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La
vie de
Saint Joseph
L’Évangile est quasiment muet sur la vie
de Saint Joseph, mis à part les rares grands évènements directement liés à la
vie de la Sainte Vierge
ou de Jésus.
Certains auteurs ont essayé de deviner ce qu’avait pu être
la vie de Saint Joseph en la resituant dans son contexte contemporain, et ont
parfois été amenés à faire des suppositions, plausibles, certes, mais sans
fondements historiques ou théologiques véritables. Alors il a semblé
intéressant d’aller rechercher ce que quelques grands mystiques avaient pu voir
et comprendre dans leurs visions dont certaines sont particulièrement
appréciées. Il ne s’agit pas de compléter l’Évangile, mais d’essayer de mieux
comprendre ce qui, au long des années, a peu à peu constitué la sainteté de
celui qui fut le père adoptif de Jésus.
Dans ce qui suit ces deux points de vue seront
successivement envisagés:
Dans une première partie seront exposées les idées et les
opinions émises par divers théologiens. Dans une deuxième partie on essaiera de
mieux comprendre ce que furent la vie et la sainteté de Saint Joseph, en le
suivant dans sa vie quotidienne, grâce aux visions de quelques mystiques, avec,
évidemment toute la prudence et toutes les précautions et les réserves qui
s’imposent.
Utiliser les visions des mystiques, même si la sainteté de
leurs bénéficiaires est incontestable, pourrait sembler hasardeux à l’homme
d’aujourd’hui. Pourtant de grands hommes font encore confiance à ceux que Dieu
a appelés et continue d’appeler, afin d’expliciter davantage sa Parole, et à la
rendre plus vivante et plus actuelle. Ainsi, le Père Tallec
écrivait dans le journal La Croix du
21 mars 1997:
“La Parole de Dieu est tellement pleine de vie qu’elle
n’est pas fossiliséé dans les seuls textes explicites
des Évangiles. D’une certaine manière on peut oser avancer: les Saintes
Écritures dépassent la simple écriture d’un texte. La meilleure preuve, c’est la Tradition vivante source de la
Révélation.
Dans le domaine de la
contemplation, l’imagination s’en donne à coeur joie pour se figurer de manière
réaliste quelles ont pu être les relations des personnes qui ont rencontré le
Christ... A chacun donc d’écrire sa copie d’Évangile qui soit une réponse
personnalisée à la Nouvelle qu’il annonce.”
[1]
La remarque du Père Tallec se
trouve amplement justifiée lorsque les archéologues modernes retrouvent, lors
des fouilles auxquelles ils se livrent, des monuments, des sites, ou des
constructions oubliées depuis longtemps correspondant exactement aux
descriptions qui en furent données par des mystiques, souvent peu ou pas cultivés
du tout, et n’ayant, de surcroît, jamais voyagé.
Comme tous les enfants juifs, le petit Joseph reçut la
circoncision huit jours après sa naissance. C’est à cette occasion qu’il sera
nommé officiellement Joseph.” La cérémonie
se déroulait en présence imaginaire du prophète Élie, le précurseur du Messie,
car tout garçon qui naît est un Messie possible.” [2]
La circoncision, rite d’initiation au mariage et à la vie était devenu le signe
de l’Alliance entre Dieu, Abraham et sa descendance. Mais Joseph de Jacob ne
“connaîtra pas le plaisir de devenir une
seule chair puisque Marie, la jeune fille qui lui sera donnée en mariage aura
consacré totalement à Dieu sa virginité. En conséquence, il n’éprouvera pas la
joie et la fierté de la paternité biologique.”
Mais, grâce à Jésus, l’abnégation de Joseph se transformera
en plénitude de paternité.
[3]
L’archéologue De Rossi, qui a vécu probablement au XIX è
siècle, et dont les travaux ont permis d’éclairer l’antiquité chrétienne,
affirme que dans les sculptures des premiers siècles, Saint Joseph est représenté
jeune encore et presque sans barbe.
