoir son Cousin avec quelques
marques d’affection ― car ils ne s’étaient peut-être pas vus depuis leur
naissance. Jean est très réservé, effacé ; et il nous livre cette phrase
magnifique que, depuis, l’Église répète à chaque Messe : Voici l’Agneau de Dieu,
qui ôte le péché du monde.
L’agneau est cet animal qui
a toujours été pris pour le sacrifice le plus parfait, pour sa douceur même, sa
blancheur innocente, son mutisme devant la souffrance, en un mot l’image la plus
adéquate du Sacrifice du Messie qui marchera vers la Croix avec douceur,
soumission, et en toute innocence, s’offrant pour expier les péchés dont il se
charge sans les avoir jamais commis. Au moment de la fête des Expiations, on
envoyait dans le désert le “bouc émissaire”, chargé par le grand prêtre des
malédictions qu’il voulait ainsi détourner de dessus le peuple. Aujourd’hui, cet
Agneau s’actualise de façon vivante en la Personne du Christ.
“Le lendemain,
dit l’Évangéliste ― et c’est l’extrait d’aujourd’hui ― Jean se tenait encore
là” ; il faut imaginer cette scène vraiment mystérieuse : encore une fois,
Jean-Baptiste reste discret, il “fixe
les yeux sur Jésus qui passait” et
dit seulement “Voici l’Agneau de
Dieu”. Sa mission est vraiment d’annoncer, de précéder, mais de disparaître
en présence de Jésus. Un peu comme s’il nous disait : Voilà l’Envoyé de Dieu,
allez à Lui, pas à moi, qui ai achevé ma mission.
Ces disciples de
Jean-Baptiste n’hésitent pas et suivent Jésus. André est le premier appelé,
celui que nos Frères d’Orient appellent le “Protoclet” ; l’autre n’est pas nommé
et ne sera peut-être pas un Apôtre ; mais c’est alors que Simon entre en scène,
et que Jésus l’appelle “Képha”, Pierre. Le nom ou le surnom qu’on donne à
quelqu’un lui reste toujours comme une marque indissociable de sa personne,
expression de sa mission particulière. Au jour du baptême, nous recevons un nom
qui ne nous quittera jamais ; parfois aussi c’est à leur confirmation que
certains chrétiens prennent ou ajoutent un autre nom, comme s. Jean-Marie
Vianney qui ajouta celui du Baptiste.
Saul, devenu l’apôtre Paul
après sa conversion et son baptême, voyagea dans tout le monde romain. Une de
ses conquêtes fut cette ville cosmopolite de Corinthe, qu’il visita au cours de
ses deuxième et troisième voyages, et à qui il envoya deux lettres majestueuses
qui font partie du canon de l’Écriture. Cette première épître aux Corinthiens,
comme chaque année, nous allons en lire plusieurs chapitres, jusqu’au Carême.
La péricope d’aujourd’hui
fait partie du chapitre 6, où Paul parle de la pénible situation matrimoniale de
certains Corinthiens, même chrétiens. Nos traducteurs ont peut-être craint
d’offenser certaines consciences en traduisant littéralement les mots de Paul.
Mais l’Apôtre ne parle pas d’ “impuretés”, ce mot ambigu qui laisse parfois
supposer un peu tout et n’importe quoi : il parle précisément, en revanche, de
la fornication, un mot qu’on masque souvent dans nos cours de catéchèse, dans
nos familles, dans nos collèges, dans nos lycées. Quelques allusions vagues,
parfois ironiques en coin, permettent de supposer “quelque chose”, sans qu’on
dise quoi, tandis qu’un discours franc, précis, honnête, aiderait notre jeunesse
à savoir se bien comporter.
Il n’est pas permis par Dieu
de vivre une situation matrimoniale sans que le mariage soit d’abord prononcé ;
là se trouve le péché de la fornication. A plus forte raison, Dieu ne permet pas
une autre liaison matrimoniale en-dehors d’un mariage déjà contracté : c’est
l’adultère. Toute cette doctrine sur le sacrement de Mariage pourra être reprise
un jour dans une autre rubrique, mais pourquoi l’Église nous fait-elle lire
cette péricope aujourd’hui ?
Saint Paul nous l’explique
lui-même : Tout être qui reçoit le baptême du Christ fait désormais partie du
Corps du Christ, il est comme ce greffon enté sur un arbre pour en recevoir la
vie ; celui qui reçoit la Vie du Christ ne s’appartient plus à lui-même, il est
une créature nouvelle. Si un homme veut alors s’unir à une femme dans le lien du
mariage, pour accomplir la Loi de Dieu, ils doivent ensemble s’unir dans le
Christ et, en Christ, ne plus faire qu’une chair ― qui se manifestera dans
l’enfant qui en naîtra. Pour notre époque, ce discours apparaît étrange, et
impossible à réaliser ; mais la pensée de s. Paul est très claire, et les
exemples de saint mariage n’ont pas non plus manqué tout au long des siècles,
depuis Adam et Ève, à Abraham et Sara, Joachim et Anne, Joseph et Marie, le
saint empereur germanique Henri et sa femme Cunégonde, jusqu’à ce couple romain
des bienheureux Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi, béatifiés en 2001,
et ― encore tout récemment béatifié, le couple des parents de sainte Thérèse de
Lisieux, les bienheureux Louis et Zélie Martin.
Ceux qui voudront lire le
passage de saint Paul dans le texte, se rendront compte de la force des
expressions de l’Apôtre, dont on évite même quelques versets dans la lecture
publique. C’est peut-être prudent, mais c’est aussi regrettable de priver nos
oreilles d’avertissements aussi solennels, autorisés, et salutaires.
Un mot encore sur le psaume
39 qui relie les deux lectures, comme l’an dernier. David y exprime l’offrande
que fait de lui-même le Messie, exprimant à Son Père le don total de Sa
Personne, Sa confiance tandis qu’Il se voit entouré d’ennemis, ces ennemis qui
s’acharneront sans pitié sur la douce Personne de Jésus, au moment de la
Passion, mais aussi ces ennemis que sont tous nos moments de lâcheté, de
duplicité, de dureté. Ainsi, chaque fois que nous refusons d’aimer quelqu’un
d’antipathique, c’est Jésus que nous blessons et que nous remettons sur la
croix.
La première lecture n’a de
lien particulier avec ce psaume que l’attitude confiante et généreuse du petit
Samuel qui, docilement, selon le conseil du prêtre Eli, répond à Dieu : Parle,
ton serviteur écoute. Il se met entièrement à la disposition de Dieu, sans
retour en arrière, sans hésitation. Ce que fera Jésus.
Pour conclure, arrêtons-nous
pour une fois sur la Prière sur les Offrandes, où est exprimée la doctrine du
Sacrement Eucharistique de la Messe : “Chaque
fois qu’est célébré ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre de notre Rédemption
qui s’accomplit.” A chaque Messe,
Christ se fait présent, un au milieu de nous, se donnant à nous et nous unissant
à Lui-même. Chaque Messe est pour ainsi dire une Naissance du Christ, et une
renaissance de notre personne “par
Lui, avec Lui et en Lui”.
Abbé Charles Marie de Roussy |