Olive Danzé
Sœur Marie du Christ-Roi
(27 mars 1906-2 mai 1968)

3
La dévotion au Christ-Roi

3-1-La Royauté de Jésus

L'expression ÀChrist-Roi” était encore peu employée à cette époque. Pourtant l'Écriture avait plusieurs fois révélé la Royauté du Messie, puis de Jésus. Isaïe avait déjà présenté le Messie attendu par le peuple juif comme le PRINCE DE LA PAIX. Plus tard, à plusieurs reprises la foule voulut proclamer Jésus Roi. Mais la royauté de Jésus n'étant pas de ce monde, Il s'enfuyait dans la montagne chaque fois que le peuple voulait le faire Roi. Ce n'est que lorsque son Heure fut venue que Jésus se déclara ouvertement Roi. À plusieurs reprises, durant sa Passion, Jésus fut présenté, ou se présenta Lui-même, comme le Roi des juifs :

– Es-Tu le Roi des juifs, lui demanda Pilate.

– Tu l'as dit, je le suis.

Après l'avoir flagellé, les soldats se moquèrent de Lui : ils mirent une couronne d'épines sur sa tête, et se prosternant devant Lui, ils disaient :

– Salut, Roi des Juifs.

Enfin, et cela est essentiel, la cause immédiate de l'accusation de Jésus, c'était de s'être proclamé “Roi des Juifs”. Cette accusation fut même le motif de sa condamnation à mort, motif retenu par Pilate qui inscrivit sur le panneau en haut de la croixÀ: “Jésus de Nazareth, roi des juifs”, au grand dam des membres du Sanhédrin. Mais, ce qui était écrit, était écrit, et Pilate ne voulut rien changer. Après sa résurrection, quand il confia aux Apôtres la charge d'enseigner et de baptiser toutes les nations, Jésus déclara que “toute puissance lui avait été donnée au ciel et sur la terre”[1], affirmant ainsi sa Royauté sur le monde entier.

3-2-L'encyclique Quas primas de Pie XI (11 décembre 1925)

L'Église savait parfaitement que Jésus était Roi, mais son Royaume n'était pas de ce monde... Pourtant, le 11 décembre de l'Année sainte 1925, la quatrième de son Pontificat, le pape Pie XI, dans sa lettre encyclique Quas Primas, de l'Institution d'une Fête du Christ-Roi, déclarait son intention d'instituer une Fête du Christ-Roi. Le Saint-Père déclarait, notamment :

« Nous recherchions la cause intime des calamités contre lesquelles, sous Nos yeux, se débat, accablé, le genre humain... Nous proclamions ouvertement deux choses: l'une, que ce débordement de maux sur l'univers provenait de ce que la plupart des hommes avaient écarté Jésus-Christ et sa loi très sainte des habitudes de leur vie individuelle aussi bien que de leur vie familiale et de leur vie publique...

C'est pourquoi, après avoir affirmé qu'il fallait chercher la paix du Christ par le règne du Christ, Nous avons déclaré Notre intention d'y travailler dans toute la mesure de Nos forces; par le règne du Christ, disions-Nous, car, pour ramener et consolider la paix, Nous ne voyions pas de moyen plus efficace que de restaurer la souveraineté de Notre Seigneur. »

Et Pie XI de rappeler le XVIe centenaire du Concile de Nicée, lequel Concile proclamait comme dogme de foi catholique la consubstantialité du Fils unique de Dieu avec son Père, et, en insérant dans sa formule de foi ou Credo les mots cuius regni non erit finis[2], affirmait du même coup la dignité royale du Christ. Et le pape Pie XI, accédant aux suppliques individuelles ou collectives de nombreux cardinaux, évêques ou fidèles, poursuit : « Nous clôturerons donc cette année par l'introduction, dans la liturgie de l’Église, d'une fête spéciale en l'honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ Roi. »

Pie XI explique ensuite :

« Depuis longtemps, dans le langage courant, on donne au Christ le titre de Roi au sens métaphorique... et l'on dit :

– qu'il règne sur les intelligences humaines,

– qu'il règne sur les volontés humaines,

– On dit enfin qu'il est le Roi des cœurs » (Quas primas N° 4)

« Que le Christ soit Roi, ne le lisons-nous pas dans maints passages des Écritures! C'est lui le Dominateur issu de Jacob[3], le Roi établi par le Père sur Sion, sa montagne sainte, pour recevoir en héritage les nations et étendre son domaine jusqu'aux confins de la terre[4], le véritable Roi futur d'Israël, figuré, dans le cantique nuptial, sous les traits d'un roi très riche et très puissant, auquel s'adressent ces paroles: Votre trône, ô Dieu, est dressé pour l'éternité; le sceptre de votre royauté est un sceptre de droiture[5]. »

Pie XI s'appuie ensuite sur le célèbre texte d'Isaïe :