Joseph fait partie des “craignant Dieu”, les pauvres de Yahweh qui abandonnent leur destin entre les mains de Dieu.
Il souffre de la présence des occupants romains, mais il n’approuve pas les
actions violentes des zélotes. C’est donc tout naturellement qu’il accepte de
se rendre à Bethléem, terre de Juda, ville de David, de laquelle, selon le
prophète Michée sortira le chef qui sera le pasteur du peuple d’Israël, pour se
faire recenser.
Daniel Foucher
[4]
cite un texte de Marc Oraison (Le mystère
humain de la sexualité) qui établit
étonnamment la Sainte Famille
comme figure de la Trinitaire:
“Pour ressembler vraiment au dynamisme infini
de la relation qu’est Dieu lui-même, Un et Trois, la race humaine est créée,
elle aussi, sur un rythme à trois que la science moderne fait clairement
ressortir. Deux personnes vont l’une vers l’autre, “ne sont plus qu’une seule
chair” et leur unité fait surgir la troisième dimension personnelle, l’Enfant,
l’autre qui sort d’eux.” Ainsi, le Dieu UN, s’unissant à Marie, épouse de Joseph,
crée une Sainte Famille, image de la
Trinité.
Quand les bergers arrivent à la crèche, Joseph va les
recevoir. Marie et lui leur présenteront l’Enfant nouveau-né. En échange,
Joseph et Marie accepteront les humbles, mais combien utiles, présents des
bergers: lait, fromages, peut-être, ou des linges pour le bébé. Quel
enseignement pour nous! Joseph nous apprend que nous avons toujours besoin des
autres.
Les bergers vont aussi dire à Joseph ce que Dieu leur a fait
connaître à travers la voix et les chants des anges: “Voici que je vous annonce une grande nouvelle: aujourd’hui vous est né
un Sauveur... Et voici le signe à quoi vous le reconnaîtrez...” Quel
soulagement pour Joseph, et quelle force nouvelle pour sa foi: s’il avait
encore des doutes sur l’origine de l’Enfant, dorénavant il ne peut plus en
avoir.
Comme tous les juifs pieux, Joseph et Marie se doivent
d’obéir à la Loi de Moïse
qui prescrit que tout premier-né appartenant à Dieu doit être racheté. Ce rite
rappelait d’une part le sacrifice d’Abraham, et d’autre part la libération de
l’esclavage d’Égypte. Quant à la purification de Marie, dont la Très-pure
Vierge n’avait pas besoin, ce que rappellent la plupart des
auteurs et des prédicateurs, il est intéressant de lire le point de vue de
Daniel Foucher: “Pour
avoir donné l’existence en répandant son sang, toute femme ayant enfanté avait
participé au pouvoir sacré et souverain de Dieu qui est unique source de vie.
Elle avait besoin d’être, en quelque sorte, désacralisée pour retourner chez
les siens et réintégrer le monde profane.”
[5]
Pour résumer: rachat du premier-né = sacrifice pour la rémission des péchés.
Purification de la mère = désacralisation en vue du retour à la vie profane.
Marie et Joseph nous donnent l’exemple du nouveau sacrifice à offrir à Dieu:
sacrifier sa volonté pour la mettre en conformité avec celle du Père.
Marie et Joseph ont dû, comme nous grandir dans la foi.
Syméon et Anne venus au Temple, poussés par l’Esprit, révèleront que le petit
Enfant présenté et racheté, c’est le Messie, gloire d’Israël. “Son père et sa mère étaient étonnés de ce
qu’on disait de lui...” Toutes ces
choses qu’ils gardaient dans leur coeur les faisaient grandir dans la foi.
