HOMÉLIES
de
Synésius de Cyrène
I.
Je ne laisserai
point passer cette fête sans vous adresser la parole; mais il ne
faut pas non plus trop de paroles : si je parle pour louer Dieu, je
serai court pour ne pas retarder cette fête. Voulez-vous honorer
dignement la Divinité? N’allez pas, au sortir du jeûne, vous livrer
aux excès de la table. Que la tempérance préside à vos religieuses
agapes. Notre Dieu est la sagesse même, la raison même. Si les
libations produisent le désordre de la pensée et le trouble de
l’entendement, ne sont-elles pas contraires à la raison? Certains
plaisirs conviennent aux serviteurs de Dieu, d’autres aux serviteurs
des démons. Réjouissez-vous
dans le Seigneur avec tremblement,
c’est-à-dire dans vos festins souvenez-vous toujours de Dieu; car
c’est alors surtout que vous êtes exposé à glisser dans le péché.
Quand le corps s’abandonne aux satisfactions sensuelles, l’âme cesse
de connaître les joies intellectuelles. Le
Seigneur tient en main une coupe de vin pur, pleine de mélange; il
en a versé tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre, et cependant le
breuvage n’en est point encore épuisé.
Vous n’avez qu’à boire de cette coupe, et vous devenez digne de
prendre place au banquet de l’époux. Elle est fortifiante cette
coupe pleine de vin; il suffit qu’elle nous soit offerte pour que
nous nous élevions vers l’intelligence. Les paroles sacrées sont
assez claires, mais elles demandent cependant quelque explication. Il
tient une coupe de vin pur, pleine de mélange ; il en a versé tantôt
dans l’une, tantôt dans l’autre. Si c’est une coupe de vin pur,
comment est-elle pleine de mélange? Si c’est une seule coupe,
comment en a-t-il versé tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre? Les
mots paraissent absurdes, mais le sens qu’ils cachent ne l’est
point. Dieu n’a pas besoin de termes inspirés; l’esprit divin
dédaigne les minutieux scrupules de l’écrivain. Voulez-vous savoir
l’exacte vérité qui se dégage de ces expressions contradictoires?
Quelle est cette coupe à laquelle fait allusion le livre sacré?
C’est la parole que Dieu présente aux hommes dans l’ancien comme
dans le nouveau Testament. Telle est la liqueur qui désaltère l’âme.
La parole est pure dans l’un comme dans l’autre Testament, et
l’union des deux Testaments, voilà le mélange. L’ancien Testament
nous a donné les promesses, le nouveau la réalité. Il a versé
tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre : cela signifie la
succession des enseignements que nous trouvons dans la loi de Moïse
et dans la loi du Christ. Une coupe, unique en effet, comme
l’esprit qui a inspiré le prophète et l’apôtre, et qui, semblable à
un peintre habile, après avoir tracé d’abord une simple esquisse de
la sagesse, nous en a donné ensuite le tableau achevé. Cependant
le breuvage n’est pas encore épuisé.
II.
Nuit sainte, qui fait
luire sur les cœurs purifiés une lumière telle que n’en a jamais
répandu le soleil pendant le jour ! Car même ce qu’il y a de plus
magnifique dans l’univers ne peut se comparer au Créateur. Elle est
incréée cette lumière qui éclaire les âmes, et qui a donné au soleil
visible ses rayons, reflets de la splendeur divine. Soyez
persévérants, et ce jour restera comme le plus heureux de votre vie.
Chacun de vous est comme un ministre de Dieu parmi nous. C’est à
vous, n’en doutez pas, que s’appliquent ces paroles: Ils habitent
sur la terre, mais toutes leurs pensées sont dans le ciel. Prenez
garde de déchoir. Les nouvelles souillures que l’on contracte après
avoir été purifié s’effacent difficilement.
*****
Les habitants de
Léontopolis
ont résolu (pouvait-on s’attendre à voir leur humeur ainsi
s’adoucir?) de ne plus se poursuivre mutuellement : aujourd’hui
c’est au voisinage qu’ils s’en prennent, sous prétexte de lois
violées; tandis que naguère chez eux les frères en lutte avec les
frères, le fils avec son père, le père avec ses enfants, appelaient
les uns sur les autres toutes les rigueurs de la justice. Sans
doute, en portant ailleurs leurs attaques, ils ne vont plus
s’entredétruire; mais avec tous ces procès de particulier à
particulier, de ville à ville, ils font le malheur de leurs pauvres
voisins. Ils se croiraient perdus si leur cité ne faisait pas métier
d’accuser, de dénoncer. Mais les accusations mêmes dont nous sommes
l’objet prouvent clairement que nous n’avons aucun tort: il nous
suffit d’avoir un juge qui veuille nous écouter. Nous avons appris à
cultiver la terre, et non à faire des plaidoyers. Depuis un temps
immémorial nos adversaires ont un territoire nettement délimité :
pourquoi veulent-ils aujourd’hui l’étendre? Pourquoi réclament-ils
plus que ce qui leur est attribué, et viennent-ils nous tourmenter?
Nous souffrons plus qu’eux des chaleurs torrides; notre territoire
est plus exposé à la sécheresse. Ils veulent nous faire acheter ce
qui reste d’eau. Comme nous ne pouvons cette année, faute d’argent,
rien leur donner, ils prétendent jouir au moins de nos souffrances.
Tel est le but qu’ils poursuivent avec le procès qu’ils viennent de
nous intenter; les décisions qu’ils ont prises n’ont pas d’autre
objet. Ils ont encore une prétention qu’il appartient à nous les
premiers, à nous seuls de signaler, et qui montre clairement leur
injustice. Après avoir inventé depuis longtemps toute sorte de
faussetés pour s’attribuer un droit sur des eaux qui ne leur
appartiennent pas, ils se sont adressés à ce vénérable tribunal…
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