« À ces témoignages s'ajoutent, encore plus nombreux les oracles des prophètes et notamment celui, bien connu, d'Isaïe : Un petit enfant... nous est né, un fils nous a été donné. La charge du commandement a été posée sur ses épaules. On l'appellera l'Admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le Père du siècle futur, le Prince de la paix. Son empire s'étendra et jouira d'une paix sans fin; il s'assoira sur le trône de David et dominera sur son royaume, pour l'établir et l'affermir dans la justice et l'équité, maintenant et à jamais[6]. »

D'ailleurs, affirme Pie XI, les autres prophètes ne s'expriment pas différemment. Tel Jérémie, annonçant dans la race de David un germe de justice, ce fils de David qui “régnera en roi, sera sage et établira la justice sur la terre[7]. Tel Daniel, prédisant la constitution par le Dieu du ciel d'un royaume “qui ne sera jamais renversé... et qui durera éternellement[8]” ; et, peu après, Jérémie ajoute : “Je regardais durant une vision nocturne, et voilà que, sur les nuées du ciel, quelqu'un s'avançait semblable au Fils de l'homme; il parvint jusqu'auprès de l'Ancien des jours... et celui-ci lui donna la puissance, l'honneur et la royauté... et son royaume sera incorruptible[9].” Et tel Zacharie, “prophétisant l'entrée à Jérusalem, aux acclamations de la foule, du juste et du sauveur, le Roi plein de mansuétude monté sur une ânesse et sur son poulain[10]: les saints évangélistes n'ont-ils pas constaté et prouvé la réalisation de cette prophétie ?...” (Quas primas N° 6)

Pie XI rappelle ensuite le message de l'Archange Gabriel à la Vierge Marie : elle engendrera un fils à qui le Seigneur Dieu donnera le trône de David ; il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin[11].

« Dès lors, confirme Pie XI, faut-il s'étonner qu'il soit appelé par saint Jean le Prince des rois de la terre [12] ou que, apparaissant à l'Apôtre dans des visions prophétiques, il porte écrit sur son vêtement et sur sa cuisse: Roi des rois et Seigneur des seigneurs[13]. Le Père a, en effet, constitué le Christ héritier de toutes choses[14] ; il faut qu'il règne jusqu'à la fin des temps, quand il mettra tous ses ennemis sous les pieds de Dieu et du Père[15]. (Quas primas N° 6) En d'autres termes, son pouvoir royal repose sur cette admirable union qu'on nomme l'union hypostatique. » (Quas primas N° 8)

Cependant nous ne devons jamais oublier que le Royaume de Jésus-Christ n'est pas de ce monde, et chaque fois que la foule voudra le faire roi, Jésus se dérobera. Puis, lorsque devant Pilate il affirmera sa Royauté, Jésus ajoutera immédiatement que son royaume n'est pas de ce monde. Et Pie XI précise, dans son encyclique : « Ce royaume s'oppose uniquement au royaume de Satan et à la puissance des ténèbres; à ses adeptes il demande non seulement de détacher leur cœur des richesses et des biens terrestres, de pratiquer la douceur et d'avoir faim et soif de la justice, mais encore de se renoncer eux-mêmes et de porter leur croix. C'est pour l’Église que le Christ, comme Rédempteur, a versé le prix de son sang ; c'est pour expier nos péchés que, comme Prêtre, il s'est offert lui-même et s'offre perpétuellement comme victime : qui ne voit que sa charge royale doit revêtir le caractère spirituel et participer à la nature supraterrestre de cette double fonction ? » (Quas primas N° 11)

Pie XI peut alors faire siennes les paroles de Léon XIII : « Son empire ne s'étend pas exclusivement aux nations catholiques ni seulement aux chrétiens baptisés, qui appartiennent juridiquement à l’Église même s'ils sont égarés loin d'elle par des opinions erronées ou séparés de sa communion par le schisme ; il embrasse également et sans exception tous les hommes, même étrangers à la foi chrétienne, de sorte que l'empire du Christ Jésus, c'est, en stricte vérité, l'universalité du genre humain. »[16]

Pie XI déplore ensuite combien a diminué le respect dû à l'autorité dont les bases mêmes furent renversées dès lors qu'on supprimait la raison fondamentale du droit de commander pour les uns, du devoir d'obéir pour les autres. Mais il ajoute immédiatement une note d'espérance : « Pourquoi donc, si le Royaume du Christ s'étendait de fait comme il s'étend en droit à tous les hommes, pourquoi désespérer de cette paix que le Roi pacifique est venu apporter sur la terre ? Il est venu tout réconcilier[17] ; il n'est pas venu pour être servi, mais pour servir[18]; maître de toutes créatures, il a donné lui-même l'exemple de l'humilité et a fait de l'humilité, jointe au précepte de la charité, sa loi principale; il a dit encore : Mon joug est doux à porter et le poids de mon autorité léger [19]. » (Quas primas N° 14 et 15)