On estime généralement, mais sans véritable certitude
historique, que le voyage de Marie et de Joseph avec l’Enfant Jésus, pour aller
de Bethléem jusqu’au voisinage d’Héliopolis dura une vingtaine de jours. Mais,
une fois arrivés à la frontière de l’Égypte, on pense que les voyageurs se
seraient reposés un peu. La
Sainte Famille aurait en effet séjourné dans cette ville,
mais une ancienne tradition montre, à une petite distance de la ville, la
fontaine où Marie se désaltéra et un
arbre, un sycomore, croit-on, vénéré des musulmans eux-mêmes, qui aurait fourni
son ombrage aux augustes voyageurs.
Spontanément, Joseph et Marie ont cherché Jésus parmi leurs
relations et connaissances. Jésus s’était tellement fait l’un de nous qu’ils
n’ont pas pensé au Temple où le Fils avait rejoint le Père. “C’est pourquoi ils vont de déception en
déception” Douloureusement ils vont apprendre qu’ils ne suffisent plus à leur enfant... Quand Jésus est enfin
retrouvé dans le Temple, au milieu des docteurs, c’est, contrairement à son
habitude, Marie qui prend la parole, tout en citant Joseph en premier: ”Ton père et moi..., nous te cherchions.”
Curieusement Daniel Foucher relie la souffrance de
Marie et de Joseph à la souffrance de Jésus sur la Croix “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?” (Ps 22) et à la détresse de tous les affligés
de l’histoire, détresse déjà exprimée dans les psaumes: “Pourquoi Seigneur, caches-tu ta face? (Ps 44, 25), “Des profondeurs je crie vers Toi, Seigneur,
Seigneur écoute mon appel (Ps 130, 1).
Mais Jésus ne se culpabilise pas; au contraire, à une
question, à un étonnement, il répond par une autre question, un autre
étonnement: “Ne saviez-vous pas que je
dois être aux affaires de mon Père?” Joseph et Marie vont accuser le coup,
mais ils ne se révolteront pas. “Ils se soumettront sans comprendre, dans
l’obéissance, entrant plus avant dans le Mystère à travers la porte étroite, au
prix d’un plus grand et immense détachement... C’est à Joseph que Dieu
s’adresse maintenant, en lui demandant de “sacrifier” (comme il le fit pour
Abraham) le fils qu’il aime, Jésus, de le
lui consacrer, de le sanctifier, c’est-à-dire de s’en séparer, pour que, mis à
part, il n’appartienne qu’à Lui seul.”
[6]
Dorénavant Joseph va rentrer dans l’ombre, s’effacer. “Il devra faire le deuil de sa propre
paternité pour mettre en lumière la seule et unique paternité de Dieu sur ce
petit enfant devenu trop grand pour lui... Lui aussi médite, comme Marie et
avec elle, sur cet évènement qui vient de se passer, sur cette parole qui leur
a été adressée, car tout est signe et tout devient grâce, occasion de
croissance dans la fidélité. Plus il s’abaisse dans l’humilité et plus il
s’élève dans la communion avec Dieu.”
[7]
La vie va se poursuivre à Nazareth. Jésus commencera son
apprentissage de charpentier. Joseph continuera à méditer, mais cette fois, sur
la soumission de Jésus, sur son obéissance.“Plus
il contemple l’adolescent qui se développe, plus il s’interroge: Qui donc
es-tu? D’où viens-tu? Qui est ce jeune homme qui m’appelle papa?... Et moi? qui
suis-je?... Et qui est donc cette Marie si mystérieuse qui m’a été confiée et
que j’aime de tout mon coeur?”
[8]
Jésus n’a jamais été à l’école des rabbins
“Comment connaît-il ses lettres sans avoir
étudié?” (Jean VII, 15) Et pourtant il
avait une connaissance des Écritures surpassant celle de tous ses contemporains.
Quel fut donc son maître?”
Marie avait une grande connaissance des Écritures, mais on
sait que dans le monde juif de cette époque, à partir de l’âge de cinq ans,
c’était le père qui devait enseigner ses
enfants, en fait, ses garçons. La Sainte Famille devant rester
ignorée dans le monde, et par conséquent se conduire comme les autres familles
juives, nous devons en conclure que Joseph était particulièrement compétent
dans les Écritures. Jésus n’alla jamais à l’école rabbinique, mais Joseph et
Marie lui ont enseigné beaucoup plus que ce que l’on enseignait alors dans ces
écoles.