D'où l'urgente nécessité qui s'impose :

« Pour que la société chrétienne bénéficie de tous ces précieux avantages et qu'elle les conserve, il faut faire connaître le plus possible la doctrine de la dignité royale de notre Sauveur. Or, aucun moyen ne semble mieux assurer ce résultat que l'institution d'une fête propre et spéciale en l'honneur du Christ-Roi. Car, pour pénétrer le peuple des vérités de la foi et l'élever ainsi aux joies de la vie intérieure, les solennités annuelles des fêtes liturgiques sont bien plus efficaces que tous les documents, même les plus graves, du magistère ecclésiastique. Ceux-ci n'atteignent, habituellement, que le petit nombre et les plus cultivés, celles-là touchent et instruisent tous les fidèles ; les uns, si l'on peut dire, ne parlent qu'une fois; les autres le font chaque année et à perpétuité ; et, si les derniers s'adressent surtout à l'intelligence, les premières étendent leur influence salutaire au cœur et à l'intelligence, donc à l'homme tout entier.

Composé d'un corps et d'une âme, l'homme a besoin des manifestations solennelles des jours de fête pour être saisi et impressionné ; la variété et la splendeur des cérémonies liturgiques l'imprègnent abondamment des enseignements divins; il les transforme en sève et en sang, et les fait servir au progrès de sa vie spirituelle. »

Pie XI rappelle ensuite comment l'Église, au cours de l'histoire, fut amenée à instituer des fêtes liturgiques solennelles pour ranimer le courage des fidèles persécutés ou en butte aux hérésies. Et il nomme les fêtes instituées en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie, ou bien la Fête-Dieu, « établie quand se relâchèrent le respect et la dévotion envers le Très Saint Sacrement;" ou encore la fête du Sacré Cœur de Jésus, "instituée à l'époque où, abattus et découragés par les tristes doctrines et le sombre rigorisme du jansénisme, les fidèles sentaient leurs cœurs glacés et en bannissaient tout sentiment d'amour désintéressé de Dieu ou de confiance dans le Rédempteur ». (Quas primas N° 17)

À son tour, Pie XI peut décider : « C'est ici Notre tour de pourvoir aux nécessités des temps présents, d'apporter un remède efficace à la peste qui a corrompu la société humaine. Nous le faisons en prescrivant à l'univers catholique le culte du Christ-Roi. La peste de notre époque, c'est le laïcisme, ainsi qu'on l'appelle, avec ses erreurs et ses entreprises criminelles. » (Quas primas N° 18)

« La fête, désormais annuelle, du Christ-Roi Nous donne le plus vif espoir de hâter le retour si désirable de l'humanité à son très affectueux Sauveur... En conséquence, en vertu de Notre autorité apostolique, Nous instituons la fête de Notre-Seigneur Jésus-Christ-Roi.

Nous ordonnons qu'elle soit célébrée dans le monde entier, chaque année, le dernier dimanche d'octobre, c'est-à-dire celui qui précède immédiatement la solennité de la Toussaint. Nous prescrivons également que chaque année, en ce même jour, on renouvelle la consécration du genre humain au Sacré Cœur de Jésus, consécration dont Notre Prédécesseur Pie X, de sainte mémoire, avait déjà ordonné le renouvellement annuel... » (Quas primas N° 19)

Nous sommes le 11 décembre 1925. La première fête officielle du Christ-Roi n'aura lieu qu'au mois d'octobre suivant, en 1926. Et voici que le 14 août 1926, une petite jeune fille, très pieuse, Olive Danzé, entre au monastère des Bénédictines du Saint-Sacrement, rue Tournefort à Paris. Bientôt Olive prendra le nom de Sœur Marie du Christ-Roi, et il semble qu'elle soit chargée, par Jésus Lui-même, de faire construire, dans l'enceinte de son monastère, un sanctuaire qui serait consacré sous le vocable du Christ-Roi. Comment Olive pourra-t-elle remplir une telle mission ?


[1] S. MATTHIEU, XXVIII 18.

[2] "dont le Règne n'aura pas de fin."

[3] Nombres XXXIV 19.

[4] Ps. II.

[5] Ps. XLIV (XLV) 7.

[6] ISAÏE, IX 6-7.

[7] JÉRÉMIE, XXIII 5.

[8] DANIEL XX 44.

[9] DANIEL, VII 13-14.

[10] ZACHARIE, IX 9.

[11] S. LUC, I 32-33.

[12] Apocalypse I 5.

[13] Apocalypse XIX 16.

[14] S. PAUL, Hébr. I 1.

[15] S. PAUL, I Cor. XV 25.

[16] LÉON XIII, Lettre encyclique Annum sacrum, 25 mai 1899 AAS XXXI (1898-1899) 647.

[17] S. PAUL, Coloss. I 20.

[18] S. MATTHIEU, XX 28.

[19] S. MATTHIEU, XI 30.

    

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