Jésus croissait en sagesse nous dit l’Évangile. Dans le
langage biblique, croître en sagesse, c’est croître dans la connaissance et la
fidélité aux Écritures. ”Mais comme
Jésus, avant tout, était soumis à ses parents, c’est toujours sous la haute
autorité de Joseph que cette croissance se poursuit.” Plus tard, Jésus qui
avait longtemps été disciple, deviendra à son tour le maître de Joseph et de
Marie, pour les faire grandir sous son inspiration. Divine croissance, et
divine inspiration!
Les textes évangéliques ne mentionnent plus Joseph quand
Jésus entra dans sa vie publique. “Une
fois, dans Saint Marc, Jésus est appelé “fils de Marie”, ce qui suggère qu’elle
était veuve, car jamais on ne parlait ainsi du vivant du père. Joseph était
donc décédé à Nazareth avant le départ
de Jésus...”
[10]
Comme il avait vécu
en juste, Joseph est mort en juste, et sans faire de bruit. On a beaucoup
cherché à imaginer la mort de celui qui était mort sans bruit. Peut-être est-il
sage, ici, de respecter le silence de Joseph mourant.
En revanche, la mort de Joseph peut éclairer la nôtre.
“C’est une mort humaine, commune, mais pas
n’importe laquelle, celle du père de Jésus, Messie et Fils de Dieu. Son enfant
et son épouse se tenaient à son chevet pour recueillir son dernier
souffle. En raison de cete circonstance exceptionnelle, il a mérité de devenir
Patron de la bonne mort, comme l’atteste une prière familère:
– Jésus, Marie, Joseph, je vous
donne mon coeur, mon esprit et ma vie.
– Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi
dans ma dernière agonie.
– Jésus, Marie, Joseph, faites que
je meure en paix en votre sainte compagnie.
[11]
“Sous le couvent des
religieuses de la Congrégation de Nazareth, situé au coeur même de la
ville, le hasard a fait découvrir les vestiges d’une grande basilique bysantine dont la crypte semble avoir été destinée à
enchâsser les restes d’une petite maison et d’une tombe juive, cette dernière
en parfait état de conservation. Une grosse pierre ronde fermait hermétiquement
l’entrée du sépulcre.
Une vieille tradition
affirmait que cette grande église de Nazareth renfermait “le Tombeau du
Juste”.
L’évêque gaulois Arculfe, qui a visité les Lieux Saints, vers 670, atteste
l’existence de deux grandes églises: “l’une
au lieu où jadis se trouvait la maison dans laquelle le Seigneur, notre Sauveur
a été nourri” et l’autre“à l’emplacement de la maison dans laquelle l’Archange Saint
Gabriel, étant entré vers la bienheureuse Marie, la trouva seule et lui parla.”
Sans doute la première
est la maison de Joseph et l’autre celle de Marie avant la cohabitation. Comme
certains le pensent, la Tombe du Juste serait-elle alors celle de Saint
Joseph, le père de Jésus?”
[12]
Qu’est devenu Joseph
après sa mort?... Si tout s’achève par une ascension, une assomption, une
promotion incroyable, comme pour Hénoch, Élie et Jésus, pourquoi Joseph
n’aurait-il pu les rejoindre, comme Marie les rejoindra plus tard? “En quittant la terre, les images retombent
comme une écorce vide qui en s’ouvrant laisse apparaître le fruit. Il en est de
même pour la partie inférieure d’une fusée qui retombe lourdement, à l’image du
cadavre qui s’écroule dans la fosse, alors que l’essentiel, le spirituel
invisible pour les yeux, poursuit son envol de l’autre côté des nuages, là dans
le ciel où se cache le soleil rayonnant de notre Dieu.”
[13]